Nous sommes sceptiques sur les moyens que le texte propose afin de renforcer les garanties d'intégrité, à savoir l'allongement de la durée de la peine complémentaire obligatoire d'inéligibilité – allongement qui peut aller jusqu'à la perpétuité en cas de réitération.
Comme le relève le Conseil d'État, « une telle démarche ne peut s'appuyer sur une évaluation de l'application des lois récentes qui n'ont pas encore fait l'objet d'application par les juridictions répressives, si bien qu'il est possible de s'interroger sur la nécessité de modifier à nouveau le régime de la peine complémentaire obligatoire d'inéligibilité peu de temps après l'adoption de la loi du 15 septembre 2017 ». Celui-ci nous rappelle également qu'il nous appartient, à nous parlementaires, de discuter de l'opportunité de ce texte, ce que nous ne manquons pas de faire.
Je mentionne pour mémoire l'état du droit tel qu'il résulte de la loi précitée et de l'article 131-26-2 du code pénal qu'elle a créé.
La peine complémentaire d'inéligibilité est désormais obligatoire à l'égard de toute personne coupable d'un crime ou d'un des délits relevant notamment de l'atteinte à l'intégrité physique, d'agressions sexuelles, de harcèlement moral, de discriminations, d'escroquerie, d'abus de confiance, d'actes de terrorisme, d'atteintes à la confiance publique, de manquements au devoir de probité, d'entrave à la justice, de fraude électorale, de financement illégal de la vie politique, de fraude fiscale, de violations des règles de transparence de la vie politique, ou encore d'association de malfaiteurs.
L'instauration, initialement envisagée, d'une incapacité électorale pour toute personne dont le bulletin judiciaire porte mention d'une condamnation pour l'une ou plusieurs de ces infractions s'est heurtée au principe d'individualisation des peines.
La peine d'inéligibilité obligatoire est de dix ans au maximum, ce qui est sévère au regard du quantum des peines applicables à certains des délits énumérés, ainsi que le note le Conseil d'État.
Toujours selon lui, le relèvement à trente ans que vous prévoyez n'apparaît pas « manifestement disproportionné au regard de la finalité que poursuit la proposition de loi ». En revanche, l'institution d'une peine à vie en cas de pluralité d'infractions rompt cette proportionnalité des peines, car certains des délits auxquels vous vous référez, mes chers collègues, sont trop faiblement sanctionnés par le code.
Prenons l'exemple d'un élu qui, en violation de l'article 26 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, ne communiquerait pas à la HATVP – Haute Autorité pour la transparence de la vie publique – les informations que celle-ci lui demande et serait, à ce titre, condamné à un an d'emprisonnement, après avoir été déjà condamné à la même peine en vertu de l'article L. 241-3 du code de commerce pour avoir surévalué un apport en nature à une société familiale. Cet élu pourrait se voir condamné à une peine d'inéligibilité à vie. De telles infractions méritent-elles un bannissement perpétuel ?
Le Conseil d'État suggère une meilleure gradation de la peine d'inéligibilité. Nous partageons son analyse.
Il est, en outre, permis de s'interroger : l'inéligibilité à vie, qui a suscité de multiples propositions depuis de nombreuses années – propositions qui, pour les premières d'entre elles, émanaient plutôt de l'autre côté de l'hémicycle, je dirais même à l'exact opposé – , constitue-elle une peine efficace pour promouvoir la probité des représentants et des titulaires de charges gouvernementales ?
Selon moi, il appartient au parti politique auquel est rattachée la personne déjà condamnée à l'inéligibilité et qui a purgé sa peine, de prendre ses responsabilités en ne lui accordant plus d'investiture pour des élections, à moins d'assumer pleinement cet acte qui relève de la sélection du personnel politique, et donc de ses prérogatives.
Si un ancien élu, déchu de ses droits civiques, souhaitait reconquérir la confiance de ses concitoyens après avoir recouvré son intégrité électorale, à défaut d'une moralité à toute épreuve, il en serait doublement comptable devant ses électeurs.
Au-delà de ces considérations que d'aucuns pourraient juger secondaires, j'estime, à l'instar d'Anticor, qui a également été consulté, qu'il importe de renforcer la certitude de la peine plutôt que d'accroître sa sévérité.
En effet, selon l'association, en 2016, sur les 252 condamnations prononcées pour manquement à la probité, 169 ont été assorties d'une peine d'emprisonnement, dont 38 fermes pour tout ou partie, avec un quantum moyen d'emprisonnement ferme légèrement supérieur à un an. Une peine d'amende a aussi été prononcée dans 110 condamnations pour un montant moyen d'environ 9 100 euros. Sur les 144 peines complémentaires prononcées pour des condamnations d'atteinte à la probité, neuf sont des peines d'inéligibilité. En matière de corruption, 72 condamnations ont fait l'objet de peines complémentaires, parmi lesquelles deux sont des peines d'inéligibilité.
De toute évidence, c'est bien peu. La loi du 15 septembre 2017 vise précisément à intensifier le prononcé des différentes peines relatives à une quarantaine d'infractions correspondant à l'ensemble des violations des devoirs d'intégrité, de probité et d'exemplarité auxquels est tenu tout représentant politique.
Il faut donc laisser le temps à cette loi de s'appliquer pleinement et aux contentieux d'être tranchés. Il sera alors possible d'en évaluer l'application, ainsi que le prévoit l'article 145-7 de notre règlement.
À l'issue d'un délai de trois ans suivant l'entrée en vigueur de la loi, deux députés, dont l'un appartient à un groupe d'opposition, pourront présenter à la commission des lois un rapport d'évaluation sur son impact. Il appartiendra au bureau de la commission des lois de prévoir que la loi de 2017 fera bien l'objet d'un tel rapport d'évaluation. Je suis persuadé que votre groupe, monsieur le rapporteur, participera pleinement à ce rapport. Nous comptons sur votre contribution à l'évaluation de la loi.