La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
L'ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi relative à la création du Centre national de la musique. (no 2244).
Ce n'est pas sans une certaine émotion que je m'adresse à vous aujourd'hui pour ma dernière présidence de la séance de l'Assemblée nationale en ayant eu les honneurs de la Garde républicaine.
Je me suis pleinement investie dans l'exercice de la vice-présidence, avec cet engagement qui nous détermine et la bienveillance indispensable à la fonction. Il me restera les souvenirs de nos séances parfois houleuses et difficiles, tant les convictions sont plurielles mais ô combien passionnantes. Celles-ci se sont déroulées en veillant au respect de tous, en garantissant l'expression de chacun, tout en assurant leur conformité au règlement de l'Assemblée nationale et au calendrier parlementaire.
Je tiens à vous remercier pour votre confiance. J'adresse également des remerciements à ma famille, présente aujourd'hui, ainsi qu'à mes collaborateurs – Patricia, Tony, Catherine et Matthias – pour leur accompagnement sans faille durant cette période.
Pour terminer, je remercie tous les personnels de l'Assemblée nationale présents autour de nous pour veiller au bon déroulement de la présidence et de nos débats – agents, huissiers, administrateurs. Permettez-moi une mention spéciale aux chefs de plateau qui m'ont assistée avec vigilance et efficacité : les deux directeurs successifs de la séance – Jean-Luc Lala et Stanislas Brézet – , le directeur général des services législatifs – Rémi Schenberg – et le secrétaire général – Michel Moreau. Je vous remercie tous chaleureusement.
Mmes et MM. les députés et M. le ministre chargé des relations avec le Parlement se lèvent et applaudissent.
Je vous remercie. Je vous retrouverai sur les bancs dans quelques semaines.
La parole est à M. Pascal Bois, rapporteur de la commission mixte paritaire.
Chère Carole, je te remercie d'avoir brillamment exercé ta fonction de vice-présidente. Il existe au moins un de tes collègues qui gagne quelque chose dans ce mouvement, moi en l'occurrence, puisque je suis ton collègue de la majorité dans le département de l'Oise. J'aurai donc le plaisir de te voir plus souvent parce que ta fonction de vice-présidente te prenait beaucoup de temps.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Je ne vous oublie pas, cher collègue. Nous sommes le triumvirat du jour.
Sourires.
Lors de mon intervention en mai dernier, au début de l'examen de ce texte en séance, j'avais cité une phrase sur les bienfaits de la musique qui apaise et qui console.
En adoptant la proposition de loi, nous allons consoler la filière musicale qui réclame un centre national depuis des années – c'est le dernier art vivant qui n'en dispose pas – et nous allons l'apaiser en la dotant d'une gouvernance mieux structurée ainsi que d'outils soutenant la création et la diversité culturelle et permettant d'anticiper au mieux les évolutions de son écosystème.
Je le répète à l'envi mais c'est indispensable : la musique est la deuxième industrie culturelle de notre pays, elle participe à son rayonnement culturel à l'international et son poids économique est considérable – elle représente 8,7 milliards d'euros de chiffres d'affaires et près de 240 000 emplois.
Cette proposition de loi est destinée à reconnaître la filière musicale et ses artistes à leur juste valeur.
D'une part, le texte fixe les grands principes qui devront présider à l'action du Centre national de la musique – CNM. Il confie à celui-ci une mission générale de soutien à l'ensemble du secteur dans toutes ses esthétiques ainsi que la gestion d'un observatoire permettant d'analyser ce secteur et d'orienter les politiques publiques en coordonnant des actions non seulement d'information, de formation professionnelle mais aussi d'éducation artistique et culturelle en partenariat avec les services déconcentrés et les collectivités locales.
D'autre part, il lui assigne des missions plus précises : la gestion des dispositifs d'intervention pour aider la production, la création, la diffusion et l'édition ; l'instruction directe des crédits d'impôt phonographique et du spectacle vivant, sans oublier le soutien à l'export, l'anticipation des mutations technologiques et des contraintes sécuritaires.
S'agissant de sa gouvernance, le CNM est placé sous la tutelle du ministre de la culture et administré par deux instances respectant la parité : un conseil d'administration exécutif et un conseil professionnel à vocation consultative.
Quant à son périmètre, le nouvel établissement regroupera plusieurs structures actuelles : le CNV – Centre national de la chanson, des variétés et du jazz – , le Bureau Export, ainsi que les associations FCM – Fonds pour la création musicale – , IRMA – Centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles – et CALIF – Club action des labels et des disquaires indépendants français.
Sur ce dernier point, je salue le travail de concertation, notamment sur la question délicate du transfert des personnels, que mène Catherine Ruggeri. Celui-ci devrait aboutir à la rédaction des décrets permettant au futur centre d'être opérationnel au 1er janvier 2020.
Je tiens à revenir sur certaines évolutions qu'a connues le texte et qui sont le fruit d'échanges constructifs et transpartisans. Ces derniers nous ont permis d'aboutir à une version plus inclusive du champ d'intervention du CNM, notamment grâce à l'ajout de la référence aux spectacles de variétés.
De même, nous avons, dans les mentions relatives à la diversité esthétique et à la création, précisé le rôle distinct des auteurs, des compositeurs et des interprètes. Le rôle des collectivités locales, premiers soutiens de la politique en faveur de la musique, a également été souligné, ainsi que celui des organismes de gestion collective des droits d'auteur puisqu'ils sont prêts à participer financièrement aux actions du CNM.
Enfin, d'autres améliorations ont permis de sécuriser les modalités de fusion des cinq structures et associations évoquées plus haut.
Nous avons plus que jamais besoin du CNM pour assurer le rayonnement de nos artistes et le développement d'un environnement garant d'une création riche et diversifiée, conformément à notre principe d'exception culturelle.
La prochaine étape consistera à faire preuve de vigilance sur le financement et la montée en puissance opérationnelle du CNM. Ce sujet relève du prochain débat budgétaire. J'ai confiance dans ce domaine.
Enfin, permettez-moi de remercier M. le ministre de la culture, absent ce jour, mais auquel le CNM tient particulièrement à coeur, comme vous le savez. J'adresse les mêmes pensées amicales à Françoise Nyssen et Roch-Olivier Maistre, devenu président du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Merci aux membres du cabinet et aux membres de la DGMIC – Direction générale des médias et des industries culturelles – et de la DGCA – Direction générale de la création artistique. Merci à notre collègue Émilie Cariou, auteure avec votre serviteur, d'un rapport sur la préfiguration du CNM il y a tout juste un an – comme il est plaisant de passer des paroles aux actes ! Merci à notre collègue rapporteur au Sénat, M. Jean-Raymond Hugonet. Nous avons tous deux travaillé de concert. Merci à notre collègue Florence Provendier, responsable du texte pour le groupe majoritaire, à Clémentine Jomier, administratrice, ainsi qu'à l'ensemble de nos collaborateurs respectifs – en particulier, le mien, Cédric Pruvost.
Merci à tous pour ce travail collectif.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Je partage votre émotion, madame la présidente, et je souhaite m'associer aux applaudissements de cette assemblée et saluer votre travail depuis un peu plus de deux années dans une tâche qui est toujours difficile, celle de présider nos ou vos travaux.
Je vous prie de bien vouloir excuser le ministre de la culture qui, retenu en voyage officiel en Éthiopie, ne peut être présent cet après-midi pour la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur une proposition de loi qui lui tient à coeur, relative à la création du Centre national de la musique.
Nombre de choses ont été excellemment dites par M. le rapporteur et je n'ai pas l'intention de les répéter. En tant que ministre chargé des relations avec le Parlement, je voudrais toutefois insister sur au moins deux points.
Premier point, cette proposition de loi répond concrètement à un besoin quotidien des Français. La musique est la première pratique culturelle de nos compatriotes. Elle subit de nombreux bouleversements auxquels nous devons répondre : économique d'abord avec une concentration préoccupante des acteurs, technologique ensuite avec la révolution numérique.
Dans ce contexte, les professionnels du secteur ont longtemps attendu la création d'une instance réunissant toutes les parties prenantes de l'écosystème de la musique, y compris l'État, et capable d'accompagner tous les acteurs confrontés aux changements que j'ai mentionnés.
Le Centre national de la musique répond à cette attente puisque quatre grandes missions lui sont assignées : l'analyse du secteur musical, l'accompagnement des professionnels, le soutien économique aux acteurs et le développement international. Le futur EPIC – établissement public industriel et commercial – sera ainsi un acteur incontournable de la création, de la diffusion et du rayonnement de la musique en France et au-delà de nos frontières.
Second point qui mérite d'être souligné, le Parlement a agi vite et bien sur un sujet majeur. Certes, cette proposition de loi est le fruit d'une longue réflexion, initiée dès 2011. De nombreux rapports sont venus l'enrichir, dont le vôtre, monsieur le rapporteur, coécrit avec Émilie Cariou. J'espère néanmoins que moins de six mois sépareront le dépôt de ce texte sur le bureau de votre Assemblée et son adoption définitive par le Sénat, prévue début octobre.
La proposition de loi relative à la création du Centre national de la musique est une oeuvre conjointe de l'Assemblée nationale, du Sénat et du Gouvernement, qui ont exprimé leur diversité et travaillé de manière transpartisane, ce dont je m'en réjouis. De nombreuses avancées sont, en effet, à mettre à votre crédit : l'amélioration de la responsabilité sociale du futur CNM, un meilleur respect de la parité dans les instances de gouvernance ou encore le renforcement du soutien à la création.
Pour l'ensemble des raisons citées par le ministre de la culture lors de l'examen en première lecture, puis rappelées à l'instant par M. le rapporteur et, enfin, pour celles que je viens d'évoquer, le Gouvernement est favorable à l'adoption de la proposition de loi dans la rédaction qui vous est présentée.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Dharréville, pour cinq minutes.
« De n'importe quel pays, de n'importe quelle couleur, la musique est un cri qui vient de l'intérieur », chante Bernard Lavilliers.
Ces cris, nous voulons qu'ils puissent s'exprimer, s'entendre, résonner. Rappelez-vous cette scène du film de Robert Guédiguian Marius et Jeannette, au cours de laquelle l'un des personnages s'inquiète et dit : « Il n'a plus assez de musique dans son coeur pour faire danser sa vie ».
La musique fait danser nos vies : elle les colore, les emmène, les réveille ou les révèle, ce qui appelle des politiques publiques pour accompagner la création musicale et son partage. Depuis plusieurs années, on évoque la création d'un Centre national de la musique, à l'instar de ceux qui existent pour la danse ou le cinéma. Un tel opérateur permettrait d'harmoniser l'action des différents organismes existants et de rendre plus accessibles les dispositifs dont peuvent jouir les artistes. Il pourrait également jouer un rôle moteur dans le développement des pratiques artistiques. Aussi sommes-nous favorables à une telle création.
Mais la proposition de loi dont nous discutons à nouveau appelle un regard critique. Tout d'abord, le CNM ne doit pas être synonyme d'affaiblissement du service public ou d'abandon des missions qu'assurent aujourd'hui certains organismes dont le CNV. Il ne peut non plus, en aucun cas, se construire au détriment de l'action du ministère de la culture. L'État n'a eu de cesse, au cours des dernières années, de se décharger de ses missions sur des opérateurs qui s'affranchissent ensuite de nécessaires choix de nature politique, tandis que les ministères se retrouvent sans leviers.
Or dans ses attendus, la proposition de loi semble ne se concentrer que sur le volet économique de la musique, pensé sur le mode néolibéral de la concurrence. Tout un pan semble absent des réflexions : des musiques n'entrant pas dans les standards commerciaux dominants à celles pouvant être qualifiées de non lucratives, qui sont le fait d'associations, de groupes ou d'artistes n'ayant pour autre ambition que la pratique et le partage de leur art.
C'est pour cette raison que nous tenons absolument à ce que les missions du CNM entrent dans le champ d'application de l'article 3 de la loi du 6 juillet 2016, garantissant la liberté de création artistique sous toutes ses formes et définissant le rôle de l'État pour la préserver. Le CNM échouera dans sa mission s'il ne devient qu'un outil au service de l'industrie musicale, dominé par celle-ci, ses appétits et ses critères, et qu'il se met à son service, au bénéfice de prétendus champions.
Un tel organisme devrait avoir pour rôle d'ouvrir d'autres espaces que l'uniformisation, le formatage des goûts, le low-cost, la soumission à l'algorithme, la concentration des acteurs ou la soumission à la rentabilité. La culture, telle que nous l'imaginons, ne peut se fondre dans le moule de l'offre et de la demande, où les femmes et les hommes seraient de simples réceptacles et les oeuvres de simples marchandises : elle vaut mieux que cela.
Quid de la médiation culturelle en matière de musique, des pratiques d'amateurs, des festivals émergeant des dynamiques locales échappant aux ogres de l'événementiel ? Quelles garanties seront apportées en matière de transparence, de démocratie et d'équilibre dans la distribution des subventions ? Quelles ressources sont prévues pour assurer le bon fonctionnement du CNM, alors que les crédits du ministère de la culture stagnent depuis le début du mandat et que l'on porte atteinte à France Musique ?
Enfin, je me félicite qu'ait été conservé l'amendement défendu par Marie-George Buffet au nom du notre groupe, faisant de l'égal accès des femmes et des hommes aux professions musicales une des missions centrales du CNM. En effet, les femmes dirigent seulement 10 % des scènes de musiques actuelles, 18 % des centres chorégraphiques nationaux et 20 % des centres dramatiques nationaux et régionaux. En outre, seuls 4 % des chefs d'orchestre sont des femmes. Ces taux doivent nous alerter sur le défaut d'accès des femmes aux professions du secteur culturel. Ce dernier dans son ensemble doit agir contre ces inégalités.
De nombreux acteurs et actrices du monde de la musique nous ont fait part de leurs très vives inquiétudes quant à la faible prise en considération de la diversité et de la démocratie culturelles dans la conception même du CNM. Je crois profondément, avec d'autres, qu'il faut respecter les « oeuvriers » de la musique et les humains dont elle fait danser la vie.
Par conséquent, si les députés communistes restent favorables à l'idée d'un Centre national de la musique, ils regrettent que les débats parlementaires n'aient pas permis de répondre aux inquiétudes qui ont été exprimées. Nous ne pourrons donc voter cette proposition de loi : trop de notes font encore défaut dans la partition et nous doutons qu'elle ait la bonne portée.
« Bravo ! » sur les bancs du groupe GDR.
La parole est à Mme Florence Provendier.
Mais avant cela, je précise que la règle du temps de parole de cinq minutes par orateur, lors de la discussion générale d'un texte issu d'une commission mixte paritaire, est en vigueur depuis cinq ans. Il ne s'agit donc pas d'un changement de règlement spécifique à cette séance, monsieur Lecoq.
Applaudissements sur les bancs LaREM et MODEM.
Après la conclusion de cette commission mixte paritaire, la musique s'invite de nouveau dans notre hémicycle afin de bâtir les fondations d'un projet cher aux parlementaires, à l'ensemble des acteurs de la filière et au-delà. C'est bien parce qu'elle nous rassemble et nous ressemble que la musique demeure, année après année, l'activité culturelle préférée des Français.
La proposition de loi que nous allons adopter pour donner le jour au Centre national de la musique suscite l'unanimité, car elle répond à une attente pressante du secteur, mais aussi parce que nous avons fait montre d'une approche participative féconde. En effet, ce projet de création du CNM est le fruit d'un travail de concertation inédit avec le monde de la musique et du spectacle vivant français. Dès le début de la législature, un rapport a été élaboré par M. Roch-Olivier Maistre. Ce travail a fourni les fondements de ce texte, qui ont ensuite été validés et complétés par le rapport – de grande qualité – rédigé par notre collègue Émilie Cariou et notre rapporteur Pascal Bois, à la demande du Premier ministre.
Lors de l'examen de cette proposition de loi par notre Assemblée en mai dernier, nous avons collectivement enrichi les missions du CNM en incluant, notamment, le soutien à la création et à la valorisation du patrimoine musical ou encore l'éducation artistique et culturelle. Sur les bases de ce travail, nous avons adopté ce texte à l'unisson, avant de l'adresser au Sénat. Sous la baguette de leur rapporteur, M. Jean-Raymond Hugonet – qui, pour ceux qui ne le sauraient pas, est un batteur émérite – les sénateurs ont à leur tour enrichi la partition grâce à un travail rédactionnel complémentaire, qui nous a permis de nous accorder sur le texte soumis au vote aujourd'hui.
Pour mémoire, le CNM rassemblera dans un même établissement les actuels Centre national de la chanson, des variétés et du jazz – CNV – , le Fonds pour la création musicale – FCM – , le Centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles – IRMA – , le Bureau Export, et le Club action des labels et des disquaires indépendants français – CALIF. Ce rapprochement permettra de générer des effets de seuil et créera des leviers significatifs pour l'ensemble des acteurs de la filière. Car fédérer l'ensemble des parties prenantes revient à répondre aux enjeux de diversité culturelle, de soutien et de développement économique, d'innovation et de diffusion sur les territoires, et enfin d'exportation.
Il s'agit d'un signal positif majeur pour l'avenir de la deuxième industrie culturelle de notre pays, qui ne serait pas ce qu'elle est sans le talent des artistes, des éditeurs, des agents, des managers, des organismes de gestion collective, des associations professionnelles ou, plus généralement, de toutes celles et ceux qui prennent des risques, investissent et défendent notre exception culturelle.
Au premier semestre 2019, 80 % des ventes et des écoutes en streaming se sont portées sur des artistes produits en France. Une grande partie d'entre eux sont des jeunes talents, prouvant les vertus du crédit d'impôt à la production phonographique. Néanmoins, l'écosystème musical demeure fragile, étant soumis à une forte concurrence et à des risques de concentration des acteurs. Le CNM aura un rôle déterminant à jouer pour préserver l'indépendance du secteur, sa vitalité, son innovation et sa créativité.
Si nous adoptons ce texte aujourd'hui, le CNM sera créé le 1er janvier 2020, autant dire demain. Pour autant, si nous voulons que son objectif soit atteint, il nous faudra veiller à ce que la discussion budgétaire, qui va s'ouvrir dans quelques semaines, n'apporte pas de bémol. Un rapprochement de plusieurs établissements tels que ceux concernés implique des coûts liés à la réorganisation et à l'intégration des ressources humaines, ainsi que, plus globalement, la mise en oeuvre d'une stratégie de moyens, y compris financiers.
Mais pour l'heure, scellons la création de cette maison commune à toutes les musiques, aux variétés et au spectacle vivant, et donnons, par notre vote, le « la » à une filière impatiente d'interpréter cette oeuvre commune : « si mi la ré sol do fa ».
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Madame la présidente, je vous adresse tous mes voeux pour la suite.
C'est un pas important que nous allons accomplir aujourd'hui : plus de dix ans après le lancement d'une réflexion sur le sujet, à l'initiative de Nicolas Sarkozy, le Centre national de la musique va donc voir officiellement le jour.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Pourtant, d'un point de vue purement factuel, tout est encore à faire. Le CNM n'est pour l'heure qu'une enveloppe vide et dotée de compétences aux contours assez vagues.
Si j'osais une comparaison, je dirais que la carrosserie est en place, mais qu'il reste à installer le moteur. S'agissant de la carrosserie, le CNM a déjà fière allure : il fait l'objet d'un large consensus parmi les professionnels, même s'il faudra que sa gouvernance concrétise ce consensus en accordant une place au sein du conseil d'administration aux cinq organismes de gestion collective et qu'il dispose d'un fort appui au sein du Parlement. Ainsi, le CNM est, du moins en apparence, taillé pour relever les défis considérables qui se présentent à lui.
Concernant le moteur en revanche, les incertitudes sont encore nombreuses. Au fond, l'une d'entre elles domine toutes les autres : l'argent. Qui peut dire avec quel budget le CNM fonctionnera ? Chacun est bien conscient que, sans un budget à la hauteur des enjeux – que plusieurs rapports s'accordent à fixer autour de 20 millions d'euros – , le CNM risque de n'être qu'une coquille vide.
Le secteur musical dans son ensemble est marqué par une très forte imprévisibilité. Le succès ne se décrète pas, il se construit, et ce, le plus souvent, sur le long terme.
Il n'y a pas de secret : pour réussir, il faut investir, le plus souvent d'ailleurs sans la moindre garantie. Le soutien à l'investissement des entreprises est donc l'une des priorités, sinon la principale, du futur CNM.
Il s'agit d'un enjeu qui concerne très directement la création et la diversité culturelles, car en l'absence d'investissement, il n'existe aucune chance de voir émerger de nouveaux talents et des expressions artistiques innovantes.
Malheureusement, monsieur le ministre, le Gouvernement est resté sourd à l'une des propositions fortes du groupe LR : attribuer au CNM une fraction de la taxe dite « Copé » sur les télécoms. Cette mesure aurait pourtant permis de pérenniser le financement du Centre et d'éviter qu'à chaque loi de finances, le secteur ne soit suspendu aux arbitrages de Bercy. En cette matière comme en tant d'autres, il est indispensable d'accorder aux professionnels, dans un secteur particulièrement sensible, la visibilité de long terme qu'ils réclament.
En ce sens d'ailleurs, il aurait été intéressant que soit accordée au CNM la gestion directe du crédit d'impôt en faveur de la production phonographique et du crédit d'impôt pour le spectacle vivant musical, et que cela figure explicitement dans le texte. La gestion du financement de la sécurité des lieux de spectacle pourra, elle – et je salue cette disposition – , être déléguée au CNM par le ministère de la culture. Il s'agit d'un sujet particulièrement délicat, sur lequel j'ai cosigné un rapport avec M. Bertrand Bouyx, afin de rappeler la nécessité d'accompagner le monde de la musique, ainsi que les organisateurs de spectacles et de festivals, en matière de financement.
Pour conclure, le groupe LR salue – cela ne vous étonnera pas, monsieur le ministre – cette proposition de loi, qui est l'aboutissement d'une démarche concertée et fructueuse. Je salue à cet égard le travail effectué par le rapporteur sur la base de l'engagement pris par le Président Sarkozy, il y a une dizaine d'années.
Mais le plus dur, ne nous leurrons pas, est devant nous. La question du financement suscitera, vous l'aurez compris, notre plus grande vigilance. Nous avons rendez-vous à l'occasion de la discussion sur le projet de loi de finances. Je comprends l'absence du ministre de la culture aujourd'hui : monsieur le ministre en charge des relations avec le Parlement, nous espérons vous avoir à nos côtés, vous qui avez défendu le CNM à cette tribune, pour nous aider à obtenir les financements nécessaires.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – M. Rémy Rebeyrotte applaudit.
Notre assemblée examine aujourd'hui le texte, issu de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi, déposée par notre collègue Pascal Bois, relative à la création du Centre national de la musique. Lors de nos travaux en première lecture, nous avons souligné tout l'intérêt de cette initiative visant à appuyer un secteur et une filière qui occupent une place très importante dans l'univers culturel de notre pays.
Fermez les yeux, imaginez-vous deux minutes dans une guinguette des bords de Marne ou écoutant un jazz savoureux… et vous verrez que nous partageons toutes et tous ce constat : le Centre national de la musique sera un outil de convergence et d'intelligence collective pour accompagner la progression du secteur. Il s'appuiera pour cela sur l'existant et sur ce qui a fonctionné. Ce nouvel établissement public défendra ainsi l'intérêt général, en complémentarité avec les initiatives que prend d'ores et déjà l'État au travers de ses services centraux et déconcentrés. Il sera le garant d'une politique publique de la musique, ambitieuse et puissante, qui irriguera en outre l'ensemble du territoire, de l'Hexagone aux outre-mer.
Les principales difficultés juridiques ont été levées, et la procédure parlementaire a permis de sécuriser les modalités de rattachement des associations, en premier lieu le Fonds pour la création musicale – FCM – et le Bureau Export de la musique française.
Nous avons également débattu de la gouvernance du Centre national de la musique. Il faudra veiller à ce que tous les secteurs de cette filière soient représentés à tous les niveaux.
Enfin, il nous faut garder en tête la raison d'être d'un tel centre national : soutenir les investissements pour que nos producteurs et nos artistes soient enfin davantage reconnus à l'échelle internationale. C'est pourquoi, lors de la discussion budgétaire qui s'annonce, nous devrons tous veiller à donner au futur CNM les moyens des ambitions que nous avons placées en lui.
Nous l'avons rappelé lors de l'examen du texte en première lecture à l'Assemblée, il est impératif de conserver les dispositifs publics de soutien, en particulier les crédits d'impôt musique, alors même que la filière a commencé son redressement. Après avoir connu de fortes perturbations depuis le début des années 2000, le secteur musical est aujourd'hui en croissance, mais il n'a pas pour autant rattrapé les pertes des années précédentes. Il faut donc que nous garantissions ses marges de manoeuvre.
Pour toutes ces raisons, le groupe du Mouvement démocrate et apparentés souhaite l'adoption de ce texte, initiative qui reflète un engagement entier au service du rayonnement de l'art et de la culture française. Nous devons la soutenir et lui donner les moyens de son développement. Il est donc temps que le Centre national de la musique voie le jour. Comme le chantait Bernard Lavilliers, « La musique parfois a des accords majeurs ». Nous en avons eu la preuve hier avec la belle unanimité qui s'est manifestée en commission mixte paritaire.
Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM, LaREM et UDI-I ainsi que sur quelques bancs du groupe LR.
La commission mixte paritaire ayant été conclusive, à l'unanimité, nous entamons la lecture définitive de la proposition de loi qui va entériner, une fois pour toutes, la création du Centre national de la musique. Au cours des débats, le principe de cette création a été unanimement salué ; il s'agit de disposer d'un outil efficace pour soutenir l'ensemble du secteur de la musique.
Bien entendu, lorsque cette création a été évoquée, nous avons tous pensé, par analogie, au Centre national du cinéma, le CNC, créé en 1947. Depuis lors, celui-ci s'est imposé comme un acteur incontournable en France. Il dispose tout de même d'un budget de près de 800 millions d'euros pour soutenir la création cinématographique.
Précisons quelques ordres de grandeur : les entrées dans les salles de cinéma en France produisent 1,3 milliard d'euros de recettes, montant à mettre en regard de ce lui de 1,5 milliard correspondant aux recettes de la billetterie des concerts et à la vente de supports. C'est dire si les deux secteurs sont comparables par leur importance économique, si l'on s'en tient aux masses financières. Mais c'est aussi reconnaître que la musique reste, par rapport au cinéma, le parent pauvre en matière de soutien, alors même qu'elle est confrontée à d'importantes mutations. Je pense notamment au vieillissement des spectateurs, s'agissant de la musique classique, et aux nouvelles formes d'écoute qui se développent, pour la musique en général.
Les différentes formes de musique sont toutes, quelles qu'elles soient, confrontées à des défis communs.
Premier enjeu : le droit d'auteur. L'adoption de la directive pertinente par le Parlement européen au printemps dernier a mis en lumière les divergences qui existent au sein même de l'Union européenne à ce sujet, et l'accord permettant la reconnaissance d'un véritable droit d'auteur a été obtenu à l'arraché.
Deuxième enjeu : une répartition plus équitable de la valeur entre le contenu – c'est-à-dire la véritable création – et le contenant – c'est-à-dire, en quelque sorte, le tuyau qui permet de faire circuler le contenu. Nous l'avons tous dit de manière unanime, cette répartition est actuellement très déséquilibrée au profit des contenants, et non des contenus.
Troisième défi : les algorithmes divers et variés qui orientent l'écoute des utilisateurs. Ils reposent sur l'utilisation de données qui ne sont pas, aujourd'hui, facturées aux plateformes.
Vu la puissance de ces plateformes, on comprend aisément qu'il est indispensable de se structurer. C'est tout le sens de la création du Centre national de la musique. Cette création devrait bénéficier des améliorations apportées en première lecture, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Le texte précise désormais que le CNM favorise un égal accès des hommes et des femmes aux professions musicales, et soutient l'écriture, la composition et l'interprétation. Son rôle dans les territoires est renforcé, puisqu'il pourra conclure des contrats et des partenariats avec les collectivités locales, ainsi qu'avec les différents acteurs de la filière musicale.
En revanche, plusieurs d'entre nous l'ont dit, deux points importants restent en suspens.
Première question : les moyens budgétaires du CNM. Je remercie le Gouvernement, plus précisément le ministre de la culture, d'avoir accepté mon amendement précisant que le CNM bénéficiera du produit, plafonné à 50 millions d'euros, de la taxe affectée au CNV, le Centre national de la chanson des variétés et du jazz. Il vaut toujours mieux écrire les choses, pour s'assurer qu'elles se passeront bien ainsi.
Deuxième question, au sujet de laquelle quelques divergences se sont exprimées lors de nos discussions : la gouvernance de l'établissement. Nous reconnaissons volontiers que des améliorations ont été apportées en la matière au cours des débats. Restent néanmoins quelques interrogations concernant les modalités de composition du conseil d'administration et du conseil professionnel du CNM. Il conviendra notamment de trouver un équilibre permettant de concilier l'efficacité de la nouvelle structure avec la possibilité pour chacun des acteurs de s'y exprimer. Cette inquiétude a notamment été relayée par les entrepreneurs du spectacle vivant, qui ne sont représentés dans aucun organisme de gestion collective et, partant, ne le seront pas non plus au sein des organes de gouvernance du CNM.
Néanmoins, la présente proposition de loi constitue une avancée, car elle permettra de créer enfin le Centre national de la musique. C'est pourquoi le groupe Socialistes et apparentés la votera.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs des groupes LaREM, MODEM, UDI-I et LR.
Nous examinons la proposition de loi relative à la création du Centre national de musique, sur laquelle nous nous sommes déjà exprimés en première lecture et qui a fait l'objet d'un large consensus – dont nous nous réjouissons – lors de la commission mixte paritaire.
La création du Centre national de la musique est devenue une nécessité, compte tenu de l'évolution de nos sociétés. L'essor du streaming, conséquence de la révolution numérique, bouleverse les usages et la chaîne de valeur. Pour ne pas subir les grands changements, il nous faut prendre les mesures qui s'imposent en transformant en opportunités pour demain les inexorables mutations propres à notre temps.
La musique, nous l'aimons. C'est un secteur dynamique, qui fournit 240 000 emplois et plus de 8,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Néanmoins, le modèle culturel français, celui que nous aimons et défendons, commande que nous soutenions la diversité et la qualité de la création, pour que la musique continue de nous ouvrir à d'autres horizons, pour qu'elle nous transporte vers d'autres imaginaires, mais aussi et surtout pour qu'elle reste un puissant vecteur d'émotions.
Vous connaissez mon attachement aux crédits d'impôt musique, qui incitent à la diversité et au risque de la création, qui les permettent. Le Gouvernement annoncera dans quelques jours le budget du ministère de la culture pour 2020 ; je ne peux donc qu'insister sur la nécessité de doter le CNM des moyens de ses ambitions, sans compromettre les dispositifs publics de soutien existants, tels que les crédits d'impôt ou les aides à l'emploi du FONPEPS, le Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle.
Nous nous réjouissons que ce texte incorpore toutes les dispositions nécessaires pour soutenir l'exportation de nos oeuvres et la représentation de nos artistes sur toute la surface du globe. Il y va du rayonnement de notre richesse culturelle, par la diffusion de la francophonie et de nos valeurs universelles.
En première lecture, nous avions fait part de nos réserves concernant la visibilité dont nous disposions sur l'action du CNM. Plusieurs dispositions nous paraissaient imprécises, notamment celles relatives à la gouvernance, aux modalités de fusion des associations et à l'articulation du CNM avec les collectivités territoriales. Sur chacun de ces sujets, nous avons obtenu des réponses. Cela s'est traduit par des précisions au sein du dispositif de la proposition de loi.
Premièrement, la gouvernance du CNM a été détaillée, avec la composition du conseil d'administration et la déclinaison d'un conseil professionnel qui regroupera l'ensemble des professionnels du secteur. Notre groupe tient à saluer la composition paritaire de ces conseils, car c'est dans chaque réforme qu'il faut oeuvrer à l'égalité entre les femmes et les hommes. Notre collègue Marie-George Buffet était intervenue avec force à ce sujet.
Deuxièmement, les modalités de fusion des associations qui constituent le Centre ont été développées. À cet égard, l'introduction du Bureau Export dans le dispositif répond à une demande unanime des professionnels et des parlementaires.
Enfin, lors des débats, notamment au Sénat, plusieurs dispositions ont été adoptées permettant de tisser des liens entre le CNM et les territoires. Il est indispensable d'inclure les territoires dans cette réforme, afin que ceux-ci participent pleinement aux politiques culturelles et appliquent du mieux possible leur déclinaison territoire par territoire.
