Bien sûr, il existe des individus qui, sous couvert d'antisionisme, encouragent et profèrent un antisémitisme virulent. Le travestissement du crime sous une quelconque idée a toujours existé – ainsi les croisades au nom des valeurs chrétiennes, la colonisation au nom du progrès et de la civilisation et la stigmatisation des musulmans au nom de la laïcité. Doit-on pour autant frapper d'opprobre la laïcité ou le progrès, les exclure du champ de la liberté d'expression et leur dénier le statut d'opinions politiques légitimes et discutables ? Notre arsenal juridique permet d'ailleurs déjà de faire le distinguo. Par exemple, le 2 octobre dernier, M. Alain Soral a été condamné à un an de prison ferme pour son antisémitisme légendaire et à peine déguisé.
Outre cet exposé des motifs, assez problématique dans sa première mouture pour avoir été remanié d'urgence, la définition même de l'IHRA, que l'on nous demande d'approuver, souffre d'ambiguïtés. Désignée comme « définition de travail » depuis 2016, sa caractérisation de l'antisémitisme est floue et n'enrichit nullement l'arsenal répressif déjà existant. En revanche, elle introduit cette même confusion entre antisémitisme et antisionisme, en s'appuyant sur des exemples qui prêtent eux-mêmes à polémique. Ainsi, elle reconnaît comme légitime la critique de la politique israélienne tout en qualifiant d'antisémites des réflexions « en rapport avec l'État d'Israël » consistant par exemple à « prétendre que l'existence d'Israël est une entreprise raciste » ou à « faire preuve d'une double morale en exigeant d'Israël un comportement qui n'est attendu ni requis d'aucun pays démocratique ». Que signifie tout ce galimatias ?
La critique de la politique d'un État peut être juste ou fausse, exagérée, partielle ou partiale : c'est au libre débat, à l'argumentation et à l'échange de points de vue contraires de nourrir la réflexion commune. La situation d'Israël est en effet particulière, du moins à ce qu'il me semble et du point de vue du droit international : malgré de multiples résolutions et condamnations de la part de l'ONU, cet État continue de bafouer sans vergogne les droits humains les plus élémentaires, avec l'approbation d'une poignée de pays comme les États-Unis.
De plus, la définition de l'IHRA, qui vise à saisir les formes les plus contemporaines de l'antisémitisme, réduit l'antisionisme à la réfutation pure et simple de l'État d'Israël. Or c'est avoir quarante ans de retard que de parler de sionisme en prenant pour exemple l'autodétermination du peuple juif car, aujourd'hui, c'est le projet d'extension territoriale d'Israël au-delà des frontières de 1967 qui est qualifié par certains de « sioniste ».