Intervention de Mansour Kamardine

Séance en hémicycle du jeudi 20 juin 2019 à 15h00
Rattrapage et développement durable de mayotte — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMansour Kamardine, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Cent unième département français, Mayotte est confrontée à des difficultés d'une ampleur incomparable à celles que subissent les Français des autres départements de l'Hexagone et d'outre-mer. Ce territoire, dont les destinées sont unies à celles de la France depuis 1841, dont les hommes et les femmes revendiquent avec fierté leur statut de citoyen, est à mille lieues de l'économie développée qu'on imaginerait trouver sur le territoire d'une grande puissance comme la nôtre.

Pourtant, les potentialités et les atouts de Mayotte sont exceptionnels : une biodiversité et un lagon parmi les plus beaux et les plus grands du monde, une situation au coeur de flux économiques régionaux en pleine expansion, une position stratégique à l'entrée du nord du canal du Mozambique, un établissement au centre d'une zone économique exclusive de 450 000 kilomètres carrés, des terres arables extrêmement fertiles, des ressources halieutiques précieuses lors des négociations de la politique agricole commune pour défendre les agriculteurs de métropole, une culture régionale forte, un attachement indéfectible à la France et une population jeune qui aspire au développement économique et social et au rayonnement d'une Mayotte française dans le sud-ouest de l'Océan indien.

Néanmoins, mal équipée, destinataire avec retard des technologies modernes, Mayotte est victime de l'histoire. Quarante années après son incorporation volontaire dans la nation française, ses voisines – les îles d'Anjouan, de Grande Comore et de Mohéli – ont été placées sous protectorat. Pour l'autorité coloniale, il était logique d'administrer ensemble ces territoires qui, pourtant, n'avaient jamais formé une entité politique unie. Dans la seconde moitié du XXe siècle, ces colonies ont voté à plus de 99 % pour leur indépendance. Mayotte, qui partageait avec la France un passé différent et plus profond, a confirmé son choix d'être et demeurer française. Chacun aurait dû se satisfaire d'obtenir ce pour quoi il avait voté : l'indépendance pour les Comoriens, le drapeau tricolore pour les Mahorais.

Mais les votes du XXe siècle sont menacés par les flux migratoires du XXIe. Les Comoriens ont pu en nombre immigrer illégalement à Mayotte en l'absence d'une politique effective de maîtrise des frontières, notamment de 2012 à 2017, de sorte que la population n'y était qu'à peine majoritairement française en 2017.

Pour les Mahorais, cette situation a des conséquences. Mayotte est une île pauvre, très pauvre, et très en retard sur le niveau de vie et de développement moyen de la nation. L'arrivée massive sur notre territoire d'une population plus pauvre encore ne peut qu'ajouter des difficultés aux difficultés. L'exaspération s'est manifestée en 2017 et en 2018, lorsque les Mahorais ont appelé l'État à, enfin, prendre ses responsabilités.

À la vérité, le Gouvernement a réagi. Dans le domaine régalien, la politique de lutte contre l'immigration clandestine et l'insécurité a franchi un palier. Mais sa montée en puissance nécessite d'en franchir d'autres encore, qui peinent à se concrétiser, notamment la coordination qui a été annoncée pour 2019, sur le modèle de l'opération Harpie en Guyane, des forces de sécurité avec l'armée et la présence permanente de moyens à la mer pour lutter contre l'immigration clandestine, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

En ce qui concerne la souveraineté française à Mayotte, une nouvelle feuille de route signée entre la France et les Comores pour une reconnaissance internationale de la francité de Mayotte, établie cette fois à la demande et en association avec les élus mahorais, est en cours de finalisation. Enfin, une refondation de l'aide publique française au développement aux Comores, dotée de moyens substantiels et axée sur la fixation des populations comoriennes dans leurs îles d'origine, est dans sa phase finale de négociation.

Concernant les autres secteurs de l'action publique, face au risque d'embrasement de l'île, un plan d'action pour l'avenir de Mayotte, officiellement doté de 1,3 milliard d'euros d'ici à 2022, a été présenté au mois de mai 2018. Cet engagement apparaît important à première vue. Hélas, cela ne résiste pas à l'analyse.

En termes comptables, le plan du Gouvernement rassemble dans une même enveloppe des crédits différents. Certains sont déjà prévus de longue date ; pour le centre hospitalier par exemple, 172 des quelque 200 millions d'euros annoncés étaient en réalité fléchés depuis 2017. D'autres étaient certains dans leur principe, comme pour les installations scolaires, dont la programmation financière est passée de 400 à 500 millions. Il y a donc loin de la coupe aux lèvres, les mesures nouvelles représentant environ 15 % seulement de l'enveloppe financière annoncée.

En termes stratégiques, ensuite et surtout, le Gouvernement a conçu un plan pour répondre à son objectif principal de calmer le mécontentement et de restaurer l'ordre public. On ne saurait lui en faire grief dans la mesure où le retour au calme était, en effet, un préalable.