Je tiens à remercier particulièrement le ministre de la culture pour son travail, ainsi que pour ses qualités d'écoute et ses efforts de concertation, qui ont permis d'inclure l'ensemble des parties prenantes. Preuve en est le consensus obtenu lors de la commission mixte paritaire.
Nous avons été rassurés, au cours des débats, par l'adoption d'un certain nombre d'amendements, dont deux avaient été déposés par notre groupe : le premier tend à incorporer la variété dans le champ des missions du CNM ; le second vise à permettre que les conditions de transfert entre les associations et le CNM soient traitées par voie de convention, afin de prévenir toutes les problématiques dans la constitution du Centre.
Pour finir, je remercie toutes celles et tous ceux qui ont oeuvré au succès de la proposition de loi. Je remercie en particulier M. le rapporteur de son engagement.
Le groupe UDI et indépendants votera ce texte, qui permettra d'insuffler une nouvelle dynamique dans le soutien à la filière musicale.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-I et sur quelques bancs des groupes LaREM, MODEM et LR.
« Qui t'a montré Ce long chemin Qui t'a montré Ce long chemin Ce chemin pour Sao Tomé ? » Je cite ces paroles de Cesária Évora pour vous rendre hommage, madame la présidente, car je sais que vous en êtes une grande fan. Elles expriment la séparation entre deux êtres qui s'aiment, et je crois pouvoir dire que tous ici, unanimement, nous vous aimons.
Applaudissements sur divers bancs.
Vous n'obtiendrez pas une minute supplémentaire de temps de parole pour autant !
Sourires.
Voilà presque deux ans que le rapport de M. Roch-Olivier Maistre donnait une dimension nouvelle à la longue réflexion initiée sur le projet de « maison commune de la musique ». En janvier dernier, celui de M. le rapporteur Pascal Bois et de notre collègue Émilie Cariou venait ajouter sa pierre à l'édifice. Au sein du groupe Libertés et territoires, nous nous félicitons d'assister enfin à l'aboutissement de cette réflexion dans notre assemblée.
Notre manière d'écouter, de diffuser et même de créer la musique a connu de grands changements : ne soyons plus spectateurs impuissants d'une révolution numérique qui bouleverse notre consommation et nos habitudes, jusque dans nos gestes les plus quotidiens. Face à ce bouleversement, nous devons être actifs, inventifs, et non passifs. Malheureusement, nous ne sommes pas suffisamment acteurs de cette transition, et les artistes sont les premiers à pâtir de cette situation.
Il suffit de regarder la répartition de la valeur ajoutée. Certes, les plateformes de streaming ont donné un souffle nouveau à une industrie du disque en crise, mais au profit de qui ? Principalement des plateformes elles-mêmes. C'est cette tendance que nous devons inverser.
Attention, cependant : nos objectifs ne doivent pas être seulement économiques. Au-delà de l'économie et des chiffres, la création du CNM est l'occasion pour la France de proposer une vision et une politique culturelle qui fassent rayonner sa musique en France et à l'international.
Le groupe Libertés et territoires tient à rappeler les trois principes qui doivent guider notre politique en faveur de la musique. Il faut avant tout reconnaître la diversité intrinsèque de notre écosystème musical. L'Assemblée nationale avait consacré le soutien à la création artistique et la promotion des variétés ; nous remercions le Sénat d'avoir ajouté aux missions du CNM la garantie de la diversité musicale, dans le respect de l'égale dignité des répertoires.
Le deuxième aspect concerne le rayonnement culturel de la France et de la langue française à travers le monde. En ce sens, il était utile d'insister sur l'ambition internationale du CNM. Nous pouvons en effet nous réjouir, car jamais la chanson tricolore n'a été aussi populaire en dehors de nos frontières. Pourtant, nous devons poursuivre nos efforts : dans un courrier récemment adressé à M. le ministre de la culture, de nombreuses radios ont demandé que la réforme de l'audiovisuel assouplisse certaines règles, notamment concernant les quotas de chansons françaises.
Nous serons donc attentifs à cette réforme qui fera prochainement l'objet de nos discussions. Car la diffusion de la musique française, francophone ou non – je pense notamment aux langues régionales – et son exposition dans les médias, sont des conditions essentielles de son succès.
Le dernier principe concerne la nécessaire ambition de notre politique territoriale culturelle. Cela suppose notamment des partenariats avec les collectivités et les acteurs locaux ; le regroupement des actions en un centre unique ne doit pas être synonyme de concentration. Les déserts culturels sont malheureusement trop nombreux en France : le CNM doit permettre d'offrir un égal accès à la musique à tous les citoyens, partout sur le territoire.
Là encore, remercions le Sénat d'avoir renforcé la mission de développement territorial du CNM, notamment en offrant aux collectivités territoriales la possibilité d'intégrer le conseil professionnel.
Mes chers collègues, nous sommes tous d'accord pour dire que cette proposition de loi va dans le bon sens, mais des interrogations subsistent.
L'une d'elles concerne la composition du conseil d'administration – nous ne savons toujours pas qui sera représenté – , alors même ce conseil déterminera le fonctionnement et l'orientation du CNM.
Mais la principale inquiétude concerne évidemment le financement, estimé à 20 millions d'euros, que vous avez renvoyé au prochain projet de loi de finances. Puisque nous sommes à la veille de son dépôt, soyez assurés que nous serons attentifs à cette question.
Vous proposez a priori un système de redistribution par l'intermédiaire d'une taxe affectée, prélevée sur les recettes du secteur. Très bien. Mais nous ne pourrons pas faire l'impasse sur de nécessaires compléments de financement, dans la mesure où le CNM disposera de nouvelles missions.
Le groupe Libertés et territoires votera la proposition de loi avec enthousiasme.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Sur l'ensemble de la proposition de loi, je suis saisie par le groupe La République en marche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Michel Larive.
Je me réjouis que nous ayons à nous prononcer à nouveau sur la proposition de loi relative à la création du Centre national de la musique, tant les enjeux sont grands pour le secteur musical.
La musique fait partie du patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Moyen d'expression par excellence, elle nous unit et nous rassemble au-delà des langues et des frontières. Elle est présente dans toutes les sociétés et en cela, elle est peut-être le plus universel des arts du spectacle, selon l'UNESCO.
Ce patrimoine commun, dont la pratique culturelle est la plus plébiscitée dans notre pays, est trop souvent malmené. Nous nous accordons sur la nécessité d'une telle proposition de loi. Elle émane d'un réel besoin et fait d'ailleurs écho à l'une des propositions du livret programmatique de la France insoumise, L'Avenir en commun.
Toutefois, nous restons vigilants à certains points. Tout d'abord, il est souhaitable que la création du CNM ne soit pas propice à l'externalisation des missions du ministère de la culture, ce dernier étant suffisamment affaibli, avec des moyens en perpétuelle diminution.
Nous n'avons de cesse de dénoncer et déplorer le fait que la culture soit la variable d'ajustement des budgets des politiques publiques. Nous souhaitons donc que le CNM dispose de moyens suffisants pour mener à bien toutes ses missions. Nous en convenons tous, il ne doit pas s'agir de créer, par manque d'ambition ou de volonté politique, un outil qui se verrait empêché de fonctionner de façon optimale.
Le secteur musical connaît des difficultés croissantes. La création du Centre national de la musique doit s'accompagner d'une réflexion globale sur le secteur musical, son développement, sa pluralité, mais également garantir aux musiciennes et aux musiciens la possibilité de créer dans les meilleures conditions et vivre correctement de leur art. La paupérisation touche de plus en plus d'acteurs du secteur musical. II est donc urgent de mettre en place des mesures concrètes pour résoudre ces problèmes, et le CNM pourrait y contribuer.
Nous serons également attentifs aux effets de la mutualisation de l'ensemble des services. Nous sommes conscients des conséquences qu'engendre l'emploi de ce terme : dans votre novlangue, « mutualiser » signifie « réduire les moyens humains et financiers » – nous l'avons constaté à de trop nombreuses reprises. Ce nivellement par le bas est inscrit dans les lignes du programme Action Publique 2022, qui acte le démantèlement de la fonction publique.
Néanmoins, appliquée de façon cohérente, cette mutualisation pourrait permettre de simplifier les démarches parfois complexes en raison du nombre important d'interlocuteurs. Nous vérifierons que le CNM sera doté d'un budget constant, qui lui confère une pérennité financière et une assise institutionnelle.
La nomination du ou de la présidente du CNM par décret nous inquiète. Il serait plus opportun qu'il ou elle dispose de plus d'indépendance vis-à-vis du Gouvernement, ce qui garantirait que les décisions prises, notamment en matière budgétaire, s'affranchissent du pouvoir central et vont réellement dans le sens de l'intérêt général.
La politique culturelle souffre dans notre pays, à cause d'un manque de subsides, évidemment, mais aussi d'une politique marchande contraire à nos idéaux. Si nous privilégions une culture émancipatrice, qui serait à la fois le moteur et le reflet de la libération individuelle et collective, le Pass culture, véritable archétype de l'individualisation et de l'hypermarchandisation de la culture, illustre bien votre politique mercantile. Nous pensons qu'il faut éloigner la culture de l'emprise du marché, de la loi de la rentabilité et du règne de la finance. Le Centre national de la musique ne devrait pas faire exception. Nous devrons donc nous assurer des conditions de son indépendance et garantir l'intérêt général, quitte à froisser certains intérêts privés.
Comme vous l'aurez compris, nous sommes favorables à la création du CNM, à condition que celui-ci soit doté de moyens à la hauteur de ses enjeux. Nous y veillerons lors du projet de loi de finances à venir.
Le secteur musical pèse aujourd'hui 8,7 milliards d'euros, celui des jeux vidéos 4,9 milliards d'euros. Il serait pertinent d'accompagner ce secteur en pleine expansion. Puisque nous sommes en synergie, dans une dynamique servicielle, …
… propice au soutien des structures de création et de production, libérons nos énergies. Pourquoi ne pas désormais se pencher sur la création d'un Centre national des jeux vidéos ?
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 91
Nombre de suffrages exprimés 89
Majorité absolue 45
Pour l'adoption 89
Contre 0
L'ensemble de la proposition de loi est adopté.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, UDI-I et LR.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'adhésion de la France à la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale pour son application à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre-et-Miquelon, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, et dans les Terres australes et antarctiques françaises (nos 1021, 1366).
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée des affaires européennes.
Le projet de loi soumis aujourd'hui à votre approbation propose l'adhésion de la France à la convention dite « Lugano II », concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, en vue de son application à certaines de nos collectivités d'outre-mer.
Je voudrais préciser les enjeux, importants, de ce texte. Depuis les premières réglementations de 1968, l'ordre juridique européen a connu plusieurs évolutions dans le champ de la coopération judiciaire et de la reconnaissance des décisions juridiques entre États membres. La convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 organisait déjà la compétence dans l'ordre international des juridictions des États membres de la Communauté européenne, et facilitait la reconnaissance et l'exécution simplifiées des décisions rendues dans d'autres États membres.
L'efficacité de cette convention a conduit à élargir en 1988 la coopération aux États membres de l'AELE – Association européenne de libre-échange – , grâce à une convention parallèle, dite « convention de Lugano I », conclue le 16 septembre 1988 à Lugano, en Suisse.
En 1997, le traité d'Amsterdam a permis de faire de cette coopération judiciaire civile une politique communautaire, et a conduit à transformer la convention de Bruxelles en règlement, dit « règlement Bruxelles I », du 22 décembre 2000 – lui-même objet d'une refonte en 2012.
La convention relative à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dite « convention de Lugano II » – qui nous occupe aujourd'hui – , résulte de l'adaptation de la convention de Lugano I, afin de tenir compte de l'adoption du règlement Bruxelles I. Elle a été signée par la Communauté européenne le 30 octobre 2007, puis ratifiée par l'Union européenne le 18 mai 2009 et est entrée en vigueur le 1er janvier 2010.
Son champ d'application couvre les litiges en matière civile et commerciale, à l'exclusion des matières fiscales, douanières ou administratives, et prévoit des règles de compétence en matière judiciaire identiques à celles prévues par le règlement Bruxelles I. En revanche, elle contient des dispositions précisant les conditions d'application du principe de reconnaissance mutuelle et d'exequatur simplifié, ce dernier constituant la principale innovation de la convention.
Pour ceux qui ne seraient familiers de ce concept, l'exequatur simplifié permet aux décisions exécutoires rendues par un État lié à la convention d'être mises à exécution dans un autre État partie après y avoir été rendues exécutoires sur requête de toute partie intéressée.
En termes simples, cela signifie qu'une décision d'un État est exécutée dans un autre État dès que n'importe quelle partie le demande. Les pays et territoires d'outre-mer – PTOM, dans le langage bruxellois – , ne sont cependant pas inclus dans ce dispositif de coopération judiciaire. Le règlement Bruxelles I en particulier ne concerne que le territoire métropolitain et les collectivités d'outre-mer ayant le statut de région ultrapériphérique – les RUP – , soit, pour la France, la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Martin, La Réunion, la Guyane et Mayotte.
En conséquence, pour ce qui est des règles de coopération judiciaire civile, les territoires dont nous parlons aujourd'hui appliquent toujours la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, alors que celle-ci a été remplacée, pour les États membres, par la convention de Lugano puis de Lugano II.
C'est dans ce contexte que la France souhaite adhérer à la convention de Lugano II. Cette convention pourra s'appliquer à l'ensemble de son territoire – soit non seulement les territoires cités précédemment, mais également la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Saint-Barthélemy et les Terres australes et antarctiques françaises. L'objectif de cette adhésion est donc d'harmoniser les règles applicables en matière de compétence judiciaire et de reconnaissance et d'exécution des décisions de justice sur l'ensemble du territoire français, métropolitain et ultramarin. Cette adhésion facilitera la reconnaissance mutuelle et l'exécution des décisions rendues par les tribunaux nationaux dans ces collectivités d'outre-mer et permettra aux personnes qui y sont domiciliées, quelle que soit leur nationalité, de recourir à la juridiction compétente de la collectivité, ou d'être traduite devant celle-ci.
En outre, cette adhésion offrira une plus grande sécurité et prévisibilité juridiques en cas de litiges civils et commerciaux transfrontaliers entre les États membres de l'Union, les territoires ultramarins et les États membres de l'AELE. Elle permettra, partant, d'encourager leurs relations commerciales. L'adhésion de la France à cette convention contribue ainsi à consolider l'espace de liberté, de sécurité et de justice au fondement du projet européen. Elle permet de l'étendre à des territoires – certes éloignés – où ces dispositions sont très attendues.
Telles sont les principales dispositions de cette convention. Je suis sûre que nous aurons à son propos, dans les minutes qui viennent, un débat fort intéressant.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
La parole est à Mme Annie Chapelier, rapporteure de la commission des affaires étrangères.
L'Assemblée nationale est saisie du projet de loi autorisant l'adhésion de la France à la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions de justice en matière civile et commerciale pour son application à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre-et-Miquelon, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises – en bref, dans les communautés d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution et les collectivités à statut particulier.
Ces collectivités d'outre-mer ne font pas formellement partie du territoire de l'Union européenne, contrairement aux départements d'outre-mer qui y ont le statut de régions ultrapériphériques. Elles sont seulement associées à l'Union européenne en tant que pays et territoires d'outre-mer au nom des relations particulières qu'elles entretiennent avec un État membre. À cet égard, elles ne sont pas soumises au droit européen et sont donc exclues du règlement CE no 442001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit règlement Bruxelles I. Ces règles de coopération judiciaire, fondées sur le principe de l'égalité de valeur, de compétence et de niveau des systèmes juridiques des États membre, qui permettent la reconnaissance et l'exécution d'une décision de justice quel que soit le lieu où elle est rendue, s'arrêtent par conséquent aux frontières de la France métropolitaine et des départements d'Outre-mer. C'est cette anomalie que le présent projet de loi, certes particulièrement aride, vient corriger.
La France procédera donc à une adhésion formelle à la convention de Lugano II au nom de ses pays et territoires d'outre-mer. Cette convention, signée le 30 octobre 2007 par l'Union européenne d'une part et l'Islande, la Norvège et la Suisse d'autre part, et est entrée en vigueur le 1er janvier 2010, remplace la convention de Lugano I du 16 septembre 1988 et vise à faire entrer ces trois derniers pays dans l'espace judiciaire européen.
Ce sont ces trois pays que rejoindront formellement les PTOM après l'adoption du présent projet de loi. Il s'agit principalement d'assurer à ces pays et territoires d'outre-mer une sécurité et une prévisibilité juridiques plus importantes en cas de litiges civils et commerciaux transfrontaliers impliquant un ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, l'Islande, la Norvège ou la Suisse.
Ces litiges sont devenus en effet plus fréquents, alors que s'appliquent les principes de libre circulation des biens, des services, des capitaux et surtout des personnes. Les menus ajustements législatifs nécessaires en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie ne font pas obstacle à l'adhésion de la France à la convention de Lugano II. La sécurité et la prévisibilité judiciaires en découlant constitueront un atout pour l'ensemble des pays et territoires d'outre-mer, levant une barrière juridique au développement de leurs relations commerciales.
Je citerai un exemple qui figure dans le rapport : un juge polynésien a prononcé un divorce entre un ressortissant hongrois et une Française polynésienne. Or, après avoir quitté l'archipel, le mari a cessé de payer la pension alimentaire due, sans que l'épouse ne puisse légalement l'y contraindre. Le dispositif d'exequatur simplifié prévu à l'article 38 de la convention de Lugano II permettra de rendre exécutoire dans tous pays de l'Union européenne, y compris donc la Hongrie, le jugement du tribunal de Papeete. Voilà pour le volet civil.
Le volet commercial de la convention est bien évidemment tout aussi important. En effet, sans sécurité et prévisibilité juridiques, les entreprises hésitent à investir dans ces territoires, alors que la coopération avec l'Union européenne permet aux pays et territoires d'outre-mer d'appuyer leurs efforts dans des secteurs clés pour leur développement. Le texte est par conséquent essentiel pour permettre aux collectivités d'outre-mer de déployer tout leur potentiel économique en renforçant encore les échanges et les investissements avec les pays de l'Union européenne mais également avec leur environnement international immédiat dès lors qu'ils pourront constituer pour les entreprises de pays tiers une porte d'entrée intéressante dans le marché européen.
Je ne pourrais terminer ce propos sans rappeler ce que les pays et territoires d'outre-mer apportent à la France et à l'Union européenne. Ils contribuent à leur rayonnement dans le monde, grâce à leur surface maritime exceptionnelle – environ 9,17 millions de kilomètres carrés. Ces pays et territoires d'outre-mer sont la source d'une expertise dans la gestion des risques, la santé, la télémédecine. Ils facilitent la coopération avec leurs pays voisins, et donnent à la France un environnement international unique, multicontinental. Cette coopération permet de faire face aux défis communs et passe par la participation à tout un ensemble d'organisations régionales.
Je ne citerai que quelques axes de coopération qui me semblent mériter une attention particulière. Le premier m'est particulièrement cher : la défense de la biodiversité et des ressources naturelles exceptionnelles. Les pays et territoires d'outre-mer français regroupent 80 % de la biodiversité française et 10 % des récifs coralliens mondiaux, la majorité se trouvant dans la zone Pacifique, en Polynésie française. Ils ont fait de la conservation de la biodiversité une priorité. Il y a là un axe de coopération essentiel.
Il faut mentionner en outre l'énergie : les pays et territoires d'outre-mer sont des laboratoires d'initiatives à forte valeur ajoutée pour l'Union européenne et ont un très fort potentiel en matière d'économie vert, d'économie bleue, d'économie circulaire, d'énergie renouvelable, de lutte contre le changement climatique et d'adaptation à celui-ci. Ils sont toujours en première ligne dans ces domaines.
Je citerai, troisièmement, la coopération universitaire : il existe des universités de pointe en outre-mer, comme l'université de Nouvelle-Calédonie, qui compte près de 2 800 étudiants et l'université de Polynésie française – près de 3 400 étudiants – , ainsi qu'un réseau bien implanté de centres de recherche nationaux et locaux.
Il me faut mentionner la santé, enfin. Les pays et région d'outre-mer ont des services médicaux performants, les infrastructures ont fait l'objet d'une modernisation très récente, la télémédecine se développe, comme la coopération sanitaire avec les pays de leurs bassins géographiques respectifs.
Je vous invite, à la suite de la commission des affaires étrangères, à adopter ce projet de loi, qui est essentiel pour les outre-mer.
Applaudissement sur les bancs du groupe LaREM.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.
Je salue l'excellent rapport d'Annie Chapelier sur cette convention susceptible d'apporter une meilleure sécurité juridique aux pays et territoires d'outre-mer. Le texte permettra aux entreprises ultramarines petites et moyennes de prendre toute leur place dans leur environnement immédiat comme dans les échanges intracommunautaires. L'Assemblée de la Polynésie française et le Congrès de Nouvelle-Calédonie ont d'ores et déjà rendu un avis favorable sur le projet de loi et n'attendent que la ratification pour prendre les différentes mesures qui permettront à la convention de Lugano II de produire tous ses effets.
Ce débat est l'occasion de rappeler que notre pays – c'est une force – est le pays des trois océans. Grâce aux outre-mer, la France possède le deuxième domaine maritime du monde. Notre zone économique exclusive s'étend sur 9,17 millions de kilomètres carrés, soit une superficie près de vingt fois plus importante que celle de la France métropolitaine. C'est une formidable richesse pour la France sur les plans stratégique, économique, énergétique et environnemental. Grâce à sa présence dans les trois océans, la France peut coopérer directement avec de nombreux pays de son environnement lointain. Ainsi est-elle membre de la Communauté du Pacifique et participe-t-elle au Programme régional océanien de l'environnement.
La commission des affaires étrangères travaille depuis 2017 à valoriser cet atout géostratégique. Nous avons adopté un rapport d'information présenté par nos collègues Jean-Luc Mélenchon et Joachim Son-Forget concernant la stratégie de la France sur les mers et océans et plus particulièrement le renforcement des aires marines protégées. Les co-rapporteurs ont fait de nombreuses autres propositions pour protéger et sécuriser notre zone économique exclusive.
En février dernier, la commission a également autorisé la création d'une mission d'information sur l'environnement international des départements et collectivités d'outre-mer, mission qu'elle a confiée à Annie Chapelier, notre rapporteure aujourd'hui, et Bérengère Poletti. Nous pouvons, j'en suis sûre, valoriser ces territoires de manière très concrète. La convention qui est soumise à notre vote est en lien très direct avec ce projet.
Les pays et territoires d'outre-mer sont ainsi particulièrement exposés aux conséquences des dérèglements climatiques, alors qu'ils regroupent 80 % de notre biodiversité. Les initiatives en matière d'énergie renouvelable et d'économie circulaire s'y multiplient. À titre d'exemple, le mix énergétique de la Nouvelle-Calédonie comptera 80 % d'énergie renouvelable à l'horizon 2021, c'est-à-dire demain. À nous de soutenir l'ensemble de ces initiatives. Cette convention nous y invite, c'est pourquoi je vous invite à l'adopter.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Dans le cadre des relations transnationales, lorsque survient un litige civil ou commercial impliquant un État membre de l'Union européenne et un des vingt-cinq pays et territoires d'outre-mer qui entretiennent des liens constitutionnels avec la France, le Danemark, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni, la détermination du juge compétent est cruciale. Derrière la procédure juridique en apparence froide et technique qui touche aux règles d'attribution de compétence se jouent en effet des situations humaines dont les conséquences sont parfois ravageuses pour les femmes et les hommes concernés.
Si dans un premier temps, les systèmes juridiques ont édicté de façon unilatérale des règles de compétence internationale pour leurs juridictions, très vite, des difficultés sont apparues, notamment des concurrences et des lacunes de compétences.
Dès lors, les États ont décidé de coordonner leurs activités d'édiction des règles de compétence afin d'adopter des règles communes. C'est ainsi que, dans le cadre de l'Union européenne, un effort particulier a été mené pour unifier les règles de conflits de lois et les règles de juridiction avec, in fine, l'objectif d'aboutir à un véritable espace judiciaire européen rendant impossible les abus et dénis de justice. La convention du 27 septembre 1968 sur la compétence internationale des États membres et sur les effets des jugements des États membres au sein de l'Union européenne, dite convention de Bruxelles, en est une première illustration en matière civile et commerciale.
Convertie en 2000 en un règlement européen dit Bruxelles I, cette convention ne s'applique pas aux pays et territoires d'outre-mer, restés sous le coup de la convention de Bruxelles de 1968, qui comporte certains défauts.
Parallèlement à cette dernière, la convention de Lugano a été signée le 16 septembre 1988 par les États membres de la Communauté européenne et ceux de l'Association européenne de libre-échange. En 2007, elle a été remplacée par la convention de Lugano II, qui ne concerne pas non plus les pays et territoires d'outre-mer.
Cependant, cette convention prévoit que peuvent y adhérer dès son entrée en vigueur les États membres de l'Union européenne « agissant pour le compte de certains territoires non européens faisant partie de leur territoire ou dont les relations extérieures relèvent de leur responsabilité ».
Dans ces conditions, le groupe Libertés et territoires se satisfait que la France ait décidé d'adhérer à la convention de Lugano II pour le compte des pays et collectivités d'outre-mer que sont la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre et Miquelon, les Terres australes et antarctiques françaises et les îles Wallis et Futuna. Cela permettra de favoriser la circulation transfrontière des décisions de justice en matière civile et commerciale qui émanent de leurs juridictions ou dont l'exécution est recherchée sur leur sol. Ce faisant, nous permettrons à ces territoires de bénéficier du principe de confiance mutuelle à l'égard des juridictions et des ordres juridiques des uns et des autres. Les justiciables des collectivités d'outre-mer ayant le statut de PTOM bénéficieront ainsi d'une meilleure sécurité juridique et d'une meilleure prévisibilité dans les dossiers juridiques ayant des implications transnationales. À l'avenir, l'ensemble de leurs relations avec les États membres de l'Union européenne, l'Islande, la Norvège et la Suisse – et, éventuellement, les États tiers qui choisiraient d'y adhérer – sera régi par un seul et même texte.
Il était temps : rappelons que c'est à la suite d'une réunion interministérielle tenue en novembre 2010 que la France a décidé de devenir partie à la convention de Lugano II pour le compte de ses collectivités d'outre-mer ayant le statut de PTOM en vue de rapprocher les règles applicables sur l'ensemble du territoire national. Encore une fois, il était temps, et je vous en remercie !
L'examen de ce projet de loi selon la procédure ordinaire nous permet d'aborder le sujet trop peu évoqué dans cet hémicycle du statut des pays et territoires d'outre-mer, ces territoires éloignés de l'Hexagone qui ne font pas partie intégrante de l'Union européenne, mais qui en sont pourtant un partenaire essentiel. Les vingt-six PTOM, dont la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie sont les plus peuplés, bénéficient pour leur développement économique et social de l'appui de l'Union européenne dans des secteurs-clés, mais ils contribuent aussi, par leur action de coopération avec les pays voisins, au rayonnement des États membres. C'est grâce à eux que l'Union européenne est présente sur tous les continents. C'est aussi grâce à eux que la France sera, après le Brexit, le dernier pays européen présent dans le Pacifique : nous devons saisir cette chance pour la France en encourageant le potentiel de coopération des PTOM dans leur environnement régional.
Jusqu'à ce jour, les pays et territoires d'outre-mer ont été soumis au régime de la convention de Bruxelles, dont la ratification en 1968 a valu engagement pour l'intégralité du territoire national. Ce projet de loi doit permettre à la France d'adhérer au nom de ses PTOM à la convention dite Lugano II, entrée en vigueur en 2010, afin qu'ils bénéficient des mêmes règles que le reste du territoire national. En adoptant ce projet de loi, nous permettrons d'harmoniser les textes applicables entre territoires métropolitain et ultramarin en matière de coopération judiciaire. Surtout, nous allons assurer aux PTOM une sécurité et une prévisibilité juridiques plus importantes en cas de litiges civils et commerciaux transfrontières, qui sont devenus plus fréquents et nombreux en raison du principe de libre circulation.
Le principe de reconnaissance mutuelle et le mécanisme d'exequatur simplifié sont les principales innovations de ce texte. Les exemples que vous avez proposés, madame la rapporteure – la vente de nickel par une société calédonienne à une entreprise allemande et le divorce prononcé à Papeete entre une Polynésienne et un Hongrois – illustrent parfaitement les conséquences pratiques de son application dans les PTOM. Je peux vous assurer que la Nouvelle-Calédonie, dont le Congrès, comme l'a rappelé la présidente de la commission, a donné un avis favorable à ce projet de loi, procédera aux modifications nécessaires de son code de procédure civile afin de rendre pleinement effectives les dispositions de la convention.
Pour illustrer davantage l'importance de cette ratification, je rappelle que depuis que la compétence en matière de droit civil et commercial lui a été transférée, la Nouvelle-Calédonie n'a procédé à aucune modification de sa législation. Dans le même temps, le droit des contrats – pour citer un exemple flagrant – a été bouleversé dans l'Hexagone. Les différences qui se creusent ainsi, année après année, entre le droit français et le droit calédonien créent un décalage et peuvent être à l'origine d'incertitudes juridiques et de litiges, d'où la nécessité de garantir la reconnaissance des décisions rendues dans un État ou un territoire par les juridictions d'un autre État lié par la convention. La sécurité et la prévisibilité judiciaires qu'apportera celle-ci constitueront donc un réel atout pour les PTOM, favorisant le développement de leurs relations commerciales.
De façon plus générale, j'insiste sur la nécessité d'encourager et de soutenir le potentiel de coopération de ces territoires français avec leur environnement régional sur des projets novateurs, que ce soit en matière de défense de la biodiversité, d'énergie, de coopération universitaire ou encore de santé. Alors que le Président de la République a affirmé sa volonté de construire un axe indo-pacifique, la France doit défendre avec force les intérêts de ces PTOM à Bruxelles, madame la secrétaire d'État, notamment dans le cadre des négociations en cours sur le cadre financier pluriannuel. Les PTOM sont un réel atout pour la politique étrangère de la France. Ils contribuent à la dimension océanique et internationale de l'Union européenne. Faisons en sorte de mieux les valoriser et d'assurer l'autorité des décisions en matière civile et commerciale qui y sont prises, comme le permettra l'adhésion de la France à la convention Lugano II. Vous l'aurez compris, le groupe UDI et indépendants votera en faveur de ce projet de loi.
Voici un texte exceptionnel, et même fantastique ! Fantastique ! Nous voilà au royaume d'Ubu. Ubu-roi ! La France signe avec la France un accord international – avec des pays considérés par l'Union européenne comme des États tiers. Extraordinaire ! Où va-t-on ? Et il ne s'agit pas de n'importe quels territoires : Saint-Barthélemy, la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, les Terres australes et antarctiques françaises – dont nous avons parlé ce matin en commission des affaires étrangères à l'occasion d'une magnifique réunion dont la densité scientifique nous a beaucoup appris – ou encore Saint-Pierre et Miquelon et la Polynésie française. Ces pays sont des pays tiers : ils ne sont pas reconnus comme participant à l'Union européenne ! Et nous signons les accords dits de Lugano II. Lugano est certes une ville magnifique de la Suisse italienne, mais il reste un sacré problème : où est l'unité de la République française une et indivisible ? Je ne suis pas sûr qu'un lutin un tant soit peu intelligent…
Sourires.
Un lutin un peu intelligent, disais-je, qui déciderait de contrecarrer les accords de Maastricht ou autres pourrait gagner sur le plan juridique. J'en suis totalement persuadé – totalement. Faisons donc attention à ce qui se passe.
Nous voterons naturellement en faveur de cet accord qui porte sur des questions civiles et commerciales : aucune difficulté à cet égard. Croyez cependant que je suis contrarié quand la France signe un accord avec la France !
Permettez-moi un deuxième point que je n'illustrerai que par un seul exemple, car dans la grande démocratie de Richard Ferrand, président de l'Assemblée nationale, le temps de parole des groupes d'opposition est divisé par deux. Je n'ai donc que cinq minutes tandis que j'en avais dix avant les réformes de Richard Ferrand. Soit ; la démocratie n'est plus la démocratie. On a réduit la possibilité qu'a l'opposition de s'exprimer. Je demande, madame la présidente, à utiliser la possibilité d'une explication de vote ; ainsi, je ne perdrai que trois minutes. C'est lamentable ! On ne peut pas s'exprimer dix minutes sur une convention comme celle-ci : c'est terrible !
