Ne me dites pas que vous ne rencontrez pas des chefs d'entreprise qui vous disent : « Monsieur le député » – ou « Madame la ministre » – , « on en a marre de toutes ces dispositions qui nous empêchent d'avancer. » Il n'y a pas que dans les départements des Ardennes, de la Seine-et-Marne ou encore du Territoire de Belfort, j'imagine, que les chefs d'entreprise, les créateurs, rencontrent ce type de difficultés.
Vous avez évoqué, madame la garde des sceaux, la volonté du Premier ministre. Mais, je l'ai moi-même rappelé dans la présentation du texte, les majorités précédentes avaient manifesté la même volonté. La circulaire en question, je le répète, n'a qu'une portée limitée et ne réglera rien : les prédécesseurs d'Édouard Philippe ont fait exactement la même chose, sans aucun résultat. D'où cette proposition de loi constitutionnelle, qui tend à ajouter un alinéa à l'article 37-1 de la loi fondamentale ainsi qu'un article 37-2, afin de donner de l'air aux créateurs et de leur simplifier la vie, ce qui est à mes yeux une priorité.
Dans le rapport, j'ai fait état des recherches que nous avons menées, en la matière, sur les pratiques de nos partenaires européens. On prend toujours l'exemple de l'Allemagne, mais j'y ajouterai ceux du Royaume-Uni et des Pays-Bas : dans ces pays, le texte de référence, celui qui est au sommet de la hiérarchie juridique, prend le sujet en compte ; et comme par hasard, le taux de chômage y est plus bas, les entrepreneurs y investissent davantage qu'en France. Cet élément devrait nous inciter à réfléchir.
Le Gouvernement actuel a conscience du problème, nous dites-vous. Selon plusieurs responsables, le coût de l'abondance normative se chiffrerait à 60 milliards d'euros, soit 3 % de PIB, tandis que, depuis que vous êtes aux affaires, les économies dues à la simplification, pour les entreprises, se sont limitées à 20 millions d'euros. Le rapport entre ces deux sommes nous fait mesurer l'écart qui reste à combler et l'ampleur d'un stock auquel, pour l'heure, personne ne s'est attaqué.
Vous l'avez rappelé, madame la ministre, en termes de compétitivité, la France est seulement 107e sur 140 pays recensés. Cela justifie notre volonté de faire bouger les lignes, notamment à travers ce texte. Aussi je regrette que ma démarche ne soit pas mieux entendue.
Raphaël Schellenberger, élu d'un territoire transfrontalier avec un pays qui réussit bien mieux que le nôtre – disons les choses telles qu'elles sont – , a parlé de l'apprentissage. Je me suis entretenu avec lui de cette question intéressante et de l'exemple, éclairant, de la consommation des fonds européens. Ma circonscription touche la Belgique – la sienne, l'Allemagne – , et dans ce pays, madame la ministre, je puis vous dire que les fonds européens sont presque intégralement consommés.
Je me suis cantonné au monde économique car il me semble être une priorité absolue dans le contexte actuel, mais le problème se pose aussi aux collectivités locales, dont on a d'ailleurs parlé, voire aux citoyens : en France, les chefs d'entreprise, et même les élus locaux, rencontrent des difficultés pour déposer et faire examiner les sacro-saints dossiers, du fait de la complexité des normes. Si les crédits européens ne sont pas totalement consommés, ce n'est pas faute de projets mais parce que l'on se heurte à ces multiples formulaires, aux excès de la production normative dont nos voisins européens, dans leur droit interne, font un usage plus parcimonieux. Cela aussi, je crois, doit nous donner à réfléchir.
Je n'entrerai pas dans le détail de toutes les interventions.
Effectivement, monsieur David, nous votons trop de lois, je suis bien d'accord. Mais que faire ? Au début du quinquennat de François Hollande, Jean-Marc Ayrault avait lui aussi pris une circulaire. Nous en voyons aujourd'hui les résultats : ils sont plus que médiocres. Il en avait d'ailleurs été de même – je m'empresse de le dire car je ne cherche ici aucune polémique – avec Jean-Pierre Raffarin et d'autres premiers ministres, dont les circulaires, très sympathiques, se sont avérées aussi peu efficaces.
Je ne reviendrai pas sur les interventions des différents collègues de La République en marche : tous se sont accordés à dire que mon idée était formidable mais qu'il fallait se garder de la mettre en oeuvre. Quand vous rentrerez dans vos circonscriptions respectives et que vous y rencontrerez tous ces créateurs, toutes celles et tous ceux qui investissent sur le terrain, vous leur parlerez de cette circulaire du Premier ministre, qui n'aura pas plus d'utilité que les précédentes. Il était pourtant possible, cet après-midi, de faire évoluer efficacement notre droit, mais vous avez malheureusement choisi une autre voie.
Sans doute m'étais-je fait quelques illusions, madame la garde des sceaux. J'avais déjà eu la chance de siéger sur les bancs de la commission pour l'examen d'un texte relatif au démarchage téléphonique. Ce sujet, nullement polémique, n'est l'apanage ni de la droite, ni de la gauche, ni de La République en marche. Le texte ne visait qu'à améliorer un peu la vie de nos concitoyens, parfois empoisonnés par ce type de démarchage : il a été balayé par la majorité, et je le regrette. Je n'évoquerai pas les textes d'Aurélien Pradié ou, en début d'après-midi, d'Arnaud Viala, qui ont connu le même sort.
Lors de la campagne électorale, le « nouveau monde » nous avait fait miroiter des approches non manichéennes : on accepterait, disait-on, des textes intéressants de l'opposition, quitte à les amender faute de pouvoir les voter tels quels ; on débattrait, on se réunirait en commission pour faire progresser le droit… Je regrette que vous en soyez restés, finalement, à une approche très arrêtée. C'est d'autant plus dommage que les anciens parlementaires avec qui j'ai l'occasion d'en discuter estiment que les échanges, les compromis, les discussions étaient plus fréquents dans l'« ancien monde ».