Le projet de loi d'orientation des mobilités m'inspire trois réflexions.
Première réflexion : vous avez mis du temps à accrocher votre wagon au train des arguments que nous avions développés en faveur d'une contribution du secteur aérien au financement de la transition écologique. Cette contribution est nécessaire, indispensable. Qui plus est, vous êtes dans une certaine contradiction : vous estimez que la question doit être tranchée à l'échelle européenne – c'est ce que Bruno Le Maire a déclaré récemment au journal Les Échos, et on ne saurait lui donner tort – mais vous refusez, en même temps, que notre pays soit pionnier en la matière.
Au regard de ce qui se fait à l'étranger, la proposition que vous avez faite dans le cadre de ce projet de loi apparaît en définitive assez timide. Vous prenez souvent l'Allemagne et le Royaume-Uni pour modèles. Or, outre-Rhin, la contribution est de 7 euros pour les vols intérieurs, de 14 euros pour les vols moyen-courrier et de 42 euros pour les vols long-courrier. Elle rapporte 1 milliard d'euros. De même, outre-Manche, la contribution est de 14 euros pour les vols inférieurs à 3 200 kilomètres et de 23 euros pour les vols plus longs, et elle rapporte 3,5 milliards d'euros chaque année à l'État britannique.
Pour votre part, vous avez proposé une contribution allant de 1,50 à 3 euros pour les vols en classe économique, et de 9 à 18 euros pour les vols en classe affaires. Son produit s'établira, en 2020, à 180 millions d'euros. Vous êtes donc vraiment en deçà de ce qui se pratique en Europe.
Deuxième réflexion : un passager clandestin se niche dans votre texte, à l'article 20, relatif à l'ubérisation que nous observons actuellement dans le domaine des transports. Vous y annoncez l'établissement d'une charte dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises. Or celle-ci s'apparente malheureusement à un contrat plutôt favorable aux plateformes, alors que plusieurs décisions de justice récentes ont requalifié des emplois dans les secteurs concernés par l'ubérisation. Je pense notamment aux salariés de Deliveroo, qui ont fait grève pour dénoncer à la fois leurs conditions de travail et la diminution de leur rémunération, décidée de façon unilatérale par la direction de l'entreprise. Je crains malheureusement – certes, cela peut se discuter – que l'article 20 ne conduise à favoriser l'ubérisation en cours dans le domaine des transports. Selon moi, ce n'est pas le modèle de notre pays.
Troisième réflexion : il y a dans ce texte une destination inconnue, une destination qui n'existe pas. Vous avez affiché l'ambition d'en finir avec les zones blanches, celles qui ne relèvent d'aucune autorité organisatrice des mobilités. Elle est louable, et nous l'avons applaudie. Toutefois, comme vous confiez ces compétences et ces responsabilités aux collectivités sans leur attribuer les moyens correspondants, ladite ambition reste un voeu pieux.
Le Sénat ne s'y est d'ailleurs pas trompé, puisqu'il a souhaité flécher vers le financement de ces compétences, au profit des collectivités, une partie du produit des taxes appliquées aux carburants. Pour votre part, vous entendez y affecter seulement une fraction de TVA, ce qui n'est pas à la hauteur de l'exigence : il conviendrait de donner aux territoires la capacité d'apporter des réponses aux attentes de leurs habitants, qui ont besoin d'une offre de transport plus développée.
Pis, dans le projet de loi de finances pour 2020, vous avez amputé de 45 millions d'euros la dotation destinée à compenser le relèvement à 11 salariés du seuil à partir duquel les entreprises acquittent le versement transport.
Bref, le compte n'y est pas, et c'est bien dommage.
À l'issue de l'examen du texte en nouvelle lecture à l'Assemblée, les députés du groupe Socialistes et apparentés s'étaient abstenus. Même si vous aviez refusé l'ensemble de nos amendements, nous avions alors considéré qu'il y avait une démarche constructive. Vous nous aviez donné rendez-vous lors de la discussion du projet de loi de finances, adopté aujourd'hui même en première lecture. Or nous constatons malheureusement qu'il s'agit d'un rendez-vous manqué. C'est pourquoi nous voterons contre le texte.