Pouvez-vous revenir au sujet de votre intervention, monsieur le député ?
Certes, mais ce n'est pas le sujet de votre intervention. Par ailleurs, chaque groupe dispose de cinq minutes.
Nous sommes dans une assemblée nationale et le représentant du quatrième groupe politique de l'Assemblée que je suis a le droit de dire que la possibilité qu'a l'opposition de s'exprimer a été réduite de moitié !
En bref, puisque je n'ai pas le temps, je ne parlerai que de Wallis-et-Futuna. C'est très simple : les habitants n'y sont pas heureux et sont loin d'être gâtés. Par manque d'argent, ils connaissent une très forte émigration vers la Nouvelle-Calédonie. Ils ont perdu leur dernier supermarché il y a deux ans. Nous parlons de proximité mais ils n'ont plus de bureau de poste ! Ils n'ont plus rien. Les pays que l'Europe considère comme tiers ne doivent pas l'être par rapport à la France.
La coupe du monde de rugby débute samedi matin, madame la secrétaire d'État– c'est la raison pour laquelle j'ai choisi l'exemple de Wallis-et-Futuna, car ce territoire a une équipe de rugby. Étant pays tiers et parce que la France signe avec la France et avec Wallis-et-Futuna, il pourrait parfaitement participer non pas à la coupe du monde mais au tournoi des six nations, puisqu'il n'appartient pas à l'Europe ! En clair, l'équipe de rugby de Wallis-et-Futuna pourrait tout à fait jouer aujourd'hui !
Vous savez bien, monsieur Hutin, que chaque groupe, qu'il soit de la majorité ou de l'opposition, dispose de cinq minutes.
La dernière participation de Wallis-et-Futuna remonte à 1979. Puisque l'on me coupe la parole et que depuis la réforme, l'opposition ne peut plus s'exprimer, je le dis clairement : il s'agit de pays tiers !
MM. Jean-Paul Lecoq et Alain David applaudissent.
L'opposition ne peut plus s'exprimer, mais la présidente de séance n'y est pour rien, je le précise !
Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui autorise l'adhésion de la France à la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale pour son application à Saint-Barthélemy, à Saint-Pierre et Miquelon, dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises – aussi incongru que cela puisse paraître étant donné le statut, y compris juridique, de ces pays.
Cette convention vise à renforcer sur ces territoires la protection juridique des personnes qui y sont établies et à instaurer une procédure rapide afin d'assurer l'exécution des décisions et des transactions judiciaires. Elle détermine la compétence des juridictions sur ces territoires et vise à clarifier les règles dans un grand nombre de cas en matière de contrats, d'assurance, et ainsi de suite. C'est essentiellement une mise en cohérence légistique – au sujet de laquelle nous pourrions gloser concernant le statut de ces pays – mais nous y sommes favorables.
Au-delà de ces mesures, cette discussion nous donne l'occasion d'évoquer plus généralement la situation des pays et territoires d'outre-mer, en particulier ceux qui sont concernés par la convention, y compris dans le cadre européen.
En outre-mer, la promesse républicaine d'égalité est loin d'être tenue. Dans de nombreux domaines, les inégalités avec le continent – la France et les autres pays européens – sont criantes. Les écarts de prix sont considérables : selon les données de l'INSEE pour 2015, les produits alimentaires en outre-mer étaient de 37 % à 48 % plus chers, le taux de chômage y est deux à trois fois plus élevé, et le PIB par habitant y est inférieur dans une proportion allant de 31 % à 37 % en Martinique et en Guadeloupe, jusqu'à 79 % à Mayotte, 43 % en Polynésie française et 68 % à Wallis-et-Futuna.
Les mouvements contre la vie chère qu'ont connus plusieurs de ces territoires ont forcé l'État à mettre en oeuvre des plans de rattrapage, qui ressemblent surtout à du saupoudrage.
Le Gouvernement a annoncé une augmentation du budget des outre-mer de plus de 17 % pour 2019, cette enveloppe mêlant nouveaux crédits, exonérations de charges et diminutions de dispositifs fiscaux, mais il s'agit essentiellement d'un tour de passe-passe ayant consisté à dégager 70 millions d'euros pour un fonds exceptionnel dédié à l'investissement public.
La situation sociale et économique des territoires ultramarins est aggravée par le fait qu'ils figurent parmi les premières victimes des dérèglements climatiques. Il a été question, dans les interventions précédentes, de la nécessaire défense de la biodiversité, l'impact de ce phénomène étant particulièrement fort en outre-mer. Je pense notamment à l'ouragan Irma en 2017, qui a causé la mort de onze personnes et endommagé 95 % du bâti à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, pour un coût total estimé à 1,9 milliard d'euros.
Là encore, l'effort de solidarité nationale n'a pas été suffisant. Le Gouvernement a affiché une aide de 500 millions d'euros, mais seulement 179 millions d'euros ont été effectivement débloqués pour la reconstruction. Nous renouvelons notre demande de création d'une commission d'enquête sur ce sujet.
Au-delà de ces mesures, le consensus scientifique sur le fait que le réchauffement climatique augmente l'intensité des ouragans devrait nous interpeller. La moyenne annuelle d'ouragans violents a ainsi augmenté de 75 % entre 1970 et 2004. La planification écologique est urgente et devra tenir compte de ces territoires et de ces pays avec lesquels nous sommes constitutionnellement liés ; elle devra nous permettre de sortir des énergies fossiles et de développer les énergies renouvelables.
Les inégalités concernent également l'accès aux soins. Dans un avis d'octobre 2017, la Commission nationale consultative des droits de l'homme dressait le constat inquiétant de graves inégalités sociales et territoriales en matière d'accès à la santé dans l'ensemble des territoires ultramarins. Selon un rapport de la Cour des comptes de 2014, à Wallis-et-Futuna, les dépenses de santé étaient les plus basses de France, alors que la situation sanitaire y est plus dégradée. La Guadeloupe n'a plus d'infrastructure hospitalière centralisée depuis l'incendie du CHU de Pointe-à-Pitre en novembre 2017. Il a fallu un mouvement de grève des personnels et une mobilisation extrêmement forte pour parvenir, hier, à un accord. Nous serons attentifs à la bonne application de celui-ci, afin que les engagements pris ne soient pas des promesses vides et soient mis en oeuvre dans des délais satisfaisants.
La protection juridique doit inclure la justice sociale, climatique, mais aussi fiscale, Saint-Barthélemy et Saint-Martin faisant office, dérogation après dérogation sur l'impôt sur le revenu, de paradis fiscaux : il s'agit d'un enjeu pour la France, l'Europe et ces pays. Nous soutenons l'adhésion à cette convention, mais nous continuerons à intervenir pour une plus grande égalité et une plus grande justice, dans toutes ses dimensions.
Je sais que quelques ajustements sont nécessaires, mais essayez, s'il vous plaît, de respecter le temps de parole de cinq minutes.
Il nous est proposé d'actualiser les conventions applicables dans les pays et territoires d'outre-mer pour ce qui concerne la répartition des compétences juridictionnelles, judiciaires et législatives entre les pays de l'Union européenne ou de l'Association européenne de libre-échange.
La convention dite de Lugano II, signée en 2007, vise à éliminer un maximum de conflits négatifs et positifs et à harmoniser les conditions d'exécution et de reconnaissance des décisions rendues à l'étranger. Mais à l'origine, elle ne concernait pas les PTOM que sont la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Saint-Barthélemy et les Terres australes et antarctiques françaises. L'adhésion de la France pour une application de la convention dans ces territoires est donc pertinente dans un objectif de sécurisation juridique transnationale.
L'internationalisation des rapports rend les échanges humains et commerciaux complexes. À cet égard, les PTOM ont tout intérêt à être inclus dans un traité qui vise à organiser les compétences entre les juridictions et les lois de chaque État d'Europe lors d'un litige intéressant plusieurs pays signataires et à veiller à la bonne application des décisions judiciaires par ces mêmes États.
Le rapport est très intéressant et évoque avec justesse les modifications que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont dû apporter à leur code de procédure civile pour que la convention ait un effet complet. Mais il convient d'appeler l'attention sur le fait qu'une telle pratique ne doit pas devenir pour l'État un moyen supplémentaire d'imposer ses normes sans que des aménagements soient prévus pour les adapter au contexte local.
Si de bons exemples sont donnés dans le rapport de la commission pour plébisciter cette convention auprès des outre-mer, il omet un volet important s'agissant d'une convention internationale, celui de la réciprocité. Le Polynésien, artisan par exemple, attrait devant une juridiction d'un autre pays d'Europe par un consommateur de ces pays, et non par un distributeur, ne peut pas faire valoir ses droits comme le ferait un Européen continental. À cause de la distance et des frais induits tout d'abord, mais aussi de la barrière de la langue dans un pays non francophone. Imaginez l'angoisse du petit artisan de chez nous qui cherche à exporter directement sur le continent via son site internet et qui doit faire face à des coûts plus importants qu'une entreprise résidente en Europe. Le dispositif devrait garantir l'accès à la justice de la même manière. À défaut, on handicape potentiellement les petites entreprises polynésiennes et calédoniennes.
Ce texte n'appelle pas de remarques supplémentaires, ni dans sa forme ni sur son utilité technique. Les situations de litispendance ou de connexité sont sans doute aussi désagréables que la tentative de faire comprendre le sens de ces mots au citoyen lambda.
Mais, de mon point de vue, ce texte n'aborde pas la réalité du Pacifique. À l'heure où les peuples appellent au respect de leur histoire, où nouer des liens avec ceux qui partagent notre bassin d'origine est essentiel, en quoi ce texte répond-il aux besoins primordiaux des Polynésiens ou des Calédoniens ? Pour qui est faite cette convention ? Qui se dit à sa lecture qu'elle rapproche les habitants de Reao, Mangareva, Koné ou Poindimié de leur famille de Nouvelle-Zélande, du Vanuatu, des Philippines, de Tonga ou d'Australie ?
C'est l'État français, en la personne du Président de la République, qui décide des relations internationales entre les populations de la Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie et celles des autres États. Il a d'ailleurs affirmé et réaffirmé son intention d'utiliser ces territoires dans sa stratégie Indo-Pacifique.
Cela étant, nous voterons pour ce texte, puisque, en réalité, nous sommes ici à 18 000 kilomètres des véritables enjeux de nos territoires. Mauruuru e te aroha ia rahi.
M. Jean-Paul Lecoq applaudit.
Les termes de l'accord ne sont pas simples à comprendre, rien que le titre ne faisant pas très envie. Pourtant, il est essentiel de se pencher sur cette convention. Beaucoup a été dit, si bien que je vais me contenter de donner deux exemples concrets pour illustrer, à destination de ceux qui nous regardent, la signification d'un tel accord, qui concerne des territoires bien lointains, mais qui est essentiel pour eux.
Le premier cas intéresse une entreprise. Prenons l'exemple d'une société néocalédonienne qui a vendu d'importantes quantités de nickel à une entreprise allemande. Celle-ci ne veut pas payer le prix convenu et prétend que le contrat est nul. Que faire ? Aujourd'hui, la société néocalédonienne assigne l'entreprise allemande devant le tribunal de Nouméa, lieu de réception de la marchandise par l'entreprise allemande, qui s'est elle-même chargée du transport. Le tribunal de Nouméa confirme la validité du contrat et condamne l'entreprise allemande à payer le prix convenu. Comment faire exécuter cette décision ? Après l'entrée en vigueur de la convention de Lugano II, la société néocalédonienne pourra faire déclarer exécutoire en Allemagne le jugement rendu par le tribunal de Nouméa, aux fins d'exécution forcée dans ce pays, c'est-à-dire afin de faire procéder à des actes d'exécution matérielle sur les biens ou les actifs que l'entreprise allemande y possède. Voilà tout ce que cette convention peut apporter ! La procédure prévue par la convention Lugano II est beaucoup plus simple que celle de la convention de Bruxelles actuellement applicable, selon laquelle la société néocalédonienne devrait effectuer plusieurs démarches supplémentaires pour éventuellement obtenir gain de cause. Rendre exécutoire de manière plus facile et rapide les jugements prononcés dans les PTOM sera très précieux pour ces derniers.
Le second cas est celui de la séparation de deux personnes originaires de pays différents, situation que je connais bien pour vivre à l'étranger. Un juge a prononcé un divorce entre une ressortissante polynésienne et un Hongrois et a octroyé une pension alimentaire, versée par ce dernier à son ancienne épouse et à leurs deux enfants. Chose qui arrive fréquemment – je rencontre quotidiennement de tels cas dans ma circonscription – , l'ancien mari est retourné en Hongrie et a évidemment – j'emploie cet adverbe, pardonnez-moi, mais il traduit l'émotion de mes concitoyens qui me contactent sur le sujet – cessé de verser la pension alimentaire : comment faire exécuter le jugement en Polynésie ? Il n'a plus ni compte ni bien en Polynésie ni en métropole. Grâce à la procédure simplifiée et allégée de la convention Lugano II, l'ancienne épouse pourra faire déclarer exécutoire en Hongrie la décision du juge sur la pension alimentaire : les biens et les actifs de son ancien mari pourront être saisis pour qu'elle puisse avoir une vie normale.
Voilà comment je voulais illustrer la façon dont cette convention pourra grandement faciliter la vie quotidienne des entreprises et des particuliers dans les pays et territoires d'outre-mer. Je vous invite donc à voter le projet de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
À la suite d'une demande formulée par plusieurs groupes, nous examinons aujourd'hui ces cinq conventions internationales selon la procédure ordinaire, alors que la procédure d'examen simplifiée était initialement prévue. Pour deux de ces textes, l'approbation de l'accord entre la France et la Suisse relatif à la recherche nucléaire et celle des accords aériens avec l'Éthiopie, le Costa Rica et le Mozambique, la conférence des présidents n'a décidé qu'hier matin de renoncer à l'examen simplifié.
Je sais que l'opposition à l'examen simplifié est de droit pour les présidents de groupe, mais je m'interroge tout de même sur le nombre inédit de conventions examinées selon la procédure ordinaire depuis le début de la législature.
Mes collègues de la commission des affaires étrangères le rappellent régulièrement : les débats de cette commission sont ouverts à la presse, retransmis et disponibles sur le portail vidéo de l'Assemblée nationale. Elle travaille donc en toute transparence, d'autant plus que sa présidente, chère Marielle de Sarnez, laisse largement la place au débat et aux questions durant les séances.
Mme la présidente n'a pas hésité à suspendre ou à reporter l'examen de certains textes afin que nous puissions approfondir notre connaissance de leur contenu : le travail de fond sur ces textes est donc fait ! J'invite d'ailleurs ceux qui nous regardent à lire les différents rapports établis par nos collègues et par l'administration de la commission des affaires étrangères, car ils constituent une mine d'informations sur les pays concernés.
Je rappelle par ailleurs que nous ne pouvons pas modifier la moindre virgule des différentes conventions internationales que nous examinons.
L'ordre du jour de cette séance reflète d'ailleurs leur extrême disparité. Or si certaines – celle avec l'Afghanistan par exemple – méritent légitimement un débat approfondi, je m'interroge sur la nécessité de consacrer un temps équivalent…
… à divers accords techniques relatifs aux services aériens, d'autant qu'ils sont construits selon le même modèle.
En effet, comme l'a rappelé en commission notre collègue Claude Goasguen, tous les accords aériens récemment conclus se ressemblent. Leurs clauses sont très proches, parfois au mot près. Les pays signataires se réfèrent à une convention modèle établie par l'Organisation de l'aviation civile internationale.
Le groupe Les Républicains, dont je suis l'orateur cet après-midi, est favorable à l'adoption de ces cinq conventions. Toutefois, nous ne participerons pas plus longtemps à ces interminables discussions, …
… qui ne nous semblent pas forcément utiles, et qui en tout état de cause sont éloignées des préoccupations de nos concitoyens, notamment en cette période de rentrée.
Je profiterai du temps qui m'est imparti cet après-midi pour évoquer l'Afghanistan.
Nous devons autoriser la ratification de l'accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et l'Afghanistan, d'autre part.
Comme nous le rappelle l'actualité, ce pays a été frappé hier par deux violents attentats, qui ont fait au moins quarante-huit morts. L'un des attentats a eu lieu lors d'un meeting électoral.
Ce pays est en guerre depuis quarante ans. La présence d'une coalition menée par les États-Unis depuis dix-huit ans, à laquelle notre pays a largement participé jusqu'en 2014, n'a – hélas ! – pas permis de moderniser le pays ni de réduire la menace que représentent les talibans et Daech.
La rupture, le 7 septembre dernier, des négociations entre les États-Unis et les talibans risque de replonger le pays dans le chaos total. Une nouvelle guerre civile n'est pas exclue.
Après l'échec de ces négociations, il est essentiel que la France, avec l'appui de l'Union européenne, saisisse les instances internationales, notamment l'ONU, pour tenter de relancer un processus susceptible de garantir enfin au peuple afghan la paix, ainsi que des perspectives d'avenir.
Ce n'est pas le bon texte ! Celui-ci n'a rien à voir avec l'Afghanistan !
Nous tenons à dire clairement que nous soutiendrons toutes les initiatives allant dans ce sens. Nous les appelons de nos voeux. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, …
Cher collègue, je mesure à vos interventions répétées la justesse de mes propos ! Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, le groupe Les Républicains soutient les conventions internationales dont l'examen est inscrit à l'ordre du jour et votera en faveur de leur ratification.
Je rappelle qu'il convient, à la tribune, d'inscrire autant que possible son intervention dans le cadre formé par le texte examiné.
Le texte prévoit l'adhésion de la France à la convention dite « Lugano II », pour son application à certains territoires ultramarins. Comme l'a indiqué tout à l'heure Mme la secrétaire d'État, il importe de consacrer un peu de temps à cette convention, même si nous l'avons étudiée en profondeur dans le cadre de la commission.
Je commencerai par des considérations techniques et générales. La ratification du texte conclut un long chemin technique, législatif et réglementaire, engagé en 2002.
Par ailleurs, je rappelle que le projet de loi a recueilli l'unanimité en commission des affaires étrangères. Il convient ici de la confirmer.
En matière de développement de nos territoires, l'harmonisation des législations nationales dans le cadre européen n'a aucun sens en l'absence d'harmonisation nationale des droits locaux, notamment en France. Celle-ci présente des situations un peu particulières, qui la distinguent de ses partenaires européens.
Les territoires d'outre-mer sont un cas spécifique dans l'ensemble européen. Il est nécessaire de revendiquer leur place. Il n'est pas inutile d'avoir des débats comme celui-ci, rappelant la spécificité de la France à cet égard.
Plusieurs atouts de cette convention doivent être rappelés ici. Ils sont nombreux ; j'en citerai trois.
Tout d'abord, le bon état du droit et la sécurité juridique qui en découlent – rappelés par plusieurs de nos collègues – seront un facteur favorable au développement de nos territoires, au commerce et à leur visibilité auprès des États voisins, dont je rappelle qu'ils sont bien différents des États voisins de la métropole.
Ensuite, leur adhésion à la convention « Lugano II » est un outil de poursuite de leur développement, permettant de prendre appui sur des vecteurs essentiels, tels que la biodiversité, la coopération universitaire, la défense de l'environnement, l'énergie et les questions de souveraineté.
Enfin, n'oublions pas que ces territoires représentent un avantage stratégique pour la France et pour l'Europe, notamment dans le contexte du départ du Royaume-Uni. Les territoires éloignés appartenant à celui-ci risquent d'être affectés par l'éventuelle absence d'accord entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.
Nous retrouvons ici la mission mondiale de la France, chère aux membres de la commission des affaires étrangères. La France exporte aussi du droit international aux quatre coins du monde. Il importe de le rappeler ici.
Je conclurai, comme notre collègue Genetet, par une observation plus personnelle. Le député des Français établis à l'étranger que je suis représente, avec d'autres, les trois millions de Français en mobilité internationale.
L'exequatur, j'en ai une connaissance personnelle, non pour un divorce mais pour les procès-verbaux, et cela fonctionne bien : chaque PV dressé en France arrive dans ma boîte à lettres traduit en polonais, et rédigé sur un papier à en-tête de la République française !
Surtout, il importe de rappeler l'importance d'inclure dans l'aventure nationale les Français disséminés sur la planète. Il est nécessaire de rattacher à l'Europe les territoires visés par le texte. Le droit et les procédures de règlement des contentieux sont un moyen de le faire. Le groupe MODEM votera donc le projet de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur quelques bancs du groupe LaREM.
La discussion générale est close.
Sur l'article unique, je suis saisie par le groupe Socialistes et apparentés d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
J'aimerais revenir sur un sujet évoqué par plusieurs orateurs : le statut des régions ultrapériphériques.
Je tiens à rappeler que les PTOM ne sont pas des pays tiers, mais bien des pays associés à l'Union européenne, par le truchement de l'un de ses États membres. Leurs citoyens sont reconnus comme des citoyens de plein droit de l'Union européenne.
S'agissant des RUP, leur statut a été consolidé par le traité de Lisbonne, conclu en 2009. On en dénombre neuf, dont six sont français : la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique, Mayotte, La Réunion et Saint-Martin. Avec Les Açores, Madère et Les Canaries, ils sont associés à l'un des trois États membres concernés.
L'Union européenne n'abandonne absolument pas les régions ultrapériphériques, notamment en matière financière. Je tiens à préciser ici que 3,4 milliards d'euros de fonds européens ont été dédiés, sur la période 2014-2020, aux six territoires français considérés comme des RUP, ce qui démontre bien que l'Union européenne cherche à soutenir le développement de ces régions très éloignées de nos côtes. Il me semblait important de fournir cette précision.
Par ailleurs, en prévision du prochain budget pour la période allant de 2021 à 2027, mes homologues espagnol et portugais et moi-même menons un dialogue très intense et précis avec la Commission européenne, afin de manifester notre soutien au développement économique, juridique et culturel des RUP et pour que les populations qui y vivent bénéficient de notre solidarité.
M. Frédéric Petit applaudit.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, l'article unique du projet de loi.
Chacun aura compris que nous menons ici une forme de lutte contre ce qui s'apparente à une déliquescence de la démocratie dans l'hémicycle !
Le temps de parole des orateurs est passé de dix minutes à cinq minutes. J'ai donc décidé, en tant que représentant de mon groupe, responsable pour le présent texte, de dire que nous irons au bout de notre combat. J'expliquerai donc pourquoi je voterai le texte. À combien de temps de parole ai-je droit, madame la présidente ?
Sourires.
Ainsi, nous aurons récupéré les dix minutes que l'on nous a volées ! Toutefois, je serai gentil et vous en ferai grâce pour une grande part !
Notre groupe votera le texte. Il y est question de droit civil et commercial. Il est bien légitime que nous y soyons favorables.
J'ai évoqué tout à l'heure le territoire des îles Wallis et Futuna et la possibilité, pour son équipe de rugby, de se présenter à une compétition internationale, ce qui me semble totalement légitime, s'agissant d'un pays tiers non reconnu par l'Union européenne. Son dernier match officiel date de 1979 !
Par ailleurs, son appartenance à la France n'a pas que des avantages. Ce pays héberge aussi des pavillons de complaisance. On peut se moquer de Jersey et de Guernesey, mais nous avons aussi, en France, des pavillons de complaisance. Tout cela est donc très particulier.
Pourquoi en débattons-nous aujourd'hui ? Si nous n'en débattons pas dans cet hémicycle, nous ne débattons de rien ! Nous sommes dans une situation ubuesque, avec des États tiers qui ne sont pas reconnus par l'Union européenne, mais avec lesquels la France signe des accords pour préciser certains points, ce qui n'est pas tout à fait normal !
Néanmoins, nous voterons volontiers la ratification de l'accord, car il est normal d'étendre à ces territoires des dispositions du droit civil et commercial. Il y a là une forme de logique, qui s'inscrit dans l'esprit de la République une et indivisible.
J'exprimerai un second regret. Notre collègue du groupe Les Républicains a quitté l'hémicycle après avoir traité globalement l'ensemble des conventions internationales inscrites à l'ordre du jour et en indiquant très clairement que tout cela ne valait rien. Je regrette : nous avons la chance d'avoir une présidente qui tente de rendre une vie à la commission des affaires étrangères ; j'estime donc que tous les groupes devraient la soutenir. Il est fort dommage que notre collègue ait tenu pareils propos. Il y a là quelque chose d'essentiel. Nous avons le droit de débattre !
Certes, telle est la Ve République ! Le Président de la République décide et le ministre Le Drian joue son rôle. Il en a toujours été ainsi. Mais nous considérons, au sein de notre commission, que nous pouvons débattre de ce dont nous avons envie de débattre.
Ayant parlé trois minutes et vingt-cinq secondes, je donne une minute et demie à M. Richard Ferrand.
Moins les trente secondes excédentaires lors de votre intervention en discussion générale, cher collègue !
Sourires.
Le groupe La République en marche votera, sans l'ombre d'un doute ni d'une hésitation, la ratification de la convention. Je n'irai pas plus avant dans mes explications de vote, car je ne voudrais pas que mon propos ternisse celui de M. Hutin.
Rires et applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Je m'adresserai, en complément de ce que j'ai eu l'occasion de dire à la tribune, à Mme la secrétaire d'État, que je remercie d'avoir précisé les conditions permettant de considérer que les RUP françaises resteront protégées et accompagnées par l'Union européenne.
Je ne doute pas de l'effort que celle-ci leur consacre. Toutefois, au sein des trois catégories de territoires ultramarins qu'elle reconnaît, qui sont les pays Afrique, Caraïbes, Pacifique – ACP – , les RUP et les PTOM, je crois pouvoir affirmer qu'elle demeure très en retrait en matière d'accompagnement des PTOM, notamment sur le plan financier.
Les territoires regroupés sous l'acronyme ACP sont des pays étrangers, les RUP sont – pour six d'entre elles – des départements français. Ces deux catégories bénéficient d'un soutien, sous la forme d'un financement et d'un accompagnement, ce qui est très heureux.
Toutefois, j'appelle votre attention, madame la secrétaire d'État – sans douter de votre vigilance sur ce point – , sur la nécessité non seulement de conforter le cadre financier pluriannuel en cours de négociation, mais peut-être de faire évoluer le statut des PTOM, notamment de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française.
Chacun, bien sûr, est libre de le faire évoluer, mais c'est une demande qui existe sur nos territoires. Après le Brexit, la France sera le seul État européen présent dans l'Océan pacifique. Nous ne demandons pas d'éloges particuliers, mais nos territoires méritent un accompagnement renforcé.
Je salue, encore une fois, l'engagement et l'efficacité du Gouvernement, et le groupe UDI et Indépendants votera unanimement ce projet de loi.
Au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, j'exprime ma solidarité avec Christian Hutin. Avec son coup de gueule – pardonnez-moi cette expression bien française – , il a bien dit que nous ne devons pas accepter que l'expression des représentants du peuple soit annihilée par ce nouveau règlement.
M. Christian Hutin applaudit.
Notre groupe, comme le groupe Socialistes et apparentés, utilisera tous les moyens à sa disposition pour faire entendre la voix du peuple dans cet hémicycle.
Nous sommes députés à l'égal des autres. Mais, dans l'opposition au Président de la République, il a fallu mener une plus rude bataille ; nos sièges ont été obtenus de haute lutte, et ceux qui nous ont élus attendent de nous que nous fassions tout pour nous faire leur porte-parole, pour faire connaître leur vie.
Notre groupe approuve les arguments développés par Moetai Brotherson et, comme lui, nous voterons ce texte.
Les territoires concernés ont donné leur accord ; ce n'est pas suffisant, puisque nous représentons toute la France, mais enfin c'est un bon point de départ pour un vote positif.
On aura soin, au passage, de se rendre compte – si on ne le savait déjà – de l'incompréhension qui règne dans les institutions européennes à propos des RUP, comme on dit – fort mal à propos d'ailleurs : ces régions ne sont ultra-périphériques que vues depuis le Vieux Continent. Elles sont des frontières de la France, et sont donc aussi centrales pour nous que n'importe quel autre point du territoire.
Je ne discute pas de ce mot sans intention. Beaucoup considèrent ces territoires comme des extravagances ; j'entends parfois parler de « confettis de l'empire ». Non ! Ce sont des territoires de la République française, avec des assemblées locales élues démocratiquement. On est content de la façon dont les choses se déroulent, ou on ne l'est pas, mais enfin cela existe.
Peu s'en est fallu, il y a de cela deux ans, que la quasi-intégralité du budget alloué aux RUP ne soit remise au pot commun, en raison de l'incompréhension absolue par les autres pays de l'Union européenne de la nature de ces territoires et de leur importance pour la France.
Il y a deux leçons à tirer de tout cela : d'une part, la France est une nation universaliste, comme en atteste sa présence aux portes de tous les continents ; d'autre part, les RUP doivent faire l'objet d'une vigilance particulière.
Je suis d'ailleurs certain que vous vous êtes tous réjouis en apprenant que le député européen insoumis Younous Omarjee, gardien vigilant des droits des RUP, était le nouveau président de la commission du développement régional au Parlement européen, où vont se discuter tous les budgets de toutes les régions d'Europe. Ce sera pour nous autres Français – à égalité avec les autres, bien sûr, puisque le président est celui de tous – une garantie que l'on n'oubliera plus l'importance de ces territoires.
On ne dira jamais assez aux Français que c'est le long de la Guyane que se trouve la plus longue frontière de notre patrie avec un autre pays. On croit souvent que c'est la frontière allemande. Eh non ! Le pays voisin avec lequel nous avons la frontière la plus longue, c'est le Brésil – même si nous aurons mis vingt ans à construire la route qui conduit au pont franchissant le fleuve Oyapock, laquelle route d'ailleurs n'est toujours pas finie…
Tout cela nous concerne donc très directement. Le groupe La France insoumise votera ce texte. Ce n'est pas habituel, donc j'ai pensé que vous seriez intéressés par les raisons de cette approbation.
Mme Danièle Obono applaudit.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 62
Nombre de suffrages exprimés 62
Majorité absolue 32
Pour l'adoption 62
Contre 0
L'article unique est adopté, ainsi que l'ensemble du projet de loi.
Merci à tous pour votre soutien.
Monsieur Mélenchon, c'est toujours une bonne nouvelle de voir des Français, quelle que soit leur couleur politique, prendre des responsabilités au Parlement européen pour défendre des sujets d'importance, en l'occurrence le développement des régions, où qu'elles soient. J'ai déjà eu le plaisir de rencontrer ce nouveau président de commission, et nous avons commencé à travailler ensemble.
Monsieur Dunoyer, j'ai fait le point sur le budget alloué aux RUP parce que ce point a été soulevé dans les débats. Nous parlions aujourd'hui des PTOM. Sur ce point, nous travaillons en ce moment à sécuriser le budget ; quant au statut, il faudra un travail de longue haleine. Peu d'États membres sont concernés par la question, ce qui rend la discussion européenne plus complexe. Mais nous comprenons bien la différence entre les différents statuts, et les efforts que nous devons consentir.
Monsieur Mélenchon, je précise à nouveau que les territoires dont nous parlions aujourd'hui sont non les neuf RUP mais les PTOM, associés à l'Union européenne. Ce sont des sujets complexes, mais qui méritent toute notre attention.
L'ordre du jour appelle maintenant la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord de coopération en matière de partenariat et de développement entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République islamique d'Afghanistan, d'autre part (nos 1689, 2020).
La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Ce jour où nous évoquons la coopération entre l'Union européenne et l'Afghanistan est symbolique alors que nous commémorions tout récemment le centenaire de l'indépendance de ce pays, ou plutôt le centenaire de la reprise par l'Afghanistan de la maîtrise de ses relations extérieures. C'est un anniversaire qui résonne avec une actualité chargée, parfois douloureuse, car nous avons encore déploré des victimes dans des attaques survenues hier et au cours des jours derniers.
La France et l'Afghanistan sont deux grandes nations, avec une histoire riche, avec une culture d'une vitalité formidable. Nos partenariats n'ont cessé de se renforcer depuis ce virage de 1919. Dès 1922, nous avons signé un accord ; de jeunes Afghans sont venus, tout de suite, se former chez nous, et parmi eux figuraient un futur roi, un futur Premier ministre, de nombreuses personnalités. En France est née une passion pour l'Afghanistan ; je pense à Alain Daniélou, à Clara et André Malraux, à tant d'archéologues.
La période plus récente a vu de nombreux Français s'investir en Afghanistan, notamment dans l'action humanitaire – ainsi, l'ONG Acted est née dans ce pays, et prend aujourd'hui encore en charge près de 3,6 millions d'Afghans.
