Intervention de Élise Fajgeles

Séance en hémicycle du jeudi 4 avril 2019 à 15h00
Lutte contre la sur-réglementation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlise Fajgeles :

Vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, la surproduction normative est vécue comme un poids administratif et financier, en particulier par les acteurs économiques, qui la voient comme une gêne pour leur activité. Au-delà, l'empilement voire l'intrication des normes représente un enjeu fort pour notre démocratie. À l'instar du consentement à l'impôt, le consentement à la loi est essentiel pour préserver la confiance dans notre système représentatif ainsi que dans nos institutions. Le diagnostic que vous établissez est ancien, pertinent et largement partagé sur ces bancs.

Votre proposition de loi constitutionnelle a un mérite : elle nous interpelle, collectivement sur la qualité de notre travail ainsi que sur nos méthodes. L'objectif de simplification doit à l'évidence nous animer lorsque nous travaillons sur n'importe quel texte.

En tant que rapporteure du projet de loi sur l'asile, l'immigration et l'intégration, j'ai pu me confronter concrètement au défi de ciseler un texte pour que ses dispositions soient compréhensibles tant par un public vulnérable que par une administration en charge de sa mise en oeuvre. J'ai pu mesurer la tentation du toujours plus – toujours plus précis, toujours plus dense – , découlant souvent d'une démarche positive et une volonté d'exhaustivité. Je suis donc bien placée, compte tenu de mon expérience, pour vous l'affirmer : pour être bien appliquée, une loi doit être applicable.

Certes, monsieur le rapporteur, vous vous en souvenez sûrement, à une certaine époque, le moindre fait divers donnait lieu à l'adoption d'une nouvelle loi. Nous avons progressé en nous épargnant des lois de circonstance et en privilégiant des textes de fond qui engagent les réformes que nous avons promises aux Français.

De longue date, nombre de gouvernements se sont penchés sur le chantier de la lutte contre l'inflation normative. La simplification des normes, identifiée comme un élément de compétitivité, notamment des TPE et des PME, est un objectif recherché par les majorités qui se sont succédé.

Non seulement nous entendons cette préoccupation, mais nous y répondons d'ores et déjà, comme cela a été rappelé par Mme la garde des sceaux.

Une circulaire du Premier ministre, diffusée dès le 26 juillet 2017, prévoit que toute nouvelle norme réglementaire doit être compensée par la suppression ou la simplification de deux normes existantes.

Le projet de loi de réforme constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, plus responsable et plus efficace prévoit de renforcer les missions des assemblées en leur permettant d'évaluer la loi mais également de la modifier ou de la supprimer si elle est devenue inefficace ou inadaptée.

La proposition de loi de simplification, de clarification et d'actualisation du droit des sociétés participe également à l'objectif de simplification de l'environnement juridique des sociétés.

La loi pour un État au service d'une société de confiance du 27 novembre 2017 est inspirée par un objectif de simplification administrative, avec notamment l'instauration d'un droit à l'erreur.

Enfin, vous le savez, s'agissant des surtranspositions inutiles ou pénalisantes, un chantier législatif est également en cours.

Avec la présente proposition de loi constitutionnelle, vous soulevez un point important : nous-mêmes, en tant que législateurs, devons prendre notre part à cette entreprise d'élagage et de simplification, grâce à une meilleure évaluation préalable des textes que nous proposons et à une meilleure rédaction de nos amendements, afin que non seulement l'esprit mais aussi la lettre de ce que nous votons soient compréhensibles.

Surtout, nous devons améliorer la cohérence des lois que nous adoptons pour éviter les contradictions et les redites avec le corpus existant. En cela, l'entreprise de codification devra être poursuivie.

Vous le voyez, le noeud gordien du sujet que vous soulevez avec votre proposition de loi constitutionnelle est moins le nombre de normes existantes ou adoptées que celui de leur intelligibilité. Or tout cela ne sera pas réglé par une disposition constitutionnelle supplémentaire : la méthode que vous proposez n'est en effet pas la bonne.

Surtout, elle ne répond pas à la véritable attente des acteurs économiques et sociaux, dont vous avez justement illustré les inquiétudes. L'essentiel est de leur garantir une sécurité juridique à long terme, qui leur offre une visibilité essentielle à leur activité et leur permette de se projeter dans l'avenir.

Par ailleurs, la question de l'inflation normative dépasse de loin la simple responsabilité de la loi, qui n'est pas la seule source de droit. Les normes réglementaires, les normes de droit souple ainsi que la jurisprudence ont, dans un mouvement itératif, des effets juridiques qui mettent au défi nos concitoyens dans leur vie quotidienne comme les plus fins juristes. Or votre proposition de loi ne tient pas compte de cet ensemble normatif.

Elle risquerait en outre de voir une loi supprimée sans que les conséquences de cette suppression aient été préalablement évaluées. Elle aurait par conséquent à notre sens des effets contreproductifs en créant une insécurité juridique que nous souhaitons tous éviter.

Si la majorité partage votre objectif, nous divergeons sur les moyens d'y parvenir ; c'est la raison pour laquelle nous ne pourrons pas voter pour ce texte.

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