Mais en édifiant des écoles primaires et des collèges, en améliorant le service d'obstétrique de l'hôpital de Mayotte, en construisant des logements sociaux pour les nouveaux arrivants, le gouvernement se limite à maintenir le statu quo. Les deux déterminants fondamentaux de la crise sont toujours présents : l'immigration irrégulière se poursuit, décourageant les Mahorais de construire leur avenir sur leur île ; la pauvreté prévaut encore, sans grand espoir qu'elle recule. En concentrant son action sur les services publics permettant l'intégration sociale des immigrés, le Gouvernement a entrepris de labourer la mer. Pire, si la violence a diminué sur un an, ce dont il faut se féliciter, le ressentiment perdure et s'exprime désormais par des voies institutionnelles qui ne sont pas forcément les moins dangereuses.

Le plan du Gouvernement de 2018 est en cours de contractualisation ; il figurera dans le contrat de convergence 2019-2022 qui sera prochainement, nous dit-on, conclu entre l'État et Mayotte. Les auditions, puis les informations données par nos collègues de la majorité lors l'examen du texte en commission, ont permis d'établir que les crédits du contrat de convergence se montaient à 1,1 milliard d'euros et que celui-ci ne comportait que très peu de mesures nouvelles, tant en volume qu'en nombre. De plus, il ne prévoit la programmation financière d'aucune grande infrastructure de désenclavement et de rayonnement régional. Il ne prévoit pas le relèvement des dotations aux collectivités, pourtant très inférieures par habitant aux normes habituelles. En outre, l'objectif de production énergétique bas carbone qu'il vise est particulièrement faible puisque la production d'électricité demeurerait carbonée à 80 %, alors que la cible nationale pour 2022 est inférieure à 10 %. Enfin, les moyens dédiés à la préservation de l'environnement et de la biodiversité ne sont pas suffisants pour atteindre les normes et les objectifs français et européens.

La proposition de loi qui vous est soumise s'efforce de montrer aux représentants de la nation qu'un autre avenir est possible pour Mayotte. Cette île ne doit pas demeurer dans la dépendance des quelques aides, toujours insuffisantes, qui lui sont octroyées depuis Paris. L'ambition des Mahorais n'est pas, ne sera jamais, de vivre d'aides sociales dans un logement social sans aucun espoir de mise en valeur du territoire sur lequel ils sont nés. Cependant, la convergence des droits sociaux, pourtant au coeur de la loi de 2017 qui a instauré les plans et les contrats de convergence, est d'une telle lenteur qu'on peine à la déceler sur le terrain, ce qui est vécu sur le terrain comme un déni de citoyenneté.

Ce qui est proposé ici, pour une somme finalement modérée puisqu'inférieure à 100 millions d'euros par an pendant dix ans, mais abondée dans un avenir proche par les fonds structurels européens, est moins une alternative qu'un complément structurel à l'actuelle action de l'État. C'est une politique volontariste et ambitieuse qui tient en un seul mot : développement durable. C'est un mot, madame la ministre, auquel vous tenez et que vous employez souvent.

On est condamné à la misère quand on ne dispose pour aéroport que d'une piste que la plupart des appareils venus d'Europe ne peuvent emprunter. On est condamné à la relégation quand, en dépit d'un port naturel remarquable et d'une situation géographique privilégiée, le Gouvernement persiste à dédaigner l'infrastructure portuaire de Longoni. On est condamné à la dégradation de l'environnement quand, malgré les investissements dans de superbes stations d'épuration, personne ne semble comprendre que le raccordement des habitations au tout-à-l'égout est un préalable absolu. On est condamné à la désolation quand on persiste à produire l'électricité à partir d'hydrocarbures dans une île où le soleil brille 365 jours sur 365. On est condamné à la précarité quand les collectivités ne reçoivent pas les dotations qui leur sont dues parce qu'une partie importante de la population échappe aux recensements officiels et qu'on discrimine très clairement nos concitoyens de Mayotte en leur refusant l'égalité sociale.

Les Mahorais n'en peuvent plus que soit sans cesse remis à demain ce qui est prévu de longue date. Ils demandent que les infrastructures, pour certaines décidées il y a quinze ans, trouvent enfin une programmation financière. Ils demandent un agenda clair et resserré pour l'égalité sociale, qu'en 2014 les plus hautes instances de l'État avaient annoncée pour 2019. Ils demandent à ne pas être laissés en marge de l'accélération annoncée cette année des politiques climatiques et environnementales.

Les Mahorais ont foi en la France et en leurs capacités de développement de leur île. Ils sont prêts à tous les efforts pour accomplir leur part du chemin. Mais ils ont besoin d'outils, d'équipements, d'infrastructures pour enclencher le cercle vertueux d'un développement économique et social respectueux de l'environnement comme pour concourir au rayonnement culturel de la France et de l'Europe dans une région du monde à fort potentiel.

Avec son plan de 2018 en cours de contractualisation par le biais du contrat de convergence 2019-2022, le gouvernement a mis Mayotte sur une jambe. Après quarante-cinq ans durant desquels l'État central a décidé ce qui était bon pour les Mahorais, la présente proposition de loi, dans un esprit de coconstruction, vient prendre en compte leurs priorités, en y adjoignant une deuxième jambe, celle qui permettra, enfin, de mettre durablement Mayotte en marche.

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