Intervention de Raphaël Schellenberger

Séance en hémicycle du jeudi 4 avril 2019 à 15h00
Lutte contre la sur-réglementation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRaphaël Schellenberger :

Ce texte nous amène à nous interroger sur le fonctionnement de notre système juridique. Rarement la France aura connu une telle longévité constitutionnelle que sous la Ve République : cela fait soixante ans que notre Constitution est en place, et autant d'années que nous accumulons des règles, des lois, des décrets, des normes, et même de la jurisprudence. On parle souvent de l'inflation normative d'initiative parlementaire ou gouvernementale, mais force est de constater que la jurisprudence participe, elle aussi, à l'inflation normative et conduit à augmenter le nombre de règles et de critères d'interprétation de celles-ci applicables à nos entreprises, à nos associations ou à nos collectivités territoriales.

Cet empilement de règles, de textes, de contraintes, nous a progressivement conduits à oublier les fondamentaux de notre système juridique. L'adage « Nul n'est censé ignorer la loi » devient de plus en plus difficile à mettre en application, ce qui induit une incompréhension du système juridique, devenu trop compliqué, pour nos concitoyens. Bon nombre de dossiers nécessitent, pour être appréhendés, une technicité invraisemblable de la part des juristes. Quand les juristes eux-mêmes ne sont pas complètement en mesure de connaître et de comprendre les textes qui s'appliquent, qu'en est-il du citoyen amené à en connaître une ou deux fois dans sa vie ? Tout cela conduit à un rejet du système et de la démocratie libérale. Alors que notre démocratie est censée protéger les libertés et soutenir les initiatives, nous sommes progressivement tombés dans un régime totalement administré, ce qui rend difficile l'émergence des initiatives dans nos territoires.

Cette proposition de loi constitutionnelle déposée notre rapporteur, Pierre Cordier, et inscrite à l'ordre du jour à l'initiative du groupe Les Républicains vise à changer de logique, à passer d'un État qui contrôle de façon tatillonne avant la mise en oeuvre de l'initiative à un État qui fait peser sur les acteurs individuels la responsabilité de leurs choix. Nous préférerons toujours un État qui fait confiance aux acteurs, tout en leur demandant de respecter fermement les règles élémentaires de la vie collective, en l'espèce de l'État de droit, à un État qui se montre particulièrement tatillon avant l'installation d'une entreprise ou l'innovation d'une collectivité territoriale mais ne se donne pas les moyens de contrôler l'effectivité de l'application de la règle.

Tel est le mal dont souffre notre système : l'État est capable d'embêter chacun des acteurs de nos territoires, qu'il s'agisse des collectivités, des entreprises ou des associations, en les forçant à remplir des multitudes de dossiers. Interrogez un maire qui a demandé une subvention dans le cadre de la DETR – la dotation d'équipement des territoires ruraux – ou de la DSIL – la dotation de soutien à l'investissement local – , et vous verrez ce qu'il en est : chaque année, il y a un document supplémentaire à fournir, un formulaire supplémentaire à remplir. En revanche, une fois que le projet est validé, l'acteur est complètement déresponsabilisé : l'administration ne va presque jamais vérifier que ce qu'il a indiqué dans les documents correspond effectivement à ce qu'il a mis en oeuvre sur le terrain. Nous souhaitons passer à une autre logique, où l'on fait confiance a priori mais où l'on est beaucoup plus ferme en matière de contrôle. Cela contribuera à une meilleure acceptation du rôle de l'État dans nos territoires. Aujourd'hui, l'État se couvre, sort le parapluie, mais ne demande pas à chacun d'assumer ses responsabilités. Nous vous proposons de changer de logique et d'épouser un nouveau projet de société.

J'ai la chance d'être député dans une circonscription frontalière avec l'Allemagne. Cela m'amène à poser des questions importantes sur le fonctionnement de notre système. En France, depuis quelques années, nous nous plaignons d'avoir un système d'apprentissage qui ne fonctionne pas ; nous disons qu'il faut mettre le paquet sur l'apprentissage, car c'est la voie royale pour accéder à l'emploi et à l'ascenseur social – ce qui est vrai, à mon sens – , mais nous ne nous donnons pas les moyens d'y parvenir. Quand une entreprise accueille un apprenti, elle en assume la charge financière, sociale et lui consacre du temps, mais sans avoir de contrepartie car l'apprenti n'a pas le droit de faire grand-chose dans l'entreprise. En Allemagne, le même apprenti pourrait faire quasiment le même travail qu'un salarié. Cette différence est liée à l'explosion, en France, des normes tatillonnes qui s'appliquent à nos entreprises. Je souhaite que notre pays s'affranchisse de ces règles tatillonnes et fasse confiance aux maîtres d'apprentissage pour emmener notre jeunesse vers un meilleur avenir économique.

C'est donc notre système normatif et notre logique de surtransposition quasi systématique des directives européennes que nous mettons aujourd'hui en cause. En cette année tellement importante où nous allons faire des choix concernant l'Europe, il faut être clair et transparent avec nos concitoyens : ce n'est pas le système juridique européen ni le système politique européen qui posent problème, mais leur transformation par le système administratif français qui rend les politiques européennes incompréhensibles. Il est vrai que certaines surtranspositions reflètent des choix politiques, parfois en avance sur les politiques européennes, mais ce n'est pas le cas de l'immense majorité des surtranspositions telles qu'elles sont perçues dans nos territoires.

Cette proposition de loi constitutionnelle présentée par notre excellent collègue Pierre Cordier est aussi une façon, pour notre groupe, de dire notre souhait que le Parlement joue un rôle plus important dans le processus normatif et le contrôle du Gouvernement. Nous voulons bien vous faire confiance, madame la garde des sceaux, mais nous constatons que la réduction de la surtransposition et de l'inflation normative tarde à se concrétiser. C'est pourquoi nous souhaitons que notre hémicycle soit compétent pour en juger, pour décider s'il faut arrêter ou accélérer la réduction du nombre de normes. Cette proposition de loi constitutionnelle résulte de la volonté de redonner à cette assemblée de sa superbe.

En somme, ce texte vise à rendre durable et ferme l'intention de réduire le nombre de textes applicables à nos entreprises, à nos territoires, à nos associations et à nos collectivités. Ces textes empêchent l'innovation d'émerger alors même que nous savons tous que le XXIe siècle sera celui de la créativité, de l'innovation et du pas vers l'avant – tout ce qui nous est aujourd'hui impossible du fait de notre système normatif.

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