Je vous propose de commencer cette audition, la première de la mission d'information sur l'incendie de Lubrizol à Rouen, qui a été décidée en conférence des présidents. Je vous rappelle que l'objectif que nous poursuivons est de comprendre l'événement, d'en tirer toutes les conclusions, les retours d'expérience et bien évidemment, à partir de cette analyse, de faire des propositions. C'est le rôle du législateur : à la fois contrôler l'action du gouvernement, mais aussi légiférer, s'il y a matière et si besoin, pour pouvoir avancer.
Nous avons prévu, avec M. le rapporteur et l'ensemble des membres de la mission, un certain nombre d'auditions sur plusieurs mois, qui doivent nous mener vers ce chemin de vérité, parce que c'est l'objectif que nous poursuivons : apporter des réponses aux nombreuses questions qui se posent suite à cet incendie à Lubrizol, à Rouen.
Nous accueillons aujourd'hui M. Eric Schnur, le Chief Executive Officer (CEO) de Lubrizol Corporation, qui est aujourd'hui à Paris. Nous avons saisi cette occasion de l'entendre au sein de notre mission d'information. Je lui rappelle bien évidemment que notre audition est retranscrite, qu'elle est publique et qu'elle a un caractère tout à fait solennel.
Je voudrais, avant de céder la parole à mon collègue M. le rapporteur Damien Adam, commencer, monsieur le CEO, par vous poser quelques questions.
La première est importante, même si elle viendra sans doute par la suite, de la part de mes collègues et même si elle doit être traitée postérieurement. Elle concerne les indemnisations. Nous aimerions savoir où vous en êtes, aujourd'hui, s'agissant des indemnisations évoquées en direction des collectivités, des agriculteurs, de la population, mais également des commerçants qui ont eu à souffrir des suites de cet événement.
Dans un autre ordre d'idée, avez-vous toujours la conviction que vous avez pu exprimer dans la presse, que l'incendie se soit déclaré à proximité du site, voire hors de l'enceinte ? Et à partir de là, sur quel élément fondez-vous cette conviction, et plus largement, quels sont les moyens de détection des incendies que vous avez sur le site ? Pour prolonger cette question, disposez-vous d'un système de vidéosurveillance couvrant l'ensemble du site et par ailleurs, avez-vous déjà connu, dans les années précédentes, des intrusions sur le site ou des événements de cette nature ?
Un certain nombre d'événements ont eu lieu sur le site de production de Lubrizol :
- 1975 : fuite de mercaptan ;
- 1989 : nouvelle fuite de mercaptan ;
- 2013 : nouvelle fuite de mercaptan ;
- 2015 : fuite de 2 000 litres d'huile dans la Seine ;
- 2019 : l'événement qui nous réunit aujourd'hui.
J'aimerais savoir si vous avez connu sur d'autres sites, à la fois en Europe et dans le monde, une telle succession d'événements ? Les sites français seraient-ils plus perfectibles, d'une certaine façon, que ceux du reste du monde ? J'aimerais aussi savoir ce qui se passe dans l'intervalle entre ces événements. En termes de retour d'expérience, qu'est-ce qui se passe au sein de vos équipes lorsque vous vivez ce type d'événement ? Y a-t-il des travaux, des changements dans les procédures, des investissements qui sont consentis et réalisés pour en tirer l'expérience ?
Je vois que dans le code éthique de Lubrizol Corp., figurent un certain nombre d'obligations de sécurité. Je cite : « Lubrizol s'attache à protéger ses collaborateurs, les clients et les communautés au sein desquelles l'entreprise opère. Notre but est d'empêcher la survenance d'accidents et de blessures en fiabilisant fortement tous les aspects de notre protection. » Est-ce que vous pouvez être plus précis sur les actions que vous avez mises en oeuvre, notamment en termes de prévention et d'information à l'échelle du territoire où vous êtes implantés, et notamment des collectivités locales ? Je crois que c'est un élément important.
Enfin, les deux dernières questions que je me permets de poser en introduction.
La première concerne la fameuse fiche Seveso. Il est indiqué que le risque incendie, lors d'une inspection récente, est de 1 sur 10 000 ans. Sur quelle base méthodologique cette probabilité est-elle indiquée ? Quel est le modèle ? Qu'est-ce qui permet d'affirmer cela, et plus largement, lorsque l'on regarde dans le Plan de Prévention des Risques Technologiques (PPRT) tout ce qui concerne le tableau des phénomènes dangereux et leur probabilité, s'agissant des bâtiments A4 et A5 qui sont ceux qui ont brûlé, la probabilité d'un incendie dans ces bâtiments est indiquée comme étant E, c'est-à-dire extrêmement improbable. Comme on sait que c'est à partir de ces probabilités qu'on établit un certain nombre de mesures, pouvez-vous nous indiquer si la mesure par rapport à ce risque a finalement été pertinente ? À partir du moment où la probabilité est faible, on imagine que la mesure face à cette probabilité n'est sans doute pas à la hauteur. À partir de là, est-ce que vous pensez qu'il faut revoir l'appréciation que nous pouvons avoir de la nature même et de la probabilité de ces risques ? Est-ce qu'il y a un large éventail de scénarios que vous imaginez, au regard de la nature des risques qui peuvent toucher à la fois la partie qui relève du stockage et celle qui relève de la production, sur le site de Lubrizol ?
Je m'arrête là, je vais donner la parole à notre rapporteur, nous vous laisserons répondre à ces premières questions et ensuite nous prendrons une série de questions. Je souhaite prendre plusieurs questions à la suite. Je vous propose, pour rendre cette audition dynamique, que l'on s'intéresse dans une première série à l'événement en tant que tel, ensuite, aux suites de l'événement et bien évidemment à toutes les questions de transparence, sachant que toutes les questions sont possibles, mais il s'agit de rythmer l'audition qui nous occupe aujourd'hui. Je cède sans plus tarder la parole à notre rapporteur.