Intervention de Max Mathiasin

Réunion du mercredi 23 octobre 2019 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMax Mathiasin, rapporteur pour avis sur la mission Outremer :

La question de la vie chère est une préoccupation majeure dans les territoires ultramarins, conséquence inéluctable de l'éloignement, de l'insularité et de l'étroitesse des marchés locaux qui ne permettent pas d'économies d'échelle. Elle ne saurait pourtant être considérée comme une fatalité, les Assises des outre-mer comme le vote de la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer (EROM) et, plus récemment, les ambitions affichées par la ministre des outre-mer, avec la présentation de la trajectoire 5.0 l'ont démontré. Faire le choix de présenter un budget centré sur un développement économique durable, c'est assumer celui de ne pas céder à la facilité, qui consisterait à se résoudre à une inégalité persistante entre la métropole et nos territoires ultramarins.

Transformer en atouts les apparentes faiblesses liées à l'éloignement, à l'insularité et à l'étroitesse des marchés est la gageure à laquelle répond le présent budget de la mission « Outre-mer ». Les crédits de la mission reflètent cette ambition, en affichant un montant équivalent à celui voté en loi de finances pour 2019, à périmètre constant, soit 2,61 milliards d'euros. Les transferts et changements de périmètre rationalisent la lisibilité de l'affectation des crédits sans pour autant entamer la cohérence de la présente mission, qui traduit ses priorités dans ses deux programmes : « Emploi outre-mer » et « Conditions de vie outre-mer ».

Si le budget de la mission « Outre-mer » apparaît donc globalement stable, hors mesures de périmètre et prévisions de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), il fait néanmoins apparaître une légère baisse des crédits de paiement, qui diminuent de 0,7 %, alors que les autorisations d'engagement affichent une progression de 2 %. Néanmoins, la baisse des crédits de paiement n'est qu'apparente, si l'on tient compte à la fois des changements de périmètre et des transferts de crédits sur l'exercice 2020. Quant à la baisse des crédits de paiement, il faut également la relativiser au regard des difficultés de consommation des crédits révélées par l'exécution budgétaire en 2018 et par l'exercice en cours pour 2019.

Structuré en quatre actions, le programme 138 « Emploi outre-mer » concentre dans l'action n° 01 « Soutien aux entreprises » 92 % des crédits, hors titre 2, c'est-à-dire hors dépenses de personnel. Cette action contient les crédits de compensation des exonérations de charges patronales pérennes faisant suite à la suppression programmée du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) telle qu'initiée en 2018.

S'agissant du programme 123 « Conditions de vie outre-mer » structuré en huit actions, c'est également l'action n° 01 « Logement » qui concentre l'essentiel des crédits destinés à financer les politiques publiques en faveur du logement.

La mission « Outre-mer » connaît par ailleurs plusieurs changements de périmètre, qui expliquent la baisse apparente des crédits. Ainsi, 7,6 millions d'euros changent d'affectation au profit de la mission « Cohésion des territoires », qui dépend du ministère de l'intérieur ; ils sont plus précisément intégrés dans le programme 162 « Interventions territoriales de l'État », 0,2 million d'euros étant destinés aux mesures de réparation de l'utilisation du chlordécone, et 7,4 millions d'euros devant être consacrés à la réorganisation des services de l'État en Guyane.

90,5 millions d'euros correspondant à la dotation globale d'autonomie de la Polynésie sont également soustraits de la mission « Outre-mer », à la demande des élus polynésiens, pour être affectés à un prélèvement sur recettes de l'État.

À l'inverse, la mission bénéficie d'une mesure de transfert de crédits en faveur de la Guyane, à hauteur de 127 millions d'euros.

Le défaut d'ingénierie, tant dans les services de l'État que dans ceux des collectivités territoriales a conduit à un niveau significatif de sous-consommation des crédits de l'exercice 2018. Aussi le présent budget prévoit-il d'affecter 13 millions d'euros au financement des missions d'ingénierie et d'études au profit des collectivités territoriales.

Vous m'avez interrogé, Monsieur le président, sur les déterminants de la vie chère, en outre-mer. Cela rejoint le thème que j'ai retenu pour mon rapport, qui analyse le rôle que jouent les importations agro-alimentaires outre-mer dans le surenchérissement du coût de la vie, ce qui m'amène à répondre à votre seconde question : oui, le développement de la production locale peut être une réponse à la problématique de la vie chère outre-mer, mais cela nécessite certaines adaptations, notamment fiscales, que je préconise dans mon rapport.

Les importations agro-alimentaires, qui doivent pallier l'insuffisance de la production locale, augmentent le coût de la vie pour une triple raison : d'abord du fait du déficit commercial structurel qu'elles engendrent ; ensuite à cause de la tension concurrentielle qu'elles font peser sur les produits locaux, en particulier dans le cas d'importation de produits de dégagement ; enfin, parce qu'elles génèrent des coûts d'approche qui sont répercutés sur les prix.

