Intervention de Rémi Delatte

Réunion du mardi 22 octobre 2019 à 18h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRémi Delatte, rapporteur pour avis :

Nous examinons les crédits consacrés aux entreprises, prévus dans le programme 134 « Développement des entreprises et régulations ». Je souhaite d'abord vous livrer les principaux éléments tirés de l'analyse des crédits du projet de loi de finances pour 2020. Avant d'en venir au fond, je dirai un mot de la maquette du programme, qui reste largement insatisfaisante. En effet, ce programme ne reflète que partiellement l'action publique menée en faveur des entreprises. Les crédits restent épars et de nombreux dispositifs de soutien sont débudgétisés, car gérés directement par des opérateurs publics comme Bpifrance. C'est un frein important à l'efficacité du contrôle parlementaire sur le bon usage des deniers publics.

Venons-en maintenant aux crédits consacrés aux entreprises dans le cadre du projet de loi de finances. Cette année encore, force est de constater que les efforts consentis par l'État pour encourager la compétitivité des entreprises et la vitalité économique des territoires reculent. Ce désengagement sur des sujets pourtant stratégiques pour notre économie doit nous inquiéter.

Avec un peu plus d'un milliard d'euros, le montant total du programme 134 enregistre une légère progression par rapport à l'année précédente, mais, comme vous l'avez indiqué M. le Président, cette hausse traduit essentiellement la montée en puissance du dispositif de compensation carbone pour les entreprises électro-intensives soumises à la concurrence, dont les variations sont totalement dépendantes de l'évolution du marché des quotas d'émissions carbone. En dehors de cette augmentation, la quasi-totalité des dispositifs financés par le programme sont soumis à des restrictions budgétaires.

Le constat est sans appel : chaque année, le programme 134 se vide un peu plus de sa substance. Quelques exemples suffisent pour s'en convaincre : après la suppression de l'activité de garantie et celle du fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (FISAC) l'an dernier, cette année signe le retrait de l'État en matière de soutien aux métiers d'art. J'y suis particulièrement sensible car ceux-ci représentent 60 000 entreprises, 120 000 emplois et 15 milliards d'euros en France. Ils participent à la préservation des savoir-faire, ainsi qu'au rayonnement économique, culturel et touristique de notre pays. La fin du crédit d'impôt en faveur des métiers d'art, auquel il faut ajouter la suppression de la dotation budgétaire aux organismes de formation, sont de mauvais coups portés à ce secteur d'excellence.

L'effort budgétaire consenti en faveur du soutien à l'export pour les entreprises diminue également, tandis que le soutien apporté aux pôles de compétitivité apparaît largement incertain. Le programme 134 est aussi concerné par des restrictions fortes d'emplois publics, le schéma de réduction équivalant à la suppression de 155 équivalents temps plein (ETP).

Analyser l'évolution des crédits du programme revient à faire une liste à la Prévert des coupes budgétaires dont les petites entreprises sont les premières victimes. S'il n'est pas illogique que l'État repense ses modalités d'actions en faveur des entreprises, dans un contexte de décentralisation, les transferts de compétences doivent s'accompagner de transferts de ressources – c'est une obligation constitutionnelle. La décentralisation ne saurait être utilisée comme écran face à la baisse des moyens de l'État. Si l'effort de rationalisation de l'usage des deniers publics est une démarche louable, la logique du rabot budgétaire sans véritable stratégie de dépense et d'efficacité de l'action publique est très regrettable.

J'ai déposé plusieurs amendements de crédits, qui seront discutés ultérieurement, afin de réallouer des moyens vers plusieurs dispositifs essentiels à la dynamique économique. Vous l'aurez compris, j'émets donc un avis défavorable sur les crédits consacrés aux entreprises dans le projet de loi de finances pour 2020.

J'en viens au soutien à l'économie de proximité, auquel j'ai consacré la seconde partie de mon rapport. Ce secteur contribue de façon substantielle au dynamisme et à l'attractivité des territoires. Il fait face à des difficultés structurelles connues, qui tiennent aux mutations nombreuses de ces dernières années. Qu'il s'agisse du développement de la grande distribution en périphérie des villes ou de l'essor pris par le commerce en ligne, les changements dans les habitudes des consommateurs bouleversent les modèles de l'économie de proximité.

Les difficultés qu'elle rencontre nourrissent le risque de dévitalisation commerciale et artisanale : 25 % des habitants en milieu rural vivent dans une commune dépourvue de tout commerce – ce sont les chiffres du Gouvernement. Le taux de vacance commerciale dans les centres-villes de France aurait atteint 11,9 % en 2018, contre 7,2 % en 2012. Cette dévitalisation, vous le savez, préoccupe de plus en plus nos concitoyens – les mouvements sociaux de l'année dernière l'ont hélas souligné.

Les pouvoirs publics ont récemment envoyé plusieurs signes positifs en faveur du commerce de proximité, témoignant d'une prise de conscience que je tiens à relever. Toutefois, l'action du Gouvernement reste empreinte d'ambiguïtés et de contradictions, et de nombreux dispositifs pourtant reconnus dans les territoires sont abandonnés.

Je déplore l'obstination à diminuer les moyens accordés au réseau consulaire, notamment aux chambres de commerce et d'industrie (CCI). Je regrette également la mise en gestion extinctive du FISAC : ce fonds permet pourtant de soutenir des actions de revitalisation qui ont montré toute leur utilité sur le terrain – je sais que plusieurs d'entre vous en sont aussi convaincus. Nous y reviendrons à l'occasion de la discussion des amendements.

