Madame la présidente, je vous remercie de m'accueillir dans votre commission afin que je vous présente cette proposition de loi.
Mes chers collègues, s'il y a bien un enseignement que nous pouvons tirer des manifestations qui se sont succédé au cours de ces derniers mois dans notre pays, c'est celui de l'aspiration profonde de nos concitoyens à davantage de justice sociale. Nous avons tous entendu, dans nos circonscriptions, les difficultés croissantes que traversent les plus fragiles d'entre nous. Ces mobilisations sociales, ces témoignages nous ont rappelé avec force que les mesures en faveur des plus vulnérables ne peuvent rester de vagues promesses sans cesse remises au lendemain. Il y a donc urgence, dans le contexte que je viens de décrire, à proposer des mesures concrètes en faveur des plus fragiles d'entre nous. Telle est l'ambition de la proposition de loi que je vous présente aujourd'hui.
Ce texte de ma collègue Jeanine Dubié, porté par le groupe Libertés et Territoires et que j'ai l'honneur de rapporter, vise en particulier à améliorer la situation des personnes en situation de dépendance ou de handicap. Dans une société vieillissante, la question de la prise en charge de nos aînés et des personnes dépendantes est évidemment essentielle. Or les différentes aides publiques ne permettent pas toujours à ces personnes de vivre dans la dignité. Les personnes âgées notamment sont souvent contraintes, en raison de leur état de santé, de quitter leur domicile pour être accueillies en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Trop souvent, des soucis financiers viennent s'ajouter aux difficultés liées à la dégradation de leur état de santé : malgré les différentes aides publiques, les frais de séjour restant à la charge des personnes âgées dépendantes demeurent particulièrement élevés. Aujourd'hui, après prise en compte des différentes allocations et aides publiques, le reste à charge moyen s'élève à près de 1 800 euros. Ce reste à charge est supérieur aux ressources courantes pour plus d'un résident sur deux. Est-il normal que les personnes hébergées en EHPAD soient contraintes de mobiliser leur épargne ou de solliciter l'aide de leurs familles pour financer ce reste à charge ?
Cette situation est particulièrement préoccupante pour tous ceux qui ne peuvent compter sur l'aide financière de leurs proches. Elle est d'autant plus inacceptable que la prise en charge de la perte d'autonomie doit relever à titre principal de la solidarité nationale. C'est pourquoi l'article 1er du texte que nous vous présentons transforme en crédit d'impôt la réduction d'impôt au titre des frais de séjour des personnes accueillies en établissement ou service spécialisé. Je précise qu'il s'agit d'une proposition que notre collègue Christine Pires Beaune a présentée lors de la discussion du précédent projet de loi de finances, et que nous reprenons. Cette mesure de justice sociale permet d'étendre le dispositif actuel de réduction d'impôts aux personnes non imposables, c'est-à-dire à celles dont les revenus sont les plus faibles.
La présente proposition de loi a également pour ambition d'améliorer la situation des personnes handicapées, qui sont plus que les autres exposées à la pauvreté. La moitié d'entre elles à un niveau de vie inférieur à 1 540 euros par mois, soit près de 200 euros de moins qu'une personne valide. Ces personnes cumulent d'ailleurs les difficultés car leur invalidité les empêche souvent de s'intégrer durablement dans le monde du travail. Souvenons-nous de ces mots de René Lenoir, secrétaire d'État auprès de la ministre de la santé Simone Veil, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, en 1974, lorsqu'il défendait la création de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) dans le cadre de la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées : « La dignité de tout homme dépend de son degré d'autonomie et l'autonomie suppose des ressources suffisantes. »
Or la situation des bénéficiaires de l'AAH demeure préoccupante. Alors qu'un peu plus d'un million de personnes perçoit cette prestation, un quart vit en dessous du seuil de pauvreté. Dans ce contexte, les modalités de calcul et d'attribution de l'AAH sont particulièrement dénoncées. En effet, aujourd'hui si le bénéficiaire est en couple, les revenus de son conjoint sont pris en compte dans le calcul et le plafonnement de l'AAH. Cette situation est regrettable à double titre.
Premièrement, elle institue une inégalité financière entre bénéficiaires selon leur situation personnelle, inégalité qui s'est manifestée avec évidence à l'occasion des revalorisations successives de l'AAH en novembre 2018 et 2019. Parallèlement aux revalorisations de l'allocation, dont le taux plein est passé à 900 euros, la majoration du plafond de ressources prévu pour les allocataires en couple a été abaissée, privant environ 100 000 allocataires du bénéfice de la réforme.
Deuxièmement, ce mode de calcul et de recouvrement de l'AAH est problématique en ce qu'il contrevient à l'autonomie des allocataires. Plusieurs associations soulignent par exemple la situation alarmante de certaines femmes handicapées victimes de violences et qui, privées de l'AAH, se retrouvent dépendantes des revenus de leur conjoint ! Les articles 2 et 3 suppriment ainsi la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l'AAH, ainsi que dans son plafonnement. Cette mesure attendue permettrait aux publics éligibles à l'AAH de bénéficier d'une véritable autonomie financière, et ainsi d'une plus grande dignité. Elle répond à une revendication historique des associations de défense des droits des personnes handicapées déjà relayée l'année dernière dans cette commission par notre collègue Marie-George Buffet.
Il est essentiel de réaffirmer encore une fois le principe de solidarité nationale et de répondre à une aspiration plus globale de nos concitoyens à l'individualisation des droits.
