Intervention de Jean-Michel Clément

Séance en hémicycle du mercredi 23 janvier 2019 à 15h00
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Je m'exprime au nom du groupe Libertés et territoires. Madame la garde des sceaux, lors de l'examen de ces textes en première lecture, je vous faisais part des inquiétudes du groupe Libertés et territoires face aux dispositions que vous nous proposiez d'adopter pour réformer notre justice. Aujourd'hui, alors que s'annonce le vote solennel, permettez-moi de vous indiquer que nos craintes n'ont pas été levées.

Ces craintes portent sur une évolution de la justice vers moins de proximité avec le justiciable et moins de sens pour la décision de justice, notamment à travers l'accentuation de la dématérialisation et la spécialisation des juridictions laissées à l'arbitraire des chefs de cour. Elles sont partagées par tous les professionnels de la justice, qui n'ont cessé de vous le rappeler tout au long de l'examen de ces textes.

Cette semaine encore, les audiences solennelles des tribunaux de grande instance ont été boycottées par de nombreux magistrats. Ce ne sont pas le corporatisme, la peur du changement ou le conservatisme d'un monde ancien qui ont conduit ces magistrats à suspendre les audiences ou à manifester, mais bien le même sentiment que la justice sera moins accessible.

Vous avez refusé d'entendre la mobilisation du monde judiciaire. Cela est particulièrement regrettable, à l'heure où nos concitoyens demandent à votre gouvernement d'être davantage à l'écoute de leurs difficultés et de leurs attentes. En les écoutant, consciente que la justice de notre pays est un service public essentiel, vous auriez peut-être pu suspendre l'examen de ce texte en attendant les remontées du débat national.

À ce propos, je regrette que la justice n'ait pas une place plus importante dans les intentions de ce débat. Il y avait un intérêt à ce que la justice y figure, parce qu'elle pose la question de la présence de l'État et de ses services publics dans nos territoires.

Une vraie question est en effet posée, celle de l'accès au juge. Ce projet de loi marque une nouvelle étape dans l'éloignement du juge, puisque le justiciable devra d'abord déterminer si son affaire relève d'un contentieux spécialisé, traité par un tribunal de grande instance de son département ou d'un autre département.

Compte tenu de la spécialisation de certains contentieux en première instance et en appel, le justiciable devra parcourir parfois plus de 300 kilomètres, avec des moyens de transport qui, vous le savez, ne sont pas parfaits dans les territoires ruraux. Vous créerez ainsi des déserts judiciaires et aggraverez la fracture territoriale.

De plus, la virtualité du juge est un risque que la consolidation du dispositif de visioconférence fait courir. Nous savons tous que ce dispositif entend pallier l'insuffisance récurrente des moyens, au détriment des justiciables.

L'éloignement sera aussi manifeste avec le tribunal de grande instance à compétence nationale traitant de manière dématérialisée les injonctions de payer. Pourra-t-il par exemple contrôler les abus des créanciers en matière de droit de la consommation ?

Comment imaginer enfin qu'un délit jugé en première instance à juge unique pourra aussi l'être de la même manière en appel ? Pour l'avoir pratiqué, nous connaissons les risques de l'exercice.

Madame la garde des sceaux, est-ce ainsi que l'on donne confiance en la justice à nos concitoyens ? Notre groupe ne le croit pas. La justice doit être tournée vers nos concitoyens, proche, accessible et comprise. Elle ne doit pas être réservée aux plus habiles, sauf à créer de nouvelles fractures.

J'ajouterai que la réforme de la justice des mineurs ne saurait se faire hors de la vue des parlementaires, tant il faut s'assurer de la primauté de l'éducatif pour notre jeunesse en difficulté.

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