Intervention de Bruno Questel

Réunion du mercredi 25 octobre 2017 à 21h00
Commission élargie : finances - lois constitutionnelles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Questel, rapporteur pour avis de la commission des lois pour l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse :

La justice, rendue au nom du peuple français, caractérise, avant tout autre domaine de l'action publique, la place de l'État. Nos compatriotes en attendent énormément lorsqu'ils sont victimes et la trouvent éminemment sévère s'ils sont mis en cause. C'est pourquoi la justice doit être forte et respectée, indépendante et intransigeante. Aujourd'hui, elle doit se réformer tout en poursuivant son oeuvre de protection quotidienne ; cette mutation sera le symbole par excellence de notre capacité à réformer l'État et la République.

Les crédits de la mission « Justice » augmentent de 3,8 %. La justice était l'une des priorités d'Emmanuel Macron, candidat à l'élection présidentielle ; elle est l'un des postes budgétaires sanctuarisés dans le projet de loi de finances pour 2018 soumis à notre approbation. Au-delà de l'augmentation des crédits, les postes créées – 730 dans l'administration pénitentiaire et 40 postes d'éducateurs au sein de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) – sont autant de signes donnés aux personnels et aux justiciables en faveur du renforcement des moyens de ces deux administrations.

Trop souvent la justice est apparue laxiste à nos concitoyens, trop souvent les élus de la République sont apparus protégés par cette institution séculaire. Aujourd'hui, la ligne tracée par le Président de la République et par le Premier ministre, et les cinq chantiers de la justice que vous avez lancés, madame la garde des sceaux, sont autant de gages du caractère irréversible de l'évolution de l'institution judiciaire à venir pendant ce quinquennat.

Le contexte dans lequel nous évoluons justifie que les moyens de l'administration pénitentiaire et de la PJJ soient sanctuarisés. La justice ne retrouvera toute sa crédibilité que si nos concitoyens recouvrent une pleine confiance en l'action publique dans toute sa dimension. Cela vaut particulièrement pour les mineurs radicalisés, qui doivent retenir toute notre attention.

Les moyens de l'administration pénitentiaire et de la PJJ sont donc sanctuarisés. Le budget de l'administration pénitentiaire augmentera de près de 80 millions d'euros ; c'est un accroissement de 2,2 % par rapport à 2017 à périmètre constant. Ces crédits, personnels non pris en compte, s'élèveront donc à 1,2 milliard d'euros.

Sept cent trente-deux postes seront créés. Ils répondent pour partie aux besoins du renseignement pénitentiaire – 35 emplois –, des extractions judicaires de proximité – 50 emplois –, des services pénitentiaires d'insertion et de probation – 150 emplois – et, à titre principal, visent à faire face aux ouvertures d'établissements, avec 470 emplois.

Ce qu'il convient de retenir à ce stade est la création d'un nombre important de postes pour une administration qui souffre d'un déficit d'attractivité mais aussi de reconnaissance. Les nombreux postes vacants dénotent aussi combien ces métiers ne sont plus aujourd'hui attractifs et sont rarement exercés par vocation ou passion.

En effet, au-delà de la seule question financière, il est évident – et les auditions des professionnels de l'administration pénitentiaire nous l'ont confirmé – que ce métier est en crise, qu'il s'exerce dans un univers en tension et que les craintes de voir des incidents ou accidents dramatiques se produire sont réelles et quotidiennes.

Cette administration doit relever cinq défis : faire face à un recrutement en crise ; tirer les conséquences de la création de 15 000 nouvelles places dans les années à venir ; gérer les violences latentes du milieu carcéral ; faire face aux nouvelles menaces, principalement celles liées à la radicalisation ; absorber les conséquences de l'échec des réformes pénales tendant à la mise en place de peines alternatives comme la contrainte pénale.

Pour leur part, les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) augmentent de 22 millions d'euros. Ils permettront principalement de financer les 40 postes d'éducateurs créés. Ils doivent aussi permettre au personnel de se sentir pris en considération par l'institution mais également par les acteurs de la justice qui n'appréhendent pas toujours l'importance de leur mission.

Ces évolutions s'inscrivent dans les perspectives ouvertes par les cinq chantiers de réforme de la justice, lancés par Mme la ministre : la transformation numérique ; l'amélioration et la simplification de la procédure pénale ; l'amélioration et la simplification de la procédure civile ; l'adaptation de l'organisation judiciaire ; le sens et l'efficacité des peines.

Ce dernier chantier nous intéresse au premier chef et nous permet de mesurer combien les services d'insertion et de probation doivent être renforcés pour que l'individualisation des peines se traduise dans le suivi des dossiers et des parcours de vie des personnes concernées et dans les perspectives de réinsertion proposées, à moins de considérer qu'un séjour en prison signifie à la fin de toute perspective de vie personnelle réussie sinon aboutie… J'en profite, madame la garde des sceaux, pour vous demander quel sens et quelle place vous souhaitez donner à l'emprisonnement dans le panel des peines et sanctions à la disposition de l'autorité judiciaire.

J'en viens maintenant aux mineurs radicalisés.

Il nous revient de réfléchir au rôle de la société dans son ensemble et de la République dans toutes ses composantes, en ce qui concerne tant les milieux ouverts et fermés de la PJJ que notre capacité collective à agir, pour redonner goût à la vie à ces jeunes qui s'inscrivent dans un parcours délinquant. Ils sont, avant toute chose, des enfants de la République française, ce qui justifie de les sanctionner sans toutefois les stigmatiser inlassablement. En effet, dans un État fort, la République doit protéger mais aussi s'interroger sur les raisons qui poussent certains de ses enfants à trouver refuge dans les discours les plus terrifiants de l'extrémisme religieux et de la radicalisation, et dans le terrorisme qui peut en découler. Tel est le sujet que j'ai souhaité aborder cette année dans mon avis budgétaire.

Ces enfants ont des profils si différents que des approches « type » ne peuvent être mises en place. L'évolution des cas relevés est si rapide que les acteurs de l'institution doivent s'adapter en permanence. Toutefois, il est patent qu'en se réfugiant dans la religion et le radicalisme, ces jeunes trouvent un sens à la vie que la République n'a pas pu ou su leur apporter, un sens que l'environnement familial aurait lui-même dû leur donner.

Aujourd'hui tout est possible. Chaque famille peut être concernée et nul ne peut prétendre échapper à ce phénomène. Les cas sont donc appréhendés individuellement ; ils justifient une concentration de moyens et d'énergie pour que chaque enfant radicalisé soit suivi individuellement. Ce constat me conduit, madame la ministre, à vous interroger sur le rôle plus général de la « prévention spécialisée ». Si cette mission relève, au titre de l'aide sociale à l'enfance, de la compétence des départements, ne vous paraît-il pas nécessaire que l'État redonne une impulsion particulière pour renforcer le rôle des travailleurs sociaux, dans les quartiers et les écoles, dans la prévention de la radicalisation violente et l'accompagnement de la jeunesse ?

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