La proposition de loi sur laquelle vous êtes appelés à vous prononcer aujourd'hui, aussi technique soit-elle, constitue une avancée pratique importante pour les droits des victimes d'infractions graves. Je tiens donc à saluer d'emblée l'engagement de Jeanine Dubié et à la remercier du travail constructif qu'elle a mené avec les services du Gouvernement, comme elle vient de le souligner à l'instant.
Pour bien saisir l'enjeu du texte, je commencerai par quelques éléments de présentation de la procédure d'indemnisation des victimes d'infractions.
Sur le territoire national, il est institué auprès de chaque tribunal judiciaire une commission d'indemnisation des victimes d'infractions, la CIVI, devant laquelle les victimes d'infractions, ainsi que leurs ayant-droits, peuvent réclamer une indemnisation. Cette indemnisation est versée par le FGTI au titre de la solidarité nationale, moyennant, bien entendu, un recours ultérieur de ce dernier contre l'auteur des faits.
La réparation accordée par la CIVI est intégrale et sans condition de ressources pour les atteintes à la personne les plus graves – décès, incapacité permanente de travail ou incapacité totale excédant un mois – ou pour celles résultant des infractions les plus graves – telles que le viol, l'enlèvement, la réduction en esclavage, la traite des êtres humains ou encore le proxénétisme.
La CIVI accorde également une réparation, mais sous condition de ressources, pour les atteintes plus légères à la personne lorsque les faits ont entraîné une incapacité totale de travail inférieure à un mois, ainsi que pour les préjudices subis par les victimes d'atteintes aux biens, telles que la dégradation, le vol, l'extorsion de fonds ou l'escroquerie, lorsque ces victimes sont dans l'impossibilité d'obtenir une réparation effective et suffisante et se trouvent, de ce fait, dans une situation matérielle ou psychologique grave.
La CIVI statue de manière autonome. La procédure se déroule en parallèle des procédures judiciaires contre les auteurs des faits devant le juge pénal. L'objectif est d'assurer aux victimes une réparation rapide, qui leur permettra de se reconstruire sans devoir attendre l'issue de la procédure pénale.
Enfin, le recours devant la CIVI n'est pas subsidiaire : il peut être exercé par les victimes avant que des poursuites pénales ne soient engagées, ou après, si ces poursuites n'ont pas permis à la victime d'obtenir réparation.
La proposition de loi que vous allez examiner porte sur le délai dans lequel la CIVI peut être saisie d'une demande indemnitaire par la victime : elle vise à modifier le point de départ de ce délai.
Aux termes de l'article 706-5 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, « à peine de forclusion, la demande d'indemnité doit être présentée dans le délai de trois ans à compter de la date de l'infraction ». Toutefois, lorsque des poursuites pénales sont exercées, ce délai est prorogé : il n'expire alors qu'un an après la décision de la juridiction pénale qui a statué définitivement sur l'action publique ou sur l'action civile. La décision est définitive lorsqu'elle n'est plus susceptible de voie de recours, ni d'appel, ni d'opposition, ni de pourvoi en cassation.
Depuis la loi du 15 juin 2000, le texte a enfin été complété pour préciser que, lorsque l'auteur de l'infraction a été condamné à verser des dommages et intérêts, le délai d'un an court à compter de l'avis donné par la juridiction, en application de l'article 706-15 du code de procédure pénale. Cette précision visait à tirer les conséquences de la création par cette loi de l'obligation, pour la juridiction qui condamne l'auteur d'une infraction à verser des dommages, d'informer la victime de la possibilité de saisir la CIVI. Toutefois, le fait de ne pas exiger que la décision soit définitive aboutit de facto à réduire le délai de forclusion dans cette hypothèse.
La rédaction du texte est donc aujourd'hui complexe, puisqu'elle prévoit deux solutions différentes lorsqu'un jugement pénal est intervenu : le délai pour saisir la CIVI est en principe d'un an à compter de la décision définitive de la juridiction pénale, c'est-à-dire de la décision qui n'est plus susceptible de voie de recours ; mais, si un jugement pénal est intervenu qui a condamné l'auteur des faits à des dommages et intérêts, alors le délai d'un an court à compter de l'avis rendu par la juridiction informant du droit de recours devant la CIVI, que cette décision ait ou non un caractère définitif.
Dans cette dernière hypothèse, les parties civiles devront donc saisir la CIVI sans attendre l'expiration des voies de recours contre la décision leur allouant des dommages et intérêts, comme c'était le cas avant la loi du 15 juin 2000. Or certaines victimes peuvent légitimement vouloir attendre une décision définitive du juge qui ne puisse plus être contestée, et, le cas échéant, tenter de recouvrer les dommages et intérêts contre l'auteur des faits avant de faire appel à la solidarité nationale pour obtenir une indemnisation.
Il s'agit donc, par souci d'équité et de lisibilité du texte, d'unifier le délai ouvert à toutes les victimes pour exercer leur recours en indemnité devant la CIVI. Ce délai doit, dans tous les cas, courir à compter de la date à laquelle la juridiction pénale a statué définitivement sur l'action publique ou sur l'action civile. Tel est le sens de la proposition de loi dans sa rédaction issue des travaux de la commission des lois.
Les droits des victimes sont en outre préservés : lorsque l'avis prévu à l'article 706-15 du code de procédure pénale les informant de leur droit de saisir la CIVI d'une demande d'indemnité ne leur aura pas été donné par la juridiction, il est prévu que la CIVI écartera la forclusion.
Pour l'ensemble de ces raisons, certes techniques mais importantes pour les victimes, le Gouvernement est tout à fait favorable à cette proposition de loi.