Intervention de Erwan Balanant

Séance en hémicycle du jeudi 12 décembre 2019 à 9h00
Reconnaissance du crime d'écocide — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaErwan Balanant :

La fonte du permafrost, l'acidification des océans, la multiplication des épisodes caniculaires, les terribles incendies qui ont ravagé cet été l'Amazonie et qui ravagent actuellement l'Australie, sont autant d'événements dramatiques rendant tangibles et directement perceptibles les nombreuses alertes que les scientifiques n'ont cessé de nous adresser depuis trente ans dans de multiples rapports.

Le constat est terrifiant : nous atteignons les limites de la planète et, sans changement de trajectoire, les conditions de la vie sur Terre pour l'humanité sont menacées. Face à ce terrible constat, il nous revient d'appréhender cette crise écologique en ayant conscience de sa gravité et avec la volonté de freiner les activités humaines responsables des atteintes à notre environnement. Je tiens donc à saluer l'initiative de notre collègue Christophe Bouillon, qui nous permet, avec l'examen de cette proposition de loi, la tenue d'un débat plus que nécessaire.

Malgré la gravité des crimes et délits environnementaux, la réponse pénale demeure inexistante ou mal adaptée à l'échelle internationale : on recense actuellement plus de 500 traités multilatéraux relatifs à la protection de l'environnement. Une telle profusion de textes masque mal le manque d'effectivité et d'efficacité du droit international en la matière. Les raisons tiennent en partie à la dispersion, au caractère symbolique et non contraignant et à la complexité des normes internationales relatives à l'environnement.

Pareil constat peut être fait à l'échelle nationale, où le droit pénal de l'environnement souffre de sérieuses lacunes : les normes sont complexes et leur éclatement entre le droit administratif et le code de l'environnement ne facilite pas le travail des juges. C'est un fait, cette dispersion du droit met à mal son application par les magistrats, et le faible nombre de jugements prononcées donnent le sentiment d'une impunité accordée aux auteurs de ces infractions.

Dès lors, la création d'un crime d'écocide est-elle la solution ? Si cette avancée est nécessaire et peut constituer une partie de la solution, elle ne doit pas masquer l'immense travail que nous devons réaliser sur notre droit et sur son effectivité. En l'état, ce texte n'aurait qu'une portée symbolique. Doit-on s'en contenter ? Je ne le pense pas.

Qu'ils soient le fait de mafias faisant commerce illégal d'espèces protégées ou de multinationales dont certaines activités sont insuffisamment encadrées, le pillage des ressources naturelles continuera si nous ne réagissons pas. Nous savons que face à la difficulté de rassembler autour de la conception d'un droit international, la piste nationale est privilégiée par les défenseurs de la reconnaissance de l'écocide, dont font partie les auteurs de la proposition de loi. Mais le phénomène revêt un caractère majoritairement transnational et, dès lors, seule la coopération entre États s'avère appropriée pour lutter contre ces actions litigieuses.

J'estime qu'il nous faut changer de paradigme et remodeler profondément notre droit et notre rapport à la nature. Oui, la France doit prendre toute sa part sur ce sujet et montrer l'exemple. Une refonte de notre appareil judiciaire s'avérera bien plus efficace pour améliorer l'effectivité du droit de l'environnement.

En janvier 2019, la ministre de la justice et le ministre de la transition écologique et solidaire ont lancé une mission intitulée « Justice pour l'environnement ». Nous espérons que des propositions concrètes seront formulées pour améliorer l'efficience de notre droit. Sans présumer des conclusions de cette mission, permettez-moi toutefois de proposer quatre pistes pour imaginer un droit qui deviendrait tuteur et protecteur de la nature. La première est ambitieuse et demandera sans doute une réflexion approfondie dépassant le cadre de cette proposition de loi : il s'agit de la création d'une personnalité juridique des écosystèmes vivants. La deuxième, qui en est le corollaire, consiste à créer un Défenseur de la nature, dont l'existence pourrait être constitutionnalisée. Troisième piste, la mise en place de nouvelles incriminations pénales, dont celle de l'écocide – cette dernière ne devant pas masquer les autres. La dernière piste serait la création de parquets spécialisés, comme le préconise l'avocat Sébastien Mabile : elle permettrait d'augmenter de manière significative le nombre de poursuites et d'améliorer la qualité des enquêtes.

Ainsi, bien qu'elle soit intéressante sur le principe, cette proposition de loi demeure largement symbolique et ne semble pas susceptible d'avoir des effets juridiques immédiats. Le groupe MODEM et apparentés estime que les atteintes à l'environnement méritent une réforme bien plus ambitieuse, à la hauteur des enjeux et de la complexité du droit pénal de l'environnement.

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