Intervention de Stéphane Peu

Séance en hémicycle du mardi 29 octobre 2019 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2020 — Justice

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Peu :

Pour la dix-huitième année consécutive, le budget de la justice va connaître une augmentation. Une question se pose alors : n'est-il pas paradoxal que, malgré cette progression continue, les missions essentielles de l'exercice de la justice ne soient toujours pas assurées convenablement dans notre pays, et même qu'elles se dégradent année après année ? Dans ce domaine comme dans d'autres, il existe des effets de seuil.

On ne compensera pas à la petite cuillère la faiblesse criante des moyens dont dispose notre justice. Alors que votre loi de programmation pour la justice prévoyait une augmentation de 400 millions d'euros, vous ne proposez finalement que de lui affecter 200 millions l'an prochain : une demi-mesure de plus qui aura la même utilité et les mêmes résultats que les précédentes décisions.

Dois-je rappeler à notre assemblée que la France ne consacre que 66 euros par habitants pour financer son système judiciaire ? C'est moitié moins qu'en Allemagne ou qu'au Royaume-Uni. Ce manque de moyens budgétaires se traduit d'abord par un manque de moyens humains : la France ne compte qu'un juge pour 10 000 habitants – moitié moins que la moyenne de l'Union européenne – et on y compte un tribunal pour 100 000 habitants. C'est en France que le nombre de procureurs est le plus faible et, logiquement, c'est en France qu'un procureur a le plus de dossiers à traiter et que ses conditions de travail contribuent à altérer son indépendance statutaire. C'est encore en France que l'aide juridictionnelle est l'une des plus faibles d'Europe.

Nos considérations sur le projet de budget de la justice pour 2020 doivent donc partir de ce tableau préoccupant et incompréhensible pour la sixième puissance mondiale.

Or votre projet de budget ne permet pas de combler le « retard historique structurel » de la justice française, pour reprendre les mots du magistrat Jean-Paul Jean, président de chambre à la Cour de cassation et président de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice.

Deuxième observation, votre projet de budget s'inscrit dans le cadre de votre réforme de l'organisation judiciaire, imparfaitement je l'ai dit, puisqu'il n'en respecte pas la feuille de route budgétaire. C'est bien sûr, selon nous, une raison supplémentaire de le rejeter. Je veux rappeler à quel point cette réforme a été et reste contestée par l'ensemble des organisations syndicales et des professions de justice. Vous allez bouleverser la carte judiciaire et ses principes, comme cela a déjà été largement été évoqué cette après-midi ; vous allez accroître la hiérarchisation entre les juridictions d'un même département. En réalité, vous allez porter atteinte à la justice de proximité, comme nous l'avons amplement dénoncé lors de l'examen de la loi controversée. Vous savez à quel point mon département, la Seine-Saint-Denis, parmi d'autres, est attaché à la justice de proximité.

Quant à l'administration pénitentiaire, si elle reste le premier poste budgétaire de la mission et si ces crédits augmentent de 6,2 % en 2020, avec un accroissement des effectifs, cette augmentation budgétaire et ces créations d'emplois seront principalement dédiées au projet de nouvelles constructions de places de prison.

Ce projet budget ne résoudra pas le problème de la surpopulation carcérale. Rappelons qu'il n'y a jamais eu autant de personnes incarcérées et que la France est le seul pays européen dont le nombre de détenus augmente : ce nombre a atteint un nouveau record, avec 71 828 personnes incarcérées au 1er avril 2019.

Concrètement, dans chaque prison, les moyens seront donc toujours insuffisants en 2020. Les créations d'emplois ne combleront pas le manque de personnel et ne permettront pas d'améliorer significativement les conditions de travail : les rythmes harassants, les heures supplémentaires trop nombreuses, la pénurie de moyens et les pressions hiérarchiques sur les personnels de l'administration pénitentiaire.

S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, le présent budget marquera l'entrée en vigueur au 1er octobre 2020 du code de la justice pénale des mineurs, pourtant dénoncé par l'ensemble des acteurs comme inadapté pour lutter contre l'enfermement des enfants. Et si, dans ce cadre, vous créez 70 emplois, 729 seront en revanche supprimés à la protection judiciaire de la jeunesse, alors que l'ensemble des professionnels de la justice des mineurs sont hostiles à votre réforme et appellent à un débat à son sujet.

Dans l'intérêt du justiciable et dans l'intérêt général, notre justice mériterait un véritable plan d'urgence pour les moyens humains et matériels, lequel ne saurait être différé une année de plus. C'est pourquoi le groupe GDR ne votera pas pour ce budget, qui, selon nous, n'est nullement à la hauteur des enjeux.

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