Après le vote, en décembre, du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, nous voici donc à nouveau réunis pour débattre de ce texte en nouvelle lecture.
Que de chemin parcouru par ce projet de loi ! En novembre 2017, madame la ministre, vous aviez confié la mission à cinq binômes de réfléchir à l'évolution de notre justice, dans le cadre de cinq chantiers correspondant aux piliers de cette réforme : amélioration et simplification des procédures civiles et pénales, sens et efficacité des peines, réseau de juridictions et transformation numérique.
Nombre d'entre nous étions présents, il y a maintenant un an, pour la restitution de ces « chantiers de la justice ». Ils furent une base de travail considérable, qui a alimenté pendant plusieurs mois des débats au sein des professions juridiques et judiciaires notamment, en vue de la réforme que nous nous apprêtons à voter. On est bien loin de l'absence de concertation, malgré ce qui est martelé par certains sur les places publiques !
Nos collègues sénateurs ont eu la primeur de l'analyse de ce texte. Ils l'ont à bien des égards énormément enrichi, jusqu'à l'alourdir en intégrant des éléments s'éloignant considérablement du coeur et des thématiques de la réforme et de la concertation. Ils ont aussi su apporter des éléments de précision nécessaires et justifiés sur un certain nombre de dispositions : je pense par exemple à l'encadrement des plateformes de services juridiques en ligne, ou legaltech, dispositions sur lesquelles l'Assemblée nationale a maintenu la quasi-totalité des apports du Sénat, si ce n'est la certification obligatoire de ces entreprises que nous avons rendue facultative pour des raisons que nous expliquerons à nouveau dans le cadre de nos échanges.
En première lecture à l'Assemblée, nos trois longues semaines de débats nous ont permis d'accorder le temps et la qualité nécessaires à l'analyse des nombreux amendements déposés. Sans revenir de manière exhaustive sur tout ce que nous avons voté, je rappellerai que nous avons défini et précisé le cadre de la médiation, mode de règlement amiable des litiges en plein essor, aux côtés du service public de la conciliation ou de la procédure participative par voie d'avocats.
Nous avons limité pour les futurs parents les frais liés à la déjudiciarisation du recueil de consentement à la procréation médicalement assistée – PMA. Ce sont 125 euros d'économisés grâce à l'action de la majorité, soutenue par le Gouvernement.
En matière de divorce, domaine par excellence dans lequel nos concitoyens ressentent la lourdeur de notre système judiciaire, nous avons remis à plat la procédure et les délais mais nous nous sommes aussi assurés du maintien d'une audience afin de statuer sur les mesures provisoires dès le début de la procédure, sauf accord exprès des parties.
Nous avons rétabli les droits fondamentaux des majeurs protégés – voter, se marier, se pacser, divorcer – sans accord du juge a priori, tout en maintenant la vigilance et la protection des tuteurs et curateurs.
Nous avons encouragé la transparence par la mise à disposition gratuite, pour tous, des décisions de justice tout en encadrant ces open data afin de protéger les personnes et les professionnels concernés.
Alors que nous entamons une nouvelle lecture de ce texte, avec une singularité de la procédure parlementaire qui veut que nous étudiions à nouveau le texte que nous avons nous-mêmes voté en décembre sans qu'il soit repassé par le Sénat, il ne s'agit pas de détricoter ce que nous avons fait avant la trêve des confiseurs. Nos débats resteront toutefois utiles car ils permettront d'apporter des éléments d'ajustement et d'amélioration, dans le droit-fil de nos précédents échanges.
Dans les prochains jours, nous aimerions apporter les précisions suivantes.
En cas d'opposition sur une injonction de payer, l'ensemble des contentieux, y compris ceux relatifs aux délais de paiement, devront se tenir devant les juridictions locales et non devant la nouvelle juridiction nationale dématérialisée.
S'agissant de l'expérimentation portant sur la révision des pensions alimentaires par les caisses d'allocations familiales – CAF – , nous préciserons que les directeurs de CAF n'auront pas de marge d'appréciation, laquelle relève de l'office du juge, et qu'en cas de complexité des revenus, le dossier reviendra aux juges aux affaires familiales – JAF.