La proposition de loi entend également améliorer l'accès à la prestation de compensation du handicap, quinze ans presque jour pour jour après l'adoption de la grande loi sur le handicap, le 11 février 2005. Si, à l'époque, cette loi a constitué une grande avancée pour les personnes handicapées, force est de constater qu'elle n'a pas tenu toutes ses promesses. Je pense en particulier à la question des barrières d'âge. Comme vous le savez, il en existe deux : une première à 60 ans – il s'agit de l'âge limite pour solliciter le bénéfice de la prestation de compensation du handicap (PCH) – et une seconde à 75 ans puisque la PCH peut en réalité être sollicitée jusqu'à 75 ans, sous réserve que le handicap du demandeur soit survenu avant l'âge de 60 ans. Cette barrière d'âge de 75 ans devrait disparaître dans les prochains mois, grâce à l'adoption de la proposition de loi d'origine sénatoriale rapportée à l'Assemblée nationale par notre collègue Nathalie Elimas et adoptée en séance publique le 15 janvier dernier. Si l'on ne peut que saluer l'adoption de cette disposition, il ne s'agit à nos yeux que d'un premier pas.
En effet, le maintien de la barrière d'âge de 60 ans est particulièrement injuste. Si le handicap survient au-delà de cet âge, seule l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) peut être demandée. Cette situation aboutit à traiter différemment des personnes présentant des niveaux d'incapacité et des besoins de compensation identiques.
Ajoutons que le vieillissement de la population rend ces seuils de plus en plus difficiles à justifier. Dès 2005, le législateur avait prévu que la distinction entre les personnes handicapées en fonction des critères d'âge disparaisse dans un délai de cinq ans… Force est de constater que rien n'a été fait.
La loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement est revenue sur cette question en prévoyant la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement sur l'impact des seuils de 60 et 75 ans pour l'attribution de la PCH. Ce rapport devait être remis dans un délai de six mois. Nous l'attendons toujours. Pourtant, la suppression de la barrière d'âge fait l'objet d'une demande unanime, là encore, des associations. C'est aussi une préconisation des spécialistes qui ont étudié le domaine du handicap, qu'ils soient universitaires ou praticiens. L'article 4 de la proposition de loi y répond enfin.
Soucieuse d'améliorer la situation des personnes les plus vulnérables, la proposition de loi que je vous présente porte enfin une attention particulière aux jeunes, envers lesquels nous avons une importante responsabilité. Trois évolutions caractérisent aujourd'hui la jeunesse et me semblent mériter toute notre attention.
Premièrement, la précarité semble être de plus en plus la règle en matière d'insertion des jeunes sur le marché du travail. Dans ce contexte, la multiplication des stages me semble particulièrement frappante : les jeunes sont ainsi de plus en plus nombreux à accepter des offres de stage, même après l'obtention de leur diplôme, et à contrecoeur, car ils peinent à trouver un premier emploi et ne peuvent rester sans activité.
Deuxièmement, et ce constat est lié au premier, l'entrée dans la vie professionnelle et le fait d'exercer un emploi stable surviennent de plus en plus tard. L'âge moyen d'entrée dans la vie active se situe aujourd'hui entre 21 et 22 ans, contre 18 ans dans les années 1970 ; il s'élève à 24 ans pour les diplômés de l'enseignement supérieur.
Troisièmement, on observe une diminution de plus en plus marquée du nombre de trimestres cotisés à l'âge de 30 ans : ils correspondent à trois ans de moins au cours des vingt dernières années.
Face à ces données, de nouveaux dispositifs ont été instaurés ; nous souhaitons les renforcer afin de rétablir la confiance de la jeunesse envers notre système social, et en particulier notre système de retraite par répartition.
Depuis 2014, les étudiants peuvent demander à racheter jusqu'à deux trimestres de stages rémunérés, c'est-à-dire verser des cotisations d'assurance vieillesse au titre de ces expériences professionnelles. Ce dispositif nous paraît néanmoins trop restrictif : la demande de validation de stage doit intervenir dans un délai de deux ans, ce qui est beaucoup trop court dans la mesure où les stages sont souvent effectués à des âges où les jeunes se soucient d'autre chose que de leur retraite et manquent de moyens financiers, surtout pour effectuer ces rachats. L'article 5 de la proposition de loi propose de porter de deux à dix ans ce délai de validation de stage.
Nous souhaitons également améliorer les modalités de validation des stages qui, elles aussi, nous apparaissent trop restrictives. Pour l'heure, le rachat de stage peut simplement faire diminuer la décote qui s'applique à la pension de l'assuré lorsque celui-ci n'a pas validé suffisamment de trimestres pour disposer d'un taux plein. Nous souhaitons que les trimestres validés au titre des stages soient également pris en compte au titre de la durée d'assurance et non seulement dans le taux de décote.
Ces dispositions, plus protectrices et plus adaptées à la réalité de la jeunesse, ont vocation à être intégrées au sein du futur système des retraites, si la réforme prévue vient à être adoptée.
Cette proposition de loi, vous l'avez compris, n'a d'autre but que d'améliorer la situation des personnes en situation de dépendance ou de handicap ainsi que celle des jeunes. Il s'agit de mesures de justice sociale concrètes et attendues depuis de longues années par les associations et nos concitoyens. Elles ne nécessitent pas d'attendre une fois de plus le lancement d'une nouvelle concertation ou la présentation sans cesse retardée d'un grand projet de loi. Il nous incombe de corriger ces situations qui reflètent nos manquements, nos insuffisances. En apportant ces réponses de bon sens, nous donnerons simplement aux personnes en situation de dépendance ou de handicap ainsi qu'aux jeunes la possibilité de davantage s'épanouir dans une société durable, porteuse d'avenir et de bien-être. C'est pourquoi je vous invite à adopter ce texte qui permettra d'apporter une première pierre à une réforme plus ambitieuse en faveur des personnes les plus vulnérables.