En 2009 déjà, notre collègue Jean-Luc Warsmann, alors président de la commission des lois, et M. Étienne Blanc rendaient au Premier ministre un rapport intitulé « Simplifions nos lois pour guérir un mal français ». Le problème de l'inflation législative et de la sur-réglementation n'est donc pas nouveau.
Il est fâcheux de devoir répéter sans cesse les mêmes constats et de voir que les mesures prises n'ont pas été mises en oeuvre. Car nous disposons déjà de beaucoup de moyens pour lutter contre la sur-réglementation : les études d'impact sont désormais obligatoires ; le Conseil Constitutionnel a rendu de nombreuses décisions pour faire de l'intelligibilité et de l'accessibilité de la norme un objectif à valeur constitutionnelle ; nous nommons des rapporteurs d'application ; les gouvernements successifs ont édicté des circulaires, dont la dernière, datant de 2017, dispose que, pour un règlement adopté, deux doivent être supprimés.
Pourtant, le problème persiste. C'est pourquoi nous accueillons de prime abord cette proposition de loi constitutionnelle avec bienveillance. Son objectif fait sans aucun doute l'unanimité, et la persévérance permet souvent la réussite.
Cependant, ce texte achoppe malheureusement sur plusieurs écueils.
Il propose de lutter contre la sur-réglementation par deux moyens : en encadrant la production de normes au niveau national et en empêchant la surtransposition des normes européennes. Le spectre ainsi couvert est à la fois trop large et trop restreint.
Trop large, car évoquer la surtransposition de manière si générale pose difficulté. En effet, la surtransposition n'est pas toujours à déplorer : comme cela a été souligné en commission, elle est parfois bénéfique ; l'exemple du congé maternité est sur ce point très parlant. Pointer ainsi du doigt la surtransposition a pour effet pervers de décrédibiliser toute la production législative européenne. Or, sur de nombreux sujets, la légitimité de l'Union à légiférer ne doit pas être remise en cause.
De plus, le législateur national que nous sommes doit pouvoir garder toute latitude dans la transposition. Il nous faudrait donc uniquement réfléchir aux surtranspositions qui portent véritablement préjudice à nos entreprises ou créent des distorsions entre les pays européens.
Ensuite, en pratique, il est difficile d'identifier ce qui relève de la surtransposition. Par exemple, le projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes, examiné par le Sénat en 2018, comportait peu d'articles, et plusieurs d'entre eux ont été supprimés au cours des débats, ce qui montre à quel point décider de ce qui relève de la surtransposition peut être subjectif.
Le spectre couvert par le texte est également trop restreint car son article 1er ne concerne que les normes contraignantes pour les entreprises. Or, si nous sommes conscients que l'excès de normes pèse sur les acteurs économiques, ceux-ci ne sont pas les seuls à en souffrir. Au quotidien, chaque citoyen peut en être affecté, en particulier dans son accessibilité au droit. Les collectivités locales sont également fortement touchées par un excès de normes qui rend parfois leur fonctionnement plus que difficile : les élus territoriaux croulent sous la réglementation et de nombreux projets en pâtissent.
Vous l'aurez compris, si nous sommes favorables aux objectifs poursuivis par ce texte, nous jugeons difficile d'y adhérer pleinement car les moyens qu'il préconise pour endiguer l'excès de normes ne semblent pas les bons.
Cette proposition de loi constitutionnelle présente toutefois le mérite d'engager une réflexion qui n'est certes pas nouvelle mais qu'il est nécessaire de rappeler au vu des difficultés persistantes sur ce point. On doit s'interroger, à tous les niveaux, sur la manière dont on rédige les lois.
À l'échelon européen, c'est avant tout à la Commission européenne que des efforts doivent être accomplis, et cela a commencé. Les études d'impact doivent être améliorées afin que l'utilité et le poids de la norme nouvelle soient mieux évalués et pris en compte, dès sa rédaction.
À l'échelon national, c'est à nous, parlementaires, d'éviter la surenchère de normes. Nous pouvons transposer les directives d'une façon plus adaptée au droit en vigueur. De plus, l'introduction de toute nouvelle norme doit entraîner une réflexion sur son agencement au sein du droit positif, afin d'éviter tout chevauchement, contradiction ou répétition. Cette exigence rendrait le droit plus clair, plus lisible, plus cohérent. Le travail de chacun, sans loi nouvelle, peut ainsi endiguer l'inflation législative dès aujourd'hui.
À l'échelon de l'administration, enfin. S'il est parfois indispensable de rédiger des décrets d'application ou d'autres textes réglementaires, il n'est pas acceptable que, par ces textes, l'administration aille parfois jusqu'à dénaturer ou rendre illisible une loi votée au Parlement. En outre, l'inversion de la logique des articles 34 et 37 de la Constitution a donné naissance à ce que j'appellerai un « droit bureaucratique » : désormais, la haute administration à la prépondérance dans la préparation des lois.
Comme nous l'avons dit en commission, une décision politique forte doit être prise afin de canaliser le mouvement de production normative. La circulaire de 2017 du Premier ministre sur la maîtrise des textes réglementaires, disposant que l'adoption d'une nouvelle norme réglementaire doit s'accompagner de la suppression de deux normes existantes, est un bon début. Toutefois, nous ne disposons à cette heure d'aucun dispositif évaluant l'application de cette circulaire, ce qui empêche d'en apprécier la pleine teneur.
Ainsi, pour le législateur au sens large du terme, un ensemble de règles implicites peuvent être respectées par tous en vue d'alléger la production normative. La complexification du monde demande un corpus juridique fourni. En revanche, à l'instar de la proposition de loi visant à soutenir le fonctionnement des services départementaux d'incendie et de secours et à valoriser la profession de sapeur-pompier, qui a donné lieu à un débat un peu animé, trop de lois de communication, votées dans l'urgence ou bavardes, portent préjudice à l'ensemble de la cohérence normative.
L'exercice législatif doit satisfaire un objectif qualitatif et non comptable. À cet effet, il faut se départir de l'idée, souvent erronée, selon laquelle les difficultés ne peuvent être résolues que par une nouvelle législation souvent décidée dans l'instant, sous la pression des médias ou de l'opinion – d'autant que, souvent, chacun légifère au sein de sa spécialité, sans avoir à l'esprit une vision d'ensemble du système juridique.
Je souhaite, pour terminer, citer le doyen Jean Carbonnier, car ce professeur et juriste émérite a beaucoup réfléchi sur le droit et la manière dont nous fabriquons les normes. Dans un de ses derniers ouvrages, intitulé Droit et passion du droit sous la Ve République, il s'élève contre la vigueur de la passion et en appelle à la raison : je crois que nous pouvons tous nous en inspirer sagement pour lutter contre la sur-réglementation.