Mais il y a un « mais », et même plusieurs. D'abord, comme je vais essayer de le démontrer, les propositions formulées dans ces deux articles ressemblent à des coups d'épée dans l'eau. Ensuite, votre rapport, qui caractérise la norme en France uniquement par son abondance, sa complexité et son caractère parfois inadapté, oublie totalement qu'elle n'est pas le mal absolu, mais qu'elle présente aussi bien des intérêts ! Enfin, vous faites l'impasse sur les pratiques, c'est-à-dire la manière de vivre et de faire vivre ces normes.
Qu'est-ce qu'une norme ? Il me semble important de le rappeler. C'est une règle élaborée pour faciliter ou sécuriser la vie en commun, la compréhension, la communication. Pour une entreprise – puisque vous aimez en parler – , les normes rassemblent souvent une forme de sagesse accumulée et sont synonymes de connaissance. Elles fournissent une base fiable permettant aux individus de partager les mêmes attentes autour d'un produit ou d'un service. De ce fait, elles facilitent le commerce et améliorent la protection et la confiance du consommateur.
Prenons l'exemple de l'agriculture biologique. Dans ce cadre, le producteur est soumis à de nombreuses contraintes, mais les garanties de qualité sont en conséquence. La norme n'est pas l'ennemi de l'homme ! Ce n'est pas tant le nombre et la complexité des lois, des normes, des règles, des circulaires qui sont critiquables, que leur mauvais usage.
Je voudrais prendre un autre exemple. Vos collègues du Sénat ont cru bon de saisir un Conseil constitutionnel un peu complice pour supprimer un quart de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine, durable et accessible à tous, la vidant ainsi de sa substance, en tout cas pour ce qui concerne la protection du consommateur et du petit agriculteur. Quand le Conseil constitutionnel rend sa décision no 2018-771 DC du 25 octobre 2018, qui censure vingt-trois articles, soit un quart du texte, supprimant ainsi la possibilité de vendre des semences traditionnelles ou, mieux encore, considérant que demander que l'enseignement agricole contribue à l'éducation à la préservation de la biodiversité et des sols est anticonstitutionnel, on voit bien qu'il y a un problème avec l'usage des normes. Je ne sais pas si le génie des normes est dans cet hémicycle, mais, ce jour-là, il n'était pas chez les sages du Palais-Royal ! Les états généraux de l'alimentation et neuf mois de travail parlementaire balayés dans ce grand théâtre du lobbying foudroyant !
L'utilisation détournée ou abusive des normes me paraît donc vraiment plus destructrice que l'addition supposée de normes.
S'agissant de l'article 2, vous avez raison : la surtransposition des normes européennes est souvent un problème, auquel nous sommes régulièrement confrontés. Mais, là encore, vous donnez un coup d'épée dans l'eau, ou du moins dans le coeur de la souveraineté nationale, puisque cet article réduirait la nécessaire marge de manoeuvre du gouvernement français. Il faudrait donc se priver de solutions politiques originales d'adaptation à la française des textes européens ? C'est impensable ! La norme est l'un des modes d'expression privilégiés de la souveraineté. Je suis très surpris qu'une telle proposition provienne du groupe Les Républicains, vous qui êtes habituellement si enclins à évoquer la souveraineté nationale ! Remettre en cause notre fonctionnement des normes va à l'encontre de ce principe.
Ce qui m'a le plus étonné, en deuxième analyse, c'est que vous proposiez un projet de loi constitutionnelle pour traiter de la question des normes. Je vous aurais cru moins frileux, mes chers collègues ! Quitte à présenter une proposition de loi constitutionnelle, pourquoi ne pas envisager de rétablir le pouvoir du Parlement en matière de contrôle de l'action du Gouvernement ?