Je commencerai mon propos par un bref rappel historique. Les rapports entre la France et les langues régionales n'ont pas toujours été simples. Je n'évoquerai pas l'Édit de Villers-Cotterêts, la fin du latin comme langue administrative, car dans le sud de la France, l'occitan restera la langue administrative et la langue de la justice.
La véritable coupure intervient plutôt avec la Révolution française. Un certain Barère, par exemple, disait : « Le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ; […] et le fanatisme parle le basque. » Si l'abbé Grégoire était favorable à la disparition et à l'éradication de tous les patois, Jules Michelet affirmait : « La Bretagne est une colonie, comme l'Alsace, comme les Basques, encore plus que la Guadeloupe. » Il visait dans son appréciation la distance de la langue par rapport au français, le créole étant effectivement plus proche du français que ne peuvent l'être l'alsacien, le breton ou le basque. Cette distance rendait plus impératif le besoin d'une colonisation.
La première loi sur les langues régionales, la loi Deixonne, qui date de 1951, dispose que l'on peut enseigner les langues régionales, à partir du moment où l'on peut tirer profit de cet enseignement pour l'étude de la langue française. L'ambition était donc pour le moins limitée.
Sous la Ve République, quarante-cinq propositions de loi ont été déposées sur le bureau de l'Assemblée ; deux seulement ont été étudiées. Il y a, on le voit, un problème majeur. Sans doute avons-nous besoin d'un changement culturel.
Notre droit comprend quelques mentions, plutôt fragmentaires, des langues régionales. La loi Peillon, par exemple, définit l'enseignement bilingue, en 2013. La loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, et la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) font des langues régionales une compétence partagée entre les différentes collectivités locales et l'État, avec la région comme chef de file. La loi NOTRe établit aussi le forfait scolaire, que la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance a élargi aux écoles associatives et privées sous contrat.
Mais le droit va parfois en réaction : en 2017, dans la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer, nous avons par exemple modifié le décret du 2 thermidor an II, toujours en vigueur, qui punissait tout officier public écrivant dans une langue régionale de six mois de prison et de destitution. Il était temps de changer tout cela !
Si nous disposons de lois cadres s'appuyant sur la Constitution, dont l'article 2, par exemple, qui fait du français la langue de la République, nous avons également la loi relative à l'emploi de la langue française, ou loi Toubon.
En revanche, l'article 75-1 de la Constitution, qui dispose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » n'a presque aucune déclinaison législative. Je me propose d'y remédier, et de rappeler que le Conseil constitutionnel a enjoint au législateur de prendre cet aspect en compte. En tant que tel, l'article 75-1 ne donne en effet aucun droit sans déclinaison législative ultérieure.
Le procureur général de la cour d'appel de Rennes a récemment appelé le législateur à se prononcer sur l'affaire du tilde, après avoir appliqué la loi en refusant le prénom Fañch. Nous voyons bien que l'actualité nous sollicite.
J'ai donc décidé de me saisir de ces aspects patrimoniaux pour, dans les articles 1er et 2, reconnaître que les langues régionales font partie du patrimoine de la France, pour appeler à leur conservation, à leur connaissance et à leur diffusion ainsi que pour assurer que l'État et les collectivités territoriales en feront la promotion. J'ai également déposé un amendement afin de remplacer la référence à la Convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel par une mention de notre code du patrimoine.
L'article 2 vise à préserver tout bien matériel qui présenterait un intérêt majeur du point de vue linguistique, pour la connaissance ou l'expression des langues régionales – en particulier les enregistrements ou manuscrits. Nous aurons l'occasion d'en reparler.
Les articles 3 à 7 concernent l'éducation, domaine dans lequel il faut porter le fer. Il s'agit d'étendre l'enseignement de la langue régionale dans les territoires concernés par le biais de conventions avec l'État et de rendre la proposition systématique. Aujourd'hui, ce sont les parents qui inscrivent leurs enfants, hormis en Corse. Nous proposons donc de généraliser les dispositions existant en Corse, qui fonctionnent bien.
