Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du mercredi 18 septembre 2019 à 15h00
Compétence judiciaire et exécution des décisions dans les communautés d'outre-mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui autorise l'adhésion de la France à la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale pour son application à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre et Miquelon, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises – aussi incongru que cela puisse paraître étant donné le statut, y compris juridique, de ces pays.

Cette convention vise à renforcer sur ces territoires la protection juridique des personnes qui y sont établies et à instaurer une procédure rapide afin d'assurer l'exécution des décisions et des transactions judiciaires. Elle détermine la compétence des juridictions sur ces territoires et vise à clarifier les règles dans un grand nombre de cas en matière de contrats, d'assurance, et ainsi de suite. C'est essentiellement une mise en cohérence légistique – au sujet de laquelle nous pourrions gloser concernant le statut de ces pays – mais nous y sommes favorables.

Au-delà de ces mesures, cette discussion nous donne l'occasion d'évoquer plus généralement la situation des pays et territoires d'outre-mer, en particulier ceux qui sont concernés par la convention, y compris dans le cadre européen.

En outre-mer, la promesse républicaine d'égalité est loin d'être tenue. Dans de nombreux domaines, les inégalités avec le continent – la France et les autres pays européens – sont criantes. Les écarts de prix sont considérables : selon les données de l'INSEE pour 2015, les produits alimentaires en outre-mer étaient de 37 % à 48 % plus chers, le taux de chômage y est deux à trois fois plus élevé, et le PIB par habitant y est inférieur dans une proportion allant de 31 % à 37 % en Martinique et en Guadeloupe, jusqu'à 79 % à Mayotte, 43 % en Polynésie française et 68 % à Wallis-et-Futuna.

Les mouvements contre la vie chère qu'ont connus plusieurs de ces territoires ont forcé l'État à mettre en oeuvre des plans de rattrapage, qui ressemblent surtout à du saupoudrage.

Le Gouvernement a annoncé une augmentation du budget des outre-mer de plus de 17 % pour 2019, cette enveloppe mêlant nouveaux crédits, exonérations de charges et diminutions de dispositifs fiscaux, mais il s'agit essentiellement d'un tour de passe-passe ayant consisté à dégager 70 millions d'euros pour un fonds exceptionnel dédié à l'investissement public.

La situation sociale et économique des territoires ultramarins est aggravée par le fait qu'ils figurent parmi les premières victimes des dérèglements climatiques. Il a été question, dans les interventions précédentes, de la nécessaire défense de la biodiversité, l'impact de ce phénomène étant particulièrement fort en outre-mer. Je pense notamment à l'ouragan Irma en 2017, qui a causé la mort de onze personnes et endommagé 95 % du bâti à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, pour un coût total estimé à 1,9 milliard d'euros.

Là encore, l'effort de solidarité nationale n'a pas été suffisant. Le Gouvernement a affiché une aide de 500 millions d'euros, mais seulement 179 millions d'euros ont été effectivement débloqués pour la reconstruction. Nous renouvelons notre demande de création d'une commission d'enquête sur ce sujet.

Au-delà de ces mesures, le consensus scientifique sur le fait que le réchauffement climatique augmente l'intensité des ouragans devrait nous interpeller. La moyenne annuelle d'ouragans violents a ainsi augmenté de 75 % entre 1970 et 2004. La planification écologique est urgente et devra tenir compte de ces territoires et de ces pays avec lesquels nous sommes constitutionnellement liés ; elle devra nous permettre de sortir des énergies fossiles et de développer les énergies renouvelables.

Les inégalités concernent également l'accès aux soins. Dans un avis d'octobre 2017, la Commission nationale consultative des droits de l'homme dressait le constat inquiétant de graves inégalités sociales et territoriales en matière d'accès à la santé dans l'ensemble des territoires ultramarins. Selon un rapport de la Cour des comptes de 2014, à Wallis-et-Futuna, les dépenses de santé étaient les plus basses de France, alors que la situation sanitaire y est plus dégradée. La Guadeloupe n'a plus d'infrastructure hospitalière centralisée depuis l'incendie du CHU de Pointe-à-Pitre en novembre 2017. Il a fallu un mouvement de grève des personnels et une mobilisation extrêmement forte pour parvenir, hier, à un accord. Nous serons attentifs à la bonne application de celui-ci, afin que les engagements pris ne soient pas des promesses vides et soient mis en oeuvre dans des délais satisfaisants.

La protection juridique doit inclure la justice sociale, climatique, mais aussi fiscale, Saint-Barthélemy et Saint-Martin faisant office, dérogation après dérogation sur l'impôt sur le revenu, de paradis fiscaux : il s'agit d'un enjeu pour la France, l'Europe et ces pays. Nous soutenons l'adhésion à cette convention, mais nous continuerons à intervenir pour une plus grande égalité et une plus grande justice, dans toutes ses dimensions.

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