Intervention de Philippe Gosselin

Séance en hémicycle du lundi 27 mai 2019 à 16h00
Modification du règlement de l'assemblée nationale — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin :

Du reste, la majorité actuelle, je le dis en toute sincérité, n'en a pas l'apanage et n'en est pas, bien évidemment, la seule responsable. Cela étant, comme cela a été rappelé tout à l'heure, le nombre de pages du Journal officiel ne cesse d'augmenter. Le bilan publié la semaine dernière concernant l'année 2018 le démontre à nouveau : on constate un emballement législatif et, par contrecoup, un allongement des temps de parole et un accroissement du nombre d'amendements déposés. Mais qui est le plus fautif ? Celui qui s'adapte au nombre de textes qui lui est présenté ou celui qui dépose un nombre croissant de textes – parfois, en effet, fort bavards ? La réponse se trouve dans les 85 % de textes adoptés d'origine gouvernementale, qui ne proviennent donc pas de la représentation nationale. Nous sommes bien placés pour le savoir, nous qui voyons les niches parlementaires du jeudi expédiées par le biais de motions diverses et variées.

Dans ces conditions, fallait-il revoir notre règlement intérieur ? Malgré le calendrier, qui ne me paraît pas adapté, malgré cette loi bavarde – pour des raisons qui ne tiennent pas uniquement au Parlement et, en particulier, à l'Assemblée – , je crois qu'il faut, effectivement, revoir le règlement. La majorité a annoncé quatre objectifs, qui visent à moderniser l'Assemblée nationale. Le premier consiste à « améliorer la procédure législative et, singulièrement, la discussion en séance publique » : qui pourrait s'opposer à ce programme ? Le deuxième a pour objet d' « approfondir les droits des groupes d'opposition et minoritaires, en particulier, mais pas exclusivement, dans l'exercice de la fonction de contrôle » : qui pourrait décemment s'y opposer ? Personne, bien évidemment. Le troisième vise à « mieux associer les citoyens aux travaux parlementaires » : comment ne pas y souscrire ? Enfin, il s'agit de « donner un nouvel élan à la déontologie parlementaire », qui fait également consensus. Je serais enclin à « signer », à l'instar de chacun des membres de notre assemblée, de la majorité comme des oppositions, dans le dessein de faire oeuvre utile. Nous pouvons, je le pense sincèrement, faire oeuvre utile.

Toutefois, à ce stade, le compte n'y est pas. Si des avancées peuvent être notées, un certain nombre de chiffons rouges demeurent, qui constituent à nos yeux autant de possibilités, quand elles sont additionnées, de museler l'opposition ou, à tout le moins, de diminuer de façon très substantielle son temps de parole, jusqu'à la rendre quasiment inaudible.

Revenons quelques instants sur ce qui peut être accepté. Nous n'élevons aucune objection à l'encontre de certaines dispositions, qui vont dans le bon sens – celui de la fluidification du travail parlementaire. Nous avons, collectivement, la mission d'être clairs, de voter la loi, de le faire dans les meilleures conditions possible, dans un temps contraint qui ne doit pas être non plus un couperet – bref, nous devons travailler avec clarté et sincérité ; nul ne peut avoir d'objections à cela.

Dans ce cadre, la nouvelle procédure de législation en commission nous semble aller dans le bon sens, pour tout ou partie de textes dits techniques. Nous en avons eu quelques exemples ces dernières semaines ; je pense en particulier à un texte intéressant sur les sapeurs-pompiers, qui a recueilli notre accord unanime, sans aucune objection. Ce faisant, nous avons rendu hommage à ces hommes et à ces femmes qui oeuvrent sans répit pour la sécurité de nos concitoyens. Ce texte pouvait, sans aucune difficulté, être adopté en commission, sans qu'il soit besoin de se réunir en séance plénière.

J'en viens à la réforme de la saisine pour avis, qui consiste à recentrer le rôle du rapporteur pour avis en amont de la séance publique, et, peut-être, à limiter quelque peu son temps d'intervention. Si je suis, à titre personnel, un peu réservé sur cette proposition, je l'accepte au nom de mon groupe, mais aussi parce que je crois qu'il faut ouvrir des portes. Nous pourrons peut-être mieux travailler de la sorte – en tout cas cela se fera différemment – , sauf en matière budgétaire, où le règlement ne changerait pas.

Je ne suis pas choqué outre mesure par la possibilité de limiter, dans un certain nombre de cas – lorsque c'est proposé à bon escient – le droit d'amendement, par application des articles 41 et 45 de la Constitution, à condition que cela soit fait de manière juste et, évidemment, dans le respect de la loi fondamentale et du droit d'amendement des parlementaires – lequel doit demeurer un droit réel. En tout cas, cette tête de chapitre, à elle seule, ne constitue pas, à nos yeux, un chiffon rouge.