L'article 4 reconnaît les expérimentations d'immersion dans l'enseignement public. Il s'agit de redonner le pouvoir aux pédagogues pour donner aux enfants une égale maîtrise des langues nationale et régionale. Le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, que j'ai interrogé, a considéré la maîtrise du français comme normale mais quelque peu superfétatoire celle de la langue régionale. On peut pourtant se demander comment préserver une langue régionale si les habitants de la région ne la parlent pas. La maîtrise de la langue est donc nécessaire. Nous pouvons pour cela nous appuyer sur notre expérience de l'enseignement bilingue, qui est très ancienne, les premières expérimentations remontant aux années 1930.
Les articles 5 et 6 visent à permettre aux collectivités territoriales, dans des conditions bien définies, d'octroyer des aides aux établissements sous contrat, telles que les écoles associatives, qui pratiquent l'enseignement des langues régionales. L'article 5 concerne plus particulièrement le premier degré ; l'article 6, le second.
S'agissant du forfait scolaire, l'article 7 vise à préciser les articles L. 212-8 et L. 442-5-1 du code de l'éducation, en rajoutant le terme « bilingue ». Aujourd'hui, si la langue régionale n'est pas enseignée dans une commune, le maire d'une commune voisine où elle est enseignée est obligé d'accepter un enfant et de demander à son homologue de la commune de résidence le montant du forfait scolaire. Nous souhaitons qu'un enseignement bilingue, plus à même de développer la maîtrise de la langue, soit institué plus largement.
L'article 8 vise à sécuriser la signalétique bilingue voire trilingue, comme à Bayonne, qui dispose de panneaux en basque, en occitan et en français. Je rappelle qu'à Villeneuve-lès-Maguelone, un résident avait assigné la mairie devant le tribunal administratif de Montpellier, au motif que les panneaux d'entrée dans la ville comportaient une mention en occitan, susceptible de provoquer des accidents. Il a fallu aller jusqu'à Marseille pour faire casser le jugement ! L'article vise donc à sécuriser les dispositions existantes, pour que les maires n'aient pas à être sollicités pour de tels problèmes.
L'article 9 vise à intégrer les signes diacritiques des langues régionales dans les actes d'état civil. La question concerne non seulement le breton, avec le tilde sur le n du petit Fañch, mais aussi le catalan, avec l'accent sur les voyelles i, o, et u. Une telle mesure fera plaisir au secrétaire d'État Laurent Nuñez, qui tient beaucoup au tilde de son nom, ce en quoi il a bien raison.
L'opportunité d'une loi sur les langues régionales est souvent repoussée, à Paris. L'Unesco classe pourtant toutes les langues régionales, à l'exception du basque, en grand danger d'extinction. Il y a donc urgence si l'on veut protéger ce patrimoine.
Certains argumenteront que l'évolution historique est responsable de la disparition des langues. Il n'y a pourtant rien d'inéluctable, si l'on instaure une politique linguistique visant à la préservation des langues régionales. La France, il est vrai, dispose de mesures plutôt fragmentaires, alors que le Québec, qui mène une véritable politique linguistique depuis les années 1960, a pu rester un îlot francophone, entouré par des locuteurs, de la langue anglaise, dont on connaît la force, et préserver sa culture. Je pourrais aussi évoquer les exemples de régions plus proches géographiquement, comme le Pays basque sud, dans la communauté autonome du Pays basque, où le basque, largement employé, gagne des locuteurs, ou encore le Pays de Galles. Les locuteurs gallois, qui étaient 200 000 dans les années 1950, dépasseront bientôt le million. Aujourd'hui, ce sont les générations âgées qui ne parlent pas gallois.
Il existe donc un fort besoin sur le terrain. Trois journalistes m'ont contacté ce matin. Une de mes publications sur ce sujet a obtenu 20 000 vues sur Facebook, hier : le sujet intéresse donc la population et on voit qu'une loi est très attendue dans les territoires où il existe des langues régionales. Cette proposition de loi reste modeste, nous aurions pu rédiger un texte couvrant bien d'autres aspects. J'ai choisi d'être court et de ne pas attaquer des sujets faisant polémique, par exemple la co-officialité. Dans le cas de la Corse, la proposition de loi ne donnera aucun avantage supplémentaire aux locuteurs corses, car elle ne fait que généraliser à d'autres territoires, qui le demandent, un dispositif existant.
Mes chers collègues, j'espère que nous pourrons avancer ensemble dans l'étude de cette proposition de loi.