J'ai enfin une pensée toute particulière pour les fils et les filles de France qui ont versé leur sang en Afghanistan. Quatre-vingt-dix d'entre eux, hélas, ont péri sur cette terre.
Cette relation bilatérale ne laisse indifférents ni les Afghans ni les Français.
Ce projet de loi autorisant la ratification de l'accord de coopération entre l'Union européenne, ses États membres et l'Afghanistan est un pas important. Votre rapporteure l'a parfaitement exposé en commission, et j'ai pris connaissance avec grand intérêt des débats de votre commission.
Le premier intérêt de cet accord est de structurer le dialogue qui se noue entre nos deux entités. L'Europe est naturellement très présente en Afghanistan, depuis quarante ans surtout, par des actions protéiformes, mais cet accord dessine un cadre, une méthodologie : un comité mixte, des groupes de travail sur toute une série de sujets… C'est ainsi un dialogue formalisé qui se dessine.
Je rejoins la présidente de la commission des affaires étrangères qui disait, au cours de la réunion de votre commission, que nous ne pouvons pas laisser les Afghans en tête-à-tête avec telle ou telle puissance. L'Europe et la France ont aussi le devoir de faire vivre un dialogue inter-afghan, préalable indispensable à la construction d'un avenir solide auquel les Afghans ont droit autant que les autres.
Cet accord est donc indispensable. Certains ont pu pointer des lacunes par rapport aux attentes des Afghans eux-mêmes ; mais c'est une avancée considérable vis-à-vis de la déclaration politique conjointe qui était le seul document dont nous disposions. Nous engageons maintenant, je le redis, une démarche structurée ; nous pourrons évoquer ensemble la paix, la sécurité, les droits fondamentaux, l'égalité entre les hommes et les femmes…
Certains se sont interrogés sur ce partenaire qui contrôle mal son propre territoire. Mais c'est bien avec les autorités légales et légitimes que nous devons discuter.
Dans quelques jours, le peuple afghan sera amené à voter pour se choisir un Président de la République, et j'ai vu que les questions constitutionnelles n'avaient pas échappé à l'attention de votre commission. La subsidiarité est un concept essentiel, qui n'est pas seulement occidental, et qui permet d'appréhender la diversité et la richesse extrêmes de ce peuple.
Voilà ce que je tenais à porter à votre attention ; ces quelques considérations vous auront montré toute l'importance de cet accord.
Nous conduisons naturellement des actions bilatérales, nous conduisons cette action au niveau européen, et la communauté internationale continue à être aux côtés des Afghans : hier encore, elle a voté la résolution 24-89, qui reconduit pour un an la mission d'assistance des Nations unies à l'Afghanistan. Cela permettra de contribuer à sa sécurité, notamment à celle des prochains scrutins.
Nous pouvons ainsi dire, en ce jour, que oui, en France, nous aimons les libertés, les contradictions, les synthèses, et c'est pourquoi, je crois, nous aimons aussi profondément l'Afghanistan et le peuple afghan.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
La parole est à Mme Nicole Trisse, rapporteure de la commission des affaires étrangères.
Je voudrais tout d'abord vous remercier, monsieur le secrétaire d'État, pour les propos liminaires que vous venez de prononcer. Ils me touchent profondément, parce que vous avez évoqué la teneur même de ce rapport, qui est crucial.
L'Afghanistan se trouve actuellement en proie à une situation particulièrement critique, dans un contexte sécuritaire fortement dégradé. Selon un rapport de la mission d'assistance des Nations unies dans ce pays, l'année 2018 a été la plus meurtrière jamais enregistrée pour les civils afghans : 3 804 personnes ont trouvé la mort, et il à craindre que ce nombre augmente cette année. La plupart de ces décès sont imputables aux exactions des groupes insurgés talibans. Ceux-ci se révèlent actifs sur 40 % à 50 % du territoire, et continuent de mener des offensives d'envergure. Hier encore, vous le disiez, monsieur le secrétaire d'État, deux attentats ont été perpétrés à Kaboul, alors que le président Ghani, candidat à sa réélection, tenait un meeting. On parle, à l'heure actuelle, de quarante-quatre morts parmi la population civile. Il y a une dizaine de jours, l'OTAN a perdu deux de ses soldats lors d'un autre attentat qui a fait plusieurs victimes, dont plusieurs dizaines de blessés.
Un autre groupe, la wilaya Khorassan, branche de Daech en Afghanistan créée en 2015, possède également une capacité de nuisance particulièrement élevée. Elle s'emploie actuellement à favoriser le renforcement de ses effectifs par la relocalisation de combattants étrangers venant du Levant, notamment des djihadistes originaires d'Asie centrale, dont plusieurs centaines auraient déjà rejoint l'Afghanistan.
Elle compterait, à l'heure actuelle, entre 2 500 et 4 000 combattants actifs, qui commettent eux aussi des attentats : qu'il suffise de rappeler l'attaque particulièrement meurtrière du 17 août dernier, qui a durement frappé la communauté chiite en provoquant la mort d'au moins soixante-trois personnes et en en blessant 182 autres lors d'une cérémonie de mariage.
Il n'est donc pas exagéré de dire que l'Afghanistan est actuellement en butte à une situation politique précaire. La prochaine élection présidentielle, que les autorités du pays s'efforcent d'organiser, sera un moment démocratique important, mais délicat. Après deux reports, le scrutin est désormais fixé au 28 septembre.
Par ailleurs, le président américain a brutalement mis un terme, il y a une dizaine de jours, aux pourparlers de paix menés par les États-Unis avec les talibans. Les discussions ont notamment achoppé, semble-t-il, sur la question du maintien de la « force antiterroriste » américaine sur le sol afghan, rejeté par les insurgés. L'échec de ces négociations, qui correspondaient à la promesse de campagne de Donald Trump de retirer les troupes américaines d'Afghanistan, vient s'ajouter à la longue liste des tentatives de paix avortées depuis 2001.
S'agissant des négociations de paix, le dialogue inter-afghan constitue, à nos yeux, un prérequis que les Américains ont, hélas, beaucoup trop négligé. Dans le cadre de l'accord entre l'Union européenne et l'Afghanistan, il est à juste titre précisé que la paix doit être établie par les Afghans eux-mêmes. Il nous faut donc utilement favoriser et soutenir le dialogue inter-afghan, si nous voulons aider ce pays à se reconstruire et à se relever durablement.
Ainsi, dans ce contexte particulièrement difficile, le présent accord entre l'Union européenne, ses États membres et l'Afghanistan apparaît comme l'occasion d'apporter un soutien opportun aux bonnes volontés de ce pays qui cherchent à ramener l'Afghanistan sur le chemin de la stabilité.
Cet outil, signé à Munich le 18 février 2017, constitue la toute première relation conventionnelle entre l'Union et l'Afghanistan. Il remplace une déclaration conjointe adoptée en 2005, et reflète la volonté commune des deux parties de renforcer et d'étendre le dialogue et le partenariat.
Il s'agit de redéfinir les relations que l'Union européenne entretient avec ce pays. Le texte vise à offrir un nouveau cadre juridique à ce partenariat avec, pour objectifs, le renforcement de sa dimension politique et le dépassement du simple rôle de bailleur de fonds.
L'Union européenne a en effet apporté à l'Afghanistan, depuis 2001, un soutien à hauteur de 3,7 milliards d'euros. Si l'on y ajoute l'aide accordée à titre bilatéral par ses États membres, l'Europe apparaît comme le second donateur pour l'Afghanistan, derrière les États Unis, avec un montant de 5,3 milliards d'euros. L'Union européenne, dont les forces armées de plusieurs États membres ont été ou sont encore présentes dans le pays, dispose ainsi d'une légitimité politique incontestable mais qui, à ce jour, ne se concrétise malheureusement pas dans les faits.
D'où l'intérêt de cet accord-cadre, qui s'appuie sur les quatre piliers de la nouvelle stratégie de l'Union européenne vis-à-vis de l'Afghanistan. Il s'agit de la promotion de la paix, de la stabilité et de la sécurité régionales ; du renforcement de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'homme, de la promotion de la bonne gouvernance et de l'émancipation des femmes ; du soutien au développement économique et humain de l'Afghanistan ; des enjeux migratoires, enfin, dont je dirai peut-être un mot un peu plus tard.
Cet instrument, qui n'ajoute aucune nouvelle implication financière, je tiens à le dire, se révèle à la fois peu contraignant et ambitieux. Il vise à créer une relation englobante avec l'Afghanistan, en développant des coopérations en matière politique – lutte contre le terrorisme, la prolifération des armes et la drogue, soutien à la protection des droits de l'homme – , en matière économique – pour le commerce et investissement – et, de façon sectorielle, dans les domaines de la justice, de l'énergie, du transport, de la santé et de l'éducation.
Le présent accord traite également des enjeux migratoires, qui constituent un sujet central de la nouvelle stratégie de l'Union européenne à l'égard de l'Afghanistan. L'accord devrait ainsi contribuer à favoriser la mise en oeuvre d'une déclaration politique conjointe adoptée sur ce sujet, en 2016. Pour mémoire, les Afghans représentent actuellement la deuxième nationalité, derrière les Syriens, au titre des demandes d'asile recueillies dans l'Union européenne en 2019, et la première pour les demandes d'asile en France.
Quant aux enjeux migratoires, il ne s'agit pas d'accélérer un retour des Afghans déboutés vers leur pays, comme cela aurait pu être dit ou écrit ici ou là. Il s'agit plutôt d'envisager un retour digne, et dans les meilleures conditions de sécurité, pour ceux qui n'ont pas vocation à rester en Europe.
Pour y parvenir, il est prévu de travailler avec les associations de la société civile, afin de pouvoir mesurer et maîtriser les flux migratoires, pour assurer de bonnes conditions d'asile aux réfugiés, mais aussi pour que les personnes ne répondant pas aux critères permettant de prétendre à une protection puissent retourner sans crainte dans leur pays, et y vivre à nouveau. Je rappelle que plus de 65 % des demandeurs d'asile Afghans ayant fait leur première demande en France ont reçu une réponse positive.
Cet accord ne comporte, enfin, que peu de dispositions contraignantes, mais il a vocation à offrir un cadre général pour les relations entre l'Union européenne et l'Afghanistan. Il devra, par la suite, être décliné en accords sectoriels plus contraignants.
Il devrait en outre permettre de combler le déficit de visibilité de l'Union en Afghanistan, et de renforcer l'implication de l'Union et de ses États membres dans les pourparlers de paix. Je précise qu'à ce stade, l'Afghanistan, ainsi que seize États membres de l'Union européenne, ont déjà achevé leur processus de ratification interne.
Ainsi, mes chers collègues, je vous invite à voter sans réserve en faveur de la ratification de cet accord-cadre, qui permettra de conférer une nouvelle dimension à la relation de l'Union avec l'Afghanistan, qui renforcera la position de l'Union européenne dans le cadre des négociations de paix et qui contribuera, je l'espère, à aider l'Afghanistan à se développer, et à sortir enfin de cette spirale de violence qui déchire le pays depuis plus de quarante ans.
Je terminerai en ajoutant qu'après l'échec du dialogue entre les États-Unis et les talibans, cet accord représente une réelle alternative, à même de soutenir un processus de paix.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.
Depuis exactement quarante ans, l'Afghanistan est dans une situation sécuritaire extrêmement critique. Les attentats d'hier à Kaboul l'ont encore démontré. De plus, comme l'a souligné Nicole Trisse dans son très bon rapport, la relocalisation sur le sol afghan de combattants étrangers en provenance du Levant va évidemment renforcer la filiale de Daech en Afghanistan. C'est un risque majeur de plus pour la sécurité du pays.
L'Afghanistan se trouve aussi dans une situation politique extrêmement difficile. Après deux reports, l'élection présidentielle devrait se tenir à la fin du mois de septembre, et pourra – nous le souhaitons tous – contribuer à faire revenir la paix et la stabilité dans le pays.
Malgré le soutien de la communauté internationale, l'Afghanistan fait toujours partie des pays les moins avancés, et souffre du poids colossal du narcotrafic dans son économie. Le pays est le premier producteur mondial de pavot à opium, principale source de l'héroïne consommée en Europe, et toutes les tentatives visant à mettre un terme à ces cultures ont jusqu'à présent échoué.
Après l'échec des négociations directes entre États-Unis et talibans, l'Union européenne doit se réinvestir en Afghanistan et se donner les moyens politiques de peser, à l'avenir, dans le processus de paix afghan. C'est une des raisons d'être de cet accord-cadre.
Une éventuelle initiative européenne de médiation, élargie – pourquoi pas ? – aux grands voisins de cette région, devra nécessairement impliquer toutes les parties afghanes – gouvernement central et insurgés. Mais il n'y aura de chances de réussite que si la société civile afghane est pleinement impliquée dans les pourparlers, ce qui, jusqu'à présent, n'était absolument pas le cas. C'est ce que sont venues me dire de nombreuses femmes élues afghanes que j'ai reçues, …
… en votre nom, avant cet été : c'est le message qu'elles m'ont demandé de vous transmettre.
Le dialogue interafghan est bien un prérequis indispensable pour parvenir à la paix et à la stabilité en Afghanistan. Ce pays est une véritable mosaïque ethnique, entremêlant sur son territoire divers peuples – Pachtounes, Tadjiks, Ouzbeks, Hazaras, Turkmènes… Je crois, pour ma part, qu'à terme, seule une approche fédérale permettra à chacun de se sentir entendu et respecté.
Les liens que la France entretient avec l'Afghanistan, vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, sont anciens et particulièrement forts. Notre relation bilatérale a commencé il y a quatre-vingt-dix-sept ans. Nous sommes et restons un partenaire majeur et fidèle de l'Afghanistan.
Je veux rappeler ici, comme vous l'avez fait, que la France a payé le prix du sang pour la liberté de l'Afghanistan, dans le cadre de son engagement militaire : quatre-vingt-dix de nos soldats sont tombés au combat sur le sol afghan, et l'embuscade de la vallée d'Ouzbine, où nous avons perdu dix de nos hommes, en 2008, est encore, j'en suis sûre, dans notre mémoire.
Aujourd'hui, nous avons l'occasion de renouveler et d'intensifier la coopération entre l'Union européenne et l'Afghanistan, et d'agir pour aider l'Afghanistan à se reconstruire et faire face à de très nombreux défis, qu'il s'agisse des questions migratoires, du trafic de stupéfiants ou de la lutte contre le terrorisme. C'est donc un signal positif pour que l'Afghanistan retrouve, le plus vite possible, espoir en son avenir. C'est pourquoi je vous appelle à voter ce texte.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
J'ai reçu de M. Jean-Luc Mélenchon et des membres du groupe La France insoumise une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
Le sujet nous fait devoir d'une sincérité particulière. L'engagement français en Afghanistan commande que l'on dise ce que l'on pense, par respect pour ceux qui, ayant obéi, y sont morts – nous avons perdu quatre-vingt-neuf soldats sur place – ; il en est encore qui souffrent, parce qu'ils sont vivants, mais blessés – on peut en rencontrer à l'Hôtel national des Invalides. Par conséquent, tout ce que j'ai à dire, je le dis en commençant par saluer les familles des morts, ainsi que ceux qui ont souffert, et par leur exprimer mon respect.
Cela étant, depuis le premier jour, j'ai affirmé mon opposition absolue à cette guerre en Afghanistan, dont je n'ai pas cru un instant qu'elle était ce qu'on en disait. Les Américains sont entrés dans ce pays avec l'Organisation du traité de l'Atlantique nord, l'OTAN – ce qui ne manque pas de sel, vu que ce pays n'a aucune frontière sur l'Atlantique nord ! – , pour châtier paraît-il les auteurs de l'attentat du 11 septembre.
Ceux qui connaissaient un peu le dossier savaient que ce n'était pas possible. En effet, on ne pouvait pas croire que l'attentat avait été organisé depuis l'Afghanistan et d'ailleurs, M. Ben Laden, que les autorités de l'époque avaient proposé de donner à la justice américaine, a finalement été capturé au Pakistan. Il est clair qu'il n'était pas là où l'on comptait le trouver.
Ce n'est pas la seule raison : les Français savaient que les Anglais et les Américains s'entraînaient depuis déjà deux mois, et avaient pré-positionné des forces dans la région. Par conséquent, l'attentat n'était pas la cause de l'intervention ; il a servi en quelque sorte de prétexte. L'objet essentiel qui était alors en jeu était une politique de contournement de la Russie dans l'installation d'un pipeline. Les conversations avaient été très engagées entre les pétroliers américains, incarnés par la compagnie Unocal, et le gouvernement afghan.
À l'époque, un diplomate que je connaissais m'avait dit : « Monsieur Mélenchon, même si vous aimez les marchands de chaussures, que diriez-vous si dix-sept des vingt ministres du gouvernement français étaient des marchands de chaussures ? C'est ce qu'il nous arrive ! Sur vingt ministres, plus de quinze sont des pétroliers américains. » C'est dans cette ambiance que le représentant particulier d'Unocal a été désigné par M. George W. Bush pour mener les négociations ; M. Bush lui-même avait un rapport avec la compagnie Unocal, et le Président afghan Hamid Karzai, si mes souvenirs sont bons, en était un consultant.
Pour comprendre la guerre d'Afghanistan, il faut suivre le pipeline – ce n'est d'ailleurs pas la seule guerre n'ayant aucune autre raison d'être que d'accompagner ou de préparer le passage d'un gazoduc ou d'un oléoduc. Je rappelle que la guerre en Afghanistan est en théorie gagnée depuis le 17 décembre 2001, date à laquelle les États-Unis d'Amérique ont annoncé leur victoire. Naturellement, nous le savons tous, il n'en est rien.
Des élections présidentielles ont eu lieu – oui, appelons cela des élections présidentielles… En 2009, alors que M. Karzai était candidat à sa réélection, le risque existait au deuxième tour qu'il ne soit pas réélu ; tout avait alors été bloqué, jusqu'à ce que le second candidat retire sa candidature, afin que M. Karzai reste le seul candidat.
Cette année, les élections, qui devaient avoir lieu le 20 avril, ont été repoussées au 20 juillet, puis au 28 septembre. Mais il y a eu, lors d'un meeeting, cet abominable attentat, une tuerie à laquelle on ne peut s'habituer lorsque l'on suit un peu ces événements, que l'on regarde, que l'on comprend qu'il s'agit, chaque fois, de meurtres de masse d'une sauvagerie indescriptible.
Il faut dire que, en la matière, les États-Unis montrent un bien curieux exemple. Une seule personne ici se souvient-elle que les États-Unis d'Amérique ont expérimenté en Afghanistan la plus grande bombe conventionnelle – donc non-nucléaire – jamais tirée de toute l'histoire de l'humanité ? Cette bombe jetée sur l'Afghanistan avait une puissance de destruction équivalente à celle d'Hiroshima. Et personne n'a parlé, nulle part ni des raisons pour lesquelles une telle arme avait été jetée sur les Afghans, ni des résultats qui en étaient attendus – et qui n'ont certainement pas été brillants puisque, de nouveau, les trois-quarts du territoire ne sont contrôlés par personne, c'est-à-dire qu'ils sont soumis à des bandes rivales qui constituent l'opposition au pouvoir en place.
C'est dans ce contexte que nous examinons un accord de libre-échange. Un accord de libre-échange avec l'Afghanistan, voilà qui paraît tout à fait extraordinaire ! Déjà, par principe, mon groupe est contre le libre-échange. Si nous pensons que la coopération permet un travail correct, nous ne croyons pas au libre-échange. Il est fondé sur le postulat que, du moment que les marchandises circulent, tout va bien. Non ! C'est toujours le plus puissant qui finit par l'emporter et écraser les productions locales.
Je me demande bien ce que les Afghans ont l'intention de nous vendre… Ce que je sais, c'est que l'Afghanistan, dont la production de drogue avait été éradiquée, est redevenu lors de la période d'occupation nord-américaine le premier producteur mondial de drogue. Cette culture s'effectuait sous les yeux de l'armée américaine, au sein même, d'ailleurs, de ce qu'elle désignait comme des « zones sécurisées ».
Nous voilà donc avec un accord de libre-échange, et je souhaite dire très tranquillement à mes collègues qui vont voter cet accord…
Ce n'est pas pareil…
Si, c'est pareil ! En tout cas, c'est mon analyse : c'est un accord de libre-échange, le énième du genre. Il s'agit d'un « accord de coopération en matière de partenariat et de développement » entre l'Union européenne et l'Afghanistan : par la force des choses, il s'agit d'un accord de libre-échange.
Attendez, je vais entrer dans le détail ! Mais il faut que les collègues sachent qu'en matière commerciale, il s'agit d'un accord de libre-échange. D'ailleurs, en matière de commerce, on n'a jamais vu l'Union européenne signer autre chose que des accords de libre-échange.
Maintenant, puisque M. le secrétaire d'État m'y invite de manière impatiente – je le vois bien – , je veux aussi vous dire que le reste ne sent pas meilleur.
L'article 4 promeut les droits de l'homme : c'est parfait, puisqu'ils n'ont en Afghanistan aucune réalité, la Constitution elle-même étant placée sous l'empire de la religion. Il existe un conseil qui examine chaque loi à l'aune de sa conformité à la religion. Or, le premier des droits de l'homme est la liberté de conscience. Elle n'existe pas dans ce pays. Évidemment, je le déplore. Non pas qu'il ne faille pas avoir de religion, ou qu'un législateur ne puisse s'inspirer de ce que lui suggère sa religion personnelle ; mais lorsque la religion devient la base de la Constitution d'un État, il s'agit alors d'une théocratie. Dès lors, il n'y a pas de liberté de conscience, donc les droits de l'homme n'existent pas.
L'article 5 promeut l'égalité femme-homme. Tant mieux, on peut toujours établir une longue liste de souhaits. Mais l'Assemblée a le droit de savoir que, dans la législation afghane actuelle, le mari peut, par exemple, refuser soins et nourriture à sa femme si elle lui refuse des rapports sexuels. De même, une femme doit obtenir l'autorisation d'une autorité masculine pour ouvrir un compte en banque. Une femme ne peut pas non plus recevoir un héritage. En vain me dira-t-on que ce sont des prescriptions liées à la religion – ou plutôt à une interprétation particulière de la religion, la plus féroce qui se fasse là-bas.
L'article 24 promeut l'État de droit. Il n'y a qu'à observer : comment peut-on parler d'un État de droit pour un pays dans lequel une puissance étrangère peut mener ses essais d'armement ?
Dès l'article 1er, on nous invite à supprimer les entraves au commerce. Les entraves au commerce avec l'Afghanistan ? Voilà une chose assez extraordinaire pour être soulignée !
L'article 13 fait l'apologie des règles de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC. Et vous voudriez que l'on vote cela ?
L'article 20 invite à faciliter la circulation des capitaux : eh bien, pas moi ! Je ne suis pas d'accord pour que les capitaux afghans circulent, puisque, pour une grande partie, leur origine est criminelle.
L'article 37 vise l'exploitation des ressources naturelles : chacun comprend qu'il s'agit d'y faire respecter la liberté du commerce et tout ce qui va avec, autrement dit, le droit des Américains de prendre ce qui leur plaît dans ce pays, puisque, bien qu'ils aient gagné la guerre depuis maintenant 18 ans, ils y sont encore 14 000 en armes.
Nous autres, Français, avons payé cher de les accompagner dans cette aventure qui n'avait pas de sens. Je le dis pour les collègues qui s'intéressent de près à ce dossier – c'est le cas de ceux qui sont dans l'hémicycle : nous n'avons jamais su qui l'on combattait. C'était tantôt des rebelles, tantôt des talibans, tantôt des insurgés… Mais qui combattait-on au juste ? Ils n'ont jamais été précisément nommés.
Par le passé, à part le pétrole et l'expérimentation des armements – nous avons nous-mêmes tiré quantité de munitions, l'équivalent de 1,3 million d'euros par jour ; certes, le matériel fonctionne, mais personne ne nous a jamais parlé du bilan de l'utilisation d'un matériel aussi sophistiqué pour le bombardement de simples grottes, huttes et tranchées – , il y a eu une chasse aux subventions. Il faut savoir que les sommes dépensées lors d'un seul et unique jour de la guerre menée en Afghanistan aurait suffi à nourrir et à instruire tous les enfants afghans. Un rapport présenté au Parlement européen, encore frais dans ma mémoire puisque j'étais membre de la commission compétente, établissait que 85 % des sommes investies ou données à l'Afghanistan pour l'aider, notamment pour sa reconstruction, revenaient en réalité vers « l'Occident » – c'est-à-dire les pays occupants, et leurs personnels présents sur place. Ce pauvre pays a donc fonctionné comme une pompe, alimentant des circuits financiers avec un argent dont il n'a jamais eu le bénéfice.
Cela ne m'empêchera pas, bien entendu, de saluer le travail mené là-bas par les nôtres : la restauration du lycée français et ces autres choses magnifiques que quelques pauvres personnes tentent de maintenir en état de fonctionnement.
Revenons à notre point de départ : les Russes sont entrés en Afghanistan au moment où les alliés de l'OTAN, eux, entraient en Iran avec l'aide de M. Saddam Hussein. À l'époque, on craignait que le triomphe de la République islamique d'Iran n'entraîne l'effondrement de tout le système de la zone.
Les Russes ont été battus par la résistance afghane, qui est telle, d'ailleurs, que personne ne l'a jamais vaincue, ni les Anglais, ni les Américains, ni personne d'autre. Tous ceux qui sont passés par-là ont été battus, pour une bonne raison : on ne peut pas imposer de force à des gens un régime dont ils ne veulent pas. Après cela, les Américains ont entretenu Al-Qaïda, organisation qui a changé de nom à plusieurs reprises. En arabe, Al-Qaïda signifie « la base » : la base Al-Qaïda et M. Ben Laden sont des créatures de l'OTAN en lutte contre la Russie. À partir de là, et comme toujours dans ces situations confuses où chacun vient pour ses propres raisons de combattre – et repart avec elles – , la situation a dégénéré au point que Al-Qaïda est devenu le monstre dont tout le monde se souvient, jusqu'à l'exécution de son fondateur – sans pour autant que la force politique ainsi fondée soit jamais dissoute.
Aujourd'hui, ceux qui ont été vaincus en Syrie reviennent en Afghanistan, où beaucoup étaient passés auparavant pour instruction. On peut hélas imaginer que la guerre prendra de nouveau une tournure à laquelle je ne pense pas que nous soyons en mesure de répondre avec de tels procédés.
J'avoue que, si je devais dire par quel bout prendre une telle situation, je serais aussi embarrassé que vous, monsieur le secrétaire d'État. Tout le monde l'est, d'ailleurs, en ce qui concerne ce pays. Mais il est certain que les guerres que l'on y livre ne mènent nulle part : maintenir sur place des marionnettes ne nous conduit, au final, qu'à consentir à des choses insupportables.
La nouvelle Constitution de l'Afghanistan a été élaborée par une assemblée coutumière religieuse, qui a décidé des règles de l'organisation politique du pays. Que faisons-nous là-dedans ? Il faut laisser ce peuple en paix. Il faut le laisser se débrouiller comme il le veut de sa propre situation, et voir ensuite avec qui nous pouvons discuter – à la condition, bien sûr, que les gens qui finissent par surnager aient un minimum de légitimité.
Aussi longtemps que nous croirons que nous pouvons fabriquer des légitimités depuis l'extérieur, nous n'arriverons à rien dans ce coin.
Mme Danièle Obono applaudit.
Nous, Français, avons payé cher : quatre-vingt-neuf morts ! Nous avons eu jusqu'à 5 000 soldats sur place, car le Président Nicolas Sarkozy avait tenu à ce que nous figurions de manière très digne dans la bataille – si bien que nous avons eu le coin le plus pourri d'Afghanistan, tout là-bas, au fond, où les Anglais étaient installés dans leur propre guerre, dont ils sont revenus cahin-caha, les deux-tiers de leurs contingents ayant été assassinés en cours de route !
Voilà ce que nous avons fait.
Pour terminer, je redis ma gratitude aux combattants français et je répète que nous sommes en train de ne rien régler. Pour ma part, je ne voterai pas pour quelque chose qui ne correspond à rien de ce à quoi je crois.
Un dernier mot, monsieur le secrétaire d'État : ayez soin des traducteurs de l'armée française.
Mme Danièle Obono applaudit.
Il n'est pas normal qu'ils aient été abandonnés de cette façon. Seuls quelques-uns d'entre eux ont obtenu le droit d'asile.
Si des personnes méritent le droit d'asile, ce sont bien les supplétifs qui ont aidé nos forces sur place, qui sont menacés de mort et qui vivent dans l'errance, à la rue, avec des enfants terrorisés et avec des familles qui sont parfois restées en cours de route.
Monsieur le secrétaire d'État, je suis sûr d'avoir l'assentiment de mes collègues pour vous le demander : pitié pour nos traducteurs.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI. – M. Jean-Paul Lecoq applaudit.
Dans les explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à Mme Anne Genetet.
J'ai écouté votre intervention, monsieur Mélenchon, mais je ne partage pas votre lecture du texte : il s'agit non d'un accord de libre-échange, mais d'un accord-cadre, qui incite donc les parties à s'engager dans un cadre précis.
Je serais surprise que vous n'approuviez pas cette déclaration qui ne m'appartient pas : « Les défis migratoires ne seront relevés qu'en recourant à la solidarité, à la détermination et à des efforts collectifs. » C'est une citation d'Amnesty International. Or l'accord vise précisément à créer la solidarité, la détermination et les efforts collectifs.
Si c'est votre crainte, je vais la balayer tout de suite : il ne s'agit en aucun cas d'un accord commercial ou de libre-échange. Il s'agit de s'entendre sur quatre points : la paix ; la bonne gouvernance, l'État de droit et les droits humains ; le développement économique ; les migrations.
À la fin de votre propos, vous avez laissé entendre que vous préféreriez que nous laissions tomber les Afghans, que nous les laissions se débrouiller tout seuls. Ce n'est pas notre conception de la solidarité, de la détermination, des efforts collectifs.
S'agissant plus particulièrement des défis migratoires, je rappelle que l'Afghanistan compte 37 millions d'habitants, ce qui représente la moitié de la population de la France. Cependant, il y a près de 10 millions de personnes qui sont réfugiées notamment au Pakistan, où l'on en compterait 1,7 million, et en Iran, où ces réfugiés sont actuellement en situation de clandestinité. Certains sont renvoyés en Afghanistan dans des conditions très difficiles.
Au sein même du pays, plus de 2 millions de personnes sont déplacées pour des raisons liées au conflit mais aussi au changement climatique, à la sécheresse à laquelle l'Afghanistan est largement exposé.
L'article 28, évoqué par certains, vise simplement à inciter les parties à nouer un accord précis plutôt que de laisser les choses dans un flou complet.
Enfin, je tiens à dire que la France protège les Afghans sur leur sol. Ceux-ci représentent une majorité de demandeurs de droit d'asile et 72 % d'entre eux…
Chère collègue, votre temps de parole, qui était de deux minutes, est écoulé.
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
Je voudrais m'associer aux propos de Jean-Luc Mélenchon, notamment en ce qui concerne l'hommage rendu aux soldats. Après le 18 août 2008, au nom de notre assemblée et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, j'ai eu l'occasion de me rendre auprès de leurs frères d'armes, notamment auprès de ceux qui avaient subi l'embuscade d'Ouzbine.
À l'époque, des représentants de tous les groupes de l'Assemblée nationale s'étaient rendus sur place. Il était important que nous y allions, pour témoigner de notre solidarité, mais aussi pour comprendre la réalité de la situation en Afghanistan, qui est loin d'être simple.
Il était nécessaire de prendre plusieurs minutes pour la décrire. Dans sa motion de rejet préalable, Jean-Luc Mélenchon a bien analysé la situation, ce qu'on ne peut pas faire en évoquant d'un mot les propositions contenues dans ce traité. La situation est trop subtile et le traité trop faible, compte tenu de la puissante réponse que nous devons au peuple afghan.
Nous ne devrions pas soutenir ce genre de traités commerciaux. La réponse à apporter en Afghanistan est tout autre. Si le traité portait, par exemple, sur l'éducation des filles afghanes, …
… il pourrait peut-être faire évoluer la société dans la durée.
On ne peut pas prôner l'égalité des droits entre les femmes et les hommes dans nos pays et ne pas soutenir, avec force et moyens, l'idée que l'avenir de l'Afghanistan pourra rayonner de manière un peu plus heureuse grâce à ses femmes.
Par conséquent, nous voterons la motion.
