Intervention de Jean-Louis Masson

Séance en hémicycle du mardi 15 janvier 2019 à 15h00
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Motion de rejet préalable (projet de loi organique)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Masson :

Si vous pensez que le lapsus était révélateur, je vous laisse cette appréciation…

Ainsi, votre majorité est si intelligente, si subtile et si technique qu'elle n'a évidemment aucun besoin d'écouter des gens qui ne sont rien, des fainéants alcooliques, des Gaulois réfractaires à tout changement.

Je ne vous provoque pas, madame la ministre : je vous exprime simplement ma très grande réprobation face aux propos tenus à l'endroit de certains de nos compatriotes. Le Gouvernement croit-il pouvoir encore longtemps administrer la France en méprisant à ce point les Françaises et les Français ?

Alors, que veulent nos concitoyens ? Rien de plus simple, en vérité : ils attendent que le droit soit dit rapidement quand ils vivent un conflit. S'ils sont victimes d'une infraction pénale, ils espèrent que les sanctions seront rapides, à défaut d'être immédiates, et que les peines prononcées seront effectives.

Pensez-vous vraiment que votre projet de justice satisfasse nos concitoyens et la nation que nous représentons ici ? Notre hémicycle est chargé d'histoire : l'Assemblée nationale s'est beaucoup battue pour faire respecter notre idéal républicain. Nous pouvons être fiers d'y siéger, mais nous avons un devoir sans appel, celui de débattre et de dire les choses franchement. C'est pourquoi je dois vous dire aujourd'hui que les députés du groupe Les Républicains considèrent que votre projet n'est pas bon pour les Françaises et les Français. Aujourd'hui, ces derniers ignorent encore le fond de ce texte. Quand ils découvriront à quoi ressemblera la justice de demain, ils n'auront pas assez de mots pour vous exprimer leurs reproches – et ils auront raison !

Sur le fond, Antoine Savignat a parfaitement expliqué les travers inacceptables de votre réforme dans le cadre de la motion précédente. Je les rappelle néanmoins succinctement : éloignement du juge, déshumanisation des procédures, justice algorithmique, effacement de la justice de proximité, fusion de tribunaux et risque de disparition pour certains d'entre eux – sur cette question, madame la garde des sceaux, votre colère me paraît assez révélatrice – , disparition des jurys populaires pour un certain nombre de crimes, précarisation des droits des plus faibles, renoncement à construire le nombre de places de prison aujourd'hui nécessaires, budget insuffisant comparé aux budgets de la justice des nations équivalentes sur le continent européen.

Mais je vous rappelle que l'éloignement crée la défiance, que la précarisation engendre le sentiment inégalitaire et que les renoncements à des moyens dans l'univers carcéral nourrissent le sentiment d'impunité pour les coupables et d'injustice pour les victimes – autant d'ingrédients propices à attiser la défiance généralisée exprimée tant par la crise des gilets jaunes que dans d'innombrables écrits de science politique et études d'opinion.

Dans leur vaine stratégie pour décrédibiliser leurs contradicteurs, certains membres du Gouvernement se sont improvisés historiens et ont voulu comparer notre époque aux années trente. Ils avaient raison, mais ils se sont trompés de siècle ! Ils pensaient à 1930, mais je crois qu'il s'agit plutôt de 1830. À cette époque, Charles X était le monarque et Polignac le président du conseil des ministres. Tous deux étaient prisonniers de leur supériorité théorique immanente, aristocrates bien nés et bien éduqués oubliant la transcendance que représente la souveraineté nationale. Au mépris du réel, alors que les barricades se multipliaient à Paris, le monarque et son ministre jouaient aux cartes au son du canon. On connaît la suite.

Madame la ministre, votre projet de réforme peut satisfaire Bercy. Il peut vous satisfaire, car vous n'en mesurez peut-être pas toute la portée politique. Il peut satisfaire les plus aisés ou les voyous, mais il ne satisfera pas les Français. Voilà encore un sujet qui sera mis au passif du Gouvernement, le moment venu.

Mes chers collègues, le temps de la communication et de l'aveuglement partisan doit cesser. Brisez le sectarisme qui vous fait ignorer sans discernement les amendements et propositions des oppositions ici présentes, et actives, au point d'alimenter des contestations populaires que l'on nous accuse de ne pas écouter, comprendre ou défendre !

Notre régime parlementaire aurait-il vécu ? Devons-nous changer de République car nous n'avons plus suffisamment de courage pour faire fonctionner la nôtre ? Si tel est votre comportement, quelle crédibilité peut avoir le grand débat lancé aujourd'hui, sauf à devoir bluffer la nation ?

Nos collègues du Sénat ont réalisé un travail remarquable sur ces projets de loi de réforme de la justice, comme cela a déjà été dit. Chers collègues de la majorité, allez-vous le balayer par un vote obtus ? Vous l'avez déjà fait pour leur proposition de loi sur les casseurs, avant de vous apprêter à reprendre, à la demande du Gouvernement, si ce n'est l'intégralité de leurs idées, du moins l'immense majorité d'entre elles. Gagnons du temps, mes chers collègues ! Cessez de vous soumettre ! Votez, en votre âme et conscience de représentants du peuple, ce qui est bon pour le pays plutôt que ce qui sert la funeste stratégie technocratique de l'exécutif !

Les textes que nous examinons vous donnent une occasion supplémentaire de vous révéler dans le rôle que les institutions vous attribuent – un rôle que vous avez jusqu'à présent méconnu, ignoré ou méprisé pour l'écrasante majorité d'entre vous. Vous êtes les représentants de la nation et non les supplétifs dociles du pouvoir exécutif.

Les Français vous regardent et vous jugent. À travers vous, ils jugent aussi la représentation nationale et son rôle dans l'équilibre des pouvoirs. C'est la raison pour laquelle je vous appelle à voter cette motion de rejet préalable.

Et bonne année, madame la ministre !

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