Miguel de Cervantes disait : « Il faut donner du temps au temps. » Il en aura fallu du temps pour que cette proposition de loi de notre collègue sénateur Thani Mohamed Soilihi arrive jusqu'à nous : quatre ans et demi ! Le laborieux parcours de ce texte apparaît particulièrement regrettable quand on sait à quel point les différentes dispositions soumises ce soir à l'examen de notre assemblée sont attendues par les entrepreneurs.
Pour le groupe Libertés et territoires, cette simplification du droit des sociétés est une nécessité pour nos entreprises, qui évoluent dans un environnement mondialisé, concurrentiel et en perpétuelle évolution. S'il est vrai qu'il faut se garder de toucher à tout va au droit des sociétés, les acteurs économiques ayant besoin de stabilité juridique et fiscale, il n'en demeure pas moins indispensable de libérer l'initiative entrepreneuriale en simplifiant davantage.
Il faut redonner de l'oxygène aux entreprises. Celles-ci s'épuisent chaque jour un peu plus devant les contraintes juridiques et administratives, qui sont autant d'obstacles à leur développement. Ce carcan trop lourd, trop complexe, parfois disproportionné et trop souvent encore inadapté à la réalité économique est un frein à l'épanouissement des entreprises, qui ne demandent qu'à éclore et se développer dans nos territoires – c'est un vivier de croissance et d'emplois.
Pendant deux ans et demi de ma vie, j'ai été entrepreneur. Je sais à quel point, dans notre pays, malheureusement, l'administration n'aime pas l'entreprise. J'avais le sentiment de me battre au quotidien contre l'administration, alors que celle-ci devrait aider les petits entrepreneurs.
Toutes nos entreprises, plus particulièrement nos petites et moyennes entreprises – PME – et nos très petites entreprises – TPE – , font la vitalité économique de notre pays. Sans elles, il n'existe pas de cohésion sociale, il n'y a pas de République et – je le dis solennellement – il n'y a pas de France. Aussi, nous devons les accompagner en facilitant leur quotidien pour qu'elles puissent déployer tout leur potentiel. La simplification du droit des sociétés est un sésame pour y parvenir.
Entre le 4 août 2014, date à laquelle cette proposition de loi a été déposée au Sénat, et aujourd'hui, plusieurs dispositions qui figuraient initialement dans la proposition de loi ont été satisfaites par d'autres textes : les lois Macron et Sapin 2, la loi de finances pour 2019 ou le projet de loi PACTE. Seuls une quarantaine d'articles n'y ont pas trouvé place. Dès lors, il nous a fallu effectuer un minutieux travail de tri afin de supprimer les dispositions devenues caduques et d'éviter des chevauchements, voire des contradictions.
Un parcours aussi chaotique incite à s'interroger sur la fabrication de la loi et le sens de la décision politique. Assurément, nous pouvons encore améliorer l'initiative parlementaire – ce serait d'ailleurs un signal positif envoyé à nos concitoyens, comme aux parlementaires qui, s'appuyant sur leur connaissance des réalités de terrain, s'investissent dans l'élaboration de mesures destinées à favoriser la croissance des entreprises dans les territoires.
Il est vrai qu'aujourd'hui, le pouvoir législatif est questionné dans son essence même. Avons-nous même encore un réel pouvoir, alors que 90 % de l'initiative parlementaire émane de l'exécutif ? Nous avons d'ailleurs sous les yeux l'exemple d'un texte d'initiative parlementaire qui connaît un chemin particulièrement ardu.
Pourtant, le Parlement d'aujourd'hui n'a rien à voir avec celui d'il y a dix ans. Nous sommes pour la plupart issus du terrain – dont nous connaissons les réalités, ce qui est indispensable pour faire de bonnes lois – et nous n'avons pas vocation à exercer, comme autrefois certains de nos collègues, sept ou huit mandats.