Je ne comprends pas pourquoi ma collègue du groupe La République en marche se fâche contre moi. Comme je l'ai dit, je suis persuadé que ceux qui vont voter pour ce texte croient bien faire. Mais moi aussi, je crois bien faire ! Je crois déjà bien faire en disant ce que je pense. C'est un bon début.
Vous me dites qu'il ne s'agit pas d'un accord de libre-échange. Je sais quand même lire ! L'article 1er demande la levée des entraves à la circulation... L'article 20 parle des règles de l'OMC comme d'un modèle. Il tend à faciliter la circulation des capitaux et l'article 37, l'exploitation des ressources naturelles.
Si cela n'est pas un accord de libre-échange ! C'en est un. En tout cas, c'est un cadre pour que cet accord se mette en place.
Vous voulez faciliter la circulation des capitaux. Lesquels ? En Afghanistan, la production de drogue a progressé de 67 % au cours des cinq dernières années. L'argent qui en sortira est de l'argent sale. C'est l'argent du crime. Je ne suis pas d'accord pour que les capitaux circulent librement entre l'Afghanistan et le reste du monde.
Mme Danièle Obono applaudit.
On a le droit de ne pas être d'accord, tout de même ! Certains pensent qu'il vaut mieux que cela circule. Non ! Nous pensons le contraire et nous vous l'avons expliqué.
Tout cela mérite mieux que de bonnes intentions. Personne ne peut croire qu'il suffit d'annoncer que l'on veut tous s'aimer et s'entendre pour que la chose soit dite. Ce n'est pas le cas.
Nous parlons d'une présence nord-américaine de 6 000 jours. Les Américains sont restés en Afghanistan plus longtemps qu'à l'extérieur de leurs frontières pendant les deux derniers conflits mondiaux. Ce n'est pas rien comme engagement !
Ils y ont dépensé 900 milliards de dollars, un montant plus élevé que celui du Plan Marshall. Et regardez dans quel état est ce pays. Il s'est passé là-bas quelque chose qui mérite que nous disions, au moment où l'on revient nous jouer de la flûte : non, nous avons déjà donné pour cela.
À cet égard, j'ai parlé des quatre-vingt-dix Français qui sont morts. Je veux avoir aussi une pensée pour les 3 539 soldats de l'OTAN et les 60 000 soldats de l'armée régulière afghane qui sont également morts. Ils existent aussi ces pauvres diables ! Il n'y a pas de décompte des morts de civils qui s'élèveraient à plus de 200 000, ce qui n'est pas rien.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe La France insoumise voteront la motion. Nous vous demandons de ne pas vous fâcher contre nous. Ce vote n'est pas dirigé contre vous.
La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.
Mes chers collègues, cet accord porte en lui les failles béantes d'une diplomatie européenne qui, au fond, ne parvient pas à jouer le rôle qui devrait être le sien : un rôle d'impulsion, de médiation, de proposition dans le jeu international.
L'a-t-elle jamais joué ? Je laisse la question ouverte mais vous imaginez la réponse que je lui donne.
L'Afghanistan est devenu le lieu d'influences croisées de pays comme les États-Unis, la Russie, la Chine, l'Iran ou le Pakistan. L'Union européenne, qui est pourtant le deuxième donateur du pays, brille par son absence à la table des différentes initiatives menées pour la paix.
On aurait espéré un accord ambitieux, porté vers la consolidation d'un État de droit encore rongé par la corruption, et qui fasse la promotion d'une société civile afghane trop peu entendue.
En fait, cet accord témoigne, encore une fois, de la cécité d'une Union européenne qui se berce d'illusions quand elle pense développer un pays en actionnant le levier bien connu du libéralisme économique. Il faudrait comprendre que ce levier abaisse, qu'il n'élève pas.
Alors méfions-nous de la tentation de la ventriloquie : notre diplomatie étant rendue muette par sa passivité, nous voudrions nous satisfaire d'un instrument économique dont la mélodie est aussi douce pour certains qu'elle est amère pour ceux à qui on la joue.
Après l'invasion de 2001, l'Afghanistan est devenu, comme nombre de pays du Sud, un terrain d'expérimentation pour l'accumulation capitaliste néolibérale. Et, à la tragédie de notre intervention militaire dans la coalition, qui a abîmé profondément le pays et a compromis son avenir, il nous faut superposer les conséquences peut-être tout aussi mortifères de notre prédation économique.
En affaiblissant les structures étatiques, en encourageant les privatisations, nous avons contribué à affaiblir un pouvoir avec lequel nous avons aujourd'hui tant de mal à dialoguer.
Ne nous y trompons pas : l'Afghanistan est un pays qui regorge de richesses naturelles. En 2009, l'Institut d'études géologiques des États-Unis estimait la valeur potentielle de ses gisements à quelque 1 000 milliards de dollars : métaux rares, pierres précieuses, gaz, pétrole. Le pays est assis sur un trésor qu'on s'apprête à lui confisquer.
La ritournelle est connue et elle est dans cet accord. Certes, celui-ci n'est pas un accord de libre-échange comme l'accord économique et commercial global, dit CETA, celui passé avec le Mercosur, ou l'accord de libre-échange entre le Japon et l'Union européenne, dit JEFTA.
Merci de le dire !
Mais c'est pareil ! M. Mélenchon a raison. C'est la même logique qui sous-tend ce texte. Écoutez la petite ritournelle !
Nous avons lu le texte. L'article 1er parle de l'amélioration des conditions d'accès au marché. L'article 13 mentionne la suppression des obstacles aux échanges qui ne sont pas compatibles avec les règles de l'OMC. L'article 20 traite de la circulation des capitaux.
C'est quoi d'autre ?
Tout le reste !
Ces mots tachent, car ils en viennent à recouvrir tous les autres qui sont effectivement louables, monsieur le secrétaire d'État, et qui sont ceux que j'ai entendus dans vos propos : développement, droits, égalité entre les femmes et les hommes.
C'est l'essentiel !
Penser les relations commerciales entre l'Union européenne et l'Afghanistan dans le seul cadre de l'OMC, cela reviendra toujours à affaiblir l'économie locale du pays, donc à fragiliser tous les efforts déployés en faveur de l'éducation et en soutien à la société civile.
C'est cela qu'il faut comprendre : les mots deviennent creux parce qu'ils se fracassent sur le mur de la logique libérale et capitaliste.
J'en viens à la question des réfugiés afghans. Alors que « l'Afghanistan est l'un des pays les plus touchés au monde par le terrorisme », selon le site du ministère des affaires étrangères, la perspective d'accords de réadmission entre l'Union européenne et l'Afghanistan nous paraît inadmissible.
La guerre, à laquelle la France a participé, a créé les conditions d'un chaos et d'une violence omniprésente. Hier encore, deux attentats ont fait au moins quarante-huit morts. Refuser, comme on le fait, de considérer l'Afghanistan comme un pays en guerre est une insulte aux milliers de victimes civiles et militaires que l'on a dénombrées uniquement au cours des six derniers mois.
Nous estimons que ce texte, étant donné sa logique, ne permettra ni un meilleur développement ni un soutien véritable. Nous ne pourrons donc pas le voter en l'état.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Mes chers collègues, en ce moment, au Havre, des citoyennes et des citoyens sont rassemblés en mémoire de Johanna, assassinée lundi par son ex-compagnon, en pleine rue et sous les yeux de ses enfants.
C'est vrai !
Les Havraises et les Havrais ont choisi de se rassembler aujourd'hui et ils se trouvent en communion, où qu'ils soient, avec les enfants, la famille et les amis de Johanna.
J'ai choisi de m'associer à eux, en ce moment, pour faire résonner ici leurs voix et leurs exigences, pour que nous prenions toute la mesure de ce fléau dit « féminicide », afin de répondre à cette urgence à agir autrement que par des mots.
Je reviens au texte qui nous est proposé.
La fin du conflit entre les talibans et l'État afghan est l'un des plus grands défis pour la paix dans le monde. Pourtant, nous avons ici, comme si de rien n'était, un accord de partenariat entre l'Afghanistan et l'Union européenne.
Cet accord n'est pas digne de la gravité de la situation. La raison en est simple et elle tient en deux points.
Tout d'abord, les députés communistes sont, par principe, contre ce type d'accord dont le seul objectif est l'augmentation des exportations européennes. Il cache mal l'ambition maladroite de l'Union européenne de faire du business en se drapant dans la vertu des droits de l'homme.
Il nous semble que, plutôt que de travailler à la résolution durable des conflits, l'Union européenne utilise ces accords fourre-tout pour faire accepter son implantation économique. L'urgence en Afghanistan est non d'importer des biens et de services européens, mais d'éviter une troisième guerre civile. Si les députés communistes étaient cyniques, ils se contenteraient du fait que cet accord est bon pour l'Union européenne et pour la France, sans considérer le sort de l'Afghanistan. Mais nous ne le sommes pas. Nous sommes donc opposés à cet accord, car il est mauvais pour les Afghans et n'apporte aucune solution pour sortir d'une crise majeure.
L'équation qui permettra de sortir ce pays de la crise qu'il traverse est très complexe, mais sa résolution mérite d'être tentée. Voici les inconnues de l'équation à maîtriser en urgence.
Premièrement, l'Afghanistan produit 85 % du stock mondial d'héroïne. De nombreux citoyens afghans en tirent un profit qui leur permet de subsister.
Deuxièmement, ce sont les talibans, organisation terroriste menant une guerre acharnée contre l'État central afghan, qui tirent en grande partie les ficelles de ce commerce très lucratif pour ceux qui l'organisent.
Troisièmement, l'organisation de l'État afghan, imposée par l'Occident, est trop centralisée et ne semble pas correspondre à l'organisation sociale du pays : l'Afghanistan est découpé en tribus et en vallées, traversé par des montagnes souvent infranchissables qui empêchent l'émergence d'un véritable sentiment national. La forme de cet État contribue à entretenir ses problèmes. Comme l'a indiqué la présidente de la commission, l'Afghanistan devrait plutôt, dans l'idéal, prendre la forme d'une confédération unissant plusieurs nations, plusieurs vallées, plusieurs peuples. Au lieu de cela, la présence de l'État central est parfois perçue comme une violence alimentant la résistance des talibans et la faiblesse structurelle de l'appareil étatique afghan.
Ainsi, plutôt que d'« oeuvr[er] à la suppression des obstacles aux échanges, notamment en éliminant en temps voulu les barrières non tarifaires et les restrictions aux échanges [… ] » comme le prévoit l'article 13 du texte ou encore « d'encourager la mise en place d'un environnement attrayant et stable pour les investissements », comme le préconise l'article 18, il serait préférable de favoriser la régénération de l'économie par l'État, afin que l'agriculture, ou d'autres secteurs, deviennent plus rentables que la culture du pavot.
Cette équation est certes très difficile à résoudre. Mais la lutte contre la production du pavot permettrait certainement de rétablir une activité économique, notamment agricole, utile au pays et à ses habitants, ainsi que de diminuer l'influence des talibans au sein de cet État en diminuant leur emprise sur les cultivateurs de pavot et en réduisant leurs ressources financières. Elle permettrait enfin de réfléchir à l'avenir de cet État, à l'heure où la campagne présidentielle, en vue des élections du 28 septembre prochain, a déjà connu un premier attentat.
Cet accord avec l'Union européenne manque donc totalement sa cible et démontre à quel point la paix ne semble pas constituer un objectif diplomatique européen. Plutôt que d'envoyer des diplomates aux quatre coins du monde pour rédiger des accords commerciaux, maquillés de la sorte, il faudrait, comme je le crois et comme Françoise Hostalier, ancienne ministre et ancienne députée …
Excellente députée !
… l'a expliqué dans le journal La Croix de lundi dernier, que l'Union européenne et la France soutiennent davantage l'instauration d'un dialogue intra-afghan sous l'égide de l'ONU et non pas uniquement un dialogue bilatéral entre les États-Unis et l'Afghanistan. L'Union européenne s'honorerait à apporter sa pierre à l'édifice de la paix plutôt qu'à celui du commerce. Les communistes voteront donc contre cet accord.
Monsieur le ministre, j'ai bien écouté votre présentation de cet accord de coopération – j'insiste – en matière de partenariat et de développement entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République islamique d'Afghanistan, d'autre part.
Cet accord a été signé en février 2017 par les chefs d'État européens et nécessite maintenant la ratification des parlements nationaux et de quelques parlements régionaux. Il est le fruit de près de quatre ans de négociations, tenues entre 2011 et 2015. C'est un texte riche, dense, profond, couvrant un nombre considérable de domaines, ce qui témoigne des besoins non moins considérables de ce pays.
La portée et la symbolique de ce texte sont loin d'être neutres puisqu'il s'agit là de la première relation contractuelle entre l'Union européenne et l'Afghanistan. Ce pays est très éloigné de nous par sa distance, par sa culture, par sa géographie, par son niveau de développement, mais tellement important dans les grands équilibres du monde !
En juin 2018, le Parlement européen avait transmis au Conseil une longue résolution détaillant les attentes de la représentation européenne – c'est-à-dire des peuples européens, de nous-mêmes – vis-à-vis de la mise en oeuvre de cet accord. Je vous invite, mes chers collègues, à lire cette longue résolution : nous y apprenons beaucoup sur ce pays, sur ses forces, sur ses faiblesses, sur ce qui le menace – mais aussi sur l'opportunité qui s'offre à lui.
Car l'Afghanistan a une opportunité majeure ; il s'agit de l'Europe, sans l'ombre d'un doute.
Nous savons combien la situation dans ce pays est extrêmement instable. Des attaques sanglantes ont lieu régulièrement, comme le rappelait ma collègue Mme Nicole Trisse – encore hier. L'État y est défaillant et l'économie, à peine balbutiante, minée par des trafics en tous genres dont le pays est une plaque tournante et une porte d'entrée, notamment vers l'Europe. Dans ce contexte, cet accord voulu par les États membres de l'Union européenne est une main tendue au peuple afghan, une illustration de notre capacité à agir au service de la paix et du développement, conformément à nos valeurs.
Quel est en l'objet ? Mes chers collègues, ratifier cet accord, c'est poser un cadre juridique clair dans lequel s'inscrira la coopération développée entre les deux parties.
Ratifier cet accord, c'est aussi renforcer la relation entre l'Union européenne et l'Afghanistan en l'étendant à de nouveaux domaines de coopération. Je n'en citerai que trois, qui constituent des urgences absolues : les échanges d'information dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, contre les trafics de drogue illicites et contre le blanchiment d'argent. Cet accord permettra de mener ces actions urgentes et indispensables.
Ratifier cet accord, c'est enfin soutenir les quatre piliers de la stratégie de l'Europe en Afghanistan : promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité du pays ; renforcer la démocratie, l'État de droit et la défense des droits humains, y compris bien entendu l'égalité entre les femmes et les hommes ; soutenir le développement économique ; enfin, relever les défis migratoires.
Les raisons pour lesquelles cet accord doit retenir notre attention ont déjà été rappelées par ma collègue Nicole Trisse : l'Union européenne est présente dans le pays depuis plus de quarante ans et y a déjà investi près de 3,7 milliards d'euros pour l'aider à se consolider – dont 72 millions d'euros dédiés spécialement à l'accompagnement des migrants afghans. Ajoutons qu'elle est le deuxième donateur dans le pays, après les États-Unis, et qu'elle y a engagé des forces armées de plusieurs États membres, notamment de l'Allemagne, de l'Italie et de la Roumanie. Enfin, elle n'a eu jusqu'à présent, malheureusement, qu'un rôle insignifiant dans le processus de paix. L'Europe est bien trop effacée.
Le soutien de l'Union européenne à l'Afghanistan est donc aujourd'hui plus que jamais nécessaire. Si nous n'y sommes pas, qui d'autre pourrait y aller ? Qui risquerait de menacer ce pays et cette région du monde ?
Certes, ce texte ne présente aucune implication financière nouvelle et se révèle peu contraignant. Mais à l'heure où le président Trump décide de mettre fin brutalement à des pourparlers qu'il avait lancés à Doha avec les talibans, la ratification de cet accord constitue un signal important soulignant que l'Union européenne et la France sont des partenaires fiables et constants dans leur engagement en faveur de la paix et de la réconciliation. Nous le prouvons déjà sur le dossier qui concerne le grand voisin de l'Afghanistan à l'ouest, l'Iran. Je vous invite aujourd'hui à le prouver en votant sans réserve en faveur de la ratification de cet accord.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
L'Afghanistan est en grande souffrance. Nous savons tous les difficultés que le pays doit surmonter depuis son indépendance, particulièrement depuis la chute du régime des talibans. De nombreux contours des relations internationales et lignes de force de ce siècle trouvent leur origine sur ce territoire, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises.
Aussi, madame la rapporteure, votre rapport très complet nous permet-il de mieux comprendre la complexité des défis auxquels l'Afghanistan doit faire face aujourd'hui.
Les relations entre l'Union européenne et l'Afghanistan sont particulièrement diverses et nombreuses. Elles sont bien sûr d'abord tissées par l'impératif sécuritaire que la situation de ce pays appelait de la part de la communauté internationale et de l'ensemble des pays qui ont participé aux opérations militaires en 2001. La France s'est trouvée aux avant-postes de ce dispositif en déployant plusieurs milliers de soldats sur le sol afghan et en déplorant la perte de quatre-vingt-dix militaires jusqu'à son départ en 2012.
Dans ce cadre, et dans une situation sécuritaire et économique particulièrement difficile, le soutien de l'Union européenne s'est révélé particulièrement important pour l'Afghanistan. Ce sont plusieurs milliards d'euros qui ont été investis dans ce pays avec des résultats, certes insuffisants mais non négligeables, comme le détaille le rapport de la commission.
Comme vous l'avez indiqué, ce pays est classé parmi les moins avancés de la planète, mais il a connu ces dernières années un développement – certes insuffisant – , malgré les conflits et le terrorisme persistant et en dépit d'une croissance plus faible ces derniers mois du fait de la sécheresse persistante.
Ce développement n'aurait pas pu se faire sans l'appui de la communauté internationale. Nous devons tous en avoir conscience et l'admettre. La révision du partenariat entre l'Afghanistan et l'Union européenne est une bonne chose puisque le rôle de l'Europe dépasse celui des bailleurs de fonds. Ce partenariat s'inscrit en effet dans le respect des valeurs chères à l'Union européenne, comme l'a rappelé ma collègue Anne Genetet à l'instant : le renforcement de la démocratie et de l'État de droit, le développement de la paix, de la sécurité et le rétablissement de l'autorité gouvernementale, la lutte pour les droits de l'homme, l'égalité entre les hommes et les femmes, mais aussi la coopération commerciale et au service du développement, les défis migratoires, ainsi que la lutte contre les armes de destruction massive, chimiques et biologiques. Sur tous ces sujets, l'Afghanistan a besoin de notre aide et notre soutien. Il nous faut donc appuyer cette initiative.
Dans ce cadre, il nous semble que le renforcement du suivi de la participation de l'Union européenne et de ses États membres dans l'utilisation des aides financières par l'Afghanistan constitue sans doute la meilleure façon d'améliorer le développement concret du pays. Les dernières évolutions sont positives puisque près de neuf millions d'enfants sont scolarisés, contre seulement un million en 2002. Ces résultats concrets ont été permis par les politiques d'aide. Bien sûr, certains ne sont pas satisfaisants et d'autres sans doute contestables ou contestés, mais dans l'ensemble, ils n'auraient pu être obtenus sans l'aide apportée. Citons aussi, parmi les bénéfices qu'il convient de valoriser, le recul de 34 % de la mortalité.
Tout à fait !
L'Afghanistan doit donc faire face à des défis multiples. Ce pays a besoin de l'appui de la communauté internationale pour ne pas replonger dans le chaos. Je partage le souci de M. Mélenchon de laisser ce pays en paix, mais il nous faut au préalable lui assurer la paix, ainsi que les moyens de son développement.
La France devra continuer à veiller à la poursuite du dialogue entre les acteurs. C'est la condition même de la réussite du partenariat que le projet de loi propose d'approfondir. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés votera bien sûr pour la ratification de cet accord.
Mme la présidente de la commission et Mme la rapporteure applaudissent.
Sur l'article unique, je suis saisie par le groupe Socialistes et apparentés d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Alain David.
Hier encore, à Kaboul et à Charikar, deux attentats meurtriers ont causé au moins quarante-huit morts et de très nombreux blessés, endeuillant la campagne présidentielle qui doit conduire au scrutin du 28 septembre prochain.
À Kaboul, la cible était un centre de recrutement de l'armée. À Charikar, dans la province de Parwan, ce sont les participants à un meeting du Président Ashraf Ghani qui ont été visés par un terroriste kamikaze. Ces deux attaques ont été revendiquées par les talibans, qui considèrent le scrutin du 28 septembre comme illégitime et ont annoncé qu'ils feraient tout pour troubler son organisation.
Facteur aggravant : ce processus démocratique déjà chaotique, marqué par deux précédents reports du scrutin, est doublement menacé. De fait, en plus de l'hostilité des talibans, les anciens seigneurs de la guerre multiplient les signes de défiance et de désintérêt, préférant se concentrer sur leurs fiefs, ce qui accroît les risques de fragmentation du pays, alors même que le gouvernement afghan ne contrôle que la moitié du territoire.
Parallèlement à cette actualité inquiétante et à cette situation politique précaire, l'Afghanistan reste un pays marqué par des difficultés nombreuses et profondes. Comme le souligne notre rapporteure, le pays continue de figurer parmi les moins avancés, malgré le versement, depuis 2001, d'une aide de plus de 40 milliards de dollars. L'insécurité alimentaire toucherait 45 % de la population, et le chômage presque une personne sur deux parmi les 15-25 ans. Pendant ce temps, la narco-économie du pavot et, à un moindre degré, du cannabis est encore fortement présente : on estime que le trafic de stupéfiants représenterait entre 15 et 17 % du PIB afghan.
Malgré quelques avancées en matière de développement humain – notre collègue rapporteure a évoqué la progression des effectifs scolaires et la baisse des taux de mortalité infantile et maternelle – , les préoccupations restent grandes concernant les droits de l'homme. Avant d'examiner le texte, nos collègues sénateurs avaient auditionné le professeur Dorronsoro, qui s'était montré très pessimiste sur de nombreux points, notamment les droits des femmes, et qui avait estimé que les résultats actuels n'apparaissent pas à la hauteur des investissements de la communauté internationale, en particulier de l'Union européenne. Il me semble légitime d'exprimer notre mécontentement – certains sénateurs l'ont fait, d'ailleurs – lorsque des traités ne prennent aucunement en compte la situation réelle.
Si cet accord est louable s'agissant des principes qu'il promeut, il n'est pas contraignant et porte en lui plusieurs contradictions. Quelle peut être la valeur d'un accord européen conclu avec les autorités d'un pays dont seule la moitié est sous le contrôle du gouvernement légitime ? Comment faire appliquer des principes tels que l'égalité entre les femmes et les hommes ou encore les droits de l'homme dans un contexte complexe, alors qu'une partie de la population est pour le moins rétive à ces valeurs ? Comment promouvoir l'application d'un accord international, alors que la paix et la stabilité restent à construire sur le terrain et qu'elles dépendent avant tout d'un accord interne interafghan et interethnique encore loin d'être atteint ? Par ailleurs, pourquoi l'Union européenne, qui est l'un des principaux donateurs financiers de l'Afghanistan, n'est-elle pas impliquée dans les pourparlers de paix, qu'ils soient d'initiative américaine ou russe ? Le présent accord de partenariat comprend pourtant plusieurs articles visant la consolidation de la paix et la sécurité internationale.
Enfin, alors que notre assemblée s'apprête à débattre de la politique migratoire, je souhaite relever un problème majeur de cet accord, qui ouvre la voie à la conclusion d'un accord de réadmission juridiquement contraignant entre l'Union européenne et l'Afghanistan concernant les migrants afghans en situation irrégulière. Ce dernier servira de base à des accords de réadmission nationaux. Dans un contexte où le gouvernement français souhaite accélérer l'expulsion des Afghans en situation irrégulière, cet accord est un facteur supplémentaire de risque pour les migrants qui ont fui leur pays en proie à une insécurité endémique. Amnesty International considère que « les renvois d'Afghans sont illégaux et violent le principe de non-refoulement, lequel interdit tout renvoi d'une personne qui l'exposerait à des violations graves de ses droits ».
Quant à l'OFPRA – l'Office français de protection des réfugiés et apatrides – , il souligne la dégradation de la situation sécuritaire sur le terrain du fait des combats entre les insurgés et les autorités afghanes.
Pour toutes ces raisons, les députés du groupe Socialistes et apparentés ne voteront pas le projet de loi ratifiant cette convention.
M. Christian Hutin applaudit.
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
Je souhaite répondre aux orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale, et qui ont évoqué de nombreux éléments relatifs à l'Afghanistan et à la coopération entre la France ou l'Union européenne et ce pays.
Monsieur Mélenchon, vous avez bien vu ma réaction lorsque vous évoquiez le contenu de l'accord. Dans un premier temps, vous l'avez réduit au libre-échange ; or il faut le prendre en compte dans son intégralité.
Quand on le lit avec attention – je sais que vous l'avez fait – , on ne peut pas dire que l'article 1er se réduit au développement du commerce et de l'investissement. Cet article définit les objectifs du partenariat : d'abord la paix et la sécurité, puis la promotion d'un environnement politique stable et démocratique, l'instauration d'un dialogue régulier sur les questions politiques, les droits de l'homme et l'égalité entre les hommes et les femmes, l'éradication de la pauvreté… Ce n'est donc pas le libre-échange qui est mis en avant dans cet article – d'ailleurs, les aspects commerciaux que vous avez évoqués ne figurent que dans l'antépénultième considérant.
Il faut le dire et le redire à tous ceux qui suivent nos débats : les échanges commerciaux ne constituent pas l'essentiel de l'accord. Je ne voudrais pas que ce dernier soit réduit à une dimension marginale ! Il est important de le lire in extenso : il comporte un article 3 relatif au dialogue politique, un article 4 relatif aux droits de l'homme… Il vise à définir une méthodologie qui va permettre à l'Union européenne et à l'Afghanistan de structurer leurs échanges.
Monsieur Lecoq, j'ai lu attentivement vos observations sur le rôle des pays voisins, parfois très proches de l'Afghanistan d'un point de vue culturel et historique, dans la reconstruction du pays. L'Union européenne s'engage, ou plutôt se réengage, en Asie centrale. Mme la présidente Carole Bureau-Bonnard et moi-même pouvons en témoigner, pour nous être rendus sur place : il y a quelques mois, l'Union européenne a tenu un dialogue stratégique avec tous les États de la région. Il n'y a donc pas de désengagement, mais plutôt un réengagement européen dans cette zone très importante, aux confins d'un certain nombre d'États puissants comme la Chine, la Russie et l'Inde.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué la situation des interprètes afghans qui ont aidé les personnels français en opération – d'ailleurs, il n'y a pas que des interprètes, mais également d'autres personnels civils de recrutement local qui assuraient d'autres missions logistiques au sein des bases militaires.
En 2018, le Président de la République a souhaité que la situation des personnels désireux de rejoindre la France, mais dont les demandes de visa avaient été rejetées lors des deux premières campagnes, en 2012 et en 2014, soit reconsidérée. Au terme de ce réexamen, cinquante et un demandeurs ont obtenu la possibilité de venir en France ; en comptant les familles, ce sont 218 personnes qui ont été accueillies dans notre pays, y compris lors des trois premiers mois de cette année. Nous sommes donc extrêmement attentifs aux demandes : si l'on prend en compte l'ensemble des campagnes, sur les 1 200 personnels civils de recrutement local ayant travaillé auprès de nos forces, 400 ont rejoint le sol français. Certains travaillaient également pour d'autres puissances, d'autres États, et ont fait le choix de rejoindre d'autres pays. En tout cas, sachez que nous ne sommes pas insensibles à leur situation, que le Président de la République nous a demandé d'agir et qu'un certain nombre d'entre eux ont pu rejoindre la France.
Je souhaite enfin saluer l'action d'un certain nombre de vos collègues, y compris sous la précédente législature. Vous avez cité Françoise Hostalier : nous nous souvenons tous de son engagement pour l'Afghanistan et le dialogue inter-afghan, qui est indispensable et sur lequel vous avez d'ailleurs tous insisté.
Voilà, madame la présidente, les quelques éléments que je souhaitais porter à la connaissance de l'Assemblée nationale en réponse aux interrogations des députés et par respect pour eux.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
La parole est à M. Christian Hutin, pour une explication de vote sur l'article unique.
Merci, monsieur le secrétaire d'État, d'avoir eu la correction de répondre aux interrogations de l'ensemble des députés. J'en parlais justement avec Jean-Paul Lecoq : cela ne se fait pas toujours !
Alain David a très bien présenté notre position. Nous ne voterons pas ce texte, pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, la situation est très compliquée du fait du trafic de drogue. C'est terrible : 85 % de l'héroïne que l'on trouve chez nous provient d'Afghanistan ! Longtemps, on n'a pas parlé de ce pays, si ce n'est pour évoquer la politique étrangère britannique au XIXe siècle…
Le grand jeu !
Absolument ! Or, d'un seul coup, l'invasion de l'Afghanistan par les troupes soviétiques a rendu ce pays extrêmement important. Il n'empêche que l'économie souterraine de la drogue, qui n'est d'ailleurs pas vraiment souterraine puisque les trafics se font au vu et au su de tout le monde, nuit à l'ensemble des pays occidentaux.
La deuxième raison pour laquelle nous ne pourrons pas voter ce texte a été très bien exposée par Alain David : la convention permettra de renvoyer directement, sans aucun problème, un Afghan présent sur le territoire français en Afghanistan. Or, très franchement, avouez que ce pays n'est pas complètement sûr ! Quand on est français, que l'on croit à une forme d'universalisme et que l'on aime un peu l'humanisme, on ne peut pas tolérer qu'un Afghan soit renvoyé dans son pays d'une manière aussi libre.
Ce n'est pas vraiment ce qui est écrit !
Tel est du moins notre point de vue, mais peut-être sommes-nous un peu trop humanistes…
Pour ces raisons, nous ne voterons pas ce texte.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 41
Nombre de suffrages exprimés 41
Majorité absolue 21
Pour l'adoption 34
Contre 7
L'article unique est adopté, ainsi que l'ensemble du projet de loi.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse portant modification de l'annexe 1 à la convention du 13 septembre 1965 relative à l'extension en territoire français du domaine de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (nos 1630, 1973).
La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Pour reprendre les propos d'Olga Givernet lors de la réunion de la commission, ce texte tombe « sous le coup du bon sens ». Il s'agit tout simplement de faciliter l'intervention des services de sécurité et de secours sur les emprises de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire, le CERN, une organisation internationale très importante dédiée à la recherche en matière de physique des particules et qui est implantée de part et d'autre de la frontière franco-suisse.
On se souvient que le CERN a été créé par convention signée en 1953, qu'il compte actuellement 22 États membres et accueille plus de 11 000 scientifiques. Au-delà du principe humaniste qui la guide selon lequel la science doit être au service du progrès et de la paix, il s'agit de l'une des premières organisations à l'échelle européenne, ce qui induit d'importantes retombées économiques pour notre pays, notamment le département de l'Ain.
Deux accords internationaux ont été signés pour fixer le cadre juridique de cette installation en France mais aucune de ces dispositions n'abordait le cas des interventions de secours et des urgences médicales transfrontalières sur le domaine du CERN.
Il vous est proposé de combler cette lacune au terme d'un projet d'accord finalisé en février 2016. Cet accord, conçu et négocié en étroite collaboration avec les services territoriaux, vise à clarifier les règles d'engagements des services de secours de chacune des parties.
Je voudrais insister sur l'importance de faire venir en France des organisations internationales. Le chef de l'État y est particulièrement attaché. Je voulais partager avec la représentation nationale la bonne nouvelle : le Partenariat mondial pour l'éducation, basé à Washington au sein de la Banque mondiale, a décidé d'installer une partie de ses équipes à Paris, à l'issue d'une compétition gagnée de haute lutte, de nombreuses villes s'étant portées candidates. Depuis septembre, quelques dizaines de collaborateurs du GPE se sont installés à quelques centaines de mètres d'ici pour profiter de l'écosystème particulièrement intéressant que constitue Paris en matière d'éducation, grâce notamment à l'UNESCO ou à l'Organisation internationale de la francophonie entre autres.
J'ai été sensible au fait que la commission ait souligné l'importance d'aller plus loin pour inciter les organisations internationales à s'implanter sur notre territoire. Nous sommes d'ailleurs, Jean-Yves Le Drian et moi-même, en train de réfléchir à des dispositions en la matière. Elles avaient été imaginées dans le cadre de la préparation du projet de loi d'orientation et de programmation relatif à la politique française de développement, mais après avoir discuté avec des membres de la commission, il nous semble qu'un autre vecteur serait plus approprié. En tout état de cause, nous souhaitons renforcer l'attractivité de notre pays au regard des organisations internationales.
