Notre pays est en-deçà des standards européens sur de nombreux critères. À la pénurie, votre projet de loi répond par le rationnement, en cohérence avec la récente parole présidentielle : moins de services publics – donc une justice moins accessible ! L'engagement budgétaire de la France n'est pas à la hauteur des enjeux.
Le dernier rapport de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice est alarmant, même si vous faites le choix de l'ignorer. Au sein de l'Union européenne, la France se situe au trente-septième rang sur quarante-et-un.
Le budget global du ministère de la justice représente 64 euros par habitant et par an, ce qui n'est pas grand-chose – c'est moins que la somme que consacrent les Français à la redevance audiovisuelle.
D'ailleurs, sur les 3 milliards d'euros supplémentaires alloués au budget de la justice, vous savez parfaitement que 1,7 milliard est consacré à l'administration pénitentiaire, plus précisément à ses dépenses d'investissement – je ne parle même pas des dépenses de fonctionnement ni des difficultés que vous aurez à recruter un nombre suffisant de surveillants pénitentiaires. Il est déjà difficile de parvenir à l'effectif cible ; demain, avec des places de prison supplémentaires, je ne sais pas bien comment vous ferez.
Si on ajoute à tout cela le demi-milliard alloué à la transformation numérique de la justice, on comprend pourquoi il ne reste que des clopinettes pour le volet judiciaire du budget de la justice, afin de parvenir tout juste à ce que l'on promet depuis des années : l'effectif cible de magistrats, de greffiers et de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation.
C'est cela, l'horizon ? L'effectif cible ? Au demeurant, celui-ci est sous-évalué par les professionnels, comme je l'ai appris lors de l'audience solennelle de rentrée de la cour d'appel de Douai, dont les réquisitions sont assez sévères.
Des conséquences en découlent : nous manquons de juges pour rendre la justice et nous manquons cruellement de procureurs, ce qui situe la France à l'avant-dernier rang des quarante-sept pays du Conseil de l'Europe. Alors même que les procureurs ont d'immenses prérogatives, ils requièrent et dirigent les enquêtes judiciaires. Votre projet de loi, madame la ministre, accentue aveuglément cet état de fait – peut-être dans l'attente qu'ils connaissent un drame à la Outreau ?
Pour les justiciables, les conséquences sont multiples : à la lenteur et l'engorgement des tribunaux, vous répondez par la privatisation – qui dégrade la notion de justice – et par la déshumanisation – par le biais du recours irraisonné et déraisonnable à la visioconférence. À l'heure où l'on crie à l'injustice dans notre pays, votre projet de loi ne répond en aucune façon aux revendications légitimes de nos concitoyens et de nos concitoyennes.
Le projet de loi n'améliore pas la justice française, il l'adapte au peu de moyens que ce gouvernement – visiblement anti-robes noires – lui octroie. L'augmentation du budget n'est due qu'à la seule force de la construction de prisons, laquelle – selon une cohérence répressive, il faut bien le dire – plie sous le poids d'un populisme pénal emblématique de notre époque.
Le groupe La France insoumise défend un projet de justice dont l'objectif – que nous devons tous partager – est de réaliser l'harmonie sociale et dont la vocation est de corriger les inégalités, lesquelles deviennent des injustices si elles empêchent les individus, notamment les plus défavorisés, d'y faire face. Si les individus sont égaux en droit, l'État ne doit pas tenir pour acquis qu'ils le sont en fait – ce rôle incombe à la justice.
Ne l'oublions pas : la justice est la garante d'une paix sociale fondée sur l'équilibre et la raison. Lors de la première lecture du texte, dans le cadre de la discussion générale, je m'étais attelé non à critiquer votre texte, madame la ministre, mais plutôt à proposer un texte alternatif.
Croyez bien qu'il existe de nombreuses propositions dans le pays. Les avocats et les magistrats en ont formulé de nombreuses dans le cadre de ce débat. Elles n'apparaissent pas dans le texte. C'est pourquoi ils étaient massivement mobilisés aujourd'hui. J'étais à leurs côtés avec grand plaisir.