En ce qui concerne l'organisation territoriale, nous préciserons le rôle des conseils de juridiction, que nous voulons voir pleinement associés aux décisions relatives à la répartition des contentieux de niche au sein des TGI. Il ne s'agit ni d'aller vers une spécialisation dans les matières principales ni de concentrer les contentieux, y compris de niche, en un seul TGI mais bien de les répartir sur l'ensemble des TGI d'un département, les contentieux de niche représentant peut-être 10 % des litiges traités sur les territoires.
Nous discuterons de bien d'autres propositions, mais je souhaite aussi saisir ce moment pour rappeler les objectifs visés par ce projet de loi.
Le premier objectif est une justice au budget renforcé, à hauteur de 25 % sur le quinquennat. Il s'agit là d'un effort budgétaire sans précédent, qui doit être souligné : il représente 1,3 milliard d'euros supplémentaires. Certes, tout le monde souhaiterait plus pour la justice, car ses besoins sont illimités, mais tel n'est pas le budget de l'État. Certains prétendent par ailleurs que cette hausse du budget ne concernera que les prisons. C'est bien sûr inexact, mais au-delà, qui peut s'estimer satisfait de savoir que tant de personnes dorment sur des matelas posés à même le sol dans nos prisons ? Il s'agit d'une urgence, à laquelle nous apportons une réponse. La prison n'est toutefois pas l'alpha et l'oméga de la politique pénale et nous créons 1 500 postes dans les services d'insertion et de probation afin de mieux aider les condamnés à se réinsérer dans la société. Cette loi de programmation permet aussi de créer 832 emplois dans les services judiciaires : ce sont autant de magistrats, de greffiers et de juristes assistants en plus.
Le deuxième objectif est une justice plus simple. Aujourd'hui, le fonctionnement de notre justice est malheureusement incompréhensible pour nombre de nos concitoyens. Quelle différence entre le tribunal d'instance – TI – et de grande instance ? Quel tribunal saisir ? Afin de répondre à ces difficultés, le projet de réforme de la justice fusionne administrativement les tribunaux d'instance et de grande instance au sein d'un nouveau tribunal judiciaire. Je dis bien : « administrativement ». Très concrètement, le justiciable pourra saisir le tribunal le plus proche de chez lui, qu'il s'agisse d'un ancien TI ou d'un ancien TGI, sans se poser de questions sur la compétence matérielle du tribunal. J'entends toutefois les inquiétudes de nombre de professionnels encore marqués par les stigmates de la réforme de 2008. Je le dis et je le répète : il n'y aura pas de suppression de tribunal. Ce n'est pas le projet de cette réforme. Il n'y a pas d'agenda caché. La ministre de la justice s'y est d'ailleurs engagée dans cet hémicycle il y a encore quelques minutes.
Le troisième objectif est une justice plus efficace, recentrée sur l'office du juge. Pour cela, il faut dégager du temps pour les juges, afin qu'ils puissent se consacrer à l'essence de leurs fonctions : juger et trancher des litiges. Encore faut-il qu'il y ait des litiges, car nous voulons encourager les tentatives de rapprochement amiable des parties. C'est un changement de paradigme que nous appelons de nos voeux : tenter de dépassionner le litige et trouver un accord par le dialogue peut être une bonne idée. Il s'agit aussi d'extraire le juge de toutes les procédures dans lesquelles il n'apporte guère de plus-value : citons le recueil du consentement à une PMA ou la rédaction d'un acte de notoriété.
Le dernier objectif est une justice plus moderne, dans laquelle le numérique est toujours une opportunité et une alternative pour ceux qui le souhaitent. Déposer une plainte en ligne, utiliser un service de médiation en ligne, voici autant d'outils à la disposition, sans obligation, de ceux qui, pour diverses raisons, aimeraient bénéficier des opportunités qu'offre le numérique. Quant à ceux qui n'ont pas accès à internet, nous ne les oublions pas : ils n'auront aucune obligation d'utiliser internet. C'est aussi simple que cela. Encore une fois, il n'y a pas de loup ni d'agenda caché.
Ce projet de loi, in fine, va vers une justice plus proche des gens : une justice simple, efficace et moderne qui répond à leurs besoins, à portée de leurs doigts grâce au numérique et au plus près des territoires à travers les tribunaux qui, je le répète, seront maintenus.
Il me reste, chers collègues, à vous adresser mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année que je souhaite propice à des débats riches et, je l'espère, apaisés.