Intervention de Michel Zumkeller

Séance en hémicycle du mardi 15 janvier 2019 à 21h30
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Zumkeller :

Notre groupe bénéficie d'un nouveau temps de parole sur ces textes, ce qui nous amène une nouvelle fois à nous interroger sur les conditions de leur examen. La première lecture fut marquée par une certaine désorganisation et la discussion a finalement presque toujours été tranchée dans le même sens. Nous espérons que le vote, tout de même fort serré, vous conduira à davantage de bienveillance et d'écoute à l'égard de cette assemblée.

Cela dit, venons-en au vif du sujet : la justice. Si l'on devait la définir, on trouverait communément deux acceptions.

Dans un premier sens, la justice est une valeur. Elle est, selon Aristote, la meilleure des vertus, celle qui conditionne toutes les autres. Elle permet la vie bonne, pour soi et au sein de la cité. Elle occupe donc une place primordiale dans la vie des hommes.

Dans un sens plus contemporain, la justice est aussi un service public. En tant que telle, c'est une activité ayant pour but l'intérêt général, assurée sous le contrôle de la puissance publique et devant obéir à certains principes comme l'égalité, la neutralité ou la gratuité.

Or la réforme dont nous discutons depuis déjà plusieurs semaines ne semble pas s'accorder totalement avec cette définition.

D'abord, malgré un effort certain, ces textes n'accordent toujours pas suffisamment de moyens à la justice, au regard de l'importance qu'elle revêt dans notre société. Au lieu de renforcer la justice, on l'adapte au manque de moyens. Au lieu de promouvoir une justice forte et régalienne, ce projet de loi asservit la justice aux contraintes budgétaires.

Ensuite, la justice qui nous est proposée ici perd tous les attributs d'un service public : il n'y a plus aucune garantie de neutralité lorsqu'on confie des missions à des administrations qui sont juge et partie ; il n'y a plus aucune garantie de gratuité lorsqu'on confie des missions à des prestataires de services privés ; il n'y a plus aucune garantie d'égalité lorsqu'on refuse de prendre les précautions nécessaires au maintien du maillage territorial des juridictions.

Nous trouvons aussi beaucoup de paradoxes dans ces textes : les conciliations obligatoires ; la volonté de réduire les peines de prison en même temps que l'on consacre la majeure partie du budget à la construction d'établissements pénitentiaires ; de nouvelles plateformes privées pour accomplir une mission régalienne de l'État ; la banalisation de mesures exceptionnelles ; la volonté de rapprocher la justice du justiciable tout en prenant le risque que des tribunaux disparaissent sur les territoires.

Malgré tout le travail fourni dans cette enceinte et par nos collègues sénateurs, nous sommes donc en présence de textes toujours aussi équivoques, qui apportent toujours aussi peu de garanties aux justiciables, et où l'idée de justice se perd dans les méandres de considérations budgétaires et gestionnaires.

Nous savons, madame la garde des sceaux, que vous défendez ce projet avec ambition et sincérité. Toutefois, devant tant d'oppositions de toute part, de tous les groupes parlementaires d'opposition, de toutes les professions juridiques et de tant d'autres institutions, notamment du Défenseur des droits ou de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, il faudrait vous rendre à l'évidence : ces textes comportent encore de nombreuses difficultés. De plus, loin de récuser totalement vos propositions, nous ne demandons souvent que des garde-fous.

Si le constat des problèmes de la justice est unanimement partagé, nous avons tous, sur ces bancs, des solutions différentes pour y remédier, et c'est respectable. En revanche, personne ici ne souhaite que notre justice se transforme, sous couvert de modernité, en un service privé délaissé par l'État et guidé par des algorithmes, plus soucieux d'écouler des stocks d'affaires que de rendre la justice pour la paix sociale.

Le groupe UDI, Agir et indépendants a de nouveau réfléchi longuement, en tâchant de tenir compte de tout ce qui a été dit en première lecture et au cours des débats en commission. De cette réflexion a résulté le dépôt d'amendements visant à introduire des mesures et encadrements qui nous paraissent réellement importants, à la fois pour la qualité de la justice, pour le justiciable et pour l'accès à la justice sur nos territoires. Nous présenterons donc une nouvelle fois des mesures destinées à assurer le maintien de tous les lieux de justice. Si nous avons bien entendu qu'il n'existait, à ce jour, aucune volonté de modifier la carte judiciaire, il nous paraît indispensable de l'inscrire dans la loi, afin de ne prendre aucun risque pour demain.

Nous défendrons également une programmation budgétaire plus ambitieuse que celle proposée dans ces projets de loi. En effet, le budget alloué à la justice nous semble encore insuffisant. Les efforts consentis sont notables mais ne permettront pas de rattraper le retard accumulé pendant trop longtemps en raison d'un sous-investissement chronique. Les nombreuses mesures de fusion et de mutualisation prévues ici semblent malheureusement le démontrer.

Nous souhaitons également encadrer la possibilité, pour les caisses d'allocations familiales, de réviser les pensions alimentaires. Si l'idée de départ consistant à décharger le juge d'affaires simples nous paraissait aller dans le bon sens, les discussions ont révélé de nombreuses inquiétudes, auxquelles nous tenterons de remédier.

Il est indiqué, dans le rapport annexé, que les missions premières de la justice sont de trancher les conflits et de protéger les droits et libertés des citoyens. Nous partageons cette idée, mais il nous semble que ces textes s'en éloignent en pratique, et les discussions précédentes ne nous ont pas toujours rassurés.

La volonté de pragmatisme s'entend, mais le prix ne doit pas en être la déshumanisation de la justice et la perte de tous les symboles. La simplification est quelquefois nécessaire, mais attention : parfois, ce que l'on appelle « complexité » est en réalité le gage de la sauvegarde des droits de chacun. La réforme de la justice est nécessaire, mais on ne peut pas perdre de vue sa spécificité lorsqu'on identifie les clés de sa transformation. L'informatique peut être une commodité quand c'est nécessaire, mais, quelle que soit la modernité que l'on vise, il ne sera jamais banal d'être privé de liberté à travers l'écran d'un ordinateur. De même, il est parfaitement louable de vouloir recentrer le juge sur son coeur de métier, mais quelle légitimité peut-on accorder aux nombreux autres acteurs que le projet de loi institue comme des quasi-juges ? Enfin, l'accessibilité de tous à la justice doit être une priorité, imposée sans concession.

Je crois que nous devons désormais tenter d'établir un dialogue plus serein, afin de nous donner les meilleures chances d'aboutir à des lois qui fassent consensus plutôt que d'être adoptées à quelques voix près. C'est essentiel car un texte qui porte sur un des piliers du contrat social a besoin d'une telle légitimité renforcée.

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