La suppression des explications de vote sur les articles ne constitue pas non plus une révolution et nous permettrait de gagner du temps. Lorsque nous nous serons déjà réunis quelques dizaines d'heures sur tel ou tel sujet, qui aura été approfondi, ou sur l'ensemble d'un texte, chacun sera bien informé et parfaitement au courant de ce qu'il doit faire.

Enfin, je suis sans doute un des derniers utilisateurs de la procédure qui me vaut de m'exprimer actuellement devant vous, fort d'un temps de parole qui, je n'en doute pas un seul instant, vous semble long – je vous prierais presque de m'en excuser. Encore quelques minutes, monsieur le bourreau ! La limitation de la défense des motions de procédure à dix minutes – même si nous aurions préféré quinze – est un élément qui peut aussi s'entendre et n'entraînera pas davantage une révolution de palais.

Cela étant, d'autres sujets appellent de très fortes réserves, qui pourraient presque amener à soutenir une motion de rejet préalable, et pas seulement une motion de renvoi en commission. Je veux croire, néanmoins, en la richesse du dialogue, en la possibilité, encore, peut-être, dans les heures qui viennent, de nous entendre, non pas à des fins de collusion entre des oppositions et la majorité, mais pour parvenir à une entente dans l'intérêt de notre maison. L'Assemblée nationale est une institution à laquelle nous tenons particulièrement ; c'est la maison du peuple, et quand le peuple, dans sa diversité, est capable de dialoguer, de s'écouter, je crois que la République y gagne. Oui, réellement, tout ce qui nous unit nous grandit. Je ne doute pas, au-delà des vicissitudes des dernières heures, et de l'incertitude quant à savoir ce qui va se passer, se dire dans les prochaines heures, que les hommes et les femmes de bonne volonté puissent encore s'entendre. Encore faut-il que les chiffons rouges passent, si je puis me permettre cette image, au vert.

La limitation à un orateur par groupe, et pour cinq minutes, dans la discussion générale, ne nous paraît pas acceptable. D'abord, cinq minutes, c'est extrêmement bref pour planter le décor d'un texte – chacun en conviendra. Si certains textes ne soulèvent pas de problème particulier – vous me permettrez de reprendre l'exemple, très illustratif, de la réforme partielle du statut des sapeurs-pompiers et des services départementaux d'incendie et de secours – , tous les textes ne sont pas aussi consensuels.

Quand nous parlerons de la réforme des retraites, de celle de Pôle emploi, de la révision de la Constitution et de tant d'autres textes, cinq minutes, ce sera très bref pour planter le décor ! Si, de plus, cette durée est allouée de manière forfaitaire, indépendamment de la taille du groupe, cette disposition me paraît complètement inconcevable. Un groupe de plus de cent députés comme celui des Républicains aujourd'hui disposerait de cinq minutes, comme le groupe de La France insoumise, que je ne dédaigne pas, là n'est pas le sujet, ou de la Gauche démocrate et républicaine, le président Chassaigne ne m'en voudra pas de prendre cet exemple. Allez, cinq minutes, circulez, il n'y a rien à voir ! Ce n'est pas satisfaisant.

Pire encore, seul un orateur par groupe pourra intervenir sur les articles. Cette petite discussion générale sur les articles était intéressante, car elle permettait à de nombreux collègues, pas simplement issus des oppositions mais également de la majorité, de faire entendre une petite voix, parfois différente. Et alors ? L'unité ne commande pas nécessairement d'effacer la diversité.

Prévoir qu'un seul orateur par groupe pourra défendre des amendements identiques est une disposition que nous rejetons encore plus fortement. Là, c'est le couperet ! Plusieurs députés d'un même groupe peuvent vouloir la suppression d'un article pour des raisons différentes; or plusieurs députés voulant supprimer un article rédigent forcément le même amendement, quand bien même l'exposé sommaire diffère. Cela ne nous paraît pas possible : le droit d'amendement est attaché au parlementaire, au député, qui tient sa légitimité de la nation. Cette légitimité ne se tronçonne pas, ne se saucissonne pas. Elle ne peut pas se limiter au seul dépôt de l'amendement, elle ne peut pas n'être que formelle : il n'est pas possible qu'un parlementaire ne puisse pas défendre son amendement ! Un député a le droit de défendre son amendement, par écrit et à l'oral. Le droit d'amendement est personnel, inaliénable, et je dirais presque, sacré. Il est consubstantiel à l'exercice du mandat de parlementaire, de député.

Cette mesure réduirait le parlementaire à son appartenance à un groupe. Je défends bien entendu l'existence des groupes ; je trouve même que certains groupes se sont parfois créés un peu facilement.

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