Intervention de Stéphane Peu

Séance en hémicycle du mardi 29 janvier 2019 à 21h45
Prévention et sanction des violences lors des manifestations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Peu :

Vous le savez : les députés communistes sont opposés aux violences et les condamnent sans une once d'hésitation. Il y a des raisons de fond à cela, à commencer par notre attachement aux principes républicains et à une démocratie apaisée, mais il y va aussi de notre intérêt politique. Personne plus que nous, dans cet hémicycle, n'a intérêt à ce que les manifestations soient massives ; or, pour qu'elles le soient, il faut qu'elles soient sereines. Personne plus que nous ne manifeste autant dans les rues des villes de France. Le jour où les manifestations seront réservées aux plus déterminés, le jour où l'insécurité sera telle que manifester deviendra un acte héroïque, notre démocratie aura beaucoup régressé.

Or la situation se dégrade. Si, depuis les années 1970, la violence dans les manifestations n'a cessé de régresser, comme l'attestent nombre d'études, nous assistons depuis environ quatre ans, notamment depuis la loi travail de 2015, à une recrudescence des violences. Aucune des manifestations contre la loi El Khomri à Paris n'a pu aller à son terme. Le 1er mai 2018, la manifestation traditionnelle n'a pu se dérouler : c'était une première dans l'histoire du 1er mai en France. Dès le 3 mai, alors que les agissements de M. Benalla n'étaient pas encore dans l'actualité, j'avais proposé la création d'une commission d'enquête, parce que la stratégie de maintien de l'ordre faisait l'objet de trop d'incompréhension. Je rappelle en effet que le 1er mai, il y eut des fouilles préventives : les poussettes des enfants – la manifestation du 1er mai étant souvent familiale et festive – ont été fouillées, de même que les sacs à dos et les cabas des papis et mamies qui venaient manifester ! Pendant ce temps, 1 000 black blocs se regroupaient sur le pont d'Austerlitz en toute tranquillité ; ils ont eu des heures pour se préparer, enfiler des cagoules et s'armer, sans jamais être inquiétés, après quoi ils sont allés casser les commerces et agresser les policiers. Tout cela soulève beaucoup de questions, et c'est pourquoi j'avais demandé, en vain, la création d'une commission d'enquête.

Très sincèrement, je crois, monsieur le ministre, qu'au lieu de légiférer dans la précipitation, il serait plus utile d'évaluer et d'interroger notre doctrine et nos moyens, notamment ceux des policiers, afin de garantir le droit de manifester et d'assurer le maintien de l'ordre avec pour premier objectif celui de garantir ce droit constitutionnel ; il serait plus utile de comprendre ce qui s'est déréglé dans les politiques de maintien de l'ordre au cours de ces dernières années. Il y a eu trop de mansuétude et de changements de stratégie de la part des hiérarchies pour que nous n'interrogions pas leur pertinence.

Comment expliquer qu'avec un même cadre législatif, on ait fait décroître la violence dans les manifestations pendant des années et que les forces de l'ordre aient su gérer les émeutes urbaines en 2005 ? Que s'est-il passé, depuis quatre ans, pour que la machine se dérègle à ce point ?

Je ne pense pas qu'il faille se cacher derrière une loi. Des dispositions législatives existent déjà pour interpeller et condamner les personnes qui commettent des infractions lors des manifestations. L'interdiction de manifester faite aux casseurs existe déjà ; l'organisation illicite d'une manifestation est déjà réprimée, de même que la dissimulation du visage et le port d'arme.

Notre arsenal juridique actuel permet de faire face aux violences. Rien ne justifie l'adoption d'un nouveau texte, si ce n'est la communication gouvernementale. Le Défenseur des droits indique d'ailleurs, dans sa note sur la proposition de loi initiale, « qu'eu égard à son économie générale, [celle-ci] apparaît tout à la fois inutile et dangereuse et semble s'affranchir des exigences constitutionnelles et conventionnelles ». Dans le même sens, la Commission nationale consultative des droits de l'homme s'inquiète de l'impact des mesures de police administrative et du renforcement de l'arsenal sécuritaire sur les libertés fondamentales : « Ces nouvelles mesures affectent le curseur des libertés. Elles ne paraissent ni nécessaires ni proportionnées et révèlent une fois encore la contamination du droit commun par les mesures inspirées de l'état d'urgence. »

Même si la commission des lois de notre assemblée a supprimé quelques dispositions de la proposition de loi du groupe Les Républicains, celle-ci demeure, de notre point de vue, inacceptable. Elle porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir, ainsi qu'à la liberté de manifester. Les mesures qu'elle contient ne permettront pas d'appréhender plus facilement les casseurs. Elles ne permettront ni de prévenir les violences ni de calmer les tensions actuelles. En revanche, elles restreindront la liberté de manifester, qui est à nos yeux une liberté fondamentale.

Dans le contexte actuel, il nous paraît indispensable que l'État engage une réforme de la doctrine afférente au maintien de l'ordre dans un objectif d'apaisement des relations entre police et population et dans le sens d'une protection des libertés fondamentales. Dans cette perspective, nous souscrivons à la volonté exprimée par certains syndicats, y compris de policiers, d'interdire les lanceurs de balle de défense.

La réforme présentée aujourd'hui promeut une logique diamétralement opposée à une telle approche. C'est pourquoi les députés communistes s'y opposeront.

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