Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Séance en hémicycle du mardi 28 janvier 2020 à 21h30
Protection des victimes de violences conjugales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva :

Le groupe Libertés et territoires estime salutaire que la société entière se saisisse de cet enjeu crucial que représentent les violences conjugales. N'ayons pas peur des mots : c'est un fléau ! Ces violences détruisent des vies, des personnalités ; elles sont, bien souvent, pour les enfants qui les subissent directement ou indirectement, la source de troubles du comportement qui peuvent ressurgir à l'âge adulte.

Ces derniers mois, des associations ont mené une campagne offensive, souvent avec brio, pour dénoncer ce phénomène de société. Nous nous devons de les remercier et de les soutenir ; elles font vivre la démocratie en dénonçant des injustices, des horreurs inqualifiables. Nous ne pouvions rester sourds à leur appel ; nous ne pouvions détourner le regard devant une réalité tragique, celle des 150 féminicides au cours de l'année qui vient de s'écouler.

Alors que nous achevons la période des voeux, ce moment où l'on se souhaite bonheur, paix et santé, ce sont déjà huit femmes qui sont tombées, victimes des coups de leur mari, conjoint ou petit ami.

Une première étape pour répondre à cette situation intolérable a été la proposition de loi de notre collègue Aurélien Pradié, que nous avons récemment adoptée.

Cette nouvelle proposition de loi marque une deuxième étape et apporte quelques améliorations à la loi du 28 décembre 2019. Ces mesures auraient pu être intégrées dès le mois de décembre, afin d'agir plus rapidement. Mais nous pensons qu'il faut sortir de tout débat d'ordre partisan et c'est pourquoi, de ce texte, nous ne retiendrons que les aspects positifs, car le sujet est évidemment crucial.

De nombreuses mesures nous paraissent bienvenues, comme l'élargissement de la loi du 28 décembre dernier aux tentatives d'homicide, dont la gravité peut être comparable à la commission du crime lui-même, ou encore les dispositions relatives aux armes et au respect de la vie privée.

Ensuite, il faut soutenir les articles 10 et 11. L'article 10 permet de renforcer la lutte contre le harcèlement au sein du couple en élargissant la notion d'atteinte à la vie privée et en sanctionnant cette atteinte de manière plus sévère lorsqu'elle se déroule au sein du couple. L'article 11 offre un moyen d'agir en amont de futures violences en renforçant la protection des mineurs de l'exposition à la pornographie. La violence se développe par la socialisation des individus ; or l'accès facilité, pour de très jeunes individus, qui ont en moyenne 13 ans en France, aux contenus pornographiques, qui diffusent une vision brutale de la sexualité, en fait certainement l'un des vecteurs de la violence conjugale. Il faut donc mieux encadrer cet accès. Cependant, nous devons viser les racines du mal, ce qui suppose que nous mettions en place un véritable mécanisme d'éducation au respect de l'autre, à la lutte contre les violences conjugales, et ce dès le plus jeune âge, en allant au-delà de la simple protection de l'accès à la pornographie.

Néanmoins, certains articles appellent quelques remarques ou soulèvent quelques difficultés.

S'agissant de l'article 6 relatif à l'exemption de l'obligation alimentaire en cas de violence conjugale, nous nous interrogeons sur la place du juge. Nous soutenons cette possibilité d'exemption ; mais nous croyons que le juge doit avoir la possibilité, au-delà du crime qui aboutirait à une exemption automatique, de l'accorder au regard d'autres circonstances. Nous avons déposé un amendement dans ce sens.

Par ailleurs, en ce qui concerne le harcèlement moral au sein du couple, l'aggravation de la peine dans les cas de harcèlement ayant conduit au suicide est une mesure juste, mais nous ne pensons pas qu'il faille l'étendre jusqu'aux tentatives de suicide. Certes, tout passage à l'acte constitue un appel dont il faut tenir compte, mais ce que vous proposez à l'article 7 nous paraît disproportionné. La crise suicidaire est multifactorielle. C'est pourquoi il est plus adapté de réserver l'aggravation de la peine à la survenue, irrémédiable, du décès. Sur ces questions, nous sommes donc sur la même ligne que d'autres collègues sur d'autres bancs.

Ensuite, l'article 8 peut constituer à nos yeux une atteinte à un droit fondamental pour les patients, le secret médical, a fortiori pour les victimes de violences conjugales qui savent pouvoir trouver refuge chez le médecin. Sans l'accord du patient, ne craignez-vous pas une perte de confiance entre le patient et le médecin qui aboutirait à l'effet inverse de celui que nous recherchons tous ? C'est pourquoi nous avons déposé un amendement tendant à supprimer cet article, qui nous semble particulièrement dangereux pour les victimes de violences conjugales elles-mêmes. Donnons-nous plutôt les moyens d'aider les médecins à convaincre les victimes de dénoncer leur bourreau.

De même, nous devons renforcer la détection des situations de violences conjugales. Lors de l'examen de la proposition de loi de notre collègue Aurélien Pradié, nous avions déposé des amendements pour donner un statut à la main courante. Nous n'avons pas été entendus sur ce point et nous le regrettons, mais il y a là un vrai sujet de réflexion : la main courante a un rôle important à jouer dans la détection des violences conjugales. Celle-ci passe, au même titre que pour les médecins, par une formation adaptée des policiers et des gendarmes.

À présent, je souhaiterais aborder les questions importantes que soulève l'article 12, relatif à l'aide juridictionnelle. Si, là encore, les intentions sont tout à fait louables, l'octroi d'une aide juridictionnelle provisoire qui pourrait ne pas être validée par la suite – ce qui entraînerait l'obligation de rendre les honoraires versés – créera inévitablement, nous semble-t-il, de l'insécurité pour la personne victime de violence. On aggrave l'insécurité et l'inquiétude d'une personne d'ores et déjà vulnérable et en grande détresse.

Pour résoudre ce problème, nous avions une proposition de réécriture à vous soumettre, mais l'amendement n'a pas résisté, une fois de plus, aux fourches caudines de l'article 40. Cet amendement constituait, selon nous, la solution d'équilibre : il proposait aux bureaux d'aide juridictionnelle de se prononcer dans les quarante-huit heures, mais de manière définitive, sur l'octroi de l'aide. Le Gouvernement serait-il prêt à envisager d'introduire dans le texte une telle mesure ?

Avant de terminer, je souhaiterais m'attarder sur un point, déjà évoqué, peut-être le plus essentiel. Nous pouvons légiférer autant de fois que nous le souhaitons, mais si nous ne nous donnons pas les moyens pour faire appliquer ce que nous votons, c'est chose vaine.

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