Cet accord est utile et nous vous appelons à le voter.
La parole est à M. Bruno Fuchs, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
Le texte soumis à votre avis va nous permettre d'évoquer le plus grand centre de recherche mondial dans le domaine de la physique des particules, plus connu sous l'acronyme CERN. Il n'est pas de nature à provoquer le dépôt d'une motion de rejet.
Nous pouvons être fiers que le CERN, qui accueille notamment le célèbre « grand collisionneur de hadrons » soit implanté sur la frontière franco-suisse. Le CERN est même majoritairement situé en France, où se trouvent 82 % de son emprise territoriale.
En raison de cette implantation transfrontalière, l'organisation bénéficie d'un cadre juridique spécifique, défini pour l'essentiel par une convention franco-suisse de septembre 1965. Le projet de loi qu'il me revient de vous présenter aujourd'hui vise précisément à moderniser ce cadre juridique.
Concrètement, il propose d'autoriser la ratification d'un accord pris sous forme de lettres échangées entre mars et mai 2017 entre les deux pays, qui vise à modifier l'annexe n° l à la convention de 1965.
Cette annexe a d'abord été conçue pour instaurer une dérogation au principe de souveraineté territoriale, en vertu duquel chaque État hôte est compétent sur la partie du domaine du CERN établie sur son territoire. Cette dérogation porte essentiellement sur les interventions de police et prévoit qu'en cas d'urgence, l'action des forces de police d'une partie sur le territoire de l'autre partie est autorisée dans le but de faire cesser une infraction et de contribuer à son traitement pénal.
La modification de l'annexe n° l, par l'ajout d'un article 3, vise à étendre ce principe dérogatoire aux interventions de secours et d'urgences médicales.
À ce jour, aucune disposition n'encadre les interventions de secours effectuées sur le territoire de l'autre État lorsqu'elles ne sont pas conjointes. Or le développement du CERN a favorisé une prise de conscience des enjeux liés à la sécurité civile et aux risques technologiques, d'où un souhait partagé de faire évoluer le cadre des interventions de secours.
L'accord franco-suisse permet aussi de préciser le régime applicable aux équipes de secours en cas d'infraction et de dommages causés par leurs agents.
En pratique, le nombre d'interventions de secours devrait rester assez modeste. En effet, le CERN dispose de son propre service de secours, qui continuera d'intervenir en priorité. À titre indicatif, le service départemental d'incendie et de secours de l'Ain est intervenu quatre fois sur le domaine du CERN en 2017, essentiellement en matière de renfort incendie, et le service d'incendie et de secours de Genève à trois reprises.
L'accord prévoit que ces interventions pourront avoir lieu soit à la demande du directeur général du CERN, soit de la propre initiative des services de secours.
Enfin, cet accord, bien qu'il soit de portée modeste, me permet de souligner l'importance et la richesse de la coopération transfrontalière. Pour ce qui est de la Suisse, je vous rappelle que nous avons autorisé en mai dernier l'approbation d'un accord-cadre bilatéral de coopération sanitaire transfrontalière et que l'accord sur lequel nous débattons aujourd'hui s'inscrit dans une cohérence d'ensemble et dans une dynamique que nous devons soutenir. Il s'agit là de promouvoir la coopération scientifique, entre nos deux pays et à une échelle internationale, mais aussi d'assurer la sécurité des personnels et de nos concitoyens.
En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à adopter ce projet de loi et à autoriser la ratification de cet accord franco-suisse.
Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, je remercie le rapporteur du projet de loi, Bruno Fuchs, pour son rapport de qualité et très complet.
Pour la France, la coopération scientifique et universitaire prend tout son sens quand elle s'ouvre sur le monde. L'Organisation européenne pour la recherche nucléaire, le CERN, qui bénéficie à une communauté scientifique de plus de 12 000 utilisateurs venus du monde entier et dont nous sommes un des membres fondateurs, fournit un très bel exemple de cette ambition.
C'est aujourd'hui une organisation de référence pour la coopération scientifique, qui accueille depuis 2008 le plus puissant accélérateur de particules au monde, lequel a permis de confirmer l'existence du fameux boson de Higgs, cette particule élémentaire qui a rendu possible le non moins fameux big-bang. C'est un formidable outil de recherche et de coopération scientifiques et un très précieux atout pour le développement local et régional.
Le CERN représente 500 millions d'euros de retombées économiques annuelles pour la France, soit près de quatre fois notre contribution au budget de l'organisation. Et depuis sa création en 1953, le nombre d'habitants de la commune de Saint-Genis-Pouilly dans l'Ain a été multiplié par plus de dix-huit pour atteindre plus de 10 000.
La portée de ces chiffres est double. Elle atteste du dynamisme du CERN mais elle manifeste aussi la densité de notre coopération transfrontalière. Dans le pays de Gex où est implanté le CERN, plus de 50 % des habitants sont frontaliers.
Nous avons adopté depuis le début de la législature plusieurs accords de coopération transfrontalière, avec la Suisse, mais aussi avec le Luxembourg, en particulier dans le domaine sanitaire. Depuis 2007, trois autres accords-cadres de coopération sanitaire ont été conclus, avec l'Allemagne, la Belgique et l'Espagne, et il existe aussi de nombreuses conventions de coopération entre organismes de sécurité sociale et établissements sanitaires et médicaux.
Ces accords sont indispensables pour assurer un cadre de vie adapté aux besoins des transfrontaliers en matière de transports, de santé et de sécurité.
Ce débat en séance nous permet, d'une part de saluer le rôle du CERN, en particulier de ses chercheurs, mais aussi de souligner le rôle très important que jouent nos collectivités locales dans le développement de la coopération transfrontalière. C'est pourquoi cette convention mérite tout notre soutien.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
À la fin des années quarante, alors que les pays d'Europe de l'Ouest, qui se relèvent à peine de leurs cendres, craignent d'accumuler du retard sur les Américains et l'URSS dans les domaines scientifiques et technologiques majeurs, quelques scientifiques audacieux ont l'idée de créer un laboratoire de physique européen.
La proposition est formalisée en 1949 par Louis de Broglie lors de la conférence européenne de la culture, à Lausanne. Il est immédiatement soutenu par plusieurs de ses pairs, dont le prix Nobel de physique Isidor Rabi. Avant le début du printemps 1952, le Conseil européen pour la recherche nucléaire, le CERN, voit le jour, grâce à un accord ratifié par onze pays dont la France. L'Organisation européenne pour la recherche nucléaire est formellement créée le 29 septembre 1954. Son premier accélérateur, le Synchrocyclotron, est construit trois ans plus tard en Suisse ; il développe une énergie modeste de 600 méga-électronvolts et tient dans un bâtiment.
La première grande machine du CERN, le Synchrotron à protons, est lancée à la fin de l'année 1959. D'une circonférence de 628 mètres, elle peut générer 600 giga-électronvolts pour l'accélération des particules. Elle a rendu possible l'expérimentation de champs de la physique qui jusque-là relevaient de la théorie.
Le Supersynchrotron à protons, lancé en 1976, avec ses 7 kilomètres de long et sa puissance de 450 giga-électron-volts, a rendu possible des expériences sur l'antimatière. Il deviendra le premier collisionneur proton-antiproton au monde. C'est grâce à cette formidable machine que des scientifiques ont pu découvrir les bosons W et Z, en janvier 1983.
Cette année-là débute le chantier du Grand collisionneur électron-positon, LEP. Enterré à 100 mètres de profondeur dans un tunnel d'une circonférence 27 kilomètres, principalement implanté dans le sous-sol français, le LEP devient le plus grand accélérateur de particules jamais construit.
Des travaux entrepris à partir de 1999 permettent d'installer dans le tunnel du LEP le grand collisionneur de hadrons – LHC – , qui est l'instrument scientifique le plus complexe jamais construit, capable de propulser dans le vide des particules à une vitesse quasi identique à celle de la lumière. Il remplace désormais le LEP. J'ai eu personnellement la chance de visiter ces installations lors d'un de mes déplacements au CERN à Genève. Le LHC permet de produire en quantité et surtout de mesurer des atomes d'antihydrogène. Il a permis de réaliser les premières collisions à haute énergie au printemps 2010. Deux ans plus tard, une série d'expériences a mis en évidence l'existence d'une nouvelle particule, qui s'avérera être le fameux boson de Higgs.
Si j'ai souhaité commencer par vous rappeler l'historique du CERN, c'est parce qu'il s'agit véritablement d'une épopée scientifique internationale unique en son genre. Les bénéfices des recherches fondamentales menées dans ce laboratoire depuis sa création sont incommensurables pour notre civilisation et l'humanité tout entière, et leurs applications pratiques sont nombreuses, comme le mentionne notre collègue M. Bruno Fuchs dans son rapport.
L'implantation du CERN entre la France et la Suisse a permis le développement de nombreuses collectivités locales.
Le laboratoire emploie 2 500 personnes et accueille près de 12 000 scientifiques du monde entier, tandis que ses entreprises sous-traitantes comptent plusieurs milliers de salariés.
La France est le troisième contributeur au budget du CERN, qui s'élève à quelque 1,3 milliard d'euros annuels. En contrepartie, les retombées économiques de ce laboratoire pour notre pays sont estimées à 500 millions d'euros par an, soit trois à quatre fois le montant que nous lui dédions.
L'équipement qui doit remplacer le LHC est le FCC, un outil scientifique colossal dont la circonférence avoisinerait 100 kilomètres. Il permettra d'obtenir une énergie de collision de 100 tera-électronvolts, à comparer aux 14 tera-électronvolts du LHC actuel. Parmi les scientifiques des 150 universités qui collaborent à ce projet, certains sont convaincus que cette machine nous donnera accès à des dimensions insoupçonnées de l'univers et permettra de bâtir une physique nouvelle, jusqu'alors inconnue des modèles standards.
Il est capital que le CERN conserve la très nette avance scientifique qu'il a prise sur les autres laboratoires de recherche dans la physique des particules. Ayons à l'esprit que la Chine a déjà lancé son propre chantier de collisionneur géant, d'une longueur de 50 à 100 kilomètres.
C'est pourquoi nous, députés du groupe La France insoumise, attachés à l'idée de propulser notre pays aux frontières de l'humanité – comme nous le développons dans notre projet « L'avenir en commun » – , soutiendrons ce projet d'accord. Nous invitons le Gouvernement à anticiper les investissements nécessaires à la réalisation du FCC, afin que notre pays, par son attachement au progrès scientifique et technologique, contribue au bien-être de l'humanité.
Jean-Paul, tu ne vas pas voter contre !
Cet accord entre la France et la Suisse, qui tend à faciliter le déplacement des forces de police dans les territoires accueillant l'accélérateur de particules, est aussi nécessaire que positif. Il s'agit d'une formalité propre au fameux LHC du CERN, dont l'implantation chevauche la frontière franco-suisse. Une telle configuration rend nécessaire un accord permettant aux forces de police d'un pays d'intervenir dans le territoire de l'autre, mais en restant à l'intérieur des implantations du CERN, et à sa seule demande.
Nous devons voter ce texte pour combler un vide juridique. De leur côté, les urgences médicales et les secours seront organisés suivant ce même principe.
Ce débat est l'occasion de rappeler l'extraordinaire machine qu'est le LHC, grand collisionneur de hadrons, anneau géant de 27 kilomètres enterré 100 mètres sous terre, le plus puissant accélérateur de particules au monde.
Le LHC, dont le coût avoisine 4 milliards d'euros, a été inauguré il y a onze ans, le 10 septembre 2008, et arrêtera normalement de fonctionner en 2038. Il est en amélioration constante : actuellement arrêté, il fait l'objet de travaux qui lui feront atteindre son potentiel maximal à son redémarrage, en 2021. La luminosité de la machine sera ensuite améliorée, en 2025, afin que sa dernière décennie de fonctionnement soit optimale.
L'objectif du LHC est le plus noble et le plus complexe qui soit : trouver d'où nous venons. Les collisions de particules à très grande vitesse visent à recréer ce qui s'est produit une fraction de seconde après le big-bang – la formation de l'univers – pour tenter de comprendre pourquoi nous en sommes là, aujourd'hui. L'expérience est belle et nécessaire, car elle valorise la recherche fondamentale. C'est là un point majeur, qui constitue son soubassement politique.
La recherche scientifique souffre d'un manque crucial de moyens, et le CERN, avec les ressources dont il dispose, ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt. Aujourd'hui, on demande aux recherches de viser une application concrète et rapide, afin d'être financées ou cofinancées par des entreprises privées. Les chercheurs consacrent le plus clair de leur temps à des appels à projets, espérant obtenir des financements de l'Agence nationale de la recherche, mais avec des taux de réussite très faible. Ces modalités de financement contraignent la liberté des chercheurs et brident la recherche fondamentale.
De fait, la plupart des recherches qualifiées, à tort, d'inutiles à court terme, sont mises à l'écart. Sans même parler de la situation des sciences sociales, qui sombrent dans la plus grande pauvreté, la recherche fondamentale n'est plus considérée comme rentable.
Pourtant, les expériences du CERN démontrent avec force que cette « inutilité productive » conduit à des découvertes capitales pour l'humanité. Pour reprendre les mots d'un scientifique : « On n'a pas inventé l'électricité en améliorant la bougie ! » Il faut l'entendre. La majorité, qui ne cesse de parler de ruptures, doit consacrer davantage de moyens à la recherche scientifique fondamentale.
L'examen de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche, prévu en début d'année prochaine, sera un moment opportun pour donner à la recherche française les moyens de ses ambitions. Les échanges qui se sont tenus ce matin en commission des affaires étrangères ont encore démontré combien nos chercheurs manquaient de moyens et combien il était nécessaire de compléter leurs financements. Le débat budgétaire permettra d'avancer en la matière.
Si l'on se félicite unanimement du LHC et de ses incroyables réussites, qui font de l'Union européenne le fer de lance de la physique fondamentale dans le monde, il faut se mettre au diapason de cette euphorie et accroître enfin les budgets de nos universités et laboratoires.
L'exemplarité du LHC dépasse la seule recherche fondamentale. En tant que coopération internationale, il est le creuset de valeurs que les communistes ne cessent de valoriser : l'amitié et le partage entre les peuples, au-delà des différences. Près de 7 000 scientifiques de 80 nationalités y travaillent de concert, dans le seul dessein de percer les mystères de la physique.
Nous pouvons tirer deux enseignements de cette réussite. Tout d'abord, la recherche fondamentale est nécessaire et doit être valorisée bien davantage qu'elle ne l'est aujourd'hui en France. Ensuite, la communauté internationale doit prendre exemple sur ce petit modèle de relations internationales pacifiques et tournées vers la recherche du bien commun, de la paix et de l'amitié entre les peuples.
Vous l'aurez compris, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera pour le projet de loi autorisant cet accord.
Le texte dont nous débattons aujourd'hui ne pose aucune difficulté. Il est l'émanation de la cohabitation quotidienne entre une organisation scientifique internationale et ses pays hôtes, la France et la Suisse. Je suis certaine qu'il fera l'unanimité – du reste, elle a déjà été annoncée, et je vous en remercie.
La création du CERN en 1954 a bouleversé notre territoire, le pays de Gex – où je suis élue – , et lui a fait connaître une croissance exceptionnelle. Notre population vit en partie au rythme des organisations internationales qu'elle accueille. Ce week-end encore, à l'occasion de ses portes ouvertes, le CERN a pu accueillir un large public.
L'accord vise à faciliter l'intervention des secours et des urgences médicales transfrontaliers français et suisses sur le domaine du CERN, en cas d'urgence ou à la demande de celui-ci. Mais l'essentiel est ailleurs, dans ce formidable outil de recherche au service de l'humanité et de notre pays. Le CERN a transformé la vie des humains. C'est dans ses murs qu'est né internet. C'est aussi en son sein que des découvertes majeures ont vu le jour – celle du boson de Higgs, pour ne citer qu'elle. Pour accomplir ces avancées considérables, le CERN a besoin de moyens tout aussi considérables. Alors que le laboratoire logeait à ses débuts dans un petit bâtiment, son collisionneur s'étend aujourd'hui sur 27 kilomètres, réparti entre le canton de Genève et ma circonscription, dans le département de l'Ain. Si ses chercheurs travaillaient initialement sur l'atome nucléaire, ils se consacrent aujourd'hui à des données infiniment plus petites, visant des objectifs infiniment plus ambitieux.
Demain, pour rester à la pointe, le CERN devra se doter d'un plus grand collisionneur, de 100 kilomètres de diamètre, passant sous l'Ain et la Haute-Savoie. Ici se joue la place de l'Europe dans le monde. Face à la concurrence asiatique, en particulier chinoise, le CERN oppose une recherche ouverte à tous. Monsieur le secrétaire d'État, j'appelle votre plus grande attention sur la nécessité d'oeuvrer à la naissance de ce grand collisionneur.
Pour illustrer les bénéfices du CERN pour l'humanité, j'évoquerai une entreprise créée par plusieurs de ses chercheurs dans le pays de Gex, AAA, pépite de la technologie médicale française et créatrice d'emplois. Ce laboratoire spécialisé en médecine nucléaire développe des matériels de santé permettant de mieux détecter les cancers et de les soigner plus efficacement. Ainsi, des millions de vies humaines sont sauvées grâce au CERN et à ses chercheurs.
Le CERN est également un moteur de développement local pour le bassin genevois. La population de ma commune, Saint-Genis-Pouilly, qui abrite une partie de ses installations, est passée de 650 habitants en 1954, date de création de l'Organisation, à plus de 12 000 aujourd'hui. Nous accueillons plus de 90 nationalités – la Genève internationale est ici représentée – , qui apportent à notre territoire une richesse et une ouverture que l'on ne trouve nulle part ailleurs.
Le CERN est donc plus qu'une organisation internationale. C'est la raison pour laquelle la France doit le porter et le soutenir financièrement, grâce au budget que lui alloue chaque année le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, mais aussi – et je vous invite à considérer cette possibilité – grâce à des levées de fonds qui viendraient abonder le projet de grand collisionneur.
Si c'est une fierté d'accueillir le CERN sur le sol français, c'est aussi, et surtout, une responsabilité : celle de maintenir la recherche européenne à la pointe, de sorte que les découvertes et les innovations de demain ne nous échappent pas.
Pour conclure, je rappellerai le rôle que joue le CERN pour la paix en Europe. Comme vous l'avez souligné, monsieur le secrétaire d'État, ce rôle n'a rien d'anodin. Plus qu'un formidable outil de rayonnement scientifique pour notre continent, le CERN est l'exemple même d'une Europe qui avance, une Europe délibérément ouverte sur le monde. Il démontre que le progrès scientifique est un vecteur de progrès social, ce qui contribue à éviter la guerre. Les fondateurs de l'Organisation portaient haut l'idée d'une science au service du progrès et de la paix, et l'ont fait vivre avec succès. À nous, représentation nationale, de perpétuer cette oeuvre magnifique dont nos enfants seront reconnaissants.
L'accord dont notre assemblée est saisie revêt une importance particulière, car il permettra aux citoyens de France et de Suisse d'accéder à une plus grande sécurité et à une meilleure santé. La modification de l'annexe no 1 à la convention relative à l'extension du territoire français du domaine du CERN permettra de combler un vide juridique, puisque, à l'heure actuelle, aucune disposition n'encadre les interventions de secours effectuées sur le territoire de l'autre État, lorsqu'elles ne sont pas conjointes.
Rappelons l'importance du CERN dans le monde de la recherche. Il vaut à l'Europe et à la France un rayonnement international, en même temps qu'il assure à notre pays des retombées économiques considérables et qu'il est un fort pourvoyeur d'emplois. Ce centre international accueille 2 500 employés et près de 12 000 scientifiques. Ses laboratoires ont largement contribué aux plus grandes avancées et découvertes scientifiques de ces dernières décennies.
Implanté en France à plus 80 %, le CERN est une structure transfrontalière qui nécessite des règles particulières.
Une première dérogation au principe de la souveraineté territoriale des États est prévue, concernant les interventions de police. Vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur : en cas d'urgence, les forces de police d'une des parties sont autorisées à intervenir sur le territoire de l'autre, dans le but de faire cesser une infraction et de contribuer à son traitement pénal. Un dispositif similaire est prévu par l'accord, s'agissant des enjeux de sécurité civile et des risques technologiques. Il s'agit d'offrir un cadre juridique aux interventions de secours s'appuyant avant tout sur un accord d'assistance mutuelle en cas de catastrophe ou d'accident grave. Bien sûr, la coopération franco-suisse n'a pas attendu ce texte pour s'engager dans la voie d'une étroite coopération.
Comme le mentionne le rapport, et pour les raisons que je viens d'évoquer, cet accord aura des conséquences administratives et militaires très limitées. Concrètement, il assurera un accès aux soins pour les citoyens vivant près des frontières, dans le canton de Genève et dans le département de l'Ain. Cela contribue à éviter les risques.
Quoi qu'il en soit, la France doit poursuivre cette action, l'approfondir, faciliter encore les interventions de service public des pays frontaliers sur son territoire et réciproquement. C'est un bon exemple de la collaboration dont nous pouvons être capables. Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés approuve, bien entendu, cet accord et votera en faveur de son approbation.
Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.
Vous me pardonnerez, monsieur le secrétaire d'État, une entorse au protocole : dans le cadre de lettres d'échange, je ne dois pas vous appeler « monsieur le secrétaire d'État » mais « Votre Excellence ».
Je rougis !
C'est le principe de la diplomatie… Il s'agit de lettres échangées entre la France et la Suisse, mais aussi de quelque chose de formidable. Tous les orateurs l'ont dit : ce que nous faisons là est exceptionnel. On ne parle des accélérateurs de particules qu'une fois par an, au moment du Téléthon. Là, nous voilà embarqués dans quelque chose de magique et de méconnu.
On est en train de travailler, très sérieusement, à l'avenir de la recherche fondamentale dans le champ du nucléaire ; et ça se passe en Suisse et en France. À l'origine du CERN, il y a un prix Nobel français, Louis de Broglie ; 87 % de l'installation se trouve en France, ce qui représente 8 000 ou 10 000 emplois. Comment s'opposer à cela ? Comment s'imaginer que les pays qui se sont mis d'accord à l'origine du projet, et ceux qui se sont associés à eux, n'aboutissent pas à de magnifiques réalisations ?
Aujourd'hui, une petite convention nous garantit un minimum de sécurité sanitaire et médicale. Il en existe de similaires dans de nombreux domaines, par exemple les courses cyclistes. Pourquoi pas dans ce domaine-ci ?
Nous ne pouvons que souscrire à cet article. Si nous en parlons en ce moment, à l'Assemblée nationale, c'est parce que la chose est nécessaire ; sinon, qui va en parler ? Qui fera état de ce qui se passe entre la France et la Suisse : des collisions de hadrons ? Les hommes peuvent accomplir des choses merveilleuses. Disons-le aujourd'hui : ce que nous faisons est beau. Les Chinois en sont extrêmement jaloux. Il y a environ deux mois, une fouine a provoqué une panne dans notre collisionneur de hadrons ; je n'irai pas jusqu'à dire qu'elle était chinoise…
Nous sommes riches de cette puissance qu'a la volonté des hommes, lorsqu'elle les pousse à travailler ensemble pour la paix et la recherche fondamentale. Cela méritait d'en parler, et donc de ne pas recourir à la procédure d'examen simplifiée.
On en redemande !
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale a germé l'idée d'un laboratoire multinational où faire renaître une science européenne. Elle a été évoquée dès 1949 par un prix Nobel français de physique, découvreur du caractère ondulatoire des électrons, Louis de Broglie. Son rêve s'est réalisé : il y a soixante-quatre ans, la première pierre du CERN était posée à Meyrin.
Or l'histoire d'une civilisation est inscrite dans les pierres de ses monuments, mais aussi dans les hommes qui l'organisent. Ce texte nous permettra de protéger à la fois les pierres et les hommes de cette institution, source de fierté nationale, européenne et mondiale, comme l'ont exprimé mes collègues.
Au fil du temps, le CERN s'est développé, passant de douze États fondateurs en 1952 à plus de soixante-quinze États membres, observateurs et participants à ses programmes. Nous en poursuivrons la construction grâce à ce projet de loi autorisant l'approbation d'un accord qui donnera à des forces françaises et suisses la possibilité d'intervenir, de protéger, de secourir, au sein du CERN. Moyens et équipements attirent dans ses locaux des chercheurs du monde entier ; cet équipement unique au monde a d'ailleurs permis, en pleine guerre froide, de faire travailler main dans la main, avec les chercheurs du CERN, des scientifiques américains et soviétiques.
En tant que député des Français de l'étranger établis en Suisse et au Liechtenstein, et au nom du groupe UDI et indépendants, je tiens à souligner l'importance que nous accordons à ce laboratoire européen de recherche, qui fait notre fierté ; ainsi que notre profond respect envers ceux qui oeuvrent chaque jour à révolutionner notre quotidien en repoussant les limites de notre connaissance.
Au-delà de la physique théorique pour laquelle ils ont été conçus, les instruments du CERN ont dorénavant des applications dans de nombreux domaines de la vie quotidienne : le diagnostic médical, la thérapie, la fabrication de puces informatiques, et bien d'autres encore. Les découvertes faites en ces lieux sont incommensurables, non seulement pour la science pure, mais pour l'existence de chacun. Ainsi ont été découverts, en 2010, le moyen de piéger de l'antimatière, en 2012, le boson de Higgs – l'une des clés de la compréhension de l'univers tel que nous le connaissons aujourd'hui, tel que nous aimerions le connaître mieux encore. Fait moins connu, au CERN est né le world wide web, qui touche tous les jours chacun d'entre nous.
L'évolution de ce laboratoire ne décélère pas : un nouvel accélérateur de particules d'une circonférence encore plus grande, passant sous la pointe sud-ouest du lac Léman et sous la Haute-Savoie, est prévu pour 2040 et affirmera la domination du CERN sur la scène scientifique internationale. Sa vision reste intacte : ouvrir les portes d'une nouvelle physique, pour reprendre les termes du directeur des accélérateurs et de la technologie, Frédérick Bordry.
Je me permets de placer ici une digression : les organisations internationales genevoises ont connu de nombreuses visites du Président de la République, de membres du Gouvernement ; mais je crois que rien de marquant n'a encore été fait pour le CERN. Ma collègue Olga Givernet, mes collègues de l'Ain et de la Haute-Savoie et moi-même aimerions voir mise en évidence l'importance du CERN, notamment par une visite de grande ampleur.
Nous avons envers le CERN une dette dont nous ne pourrions nous acquitter : cet accord confère une reconnaissance à ceux qui travaillent en son sein, et les encourage à poursuivre leur tâche, qui constitue un devoir envers l'humanité. L'accord instaurera un cadre juridique spécifique, un cadre légal clair, pour permettre une intervention en cas d'urgence sur l'ensemble de ce territoire transfrontalier.
De même, si une arrestation est indispensable, elle pourra être réalisée par les agents de l'un ou l'autre pays, et l'interpellé extradé dans les quarante-huit heures. Les règles de la légitime défense pourront être mises en oeuvre par des agents français sur le sol suisse et inversement, alors que le cadre légal n'est pas le même.
MM. Bruno Fuchs, rapporteur et Christian Hutin applaudissent.
La discussion générale est close.
Sur l'article unique, je suis saisie par le groupe Socialistes et apparentés d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, l'article unique du projet de loi.
Les Helvètes n'ont montré aucune velléité d'envahir la France depuis l'an 58 avant Jésus-Christ – la guerre des Gaules – où ils voulaient aller en Ardèche. Très sincèrement, nous pouvons voter cet accord d'un coeur léger, parce que nous entretenons de bons rapports avec la Suisse, parce que c'est une belle chose pour la France, la Suisse et le monde.
Cette ratification de bon sens est une formalité – une évidence, au même titre que ce que représente le CERN pour nous. Ce qui est moins évident, ce sont ses perspectives, autrement dit l'avenir du CERN et plus largement l'ambition de notre recherche. Dans un contexte d'urgence climatique, et à l'heure où des projets d'envergure – dont le grand collisionneur évoqué par ma collègue Olga Givernet – sont sur la table, le CERN pourrait être davantage en rapport avec les besoins sociétaux.
Cela dit et entendu, afin que la collaboration perdure entre la France, la Suisse et le CERN en vue du développement régional, national et international, le groupe La République en marche votera en faveur de cette ratification. Employons-nous à lever les barrières administratives afin de renforcer les coopérations franco-suisses et aboutir un jour à l'eurorégion du Grand Genève, réalité quotidienne pour plus d'un million d'habitants de ce territoire.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 27
Nombre de suffrages exprimés 27
Majorité absolue 14
Pour l'adoption 27
Contre 0
L'article unique est adopté, ainsi que l'ensemble du projet de loi.
Applaudissements.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à dix-neuf heures vingt, sous la présidence de M. Marc Le Fur.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Tchad relatif aux services aériens et de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Angola relatif aux services aériens (nos 1566, 1789).
La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Deux accords relatifs aux services aériens ont été signés, respectivement avec le Tchad et l'Angola. Le Président de la République a souhaité que nous confortions les relations entre notre pays et le continent africain. D'ailleurs, 2020 sera une année placée sous le signe de l'Afrique. Un sommet Afrique-France se tiendra ainsi à Bordeaux du 3 au 5 juin prochain. Il mettra à l'honneur les villes durables, l'innovation et sera l'occasion d'aborder le sujet des plateformes aéroportuaires. Ce sera également l'année de la saison culturelle « Africa 2020 », organisée avec talent par N'Goné Fall.
Il est ainsi important que nous prêtions attention à ces deux accords qui permettront de multiplier les contacts, les échanges, entre les peuples du Tchad et de l'Angola et celui de la France et, au-delà, avec ceux des pays de l'Union européenne. Un accord aérien existait avec le Tchad mais il datait de 1963. Il n'y en avait pas entre la France et l'Angola. Or les compagnies aériennes françaises sont de plus en plus présentes dans ces deux pays et le nombre de rotations augmente. Nous avons eu la joie de recevoir, il y a un peu plus d'un an, la visite du président de l'Angola, João Lourenço, qui a pu rencontrer de nombreux chefs d'entreprise. Nul doute que les relations économiques en sortiront renforcées mais également les liens entre les sociétés civiles.
Ces accords, d'une facture classique, reprennent pour l'essentiel les dispositions contenues dans le modèle d'accord aérien défini par l'Organisation de l'aviation civile internationale, l'OACI. Ils répondent aux exigences de sécurité, de sûreté et de concurrence équitable.
Le débat s'est concentré, ces derniers mois, sur les incidences du transport aérien pour l'environnement et le climat. Votre commission, à l'initiative de son rapporteur, s'est emparée de ce sujet et d'autres parlementaires ont abordé ce problème.
Sur ce sujet la France, si je puis m'exprimer ainsi, ne reste pas les deux pieds dans le même sabot. Le 9 juillet dernier, à l'occasion du deuxième conseil de défense écologique, nouvelle instance de décision installée par le Président de la République, notre pays s'est engagé à ce que l'Europe avance dans la voie d'une taxation du transport aérien. Les lignes bougent peu à peu. L'urgence est réelle. L'écocontribution annoncée par le Gouvernement s'appliquera pour les vols au départ de la France. Toutes les compagnies sont concernées, quelle que soit leur nationalité, pour ne pas désavantager les compagnies françaises. L'écocontribution sera progressive et modulée par la classe. Elle pourra atteindre les 18 euros pour un vol hors Union européenne en classe affaires.
Face à l'intensification du transport aérien, il est devenu nécessaire de trouver des dispositifs qui permettent de répondre concrètement aux problèmes qui en résultent.
L'industrie a également pris des engagements comme celui d'une croissance neutre en carbone au niveau mondial à partir de 2020 ou d'une réduction de 50 % des émissions de CO2 de l'aviation civile à l'horizon 2050.
Je vous communique ces différentes données mais dans l'immédiat, le Gouvernement vous invite à approuver la ratification de ces deux accords avec le Tchad et l'Angola relatifs aux services aériens.
La parole est à M. Claude Goasguen, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
Vous aurez la chance d'entendre un exposé très bref. Dans la mesure où bis repetita placent, je répéterai ce que j'ai dit en commission, mais ayant meilleur esprit que l'un de mes collègues, je tiens à vous livrer cette répétition en version abrégée. Ce texte entre en effet dans un moule déjà préparé puisque plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de conventions du même type existent déjà. De surcroît, le secrétaire d'État a déjà abordé les principaux problèmes.
