Il en va toujours un peu de même dans la longue histoire des hommes, et sans doute nous, Français, y sommes tout particulièrement sensibles : lorsque l'homme cesse d'aimer l'homme, lorsqu'il se perd de vue et ne sait plus faire humanité, lorsqu'il sort de la civilisation sans même s'en rendre compte ; lorsque enfin, surpris par un changement brutal du monde qui est le sien, il perd tous ses repères, alors il exhume certains vocables, certains noms. Ces vocables et ces noms, nous les avons entendus à la veille des catastrophes qui ont ensanglanté l'humanité.
Je suis de ceux qui pensent que, depuis trop longtemps déjà – peut-être à cause de cette mondialisation qui, une fois encore, concentre toutes les richesses dans les mains de quelques-uns – , les réseaux sociaux, anges ou démons, ont paru libérer la parole des hommes de toute contrainte, les exonérant de rendre des comptes à son sujet ; de là, sans doute, leur sentiment de pouvoir s'en prendre librement à ce peuple qui fut, dans la longue et tragique histoire des hommes, le plus brimé et le plus poursuivi, à ce peuple qui fut détruit.
S'il est en effet un peuple qui a subi de telles épreuves, c'est, comme tant d'autres aussi, le peuple hébreu. Dans cette France qui se cherche, monsieur le ministre, nous devons employer tous nos efforts à évacuer l'hystérie qui s'est emparée de notre débat public, de notre manière de nous adresser les uns aux autres. Sans doute y a-t-il des choses à revoir – mais c'est là un travail de très longue haleine – dans notre école, dans notre façon de transmettre le savoir, l'histoire, la culture et les arts ; sans doute le service civique et militaire, cette initiative bienvenue du Président de la République, doit-il aller beaucoup plus loin pour permettre à la société de refaire corps. Mais, ne l'oublions pas, rien ne ressemble plus à un homme qu'un autre homme ; et nulle créature n'est aussi avide de sociabilité que l'homme, pour peu qu'il ait chassé les mauvais génies de son esprit.
Je me félicite de voir des débats de ce genre – et celui-ci n'est d'ailleurs pas le premier – se tenir dans notre assemblée, car elle est précisément le lieu d'expression de tous les Français et, d'une certaine façon, de l'universalité dont notre pays, aux yeux de bien plus de gens qu'on ne croit, est encore l'emblème. En un mot comme en mille, l'histoire doit nous instruire. Ce qu'ont subi Israël, le peuple hébreu et beaucoup d'autres peuples encore justifie que l'on mette tout en oeuvre pour commémorer certains événements, pour éveiller l'esprit de nos enfants sur le fléau récurrent qui annonce toujours les grandes catastrophes.
Je veux donc pouvoir continuer à m'incliner devant la mémoire de la Shoah et de tant d'autres catastrophes.