Je tiens à souligner les incertitudes liées au devenir des zones de revitalisation rurales (ZRR). Ce dispositif de zonage permet de favoriser le développement des entreprises dans les territoires ruraux, par le biais de mesures fiscales et sociales. Or, 4 074 communes doivent sortir du dispositif au 1er juillet 2020, et les exonérations arrivent à échéance le 31 décembre 2020.

Un mot des nouveaux outils mis en place par le Gouvernement : il ressort des auditions que j'ai menées qu'ils peinent à convaincre et à produire des effets sur le terrain. Ainsi, le programme « Action Coeur de ville » constitue une bonne initiative, mais sa mise en pratique souffre de nombreuses lacunes. 222 centres-villes de villes moyennes ont été sélectionnés et 5 milliards d'euros doivent être mobilisés sur cinq ans, dont 1,7 milliard d'euros de la Caisse des dépôts et consignations. Le programme pourrait considérablement gagner en efficacité opérationnelle si les parties prenantes – en particulier les collectivités – étaient mieux associées à la signature des conventions. Pour le moment, le volet économique passe au second plan, l'accent étant plutôt mis sur le logement. En outre, ce programme est incomplet : les centres-bourgs et les territoires ruraux sont les grands oubliés de cette politique de revitalisation commerciale et artisanale amorcée par le Gouvernement. Je propose dans mon rapport qu'une politique au moins aussi ambitieuse que celle prévue dans le cadre du programme « Action Coeur de ville » soit menée pour les territoires ruraux. Un programme « Petite ville de demain » doit voir le jour, selon les informations que nous avons pu obtenir du Gouvernement, mais ses contours et les moyens alloués restent pour le moment floues.

Les autres outils proposés par le Gouvernement pour lutter contre le risque de dévitalisation sont en deçà des enjeux. L'une des principales mesures du projet de loi de finances – un nouveau dispositif d'exonération fiscale – concerne les communes rurales isolées et les territoires faisant l'objet d'une opération de revitalisation du territoire. Mais les exonérations seront facultatives ! Il y a peu de chances que les collectivités concernées, déjà confrontées à des difficultés financières, décident de se priver de recettes…

Une nouvelle impulsion doit donc être engagée en matière de revitalisation commerciale et artisanale. La mise en place de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) est une occasion que nous ne pouvons pas manquer ! La future ANCT devra pleinement intégrer les missions auparavant exercées par l'établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA). Opérateur historique de la revitalisation dans les quartiers de la politique de la ville, les compétences de cet établissement public se sont peu à peu élargies et l'EPARECA est désormais compétent pour intervenir dans les opérations de revitalisation. Une nouvelle évolution positive a été actée par la loi n° 2019-753 du 22 juillet 2019 portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires, puisque les interventions seront désormais ouvertes dans tous les territoires fragiles.

La création de l'ANCT doit également être l'occasion de repenser de manière plus large le pilotage de la revitalisation artisanale et commerciale. Les marges de progression sont nombreuses. La démarche partenariale entre acteurs privés et acteurs publics doit être généralisée. À ce titre, sous certaines conditions, les managers de centre-ville se révèlent particulièrement utiles. Sur le terrain, ils peuvent incarner la démarche publique-privée inhérente aux enjeux de revitalisation économique. Pour cela, ils doivent se situer à l'interface entre les deux secteurs. Dans mon avis, je dégage des pistes pour professionnaliser ce métier.

Les difficultés de l'économie de proximité nécessitent également de mener une réflexion transversale sur les autres leviers à actionner pour soutenir les acteurs du secteur. À ce titre, nous devrions porter une attention particulière à la formation des artisans. Nous en avions discuté lors des débats parlementaires autour de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « PACTE ». La suppression du caractère obligatoire du stage de préparation à l'installation (SPI) était une fausse bonne idée. Les artisans peuvent désormais s'immatriculer au répertoire des métiers sans avoir au préalable réalisé ce stage, devenu facultatif. Or le SPI constituait un dispositif très utile d'accompagnement des futurs artisans afin qu'ils puissent s'installer dans les meilleures conditions. Il offrait un cadre protecteur, à la fois pour le futur entrepreneur, mais également pour ses futurs clients et prestataires. La formation des artisans pourrait faire l'objet d'un volet particulier de la nouvelle stratégie annoncée par la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances pour le commerce et l'artisanat de proximité.

Monsieur le président, pour répondre à votre question, cette stratégie se décline en cinq axes : l'amélioration du financement des très petites entreprises (TPE) et la simplification du choix du statut le plus adapté ; la facilitation de la transition numérique ; la simplification des procédures ; l'accompagnement vers la transition énergétique et écologique ; la promotion de l'artisanat et du commerce de proximité dans les territoires.

Il faut saluer certaines mesures de bon sens, qui apportent des réponses à des difficultés régulièrement soulignées par les acteurs. La secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances a ainsi annoncé le relèvement du seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence pour la conclusion de marchés publics à 40 000 euros hors taxes. Cela va dans la bonne direction et permettra de faciliter l'accès des artisans à la commande publique. Afin de renforcer la cohérence de l'action publique, un lien doit être établi entre cette stratégie et les actions de l'ANCT, en particulier sur le dernier volet de la stratégie qui doit concerner la promotion de l'artisanat et du commerce dans les territoires.

Si ces mesures de bons sens sont largement bienvenues, le plan manque malgré tout d'ambition, de vision stratégique et de moyens. À ce jour, aucun financement supplémentaire n'est envisagé pour ces mesures, comme l'a indiqué le Gouvernement. En tant que parlementaires, nous devrons donc nous assurer que les bonnes intentions se traduiront véritablement en actions car l'annonce de cette stratégie suscite des attentes fortes sur le terrain.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.