J'écouterai avec intérêt la motion de rejet, même si son dépôt me surprend. Elle concernera sans doute le choix des pays en question. Je ne sais pas trop ce que l'on pourrait en dire mais je compte sur l'imagination toujours fertile des auteurs de cette motion.
Bien entendu : les problèmes dont nous parlons n'existent vraiment, n'est-ce pas ?
Vous connaissez tous l'enjeu de ces accords : entrer dans le cadre de la convention de Chicago, un point c'est tout.
Nous avons essayé de corriger, grâce aux remarques éminentes de la commission, des défauts structurels concernant le Tchad et l'Angola. Ce faisant, un remarquable et très intéressant rapport a été rédigé, dont je vous en recommande la lecture attentive.
Sourires. – MM. Bruno Joncour et François Ruffin applaudissent.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.
Les deux accords dont nous discutons ont pour objet d'établir un cadre juridique stable propice au développement du trafic aérien avec deux pays africains, le Tchad et l'Angola. Le rapporteur Claude Goasguen – dont je salue l'excellent travail et le non moins brillant discours qu'il vient de tenir à cette tribune – a rappelé que ces accords s'inscrivent dans une politique globale de la France visant à encadrer le développement des liaisons aériennes avec de très nombreux pays.
Le champ de ces accords est limité à l'aviation commerciale. Nous ne discutons pas ici d'accords de défense mais d'aviation civile, qui est un élément d'ouverture, un vecteur de développement. Le secteur aérien, fort de ses 300 000 emplois directs, est en outre l'un des piliers de l'économie française.
L'aviation civile fait cependant face à des défis que nous devons surmonter ensemble.
Le premier est économique car le secteur aérien est soumis à une forte concurrence. Je n'y reviendrai pas, Claude Goasguen a largement traité de cette question dans son rapport.
Le deuxième défi concerne la sécurité. La sûreté aérienne requiert un effort sans relâche, associant tous les acteurs de l'aviation, dans tous les pays.
Le dernier défi, sur lequel nous devons insister davantage, est celui de l'environnement, qui pose notamment la question du prix du kérosène. Cette préoccupation majeure, soulignée à juste titre par notre rapporteur, est sans aucun doute partagée par de nombreux collègues sur tous les bancs.
L'aviation représente près de 3 % des émissions de gaz à effet de serre à l'échelon mondial, une proportion en nette augmentation. Le kérosène ne fait pourtant l'objet d'aucune taxation, ce qui n'est conforme ni à la justice fiscale, ni à notre volonté commune de lutter contre le réchauffement climatique.
Le Gouvernement a annoncé, à l'issue du conseil de défense écologique du 9 juillet dernier, vouloir corriger cette anomalie en instaurant, en 2020, une écotaxe sur les billets d'avion au départ de la France métropolitaine.
La France rejoint ainsi le groupe des pays européens ayant adopté une taxation sur le kérosène, dont font déjà partie le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Autriche, la Suède et la Norvège.
Mais il est nécessaire d'assurer la cohérence des traités que nous ratifions avec notre droit national, aujourd'hui plus que jamais. Il nous faut donc travailler à un accord avec l'ensemble des pays membres de l'Organisation de l'aviation civile internationale pour mettre fin à l'exemption fiscale générale sur le carburant aéronautique et mieux intégrer l'urgence écologique dans les priorités du secteur aérien.
Certes, monsieur le secrétaire d'État, il s'agit là d'un travail de longue haleine.
Tout à fait !
Mais ce travail est nécessaire : le secteur aérien doit contribuer, dans une juste mesure, à la lutte contre le réchauffement climatique. À nous, la France, d'agir en ce sens.
Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM. – M. François Ruffin applaudit également.
J'ai reçu de M. Jean-Luc Mélenchon et des membres du groupe La France insoumise une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à Mme Danièle Obono.
Ce projet de loi vise à autoriser l'approbation de l'accord relatif aux services aériens passé entre la France et le Tchad et entre la France et l'Angola. Il complète la convention relative à l'aviation civile internationale signée à Chicago en décembre 1944 et à laquelle sont parties le Tchad, l'Angola et la France. Cet accord tend à l'établissement de services aériens entre les territoires respectifs des parties concernées ; il permet d'octroyer des droits de survol sans atterrir etou d'effectuer des escales à des fins non commerciales, en excluant le cabotage de son champ d'application.
Ce texte pose problème à deux niveaux au moins.
Premièrement, il n'aborde pas l'un des enjeux essentiels en matière d'aviation civile internationale : celui que représente l'impératif de la réduction du trafic aérien pour faire face au changement climatique.
Les orateurs précédents ont évoqué ce point. Ils ont dit que tout cela était très important, qu'il fallait faire de petits pas et qu'il s'agissait d'un travail de longue haleine.
Qui nécessite des mesures !
De notre point de vue, ces déclarations et surtout ces actions sont totalement insuffisantes.
Rappelons que la convention de Chicago, qui a instauré l'Organisation de l'aviation civile internationale, chargée de la coordination et de la régulation du transport aérien international, avait pour objectif essentiel, à l'époque de sa ratification, de favoriser l'essor du trafic et d'encourager les échanges au lendemain de la guerre. Cette convention a notamment instauré l'exonération fiscale du kérosène aérien, toujours en vigueur aujourd'hui.
Mais, à l'heure d'une impérative transition écologique, qui exige à la fois la réduction des émissions de gaz à effet de serre et le financement de nouvelles infrastructures écologiques – comme le refinancement des infrastructures ferroviaires, qui ont été démantelées – , cette exemption est plus qu'obsolète. Elle est devenue contre-productive et profondément injuste pour les autres secteurs du transport et surtout pour la majorité de la population qui, elle, est mise à contribution pour le financement de la transition écologique.
Le transport aérien représente 2 à 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre ; un impact qui promet de doubler, voire tripler d'ici 2050. Les projections de l'Association du transport aérien international prévoient un doublement du trafic d'ici à 2036. En 2050, les émissions du secteur pourraient atteindre 20 % des émissions totales si rien n'est fait pour inverser la tendance.
Ce secteur pollue deux fois plus que la voiture et quarante fois plus que le train par personne et par kilomètre parcouru. S'il était un pays, il serait le sixième plus gros pollueur au monde, entre le Japon et l'Allemagne. D'après la Commission européenne, un vol aller-retour transatlantique émet autant de gaz à effet de serre qu'une personne qui se chauffe pendant un an.
Malgré cela, les industriels ont réussi à ne pas être intégrés dans les objectifs de l'accord de Paris sur le climat. Ils ont préféré décider de leur propre cadre au sein de l'OACI qui est, disons-le, une organisation particulièrement opaque où les observateurs de la société civile n'ont pas leur place et ne disposent d'aucune possibilité d'intervention.
Si la France, comme les autres pays signataires de la convention de Chicago, ne peut pas taxer les vols internationaux, elle est libre de le faire pour ses vols intérieurs, comme le font les États-Unis, le Japon, le Brésil ou la Suisse. Le groupe La France insoumise a régulièrement déposé des amendements en ce sens au cours des deux dernières années. Nous continuerons à défendre cette mesure qui nous paraît relever du bon sens au cours des débats parlementaires et nous ne désespérons pas de convaincre la majorité.
Pour taxer le carburant sur les vols internationaux, il faudrait renégocier l'accord et parvenir pour cela à un consensus au sein de l'Organisation de l'aviation civile internationale, ce qui suppose le vote unanime de ses 191 États membres. Ce consensus n'a, jusqu'à présent, jamais été trouvé, mais nous nous devons d'engager de manière volontariste la bataille en ce sens.
Ainsi, comme l'expliquait Kurt Van Dender, chef de la division des politiques fiscales de l'OCDE : « Si des États renégocient ces accords de manière bilatérale, on peut imaginer un regroupement de pays d'Europe de l'Ouest, par exemple, lever ces exemptions et imposer une fiscalité sur le kérosène sur les vols entre leurs territoires ». Nous pourrions et nous devrions nous saisir de ce type d'accord bilatéral pour faire avancer cet enjeu crucial.
En réalité, l'absence de la simple mention de cet enjeu dans le texte qui nous est soumis est révélatrice de l'inconséquence coupable de ce gouvernement et de sa majorité en matière de politique d'adaptation au changement climatique et de transition écologique. Là encore, les discours et la communication ne voileront pas le défaut de politique et l'absence d'engagements concrets.
Rappelons que tous les scientifiques nous expliquent depuis des années que nous n'avons pas le temps d'adapter nos sociétés et que nous devons agir maintenant. Je le répète : face à l'urgence, les petits pas que l'on nous propose sont non seulement insuffisants, mais même coupables.
Deuxièmement, au vu des pays concernés par cet accord, cette inconséquence se double d'une faute politique. Effectivement, monsieur Goasguen, nous allons revenir à cette question qui relève pour vous de l'imagination et de la créativité.
Il n'en est rien, malheureusement. On aimerait croire à une fable ou à l'intrigue d'un film de série B, mais c'est la réalité…
… en ce qui concerne les liens que nous entretenons avec le pouvoir tchadien.
Oui, c'est le Tchad. Nous pourrions parler de l'Angola, puisque la volonté de favoriser le trafic aérien avec ce pays n'est pas sans lien avec le développement actuel de l'exploitation pétrolière. Mais c'est un autre sujet et, faute de temps, je me concentrerai ici sur le Tchad.
Ce pays est dirigé depuis 1990 par un président de la République, M. Idriss Déby, qui a été surnommé « pire dictateur du continent » par le magazine The Economist. C'est un honneur, étant donné le choix qu'il y a, malheureusement, en la matière.
Les organisations de défense des droits de l'homme ont unanimement condamné son régime pour ses atteintes répétées aux droits et aux libertés. En 2018, une réforme constitutionnelle, qui supprime le poste de premier ministre et empêche la création d'un poste de vice-président, lui a permis de concentrer tous les pouvoirs entre ses mains.
Idriss Déby a également mis un point d'honneur à réprimer toute opposition, pratiquant la détention arbitraire et les exécutions extra-judiciaires. Cela n'est point non plus le fruit de l'imagination, à moins de considérer que l'exécution, en 2016, de quarante militaires coupables d'avoir voté pour un autre candidat à l'élection présidentielle est un fait sorti de l'imagination fantasque des organisations de défense des droits humains. Rappelons que le vote s'effectue, dans ce pays, sans isoloir.
À l'occasion de cette élection, les dirigeants et dirigeantes de la société civile, dont le secrétaire général de la Convention tchadienne pour la défense des droits de l'homme, M. Mahamat Nour Ibédou, ont été arbitrairement – et non pas imaginairement – arrêtés et détenus sans inculpation pendant d'interminables semaines.
À l'heure actuelle, une répression très réelle est en cours contre les populations du nord du pays, coupables d'avoir réclamé leur dû : une part des profits tirés de l'exploitation de l'or dont regorgent les sous-sols de leur région, le Tibesti. C'est là le résultat d'une captation systématique par l'élite au pouvoir de la richesse produite, au détriment de l'immense majorité de la population.
Rappelons que ce pays, riche en ressources naturelles et en matières premières, est classé 186e sur 189 si l'on regarde l'indice de développement humain de l'ONU. Pendant la quasi-totalité de l'année 2018, une grève générale a secoué le pays, les fonctionnaires protestant contre la réduction de leur salaire de 10 % à 40 % et contre la corruption endémique.
Or, pour reprendre l'expression du chercheur Thomas Dietrich : « Le Tchad a toujours été le laboratoire de la Françafrique. » Depuis les années 1980, l'État français a soutenu sans réserve ses dirigeants successifs, y compris les uns contre les autres. La France a soutenu Hissène Habré, le prédécesseur de M. Déby, dans sa guerre contre la Libye, se rendant complice des exactions de masse que ce dictateur faisait subir à sa propre population. Les services de la DGSE ont favorisé l'accession au pouvoir d'Idriss Déby en 1990 via un coup d'État contre Hissène Habré.
Depuis lors, M. Déby est soutenu par la France. Ainsi, à deux reprises, en 2006 et en 2008, les hélicoptères de l'armée française sont intervenus pour mettre en déroute des rebelles qui menaçaient le palais présidentiel.
… cette belle association qui a fait tant de bien à ces pays comme au nôtre, grâce aux mallettes d'argent très imaginaires qui ont transité entre les deux continents !
À la fin du mois de décembre dernier, un prêt de 40 millions d'euros et un don de 10 millions ont été consentis par l'Élysée au Tchad afin que le régime puisse payer le salaire des fonctionnaires jusqu'à la fin de l'année. Quand on sait le degré de corruption qui règne au sommet de cet État, il n'est pas certain que l'argent public français ait bénéficié directement aux populations.
La France apparaît ainsi, aux yeux de nombreux Tchadiens et Tchadiennes, et auprès des populations d'Afrique comme d'Europe, comme la protectrice de l'un des régimes les plus prédateurs et les plus corrompus du continent.
Ce soutien ne va pas sans arrangements douteux : que dire de la rencontre qui a eu lieu à N'Djamena au début du mois de décembre 2018 entre Alexandre Benalla, qui était encore, quelques mois auparavant, membre du cabinet présidentiel, et le frère d'Idriss Déby, M. Oumar Déby, directeur de la Direction générale de la réserve stratégique, chargée des achats d'armes ?
À la demande du président tchadien, le 3 février dernier, une patrouille de Mirage 2000 français a ensuite mené des frappes contre une colonne armée de l'Union des forces de la résistance venue de Libye. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, a affirmé que la France était intervenue pour éviter un coup d'État ; il est vrai que notre pays s'y connaît en coups d'État sur le continent africain.
En vérité, Emmanuel Macron renie le précepte qu'il avait promis de respecter pour marquer la rupture de sa politique africaine avec celle de ses prédécesseurs : la non-ingérence militaire dans les affaires politiques intérieures d'un pays africain.
Ne me parlez pas d'accords de défense, monsieur Goasguen : pour juger de leur pertinence, encore faudrait-il que l'on sache ce qu'ils contiennent.
Le communiqué du ministère des armées français justifie clairement ce renoncement : « Les forces armées tchadiennes sont un partenaire essentiel de la France dans la lutte contre le terrorisme, tant au Mali [… ] qu'au sein de la force conjointe du G5 Sahel qu'au travers de son engagement contre Boko Haram. »
Le prétexte de la lutte contre le terrorisme prime désormais – et c'est un prétexte.
Car la lutte contre le terrorisme est devenue un blanc-seing pour les dictateurs de la région sahélienne, qui peuvent ainsi opprimer leur peuple en toute impunité. À rebours de l'objectif affiché, la lutte contre les actes de violence, instrumentalisée par les dictateurs, devient un terreau pour le terrorisme. Car c'est bien la misère produite par ces gouvernements qui profite aux groupes terroristes.
Boko Haram, qui a fait de la région du lac Tchad l'un de ses bastions, prospère sur l'extrême pauvreté qui y règne. Prenons l'exemple des pêcheurs kanuri. À cause de la disparition de 90 % de la superficie du lac et faute d'une politique étatique digne de ce nom, ils n'ont plus de poissons à pêcher et ont fini par soutenir les djihadistes.
Continuer à soutenir un régime qui réprime et maintient dans la misère sa population au nom de la lutte contre le terrorisme est complètement contreproductif, en plus d'être particulièrement indécent.
Nous nous associons donc aux associations, journalistes et intellectuels qui, dans une tribune parue dans Libération en décembre dernier, appelaient le Gouvernement à « cesser ce pacte de Faust avec Idriss Déby » et demandaient que « l'opération militaire Barkhane au Sahel fasse l'objet d'une évaluation afin de déterminer si son action est véritablement efficace contre le terrorisme islamique ou, si en plus de poser un évident problème de souveraineté, elle permet le maintien au pouvoir d'autocrates qui n'ont cure de la souffrance de leur peuple ».
Malgré son apparence anodine, le nouvel accord conclu avec le régime tchadien est une offense faite à toute la population tchadienne mais aussi au peuple français que nous représentons, lequel se trouve ainsi associé aux exactions commises par le régime.
Voilà pourquoi il est temps non seulement de répondre à l'urgence climatique impérieuse en limitant le développement du trafic aérien – c'est une exigence valable pour tous les accords relatifs aux services aériens – mais aussi et surtout de rompre les liens incestueux, délétères, mortifères que notre pays entretient depuis longtemps avec de trop nombreux dictateurs sur le continent.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Si j'adhère à la première partie de votre conclusion, j'estime que, dans la seconde, vous êtes bien injuste avec le Tchad et vous oubliez l'Angola.
Je connais très bien la situation politique en Angola pour avoir eu le malheur d'être désigné par les Nations unies pour observer des élections, les seules dont les résultats n'ont jamais été annoncés. Les dirigeants angolais de l'époque étaient proches de vous – M. Dos Santos, soutenu par les Cubains et le parti communiste, luttait alors contre M. Savimbi. On peut relever un certain autoritarisme dans l'exercice du pouvoir de la part de M. Dos Santos – c'est le moins que l'on puisse. Dans la semaine qui a suivi les élections, dont les résultats n'ont jamais été connus – cas unique dans l'histoire – , 150 000 morts ont été recensés. Ce sont 150 000 personnes qui ont disparu dans la région de la frontière entre le Congo et l'Angola.
Il faut dire – et c'est très triste – que l'Afrique est souvent très mal partie,...
Mais vous ne pouvez pas systématiquement condamner le Tchad et oublier l'Angola.
J'avais quinze minutes ! Si vous me donnez une heure, je vous parle de l'Angola et du pétrole.
Je vous rappelle qu'en Angola, ce sont vos amis qui sont au pouvoir, pas les nôtres.
Je ne me sens pas de liens politiques ni avec le Tchad, ni avec l'Angola…
Je n'ai pas une seule fois entendu parler de l'Angola en réunion de groupe de La France insoumise. Depuis des années que je traîne dans la gauche française, jamais je n'ai entendu l'Angola cité en exemple ni comme ami.
Je parlerai du Tchad dans la discussion générale, mais jamais je ne dirai que ses dirigeants actuels sont vos amis. Peut-être sont-ils les alliés de la France aujourd'hui, mais je ne prétends pas qu'ils sont vos amis. Ce serait placer la discussion politique sur un mauvais terrain que d'accuser d'entretenir de telles amitiés.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Nous n'avons pas le même rapport à l'Angola et au Tchad, car nous n'avons pas la même responsabilité à leur égard. Je ne vois aucune responsabilité de notre pays dans les affaires angolaises. En revanche, la France a aujourd'hui une responsabilité importante dans les affaires tchadiennes.
Vous avez défendu l'accord avec une bonhomie qui m'a incliné à la bonne humeur, à telle enseigne que je vous ai applaudi. L'accord paraît anodin puisqu'il porte sur les services aériens, mais cela n'empêche pas de poser la question des droits de l'homme. Il ne suffit pas de dire que la situation est pire ailleurs. La question doit être posée. La France a une responsabilité.
Au nom de la realpolitik dont je ne suis pas un spécialiste et de la lutte contre le terrorisme, on peut considérer le Tchad comme un allié. Mais il est légitime de s'interroger sur nos alliances aussi.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.
Nous examinons un accord aérien avec le Tchad qui pose d'intéressantes questions économiques, fiscales, et même environnementales.
Mais ce sont d'autres accords sur lesquels je voudrais m'arrêter. Le mercredi 4 septembre, la France et le Tchad ont signé des accords militaires – six au total – sur « l'organisation des forces de sécurité tchadienne », « le renseignement militaire », « la Garde nationale nomade du Tchad ». J'ignore s'ils seront discutés devant notre Assemblée, j'en profite donc aujourd'hui pour les évoquer.
Monsieur le secrétaire d'État, je vous vois lever les yeux au ciel mais vous ne m'avez pas écouté avec attention…
Sourires.
Je cherche à être entendu du Gouvernement. Or, il ne prend pas note que je mets en question les accords militaires entre la France et le Tchad signés le 4 septembre.
Ces accords renforcent la coopération, essentiellement militaire, entre nos deux pays. En fait, ils renforcent le soutien au président Idriss Déby.
Selon les spécialistes, et je n'en suis pas, le Tchad serait le coin supérieur droit du pré carré français. S'il tombe, alors tout l'édifice s'écroule. Voilà qui explique, sans doute, notre appui sans faille au régime depuis près de trente ans. Chez nous, les présidents passent – Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande, et désormais Macron. Là-bas, depuis 1990, le président reste. Et, la même politique se poursuit entre nos deux pays. Il s'agit, dit-on, d'assurer la stabilité de la région. Mais la stabilité de la région se confond, semble-t-il, dans nos esprits, dans ceux des diplomates, avec la stabilité du président.
À de nombreuses reprises, la France est intervenue dans les affaires intérieures tchadiennes, pour, en fait, sauver le président Idriss Déby.
En décembre 1990, Idriss Déby s'empare du pouvoir par un coup de force. L'ancien patron de la direction générale des services extérieurs français – DGSE – reconnaît qu'il a décidé d'éliminer Hissène Habré du pouvoir.
En avril 2006, les rebelles du FUC – Front uni pour le changement – entrent dans N'Djaména mais le régime en place est soutenu par les Français qui tireront sur des membres du FUC.
En février 2008, la guerre civile se poursuit, la rébellion est sur le point de renverser Idriss Déby. À nouveau, le pouvoir est sauvé par une intervention des forces spéciales françaises.
C'est au cours de ces journées – je fais un aparté – que disparaît l'opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh. Il enseignait comme professeur de mathématiques à la faculté d'Orléans. Il avait été plusieurs fois ministre dans son pays. Il était, surtout, le leader de l'opposition démocratique, et non violent. Le 3 février 2008, il y a dix ans maintenant, M. Saleh était enlevé à son domicile par des soldats de la garde présidentielle.
Il s'avère que des conseillers militaires français étaient présents à la présidence tchadienne et, selon plusieurs témoignages, ont été en contact avec M. Saleh après son arrestation. Depuis plus de dix ans, nous sommes sans nouvelles. Son corps n'a jamais été retrouvé. La communauté des mathématiciens de France s'est mobilisée. L'Assemblée nationale s'est mobilisée en adoptant, de manière transpartisane, une résolution demandant que la France fasse la lumière sur cette affaire. Une décennie plus tard, l'obscurité persiste. La justice n'a pas avancé, ni en France, ni au Tchad.
Je termine ma chronologie : à la fin de l'année 2018, Emmanuel Macron passe Noël au Tchad auprès des forces françaises de l'opération Barkhane. Deux mois plus tard, la France bombarde une colonne d'un groupe rebelle, l'Union des forces de résistance, au nord du Tchad. L'opposition éclatée et de nombreuses organisations ont dénoncé cette nouvelle ingérence de la France.
Disons-le franchement, nous appuyons une dictature, la pire dictature du continent d'après The Economist. La situation démocratique au Tchad est catastrophique. Le rapport d'information du groupe d'amitié France-Tchad, publié en avril de cette année, en témoigne clairement.
En 2018, le président Déby a modifié la constitution pour s'assurer douze années supplémentaires au pouvoir, soit jusqu'en 2033. Cette nouvelle constitution supprime également le poste de Premier ministre. Comme le note le rapport, les évêques, l'opposition, la société civile, tous se sont opposés à cette nouvelle constitution. Toujours dans le rapport, il est dit que « la liberté d'expression et l'espace civique semblent entravés par le durcissement des règles relatives aux manifestations et aux associations, ainsi que par la coupure des réseaux sociaux depuis mars 2018 ». Voilà notre allié.
Les élections législatives étaient prévues initialement en 2015 avant d'être annulées. Elles ont ensuite été annoncées pour novembre 2018, mais à nouveau reportées. Elles pourraient avoir lieu à la fin de l'année 2019. Bref, elles sont sans cesse repoussées. Et pourquoi ? Le rapport précité l'explique : « Le président Deby invoque un manque de moyens financiers » pour organiser ce scrutin.
Alors, nous réclamons un autre accord, un accord qui ne porte pas seulement sur les avions, ni les hélicoptères, les armes, les soldats, ou le renseignement militaire, mais un accord qui aide le Tchad à mener une transition démocratique, simplement à organiser, voire financer ces élections législatives. Voilà la coopération prioritaire que nous souhaitons entre nos deux peuples.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Ces accords avec le Tchad et l'Angola sur les services aériens comportent trois éléments auxquels nous nous opposons fermement. Les deux premiers sont communs à la discussion à venir sur les accords avec le Mozambique, l'Éthiopie et le Costa Rica ayant le même objet.
D'abord, les députés communistes sont par principe opposés aux accords de libéralisation économique, qui finissent toujours par détruire ce qu'ils sont censés améliorer – les emplois, les lois, les institutions, etc. Tout est affaibli pour laisser la voie libre à la main invisible du marché, qui n'en finit pas de faire des dégâts.
L'objectif des accords sur les services aériens négociés par l'Union européenne est de créer les conditions d'un ciel débarrassé de toutes règles, au détriment des conditions de travail dans les compagnies aériennes – les compagnies low cost sont souvent les grandes gagnantes, et les salariés, toujours les grands perdants.
La politique de libéralisation du ciel a débuté en 2008 lorsque l'Union européenne a décidé de négocier une ouverture totale des liaisons aériennes, sans aucune restriction, depuis n'importe quel aéroport entre l'Union européenne et les États-Unis. Depuis, le poids de l'Union européenne dans les négociations de ces accords s'est accru, et l'on connaît trop bien l'amour inconditionnel qu'elle porte au libéralisme économique.
Mais les compagnies aériennes européennes peinent à dégager des marges importantes tandis que les celles d'autres zones géographiques, par exemple du Golfe, sont très largement aidées par leurs États respectifs, puisqu'elles sont des outils d'influence. L'Europe met ainsi en danger ses compagnies en appliquant de manière dogmatique un libéralisme acharné.
Les députés communistes pensent qu'il serait bien plus utile de consolider nos compagnies aériennes et leurs salariés en protégeant le ciel européen.
Ensuite, ces accords aériens ont vocation à accroître le trafic, mais la planète peut-elle supporter une telle augmentation ?
La taxation du kérosène, qui a fait débat en commission, devra être une priorité dans les années à venir si nous voulons limiter les pollutions causées par l'aviation. De tels accords visant à développer les échanges aériens appartiennent à un temps révolu.
En France métropolitaine, les déplacements en avion sont trop souvent choisis au seul motif qu'ils sont moins coûteux. Un Paris-Marseille ne devrait pas être meilleur marché en avion qu'en TGV !
Notre environnement doit être sauvé. Ce constat commence à être de plus en plus partagé dans la société et notre devoir, en tant que représentants du peuple, est de veiller à ce que les aspirations de ce dernier soient prises en compte dans les lois que nous votons.
Or cet accord ne fait nulle mention d'écologie ni du respect des accords de Paris. Si le Tchad ou l'Angola ne sont pas de gros pollueurs et que le mode de vie de leurs populations est très éloigné du nôtre, notre devoir est de les aider à atteindre un progrès à la fois social, économique et environnemental. C'est précisément ce que nous avons raté depuis plus d'un siècle et cette mauvaise expérience doit être utilisée au service de leurs futures révolutions industrielles ou sociales.
S'agissant des révolutions populaires – et ce sera mon troisième point – le Tchad en est préservé par la tutelle française, qui bride toute tentative de changement de régime. En atteste le bombardement par notre armée, le 3 février dernier, d'une colonne de véhicules d'opposants au régime d'Idriss Déby, qui progressaient vers le village natal du dictateur. L'armée française est intervenue sur demande du régime tchadien, dont la première préoccupation est son propre maintien.
Or c'est précisément ce maintien qui représente une source de déstabilisation pour le pays. Face à un régime dictatorial aussi brutal que celui d'Idriss Déby, la conclusion d'un tel accord visant à accroître les échanges aériens entre l'UE et le Tchad n'apparaît donc pas opportune si elle n'est pas assortie de contreparties en lien – j'ai eu l'occasion de le dire – avec l'écologie, mais aussi les libertés politiques.
Ce pays, avec Djibouti, constitue l'un des derniers bastions de la Françafrique, aussi les députés communistes ne peuvent en aucun cas soutenir un tel accord.
Concernant l'Angola, la question écologique justifie pour nous à elle seule l'impossibilité de valider ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI.
Nous sommes amenés à nous prononcer sur un projet de loi technique, visant à clarifier et consacrer dans notre droit l'organisation de nos relations aériennes avec l'Angola et le Tchad. Sur le fond, la signature de ces deux accords peut être un motif de satisfaction et je tiens à remercier tous ceux qui se sont investis pour leur aboutissement.
Vous l'avez rappelé monsieur le rapporteur, nous ne partons pas, dans ce secteur, d'une feuille blanche : des éléments de coopération préexistaient en effet au texte soumis aujourd'hui à notre vote, tant avec le Tchad qu'avec l'Angola.
Cette étape n'en demeure pas moins importante, en ce qu'elle répond à la fois à des enjeux d'ordre économique, mais aussi de renforcement de la sécurité aérienne et de sûreté du trafic. Rappelons que, chaque année, quelque 40 000 passagers voyagent entre la France et le Tchad – dans un environnement concurrentiel contraint pour Air France – et qu'environ 60 000 passagers voyagent entre la France et l'Angola, un trafic avec de réelles perspectives de croissance.
Sur la forme, la dimension politique de ces accords revêt également un intérêt non négligeable. Ce processus de ratification marque, de manière générale, la volonté partagée par toutes les parties concernées de renforcer les liens sur un nombre croissant de projets et de domaines.
Il s'agit d'une dynamique positive, tant avec le Tchad que l'Angola. Je tiens d'autant plus à insister sur ce point que ces deux pays se situent dans la circonscription dont je suis la députée et j'en profite pour saluer nos compatriotes qui y résident : d'après les registres consulaires, ils sont près de 1 500 au Tchad et de 2 000 en Angola.
Ces deux pays tiennent, chacun à leur niveau et pour des raisons différentes, une place centrale en Afrique. Le Tchad fait en effet partie du G5 Sahel et joue par conséquent un rôle prépondérant en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme dans toute la région sahélo-saharienne. Quant à l'Angola, je partage pleinement votre appréciation, monsieur le rapporteur, et forme également le voeu que nos relations avec ce pays se développent davantage.
Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe La République en marche se prononcera favorablement sur ce texte.
Certains points d'alerte ont été soulevés lors de l'examen en commission, notamment en matière environnementale. Il convient de les conserver en mémoire afin d'améliorer notre cadre conventionnel dans le secteur, mais ils ne doivent, à mon sens, pas aujourd'hui faire obstacle à un processus globalement positif. En tout état de cause, ce projet de loi relatif aux services aériens, bienvenu et attendu, participera pleinement à la stabilité, au renforcement et au développement des relations notamment économiques et touristiques entre la France et ces deux pays, qui sont d'importants partenaires.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.
Notre assemblée est saisie d'un projet de loi autorisant l'approbation de deux accords relatifs aux services aériens avec le Tchad et l'Angola. M. le rapporteur l'a souligné, la France est déjà signataire d'une centaine d'accords de ce type, qui entraînent la reconnaissance réciproque de droits aériens entre les parties.
Ces deux conventions signées avec le Tchad et l'Angola au début de l'année 2018 démontrent la facilité avec laquelle ce type d'accord est négocié : les termes, essentiellement techniques, reprennent pour l'essentiel les normes découlant de l'application de la convention multilatérale du 7 décembre 1944 relative à l'aviation civile internationale.
Ces accords sont particulièrement importants dans la mesure où les normes nécessitent d'être développées, s'agissant aussi bien des règles économiques permettant d'assurer la libre concurrence que des règles assurant la sécurité et la sûreté du trafic aérien. Même si ce type d'accord n'est pas indispensable à l'établissement de liaisons aériennes entre deux pays, il convient d'assurer ces services dans un cadre juridique suffisamment stable afin de permettre aux compagnies de se développer.
Ces accords revêtent par ailleurs une portée particulière dans la mesure où ils permettent de nouer des liens plus étroits avec les pays concernés. La France entretient ainsi des relations anciennes et importantes avec le Tchad. Il s'agit d'un de nos partenaires majeurs au Sahel dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et nos forces armées combattent côte à côte sur de nombreux théâtres d'opération.
Premier partenaire économique du Tchad, la France demeure très fortement investie pour le développement de ce pays, par le biais notamment de sa politique de développement. Les engagements de l'Agence française de développement se sont ainsi élevés à 68 millions d'euros en 2017 et à 77 millions d'euros en 2018.
