L'examen de ce texte a le grand mérite de mettre en exergue la profondeur de la crise démocratique que connaît notre pays. Cette crise affecte principalement la légitimité des institutions traditionnelles de la représentation. Elle reflète une défiance, inédite par son ampleur, de la part des citoyens à l'égard des élus, une indifférence qui se traduit par l'abstention et même, on le voit, par une grande exaspération. La distance entre les citoyens et les élus croît à mesure que l'expertise citoyenne, elle, s'aiguise. Toujours plus éclairé grâce à l'accès aux études et à la démocratisation du savoir, le peuple aspire légitimement à un plus grand partage de la prise de décision publique.
Cette défiance citoyenne à l'égard de la représentation politique est aussi exacerbée par la rigidité du cadre constitutionnel. Voulue comme telle par ses pères fondateurs, la Ve République consacre de façon disproportionnée le parlementarisme rationalisé. Elle confère à l'exécutif des pouvoirs sans équivalent dans les autres régimes démocratiques, avec un Parlement trop souvent contraint. Dans ce logiciel ancien, la participation citoyenne est réduite à la portion congrue du jeu démocratique, et les réformes successives n'ont rien arrangé à cet égard.
Avec l'instauration du quinquennat présidentiel en 2000 et la synchronisation du calendrier électoral, la prééminence du Président de la République s'est renforcée, accentuant le fait majoritaire qui veut que le président élu entraîne dans son sillage la formation d'une « majorité présidentielle » à l'Assemblée nationale. Pour le pluralisme politique, le tribut est lourd à payer. Dans ce contexte, les Françaises et les Français ont le sentiment d'être consultés à l'occasion des élections présidentielles et législatives, tous les cinq ans, sans jamais pouvoir intervenir de nouveau dans la vie politique nationale pour évaluer ou proposer.
Il est donc parfaitement compréhensible, compte tenu de ce sentiment d'impuissance, que le référendum d'initiative citoyenne ait de nouveau surgi dans le débat public par l'intermédiaire du mouvement des gilets jaunes, qui le regardent comme outil capable de surmonter l'impasse. Oui, nous avons besoin de faire vivre notre fonctionnement démocratique. Et il faudra expliquer à notre assemblée en quoi le fait de donner plus souvent la parole à nos concitoyens menacerait la démocratie représentative.