Les catégories populaires, qui n'avaient pas fait d'études car elles étaient souvent embauchées à l'usine directement après le « certif », ont certes accès à du poulet à 5 euros, peuvent acheter à leurs enfants des vêtements à 2 euros, mais ne retrouveront jamais de travail. À Calais, l'usine Tioxide, qui fabriquait du dioxyde de titane, a fermé l'année dernière, sous la pression de la Commission européenne, pour un problème de norme concernant un pigment. Les derniers dentelliers sont en redressement judiciaire, concurrencés par les produits chinois de moindre qualité. Les agriculteurs n'arrivent plus à se verser un salaire leur permettant de vivre et laissent leurs exploitations sans repreneur.
Qu'apportera à tous ces gens l'obtention, à terme, d'un gain de 0,05 % de croissance du PIB européen grâce au CETA – je reprends le taux annoncé – , si cela implique de sacrifier à nouveau des pans entiers de notre économie ? Pourquoi continuer à artificialiser les sols à l'entrée de nos villages et de nos villes afin d'y construire des parkings géants desservant des zones commerciales sans âme, qui toutes se ressemblent ? Cette course effrénée au « toujours moins cher » se fait au détriment de nos centres-villes, qui se meurent et que nous devons revitaliser à renforts de milliards.
Un tel modèle de libre-échange sans contrainte semble révolu. Il ne s'agit pas d'être protectionnistes ni de tourner le dos à la liberté en laquelle nous croyons, mais d'être lucides : les gains individuels issus des traités de libre-échange ne suffisent plus, parce que nous avons atteint un plafond économique collectif pour justifier tous les sacrifices. En d'autres termes, pour le CETA aujourd'hui comme pour l'accord avec le MERCOSUR demain, le jeu n'en vaut plus la chandelle.
La droite française évolue sur cette question, tout comme les Français. Élus locaux, nous voyons les friches commerciales se multiplier en bordure d'agglomération, car ce qui est recherché n'est plus le moins cher, mais le meilleur. Consommateurs, nous sommes prêts à payer davantage pour être certains qu'un agriculteur sera rémunéré au juste prix, et nous savons qu'il vaut mieux aller chercher de la viande directement à la ferme du coin ou chez son boucher de quartier, que de manger du quinoa bio d'Amérique du Sud qui a traversé la moitié du monde.