En matière de services aériens, le précédent accord signé en 1963 apparaît obsolète : il était donc impératif d'en élaborer un nouveau. L'accord que nous nous apprêtons à ratifier devrait ainsi aider notre compagnie aérienne nationale à faire repartir à la hausse son trafic vers le Tchad.
S'agissant de l'Angola, la situation est différente, car nous n'avions avec ce pays aucun accord en matière de services aériens. Établir un cadre juridique stable devrait nous permettre de développer nos relations économiques et politiques avec ce pays, qui dispose d'une position stratégique dans cette région de l'Afrique.
En définitive, ce type d'accord garantit le respect des normes de sécurité et de sûreté de l'aviation civile.
Ajoutons enfin que la convention avec le Tchad prévoit un engagement en faveur de la protection de l'environnement. Comme nous l'avions souligné en commission, il conviendrait qu'à l'avenir ces accords comportent ce type de clause et que nous mettions un terme à la règle de l'exemption de taxation financière des transports aériens.
Ainsi, le groupe du Mouvement démocrate et apparentés votera en faveur de ce texte.
Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.
La compagnie Qatar Airways s'apprêterait à entrer au capital de la compagnie aérienne nationale angolaise, TAAG. L'intérêt d'une grande compagnie du Golfe démontre qu'une forte croissance est attendue en ce qui concerne le trafic aérien en Afrique au cours des prochaines décennies. Il paraît donc opportun d'examiner les deux accords qui nous sont aujourd'hui présentés. Ces derniers reprennent, pour l'essentiel, les normes qui découlent de l'application de la convention multilatérale relative à l'aviation civile internationale du 7 décembre 1944, dite convention de Chicago.
Notons néanmoins que plusieurs arrêts rendus par la Cour de justice de l'Union européenne de 2002 consacrent la compétence de l'Union en matière de transport aérien international, contraignant les États membres à notifier préalablement la Commission européenne lorsqu'ils concluent des accords en matière de services aériens.
Tous les orateurs l'ont rappelé, la France et le Tchad entretiennent d'étroites relations bilatérales, à commencer par une intense coopération en matière de lutte contre le terrorisme : l'état-major de l'opération Barkhane est en effet installé à N'Djaména.
La France fait de plus partie des principaux partenaires commerciaux du Tchad, les exportations à destination de ce pays ayant atteint 87 millions d'euros en 2017.
La France est également le premier partenaire bilatéral au développement du Tchad, hors aide humanitaire et alimentaire. Ainsi les engagements de l'Agence française de développement se sont élevés à 77 millions d'euros en 2018.
Le rapport le rappelle, concernant les relations aériennes, Air France assure quatre vols par semaine entre Paris et N'Djaména, aucune autre compagnie aérienne n'opérant de liaison directe entre le Tchad et l'Europe. Le trafic aérien s'est élevé, en 2018, à 38 000 passagers, la moitié ayant ensuite pris une correspondance.
En ce qui concerne l'Angola, la France entretient un dialogue politique soutenu avec ce pays, portant notamment sur les questions de sécurité régionale. En 2015, la France était le neuvième fournisseur de l'Angola, tandis que ce pays était le troisième destinataire d'investissements directs français en Afrique avec 5 milliards d'euros, les échanges commerciaux étant dominés par les hydrocarbures et le pétrole brut.
Quant aux relations aériennes, la France propose, depuis 2017, trois vols par semaine entre Paris et Luanda, le trafic aérien s'élevant à 58 000 passagers par an.
Les deux accords reprennent, pour l'essentiel, les dispositions contenues dans le modèle d'accord aérien défini par l'OACI : ils octroient un droit de survol, un droit d'escale, ainsi qu'un droit d'exploiter des services aériens internationaux.
Les parties reconnaissent également la validité des certificats de navigabilité, des brevets d'aptitude et des licences délivrées par l'autre pays, ainsi que la possibilité de procéder à des inspections au sol des aéronefs, de façon à s'assurer de leur bon état.
Les deux accords prévoient enfin une exemption douanière et fiscale sur l'équipement des aéronefs, sur les carburants et lubrifiants, ainsi que sur les pièces détachées. Cette exemption fiscale touchant le kérosène a suscité des opinions très critiques en commission, plusieurs groupes s'accordant sur la nécessité de revoir ces clauses. J'espère donc que nous aurons prochainement l'occasion d'en reparler.
Au vu de ces éléments, les députés du groupe Socialistes et apparentés voteront en faveur de ces conventions.
Mme Marielle de Sarnez applaudit.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
L'article 1er est adopté.
L'article 2 est adopté.
Le projet de loi est adopté.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale démocratique d'Éthiopie relatif aux services aériens, de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Costa Rica relatif aux services aériens et de l'accord relatif aux services aériens entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mozambique (nos 1174, 1798).
La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Ces trois accords relatifs aux services aériens présentent la même architecture et la même économie générale que les deux accords précédents. Ils concernent toutefois des zones géographiques différentes, puisqu'ils ont été conclus respectivement avec l'Éthiopie, le Costa Rica et le Mozambique. Ces trois États sont en train de devenir des îlots de stabilité – ou de stabilisation, s'agissant du Mozambique – dans des régions qui demeurent politiquement incertaines. Les accords permettront de favoriser et d'accroître nos échanges politiques, économiques et culturels avec ces trois pays.
Je dirai un mot sur chacun d'eux.
Forte de 94 millions d'habitants, l'Éthiopie est, très clairement, une nouvelle puissance régionale. L'année 2018 a été marquée par quelques événements spectaculaires, notamment un rapprochement avec l'Érythrée en vue de régler les suites du conflit entre les deux pays, avec des visites croisées des chefs de l'exécutif. Le Président de la République Emmanuel Macron y a effectué une visite bilatérale importante, qui a permis de lancer un certain nombre de projets et de coopérations. Les échanges commerciaux bilatéraux sont très dynamiques, et le trafic entre Paris et Addis Abeba est en très forte croissance.
Permettez-moi à ce stade d'avoir une pensée émue pour nos compatriotes décédés lors du crash du Boeing 737 MAX d'Ethiopian Airlines. J'ai eu l'occasion de rencontrer les familles. Nous les accompagnons du mieux que nous pouvons dans cette épreuve.
Le Costa Rica, pays d'Amérique centrale, est connu pour sa stabilité démocratique, pour son engagement ancien et résolu en faveur de l'environnement, ainsi que pour une exception, le fait de ne pas posséder d'armée. Nous avons beaucoup à partager avec lui, notamment pour promouvoir le multilatéralisme, qui est, vous le savez, mis à l'épreuve en ce moment à l'échelle mondiale. Le Costa Rica fait très clairement partie de nos alliés dans la défense du multilatéralisme.
Le Mozambique, qui a été marqué par une guerre civile, connaîtra dans quelques semaines des élections générales. Nous avons développé avec lui des liens de plus en plus forts. Les investissements français au Mozambique vont croissants et cette tendance va se poursuivre. Dès lors, tout ce qui est de nature à faciliter les échanges avec ce pays, en particulier le développement du transport aérien, est positif.
Je ne m'étendrai pas davantage, monsieur le président, car nous avons déjà débattu de la philosophe de ces accords. J'ai dit combien la France était attachée à la prise en compte des questions environnementales, d'où les décisions prises par le conseil de défense écologique le 9 juillet dernier. Nous menons en outre un travail acharné au sein des instances européennes et internationales, afin de progresser sur la taxation du kérosène, évoquée précédemment par la présidente de la commission des affaires étrangères. C'est un combat qui, je le crois, nous réunit tous.
J'espère que vous nous suivrez, mesdames, messieurs les députés, pour l'approbation de ces accords.
La parole est à M. Christophe Di Pompeo, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
Les trois accords qui font l'objet du présent projet de loi relèvent d'un type d'instrument international très classique, les accords sur les services aériens. La France en a signé avec une centaine d'États ou territoires autonomes. Leurs clauses sont généralement très proches, car elles reprennent pour l'essentiel les stipulations d'un modèle élaboré par l'Organisation de l'aviation civile internationale, l'OACI, institution onusienne créée en 1944.
Dans le cas présent, il s'agit de trois accords conclus en 2017, respectivement avec l'Éthiopie, le Costa Rica et le Mozambique. Ces trois États ne font pas partie de nos principaux partenaires dans le domaine aérien, mais il s'agit de pays dynamiques avec lesquels il existe de belles opportunités de développement.
Forte de 94 millions d'habitants, l'Éthiopie apparaît de plus en plus comme un pôle de stabilité et une puissance régionale dans une Afrique orientale malheureusement marquée par les crises, les guerres civiles, les désastres humanitaires et le terrorisme. C'est un pays très dynamique, dont la croissance annuelle s'est établie en moyenne à 10 % sur la dernière décennie et qui est devenu le quatrième marché pour les exportations françaises en Afrique subsaharienne.
En outre, l'Éthiopie joue un rôle stabilisateur déterminant : c'est le premier pays contributeur de troupes aux opérations de maintien de la paix des Nations unies, avec près de 8 400 casques bleus déployés, et l'un des premiers pays d'accueil des réfugiés en Afrique, avec environ 900 000 personnes hébergées.
Enfin, l'Éthiopie a connu l'année dernière plusieurs tournants politiques majeurs et très positifs : de nombreux opposants emprisonnés ont été libérés ; l'état d'urgence a été levé ; les relations ont été normalisées avec l'Érythrée. La récente visite du président Emmanuel Macron est venue saluer toutes ces évolutions.
Dans le domaine aérien, l'Éthiopie dispose, avec Ethiopian Airlines, d'une compagnie en forte croissance, qui exploite actuellement un service direct quotidien entre Addis Abeba et Paris. Le trafic entre les deux capitales a plus que doublé depuis 2013, approchant les 200 000 passagers par an.
Le Costa Rica est certes de taille modeste, mais sa prospérité relative, sa stabilité démocratique, la variété de ses paysages et de ses espaces naturels protégés ainsi que son attrait touristique lui ont valu le surnom significatif de « Suisse de l'Amérique centrale ».
Tout à fait !
Chaque année, 3 millions de touristes visitent ce pays, dont 70 000 Français. Il convient aussi de relever que le Costa Rica dispose d'un statut d'observateur auprès de l'Organisation internationale de la francophonie. C'est le seul pays d'Amérique latine où le français est obligatoire dans l'enseignement secondaire.
Air France exploite depuis 2016 une ligne directe entre Paris et San José, qui a été progressivement renforcée : nous en sommes à quatre vols par semaine. Le trafic direct a dépassé 70 000 passagers l'année dernière, et les projections laissent espérer une progression constante.
Le Mozambique a connu une histoire difficile, avec une longue guerre d'indépendance, puis une guerre civile de près de vingt ans après le retrait des Portugais en 1975. La période actuelle est toutefois à l'apaisement. Par ailleurs, le pays attire les regards des investisseurs en raison des énormes réserves de gaz offshore situées au large de ses côtes. Selon certaines prévisions, il pourrait recevoir 100 milliards de dollars d'investissements durant la décennie 2020 et connaître alors une croissance annuelle de 20 %.
Le renforcement de nos liens avec le Mozambique s'avère donc stratégique, dans une région où la France a une présence historique. Nos échanges avec ce pays sont pour le moment limités dans tous les domaines, y compris le trafic aérien. Il n'existe plus de ligne entre la France et le Mozambique depuis la fin des années 1990. Le trafic annuel sur les vols de connexion est évalué à 8 000 passagers par an.
Nous avons une autre raison importante de ne pas nous désintéresser du Mozambique : c'est pour nous un voisin, car la France, je le rappelle, est présente dans le sud-ouest de l'océan Indien, à La Réunion, à Mayotte ainsi que dans les trois îles dites Éparses du canal du Mozambique – Europa, Bassas da India et Juan de Nova – , dont les zones économiques exclusives jouxtent celle du Mozambique.
J'en viens aux clauses des trois accords eux-mêmes, très proches dans la mesure où il existe un modèle standard.
Dans les trois textes, les deux partenaires décident mutuellement de développer leurs relations aériennes, en s'engageant à autoriser, sous certaines conditions, les compagnies désignées par le partenaire à exploiter des lignes entre les deux pays. Des dispositions visent à garantir certains droits des compagnies aériennes, notamment celui d'ouvrir des bureaux commerciaux, celui de partager des codes avec d'autres compagnies et celui de rapatrier leurs recettes commerciales. Les pratiques anticoncurrentielles sont interdites. Des volets importants sont consacrés à la sécurité et à la sûreté. Ils prévoient notamment la possibilité d'inspecter les avions au sol et de prendre des mesures conservatoires unilatérales si des problèmes sont détectés.
En réalité, une seule clause de ces accords peut faire débat, celle relative à l'exonération fiscale du kérosène embarqué – nous l'avons déjà évoquée précédemment. Il est évidemment légitime de s'interroger sur la fiscalité appliquée aux différents carburants ainsi que sur la contribution des différents modes de transport à la nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, l'exonération du carburant des vols internationaux est mondiale et a été entérinée dès les débuts du développement de l'aviation commerciale par la convention de Chicago de 1944.
Dès lors, nous savons que toute évolution ne peut être que progressive et multilatérale. Les accords bilatéraux ne sont pas le lieu où l'on peut remettre en cause l'existant. Il faut des positions européennes et des discussions dans le cadre de l'OACI ou d'autres forums multilatéraux. Il y a d'ailleurs déjà eu quelques avancées à l'OACI sur la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, qui demeurent toutefois insuffisantes. C'est dans ce cadre qu'il faut continuer à agir.
Dans ce contexte, je le rappelle, la secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, Brune Poirson, a confirmé il y a six mois à Bruxelles, aux côtés de la Belgique et des Pays-Bas, que « le secteur aérien [devait] contribuer pleinement à la lutte contre la pollution » et a plaidé en faveur d'une taxe carbone sur les billets d'avion ou d'une taxe sur le kérosène.
C'est exact !
Ce sujet fondamental sera, je le crois, inscrit prochainement à l'agenda européen, puisque la direction générale des transports de la Commission européenne a récemment commandé une étude à ce sujet.
Je reviens à l'objet principal de mon rapport : les trois accords dont il est question permettront le renforcement de nos liens et de nos échanges commerciaux et touristiques avec trois pays en devenir ; ils encourageront, directement et indirectement, l'économie et la croissance de la France et de ses trois partenaires.
Précisons qu'ils comprennent le corpus habituel de dispositions finales que l'on trouve dans les accords internationaux : possibilité de consultations et d'éventuelles modifications par voie d'amendement, conditions d'entrée en vigueur, conditions d'une éventuelle dénonciation, obligation d'enregistrement auprès de l'OACI.
J'en termine par les perspectives d'entrée en vigueur de ces accords. Au Costa Rica, la procédure de ratification n'est toujours pas achevée. En Éthiopie, le projet de loi de ratification devrait être soumis prochainement au vote du parlement. Au Mozambique, les procédures internes nécessaires ont été menées à bien en novembre 2017.
Mes chers collègues, je vous invite à adopter le projet de loi autorisant l'approbation de ces trois accords de facture très classique passés avec des partenaires d'avenir.
M. Michel Fanget applaudit.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.
Les trois accords qui nous sont soumis ont le même objet que ceux conclus avec le Tchad et l'Angola, dont nous venons de discuter : il s'agit de préciser le cadre juridique du trafic aérien commercial avec nos partenaires.
Dans son excellente présentation, le rapporteur, Christophe Di Pompeo, a rappelé les perspectives de l'Éthiopie, du Mozambique et du Costa Rica, pays à très fort potentiel de développement. Il a également observé que la centaine d'accords aériens signés par la France comportent des clauses très voisines, dans la mesure où ils reprennent le modèle élaboré par l'OACI.
Ces accords n'en sont pas moins très utiles, car ils précisent les prérogatives des administrations en matière de contrôle de la sécurité et de la sûreté du transport aérien, ce qui est évidemment indispensable. Ils apportent par ailleurs des garanties de traitement équitable, sur le plan économique, à nos compagnies aériennes.
Reste le sujet sensible de la détaxation du kérosène – je l'ai évoqué précédemment et j'y reviens. Nous devons oeuvrer pour faire évoluer les pratiques dans ce domaine. Le transport aérien doit être intégré aux engagements communs sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et, donc, prendre toute sa part des obligations, y compris financières, imposées aux secteurs émetteurs de ces gaz. Il est nécessaire de transformer l'aviation commerciale pour résoudre ce problème. La France et l'Europe doivent être en pointe sur la question. Peu de moments dans l'histoire de l'aéronautique ont nécessité une révolution technologique d'une telle ampleur.
Nous allons prochainement instaurer une écotaxe nationale sur les billets d'avion. L'action en ce sens doit aussi être poursuivie au niveau international. Les clauses des accords bilatéraux qui prévoient une exonération du kérosène proviennent d'un modèle établi par l'OACI. Les rejeter au cas par cas n'aurait aucun sens. C'est dans le cadre multilatéral que nous devons agir.
Nous pourrions nous inspirer de ce qui se fait au sein de l'OCDE en matière de lutte contre l'évasion fiscale, en concevant de nouveaux instruments juridiques multilatéraux contraignants qui s'imposeraient à tous les accords bilatéraux existants. Il y a là un beau champ d'action pour notre diplomatie. Je remercie le secrétaire d'État de nous avoir confirmé, dans son propos liminaire, que la France continuerait de s'engager et d'agir dans cette direction.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes MODEM et LaREM.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Paul Lecoq, que nous écoutons donc de nouveau.
Sourires.
C'est du stakhanovisme !
Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir dit que vous aviez plaisir à m'écouter de nouveau sur ces questions internationales.
Je répète à propos de ces accords aériens avec l'Éthiopie, le Costa Rica et le Mozambique ce que j'ai indiqué précédemment à propos des accords de même nature avec le Tchad et l'Angola – dans la mesure où il ne s'agissait pas d'un scrutin public, je précise que nous avons voté contre le projet de loi autorisant leur approbation : les députés communistes sont, par principe, opposés à tous les accords de libre-échange dont le seul but est de déréguler des secteurs qui nécessiteraient plutôt une régulation internationale.
Nous devons prendre très au sérieux les problèmes écologiques posés par le transport aérien dans le monde si nous voulons limiter au maximum le dérèglement climatique. En effet, les changements climatiques sont de plus en plus nombreux, de plus en plus violents.
Président du groupe d'amitié dédié au Mozambique, je puis témoigner que ce pays a été touché deux fois cette année, de manière quasiment consécutive, par des catastrophes naturelles d'une ampleur inédite, catastrophes dont la fréquence est appelée à augmenter à cause du réchauffement climatique.
Les cyclones tropicaux Idai et Kenneth ont frappé le Mozambique le 14 mars et le 25 avril. Le premier a dévasté le centre du pays et fait plus de 1 000 morts et 2 millions de sinistrés ; il a littéralement rayé de la carte plusieurs villes, faisant de la côte un véritable champ de ruines. Le second, avec des rafales atteignant 200 kilomètres par heure, a touché une zone moins peuplée mais a tout de même causé quarante-cinq morts et 250 000 déplacés, et il a détruit plusieurs milliers d'habitations et de commerces. Toutes ces pertes humaines sont une conséquence du dérèglement climatique ; nous devons en être conscients.
Après le passage du cyclone Idai, la France a indiqué avoir envoyé une aide humanitaire au départ de la Réunion, notamment un avion transportant soixante-cinq tonnes de matériel d'urgence, comme des unités de potabilisation, du matériel électrique, des tentes et de la nourriture.
Monsieur le secrétaire d'État, il serait intéressant, après quelques mois, que le Gouvernement informe la représentation nationale des suites de cette intervention d'urgence. Qu'en est-il aujourd'hui de la situation au Mozambique ?
M. Lemoyne acquiesce.
Par ailleurs, cette situation catastrophique intervient à quelques mois des élections générales, prévues le 15 octobre prochain, et complique la donne.
Anticipant les élections, les deux principaux partis, la RENAMO – Résistance nationale mozambicaine – , transformée en parti politique à la fin de la guerre civile qui a déchiré le pays de 1976 à 1992, et le Frelimo – Front de libération du Mozambique – ont décidé de signer un accord de paix le 6 août dernier. Il est constitué de deux points : l'intégration dans l'armée et la police de plus de 5 000 combattants de la Renamo et un changement constitutionnel qui permet aux gouverneurs des régions d'être élus au suffrage direct, autorisant l'intégration de la Renamo dans le jeu politique.
Même s'il semble fragile, cet accord est à saluer : il suscite un espoir très important pour la reconstruction du pays. Celle-ci passera aussi par son désendettement, lequel pourra peut-être commencer grâce aux réserves de gaz découvertes au large du Mozambique, qui font partie des plus importantes réserves mondiales : 5 000 milliards de mètres cubes, soit la consommation de la France pendant plus de cent ans. Les multinationales gazières estiment que le pays produira 32 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié chaque année à partir de 2024, à destination des marchés asiatique et européen.
Avec l'exploitation de ses réserves gazières, le Mozambique deviendra le troisième exportateur de gaz du monde et sa politique énergétique aura d'importants enjeux. Le cercle de réflexion « Multinationales et droits humains », sur la responsabilité des entreprises donneuses d'ordres, que je codirige avec Mireille Clapot et Dominique Potier, se soucie des conséquences politiques, économiques et écologiques de l'exploitation d'un tel chantier, dans le contexte de ce pays. Les multinationales seront-elles en mesure de créer des projets respectueux de l'environnement et de payer tous leurs impôts, sans pratiquer l'évasion fiscale qui nuit tant aux peuples ?
Les projets gaziers auront d'importantes conséquences pour les habitants. Le Mozambique sera-t-il en mesure de partager ce gâteau avec son peuple, qui a cruellement besoin d'aide, surtout après le passage des deux cyclones ? Sa situation est d'autant plus difficile qu'il subit les attaques régulières de groupes djihadistes : il s'agit là d'un autre enjeu pour le Mozambique, même s'il a peu été évoqué.
Je ne suis pas intervenu sur l'actualité de l'Éthiopie et du Costa Rica, mais j'estimais de ma responsabilité d'évoquer celle du Mozambique, qui suscite donc de nombreuses questions. Dominique Potier, Mireille Clapot et moi-même serons vigilants aux réponses qui seront apportées.
Comme vous l'avez compris, le groupe communiste ne votera pas cet accord, pour les mêmes raisons qu'il n'a pas voté l'accord avec la République du Tchad et la République d'Angola, à savoir son opposition aux accords de libéralisation et à leurs conséquences écologiques.
M. Christian Hutin applaudit.
Je vais d'abord rappeler le contexte de ces trois accords. Ils portent sur les services aériens entre la France et respectivement l'Éthiopie, le Costa Rica et le Mozambique, et reprennent pour l'essentiel des dispositions contenues dans le modèle d'accord aérien proposé par l'OACI – Organisation de l'aviation civile internationale – , institution spécialisée des Nations unies, créée par la convention de Chicago de 1944.
Ces trois accords comportent de nombreux aspects environnementaux. Ils consacrent en conséquence la possibilité d'exploiter, pour chaque partie respective, les premières « libertés de l'air », telles que définies par l'OACI : liberté de survol sans atterrir, liberté d'escale non commerciale, liberté d'embarquer ou de débarquer des passagers, du fret et du courrier, en provenance ou à destination de l'État qui a désigné le transporteur aérien.
Ces accords ont été rendus nécessaires par l'absence d'accord bilatéral entre la France et le Costa Rica sur les relations aériennes. Je rappelle également que les relations aériennes avec le Mozambique et l'Éthiopie font l'objet d'ententes respectives, signées en 1991 et 2008. Un accord avait été signé entre la France et l'Éthiopie en 1970, mais avait ensuite été dénoncé en 1979 par la France. Il s'agit d'actes juridiquement non-contraignants.
En ce qui concerne l'Éthiopie, l'établissement de relations aériennes juridiques et stables s'inscrit dans le cadre d'une stratégie de renforcement de la présence française à l'est de l'Afrique, dans des pays dont elle était généralement absente. Le Président de la République s'est ainsi rendu du 11 au 14 mars à Djibouti, en Éthiopie et au Kenya, dans le cadre d'une tournée inédite pour un Président de la République dans cette partie du continent. Comme il l'a souligné, « les plaques sont en train de bouger dans cette région au sens large. Elle est la plus peuplée d'Afrique et elle concentre les trois grands défis du continent : le défi démographique, le défi de l'islamisme radical et du djihadisme, le défi du développement. »
L'Éthiopie est par ailleurs au coeur d'une transformation profonde instaurée par le Premier ministre réformateur : paix avec l'Érythrée voisine, démocratisation, parité au sein du Gouvernement, lutte contre la corruption et modernisation de l'économie du pays. Le Président français a souligné lors de cette rencontre que « nous voulons porter le renouvellement qui est le vôtre et prendre part à cette nouvelle page de l'histoire de l'Éthiopie » – à l'aide d'une relation de coopération, et non de subordination.
Pour ce qui est du Mozambique, l'accord aérien peut également s'inscrire dans le cadre d'un renforcement de la présence de la France. L'accord devrait toutefois être de faible portée dans un premier temps : il n'existe plus de ligne entre la France et le Mozambique depuis la fin des années 1990 et le trafic indirect entre les deux pays ne s'élève qu'à 8 000 passagers par an.
Quant au Costa Rica, il représente un État stable et attractif dans une région dont la France est également absente. Air France opère depuis novembre 2016 une liaison directe entre Paris et San José, qui a été progressivement renforcée avec désormais quatre rotations hebdomadaires.
Personnellement, je vous conseille de voter ce texte…
Pour nous, ces trois accords sont importants parce qu'ils définissent un cadre juridique qui place les États signataire à égalité, et non dans une relation de subordination.
Ils confirment le droit européen en incluant les clauses modernes de sûreté, de sécurité et de respect de l'environnement, et je le dis, mes chers collègues, en regardant la gauche.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM. – M. Christian Hutin applaudit.
Notre Assemblée est saisie d'un projet de loi autorisant la ratification de trois accords relatifs aux services aériens avec l'Éthiopie, le Costa Rica et le Mozambique. Comme M. le rapporteur l'a rappelé, la France est déjà signataire d'une centaine d'accords de cet ordre, qui entraînent la reconnaissance réciproque de droits aériens entre les parties.
La signature de ce type de conventions ne pose la plupart du temps pas de problème dans la mesure où les termes de ces accords sont d'ordre essentiellement techniques, reprenant les normes découlant de l'application de la convention multilatérale relative à l'aviation civile internationale du 7 décembre 1944 dite « convention de Chicago ».
Ces accords sont particulièrement importants dans la mesures où les normes demandent à être augmentées, tant en matière de règles économiques, qui permettent d'assurer la libre concurrence, que de règles qui assurent la sécurité et la sûreté du trafic aérien.
Même si ce type d'accord n'est pas indispensable à l'établissement de liaisons aériennes entre deux pays, il convient d'assurer ces services d'un cadre juridique suffisamment stable pour que les compagnies puissent se développer.
Ces accords ont par ailleurs une portée particulière puisqu'ils permettent aussi de nouer des liens plus forts avec les pays concernés – au premier chef l'Éthiopie, pays auquel le Président de la République a récemment rendu visite, la première d'un chef d'État français depuis près d'un demi-siècle. Il ne faut pas négliger les liens qu'un tel accord peut sceller entre nos deux pays. La question sécuritaire demeure bien entendu, mais il s'agit d'un pas de plus dans le rapprochement que nous opérons avec l'un des deux pays africains qui entreprennent une réforme interne d'une très grande ampleur, l'un des plus peuplés aussi, et qui est appelé à jouer un rôle majeur dans la région au cours décennies à venir.
Le Président de la République a ainsi rappelé les liens profonds et anciens qui nous lient à la République d'Éthiopie dont la culture millénaire est un des plus beaux témoignages de notre commune humanité.
Plus pragmatiquement, cet accord devra permettre de soutenir la très forte croissance du trafic aérien depuis la fin des terribles guerres qui ont ensanglanté la région.
Il en va de même pour le Costa Rica, pays stable dans une Amérique latine qui bouge, et avec lequel nous partageons une vision des possibles résolutions des grands enjeux internationaux.
Quant au Mozambique, son détroit est aujourd'hui stratégique dans un océan Indien qui va redevenir dans les prochaines décennies le coeur du commerce mondial, par voie maritime bien sûr, mais aussi par voie aérienne. Nos territoires éparpillés dans la région ont besoin de notre appui pour poursuivre leur intégration régionale.
Pour toutes ces raisons, le groupe du Mouvement démocrate et apparentés votera bien entendu ce texte.
M. Dino Cinieri applaudit.
Sur l'ensemble du projet de loi, je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Christian Hutin.
Vous aurez constaté que nous avons à peu près réussi à terminer dans les temps, malgré la fin de la démocratie globale dans cet hémicycle, puisque nous avons perdu cinq minutes de temps de parole. Nous ne vous en voudrons donc pas si vous nous rendez cinq minutes dans les années, les mois ou les semaines à venir – je trouverais ça plutôt sympa.
Mme de Sarnez sourit et acquiesce.
Maintenant, chacun fait ce qu'il veut.
Pourquoi cette convention est-elle importante ? Premièrement, elle concerne trois pays.
L'Éthiopie, d'abord. Nous y sommes allés ensemble, madame la présidente : nous sommes allés visiter le siège de l'Union africaine, et je pense que le moment qu'alors nous avons vécu…
… était un beau moment, fait de discussions et d'observations très intéressantes. Nous avons rencontré des gens extrêmement motivés, dont certains venaient nous voir alors qu'ils étaient malades, vous rappelez-vous ?
Mme de Sarnez acquiesce.
Nous avons vécu des moments de grands échanges. La compagnie Ethiopian Airlines est exceptionnelle – vous avez d'ailleurs dû négocier avec l'Assemblée nationale, parce qu'Air France n'était pas au même niveau. Je le dis pour que les choses soient claires.
C'est pourtant ainsi que cela s'est passé. Les tarifs d'Ethiopian Airlines étaient moins chers, le hub de ce pays est magnifique. Cet accord avec l'Éthiopie est exceptionnel.
Le cas du Costa Rica est différent – c' est une deuxième nation pour moi. Mes enfants de 20, 25 et 30 ans sont amoureux de ce beau pays, très vert, vertueusement vert. Il ne faut toutefois pas oublier que le hub est au Panama et qu'il est très états-unien.
Mon collègue Jean-Paul Lecoq a parlé du Mozambique ; je n'ai rien à ajouter. Si ce pays rencontre des difficultés, on y constate aussi la volonté d'avancer ; la situation est plus complexe. Mon groupe votera évidemment en faveur de cet accord, qui est merveilleux.
J'apporterai un bémol toutefois : sommes-nous schizophrènes ? Les accords dont nous discutons aujourd'hui garantissent l'exonération de tous impôts. Il n'y aura pas de TVA, aucun impôt sur les billets d'avion. Quid du bilan carbone ? Il y a deux jours, j'écoutais une émission de deux heures et demie sur France info. On y apprenait qu'un billet entre Paris et New York coûte 226 euros, soit quatre centime par kilomètre.
Je suis favorable à la démocratisation du transport aérien. Toutefois, il y a ici une forme de schizophrénie. Qu'on songe au bilan carbone, quand on propose des vols entre Paris et New York à un tel prix… Il faudra à un moment réfléchir à la contradiction entre la préoccupation écologique et la promotion du transport aérien.
Quoi qu'il en soit, nous voterons le projet de loi
Mme Christine Pirès-Beaune applaudit.
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.
À l'issue de cette très longue séance au cours de laquelle nous avons débattu de cinq conventions, permettez-moi de remercier le Gouvernement, et plus particulièrement son représentant Jean-Baptiste Lemoyne, qui a répondu et s'est engagé en son nom sur des questions importantes, ce dont je le remercie.
Je remercie en outre chacune et chacun des collègues présents tout au long de cet après-midi et de ce début de soirée pour leur assiduité, leur engagement, leur conviction. Je suis toujours très heureuse que les conventions soient l'occasion, dans cet hémicycle, de consacrer du temps à la politique étrangère, c'est-à-dire aux affaires du monde. J'ai l'intime conviction que les affaires que l'on dit « étrangères » ne le sont absolument pas pour les citoyens du monde que nous sommes : elles nous concernent chacun d'entre nous, comme elles concernent chacun de nos compatriotes.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
Les articles 1er, 2 et 3 sont successivement adoptés.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 28
Nombre de suffrages exprimés 28
Majorité absolue 15
Pour l'adoption 25
Contre 3
Le projet de loi est adopté.
Prochaine séance, mardi 24 septembre après-midi, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Votes par scrutin public des propositions de loi ordinaire et organique visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral ;
Discussion du projet de loi relatif à la bioéthique.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures cinquante.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra