Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Séance en hémicycle du mercredi 22 janvier 2020 à 15h00
Application du cinquième alinéa de l'article 13 de la constitution - prorogation du mandat des membres de la haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet — Présentation commune

Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'état :

Nous nous retrouvons aujourd'hui afin de débattre de deux projets de loi, un projet de loi organique modifiant la loi organique de 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, et un projet de loi ordinaire qui a un double objet : l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et la prorogation du mandat des membres de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet – HADOPI.

Concernant l'application de l'article 13 de la Constitution, il s'agit de tirer les conséquences de récentes réformes menées par le Gouvernement, afin de permettre au Parlement de continuer à exercer son contrôle sur les nominations du Président de la République. L'article 13 de la Constitution dispose que celui-ci nomme aux emplois civils et militaires de l'État. La réforme constitutionnelle de 2008 a complété cet article en prévoyant que certaines nominations fassent l'objet d'un accord formel du Parlement, à travers un mécanisme défini dans la loi organique. Ainsi, cette dernière prévoit que les commissions compétentes des assemblées donnent un avis qui lie le Président de la République pour la nomination à certains emplois et fonctions, « en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ».

Aujourd'hui, la nomination des principaux dirigeants de cinquante-deux autorités administratives indépendantes, établissements publics ou entreprises publiques est soumise au contrôle parlementaire. Afin que leur nomination soit confirmée, ces responsables sont auditionnés par les commissions des assemblées, qui procèdent ensuite à un vote. Si l'addition des votes négatifs de chaque commission représente au moins les trois cinquièmes des suffrages exprimés, la nomination ne peut avoir lieu. Il s'agit donc d'un véritable droit de veto pour le Parlement. Nous pouvons nous féliciter de ce droit de regard, qui contribue à la transparence de la vie publique.

Il convient de prendre en considération dans la loi organique comme dans la loi ordinaire les importantes réformes auxquelles le Gouvernement a procédé depuis 2017 : la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a transformé les établissements publics à caractère industriel et commercial, EPIC, du groupe SNCF en un groupe unifié composé de la société nationale SNCF et de ses filiales directes et indirectes, SNCF Voyageurs et SNCF Réseau afin, notamment, de normaliser sa gouvernance ; la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à l'activité des entreprises, dite loi PACTE, a prévu la privatisation de la Française des jeux ; l'ordonnance du 2 octobre 2019 a réformé la régulation des jeux d'argent et étendu les missions de l'Autorité de régulation des jeux en ligne, l'ARJEL, aux jeux de hasard – à l'exception des casinos qui restent sous la responsabilité du ministère de l'intérieur – et la renomme « Autorité nationale des jeux ».

Pour prendre en considération ces différentes réformes, en faveur desquelles vous avez voté, le Gouvernement a proposé, dès la version initiale de ces projets de loi, de soumettre le directeur général de la société nationale SNCF aux dispositions du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution ; de modifier le nom de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, devenue depuis le 1er octobre 2019 l'Autorité de régulation des transports ; de retirer de la liste des emplois concernés la présidence de la Française des jeux dont la majorité du capital est désormais ouverte au secteur privé ; de remplacer l'ARJEL par l'Autorité nationale des jeux.

Concernant la HADOPI, le texte vise à prolonger jusqu'au 25 janvier 2021, le mandat des membres expirant le 28 janvier et le 30 juin 2020. La mesure a pour but d'éviter d'avoir à nommer de nouveaux membres pour une courte période, avant la fusion de la HADOPI avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel – CSA – , qui doit intervenir à l'échéance des mandats des membres du CSA nommés en 2015 par le président du Sénat et par le président de l'Assemblée nationale. Lors des débats en commission, plusieurs députés se sont émus du fait que nous anticipions une réforme dont le Parlement n'a pas encore eu à se saisir. Je comprends vos réserves mais cette mesure permettra d'éviter que l'autorité ne soit confrontée à d'importants problèmes d'organisation qui risqueraient d'entraver son action. De plus, rien n'empêche, au terme du délai prorogé, de prendre une autre décision, si cela apparaît opportun.

Les deux projets de loi que vous examinez aujourd'hui ont fait l'objet d'une première lecture au Sénat en décembre dernier. Les sénateurs, outre des améliorations légistiques et rédactionnelles, ont élargi le champ d'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Pour rappel, l'objectif du Gouvernement était initialement de tirer les conséquences de réformes déjà effectuées. Nous ne pouvions néanmoins ignorer la volonté légitime du Parlement de se saisir d'une telle occasion pour étendre le champ d'application de cet alinéa. C'est pourquoi nous avons étudié avec attention les propositions d'ajout issues des deux chambres.

C'est dans ce contexte que le Sénat, faisant preuve de constance en reprenant une proposition de 2017, a ajouté le président de la Commission d'accès aux documents administratifs, CADA, à la liste des nominations soumises à l'approbation du Parlement. Il y a également ajouté le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration – OFII.

Concernant les dispositions relatives à la SNCF, le Sénat a adopté des amendements visant à soumettre à l'approbation du Parlement la présidence du conseil d'administration et la direction générale de la société nationale SNCF ainsi que de SNCF Réseau. Le Gouvernement ne souscrit pas à cette proposition et souhaite un retour au texte initial, qui limite l'application de la procédure de l'article 13 à la direction générale de la société nationale SNCF, afin de garantir une unité managériale, évidemment nécessaire à l'efficacité de cette entreprise. Nous voulons nous conformer au droit commun des sociétés à participation publique, qui prévoit que seul le dirigeant mandataire d'une société détenue directement à plus de 50 % par l'État est nommé par décret du Président de la République. Dans un souci de bonne gouvernance, il n'est évidemment pas souhaitable d'établir des légitimités concurrentes au sein d'une même structure. Par ailleurs, si le Gouvernement a bien compris la volonté du Sénat de garantir l'indépendance de SNCF Réseau, celle-ci l'est déjà, dans la mesure où la nomination à la direction générale fait l'objet d'un avis conforme de l'autorité de régulation.

Ce sont donc des textes substantiellement modifiés qui ont été examinés par la commission des lois de votre assemblée lors de sa réunion du 15 janvier. Je tiens à remercier les membres de cette commission, sa présidente et le rapporteur pour le travail effectué sur ces projets de loi.

Lors des travaux de votre commission, un consensus s'est dégagé en faveur de la proposition des députés du groupe La France insoumise visant à étendre le pouvoir de contrôle du Parlement aux nominations à la direction générale de l'OFII, de l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé – ANSM – et de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail – ANSES. Le Gouvernement en prend acte.

En revanche, le Gouvernement vous proposera de revenir sur l'ajout de la présidence de la CADA à la liste des emplois devant faire l'objet d'une approbation parlementaire. La CADA est certes une autorité administrative indépendante, l'une des plus anciennes d'ailleurs, mais, si le code des relations entre le public et l'administration lui confère un pouvoir de sanction, ce dernier est très résiduel. Le rôle d'une telle autorité demeure essentiellement non décisionnaire, ce qui selon nous justifie de ne pas l'intégrer au champ d'application du cinquième alinéa de l'article 13. Cela ne remet nullement en cause l'importance de cette autorité administrative indépendante, dans un contexte de demande croissante de transparence de la part de nos concitoyens. Vous aviez d'ailleurs refusé une telle intégration en 2017.

Concernant les dispositions relatives à la SNCF, le Gouvernement soutient pleinement l'initiative du rapporteur visant à revenir à la rédaction initiale des projets de loi.

Au-delà de ces considérations générales, nous aurons l'occasion de débattre dans quelques minutes d'amendements qui permettront, je le souhaite, d'aboutir à un texte satisfaisant, et sur lequel votre assemblée et le Sénat puissent parvenir à un accord lors de la commission mixte paritaire. Cela serait conforme à l'esprit de coconstruction qui nous a animé dans les deux chambres et nous amène à conserver des ajouts au texte issus de la majorité comme de l'opposition.

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