En ce qui concerne le déficit commercial structurel, les chiffres parlent d'eux-mêmes : selon l'Office de développement de l'économie agricole des départements d'outre-mer (ODEADOM), la production agricole des départements d'outre-mer s'établit à 3 millions de tonnes, pour une valeur – hors aides – de 917 millions d'euros. Les importations de produits agricoles et agro-alimentaires dans les départements et régions ultramarines s'élèvent à un peu plus de 2 milliards d'euros, contre 360 millions d'euros pour les exportations des produits de même type. En conséquence, le déficit commercial a été de 1,8 milliard d'euros en 2018, sachant que seuls 26 % de l'approvisionnement des distributeurs proviennent de la production locale dans les territoires concernés.

À cela s'ajoute la concurrence déloyale que subit la production locale du fait de l'importation de produits dits « de dégagement ». Ces produits, essentiellement carnés et surgelés, se caractérisent par leurs prix très bas, qui imposent aux producteurs locaux une insoutenable pression à la baisse. Pour votre rapporteur, les produits de dégagement, tout en répondant à une demande spécifique, pourraient, du fait de ces prix très bas, entrer dans le champ de l'interdiction légale de vente à perte.

Enfin, le coût des importations n'est pas non plus neutre. Dans son avis du 12 juillet dernier sur les règles de la concurrence en outre-mer, l'Autorité de la concurrence a mis en évidence le fait que les coûts d'approche qui comprennent le transport maritime, l'octroi de mer, la manutention et les frais de dédouanement représentent entre 20 et 30 % du montant total des marchandises importées pour les territoires et régions d'outre-mer. Il convient de préciser que ces montants sont non seulement plus élevés pour les territoires les plus éloignés, comme la Polynésie française, mais également que la structure des coûts d'approche diffère selon ces territoires, le fret maritime en composant néanmoins toujours la part la plus importante, comme l'a rappelé l'Autorité polynésienne, de la concurrence dans son récent rapport.

Les coûts d'approche représentent 16 % du coût moyen total d'un distributeur, ce qui correspond à un coût supplémentaire de 19 %, lequel se répercute sur le prix final payé par le consommateur et explique en partie la différence de prix entre un même produit acheté en métropole ou importé dans les territoires ultramarins.

L'octroi de mer représente le premier poste de dépense dans les coûts d'approche : 12 % sur un montant total de 28 % de coûts d'approche agrégés. Cette taxe poursuit deux objectifs contradictoires : d'une part, protéger la production locale de la concurrence des importations et, d'autre part, assurer le financement des collectivités territoriales ultramarines, qui fixent les taux applicables.

Votre rapporteur préconise de pérenniser un régime d'aides spécifiques dont l'octroi de mer, qui s'avère nécessaire pour protéger la production locale et inciter à son développement. Critiqué du fait de son coût, pour votre rapporteur le régime de l'octroi de mer a fait montre d'une utilité certaine même s'il apparaît nécessaire de l'adapter pour une plus grande efficacité. Nous recommandons de réexaminer les taux d'octroi de mer applicables aux produits importés pour lesquels il n'existe pas d'équivalent dans la production locale. Cela conduirait à faire mécaniquement baisser le prix de certains produits alimentaires, sans remettre en cause l'objectif consistant à protéger la production locale. Pour les produits sans équivalents locaux, le taux d'octroi de mer pourrait ainsi être ramené à zéro.

Nous proposons également de simplifier la grille des taux d'octroi de mer pour la rendre géographiquement plus cohérente. Pour autant, dans la mesure où ces taux sont fixés par les collectivités territoriales, une telle révision ne pourrait se faire sans concertation préalable avec les exécutifs locaux, qui sont les plus à même de connaître la réalité économique, les besoins locaux et leurs propres besoins en termes de financement.

Outre le maintien des régimes d'aides existants, votre rapporteur insiste sur la nécessité de créer des aides spécifiques pour préserver et développer une production locale encore fragile, qui souffre d'un déficit de compétitivité. La diversification et l'organisation des filières agricoles sont les voies qui permettront d'atteindre de nouveaux marchés, notamment en métropole et en Europe. Nous proposons ainsi que, pour les territoires ultramarins autres que la Guyane et Mayotte, une TVA de 0 % soit appliquée sur les produits alimentaires de première nécessité, afin de rendre la vie moins chère – une liste de ces produits devra être établie. Nous recommandons que les distributeurs soient encouragés à baisser leurs marges sur cette liste de produits limitativement définie.

Votre rapporteur préconise également d'établir une aide spécifique pour une durée limitée, afin d'encourager davantage le développement des filières de diversification selon les territoires.

Une autre proposition enfin consiste à créer une aide spécifique à la création de labels ultramarins portant sur des produits bruts ou transformés sur place. Une montée en gamme des produits issus de la production locale et identifiés comme tels, serait un moyen de répondre au déficit d'exportations qui frappe les territoires ultramarins, même si le présent projet de loi de finances rend les échanges inter-DOM éligibles à l'aide au fret.

Renforcer le développement de la production agricole ultramarine est un moyen efficace de lutter contre la vie chère. Je voterai pour les crédits de la présente mission, eu égard à l'ambition qu'elle porte en termes de développement économique durable.

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