La loi de programmation et de réforme pour la justice poursuit aujourd'hui son parcours dans des conditions particulières puisque nous reprenons en nouvelle lecture directement le texte que nous avions voté en première lecture, après le Sénat. C'est un des charmes de la procédure parlementaire que certains d'entre nous, j'en fais partie, découvrons. Cela n'enlève rien à la profondeur du débat. Nos échanges ont été particulièrement riches, depuis plusieurs semaines que nous travaillons ensemble.
Notre commission des lois, avant l'interruption de Noël, a poursuivi son travail d'analyse et d'amélioration du texte en adoptant des amendements, dont certains déposés par l'opposition, sans que les objectifs et les principes directeurs du texte en soient changés. Cette nouvelle lecture est sans doute le bon moment pour rappeler les règles retenues en matière pénale, volet dont je suis le rapporteur, en séparant le plus clairement possible, et ce n'est pas toujours simple, ce qui tient à la réalité de la loi et à l'engagement politique qui l'anime de ce qui relève des fausses appréciations ou des approximations, pour ne pas dire plus.
Non, il n'est pas porté atteinte aux droits de la défense. Non. Le rôle essentiel de l'avocat se voit conforté à toutes les phases de la procédure. Tout au plus est-il prévu de se conformer au droit européen, qui ne prévoit pas son assistance lorsque celle-ci ne s'avère d'aucune utilité pour l'exercice des droits de la défense. Il en est ainsi pour les simples transports ou perquisitions pendant la garde à vue qui, à l'inverse des auditions ou confrontations, ne nécessitent en aucune façon la présence d'un conseil, comme l'a très clairement posé une règle européenne en 2013.
Non, nous n'assistons pas à une déshumanisation de la justice, comme on voudrait le faire croire. Elle sera toujours rendue par des magistrats, avec le concours, si indispensable, des greffiers et des fonctionnaires, auxquels la loi de programmation accorde une place particulière.
Le numérique existe, c'est une réalité, mais il n'est qu'un outil parmi d'autres, au service des acteurs de la justice. La plainte en ligne simplifiera les démarches, si elles le souhaitent, pour nombre de victimes qui ont d'abord besoin d'un récépissé leur permettant de faire valoir leurs droits, notamment à l'égard des assurances. On doit aussi reconnaître que pour les infractions graves que sont notamment les atteintes sexuelles ou les violences conjugales, il peut être plus aisé et plus protecteur pour certaines victimes d'entrer en contact avec les services d'enquête par ce biais sans avoir immédiatement à pousser la porte d'un commissariat ou d'une gendarmerie, démarche parfois traumatisante. Bien évidemment, et c'est le sens des débats qui nous ont animés, il n'est pas question d'écarter le contact direct entre la victime et l'enquêteur. Il se fera à la demande de l'un ou de l'autre et aura lieu, en tout état de cause, pour assurer la caractérisation de l'infraction et l'enquête.
Non, le projet de loi ne sacrifie pas les libertés individuelles et ne comporte aucun recul des droits. Il tend à simplifier la procédure pénale dans un souci d'efficacité et de recentrage des missions de chacun des acteurs de la justice. La place de l'avocat et l'intervention des magistrats que sont les procureurs, les juges des libertés et de la détention et les juges d'instruction est totalement préservée, même si elle est redessinée dans certains aspects de la procédure pénale. Plusieurs dispositions ont pour objet de renforcer l'efficacité des enquêtes par des techniques spéciales. Elles répondent à l'évolution des méthodes de plus en plus élaborées utilisées par les délinquants et doivent permettre à l'État d'assurer son rôle fondamental de protection des citoyens et des victimes. Nul ne peut être contre cet objectif.
Non, nous n'entamons en rien la qualité du procès pénal, quel que soit le niveau de l'infraction jugée. La création, à titre expérimental, de la cour criminelle répondra tout autant à l'engorgement des cours d'assises qu'à la nécessité d'assurer des condamnations criminelles correspondant réellement aux crimes commis et interrompant la dérive, trop fréquemment constatée, de la correctionnalisation, en particulier pour les viols. Rien ne permet d'affirmer qu'une justice rendue par cinq magistrats professionnels pour des crimes punis de quinze et vingt ans de réclusion serait de moins bonne qualité que celle intégrant des jurys populaires, ou répondrait moins aux exigences des principes fondamentaux du procès pénal. Tout au contraire, elle respectera l'échelle des peines, donnera sa pleine mesure au débat judiciaire et renverra, en cas d'appel, à la cour d'assises.
Non, nous ne cédons rien à la menace terroriste. Elle reste réelle, comme les événements de Strasbourg au moment des fêtes nous l'ont cruellement rappelé. Notre réponse pénale se trouvera grandement confortée, tant en France qu'à l'étranger, par la création du parquet national anti-terroriste, doté de pouvoirs de mobilisation étendus. Là encore, les victimes, qui sont la première préoccupation des autorités publiques à travers cette loi, verront leur situation et leurs garanties d'indemnisation grandement améliorées par l'intervention du juge de l'indemnisation des victimes d'attentats terroristes.
Je pourrais poursuivre la liste des critiques injustifiées qui ont été adressés à ce projet de loi mais, en réalité, il suffit d'en faire une lecture raisonnable pour constater que les objectifs d'une justice plus simple, plus rapide, plus accessible sont pleinement atteints, sans sacrifier quoi que ce soit à nos principes fondamentaux et à la protection des libertés individuelles. Les acteurs de la chaîne pénale verront leur rôle recentré et par là même renforcé. Les victimes seront mieux considérées et la sanction pénale sera plus adaptée à la personnalité des auteurs et aux exigences de sécurité de la société – sanction, protection, insertion, comme le rappelait madame la ministre.
Notre justice avance. Elle devient plus efficace, plus effective, plus protectrice pour la société et le justiciable. Son service public se modernise, s'adapte à la vie des Français, devient plus crédible.
Certains enjeux de fond nouvellement apparus ne sont pas écartés. En dépit d'une politique pénale différente, qui réservera la réponse carcérale aux cas où le pacte social est gravement rompu, où le délinquant ne montre aucune volonté d'amendement, nous devons rapidement augmenter les places de prison et répondre au souci de dignité humaine auquel notre société est confrontée. C'est précisément l'engagement politique du Gouvernement, techniquement traduit dans le texte qui nous est soumis.
Dans la même idée, la situation pénale des mineurs est l'un des défis majeurs de notre siècle. Nous sommes nombreux à considérer que l'ordonnance du 2 février 1945, remaniée à trente-neuf reprises, doit être clarifiée, mieux codifiée, améliorée pour atteindre les mêmes objectifs de rapidité, d'efficacité et de protection de la société et des mineurs. La maturité des esprits en la matière permettra au Gouvernement de travailler par ordonnance, en intégrant les multiples contributions en cours, notamment celles des excellents Jean Terlier et Cécile Untermaier, en menant, à l'instar des chantiers de la justice, la concertation indispensable.
Loin d'écarter le Parlement, ces nouvelles dispositions ne pourront entrer en vigueur tant que le débat parlementaire et la loi de ratification n'auront pas eu lieu. Je n'ignore pas l'incompréhension de certains professionnels du droit, rappelée à deux reprises. Ils sont inquiets de leur avenir, du maintien de leur place dans la chaîne judiciaire, mais une lecture attentive et bienveillante du texte et de ses évolutions au long de la concertation préalable et de nos débats, tout autant que les multiples garanties politiques données par la ministre, devraient les rassurer.
Rien n'est fait contre les professionnels du droit. Rien n'est fait contre la justice. Au contraire, tout est fait pour elle.