Le renforcement de l'initiative parlementaire permettrait de renforcer la qualité et la cohérence des textes adoptés. Les acteurs de la vie économique méritent mieux que ce qui se passe aujourd'hui, et le travail parlementaire également. Nous avons le devoir et la responsabilité de mettre un terme aux dérives engendrées par la présence écrasante de l'exécutif, de redonner à la loi toute sa signification, sa pertinence et son autorité, notamment dans l'intérêt de nos entreprises et de la compétitivité économique de nos territoires.
Quand les députés de mon groupe et moi-même parcourons nos circonscriptions – ce je l'ai fait, pour ma part, dans le cadre du grand débat national – , nous rencontrons des femmes et ces hommes qui entreprennent, ces femmes et ces hommes de talent, pleins de courage et de projets. Ils font corps avec leurs entreprises et leurs commerces et agissent au service de nos concitoyens. Ils sont les forces vives de notre nation.
Qui n'a pas vu un jour cette étincelle s'allumer dans leur regard lorsqu'ils nous parlent de leurs projets ? Mais qui n'a pas vu aussi ce voile sombre passer devant leurs yeux lorsqu'ils évoquent les obstacles qu'ils doivent quotidiennement surmonter et les inquiétudes qu'ils éprouvent pour l'avenir ? Je vous l'ai dit, j'ai vécu tout cela à titre personnel.
Nous ne pouvons et nous ne devons pas rester sourds lorsqu'ils appellent à une simplification du droit. L'actualisation du droit des sociétés est donc une nécessité, et c'est pourquoi le groupe Libertés et territoires soutiendra avec force la proposition de loi.
Certes, le texte ne dispose plus de sa cohérence initiale, mais les articles qu'il nous reste à examiner répondent aux attentes de ceux qui entreprennent ou qui veulent entreprendre. Nombreuses sont les mesures pragmatiques, constructives et, je le crois, consensuelles qui y figurent. Ce sont des mesures de bon sens de nature à dépoussiérer notre droit.
Notre groupe soutient ainsi l'allégement des procédures en matière civile et commerciale, et leur dématérialisation de plus en plus étendue – non seulement pour favoriser la création de nouvelles sociétés en réduisant la durée globale des démarches, mais aussi pour faciliter la vie quotidienne des entreprises.
Si nous approuvons une large partie des dispositions de la proposition de loi, nous attendons cependant des éclaircissements sur certains points. Nous nous interrogeons par exemple sur la suppression, lors de l'examen en commission des lois à l'Assemblée nationale, de certaines dispositions de simplification adoptées par le Sénat.
Ce dernier avait ainsi supprimé l'exigence d'un rapport établi par un expert indépendant, en plus du rapport spécial des commissaires aux comptes, pour apprécier le prix de rachat par une société de ses propres actions. Une telle simplification nous semblerait utile et de bon sens ; elle ne porterait pas atteinte à la sécurité juridique de ces opérations dans la mesure où les commissaires aux comptes sont eux-mêmes tenus à des exigences d'indépendance. Le Gouvernement pourra-t-il nous indiquer dans quelle mesure le texte adopté par notre commission est de nature à garantir les actionnaires contre le risque d'acquérir ces parts à un prix excessif ?
Nous sommes également inquiets de voir supprimée l'obligation d'exploiter un fonds de commerce pendant deux ans avant de le mettre en location-gérance. Comme cela a été signalé en commission, il ne faudrait pas qu'une telle simplification provoque un mouvement de spéculation sur les fonds de commerce de nos territoires, l'acquisition de fonds par des sociétés commerciales faisant courir le risque d'une paupérisation patrimoniale des commerçants.
Mes chers collègues, les trains successifs de simplification de l'environnement juridique des entreprises ne doivent pas se traduire par un manque de lisibilité du droit qui ôterait tout effet utile aux différentes mesures adoptées par notre assemblée. Sous prétexte de simplification, nous ne devons pas faire obstacle au travail quotidien de nos entrepreneurs.
Au cours de notre débat, gardons à l'esprit que nous devons permettre aux forces vives de notre territoire d'entreprendre dans un cadre juridique stable. C'est à cette condition que nos territoires pourront être plus attractifs, et notre économie plus compétitive.