Un petit rappel historique : on ne peut pas dire que, dans notre histoire, les relations entre l'État et les langues régionales aient été fluides. Les choses se sont même très singulièrement gâtées à partir de la Révolution française. Barère disait ainsi que le fédéralisme et la superstition parlaient bas-breton et que le fanatisme parlait le basque.
Michelet lui-même avait une conception singulière de la Bretagne : « une colonie, comme l'Alsace et les Basques, plus que la Guadeloupe ». C'est donc bien la différence linguistique qui comptait pour lui. Ces territoires étaient plus exotiques parce qu'on n'y parlait pas français, bien que certainement beaucoup plus proches de Paris et de la métropole d'un point de vue économique.
Cette approche a perduré avant de commencer à évoluer après la seconde guerre mondiale, avec l'adoption, en 1951, de la loi relative à l'enseignement des langues et dialectes locaux, dite loi Deixonne. Au départ, il s'agissait d'un projet de loi ambitieux, comportant de nombreux articles, mais à l'arrivée, elle s'est résumée à une simple disposition rendant possible l'étude d'une langue régionale lorsque cela facilite l'apprentissage du français. C'était un peu limité.
Depuis 1958, sur les quarante-cinq propositions de loi relatives aux langues régionales qui ont dû être posées sur le bureau de l'Assemblée, seules deux ont été examinées : l'une en 2015, présentée – déjà ! – par votre serviteur ; l'autre en 2016, au contenu à peu près identique, et défendue par le groupe qui avait justement refusé le texte précédent avant de juger bon, un an plus tard, de rattraper son erreur. La proposition de loi que je présente aujourd'hui est donc la troisième.
Les dispositions législatives relatives aux langues régionales sont relativement éparses, fragmentaires et globalement très insuffisantes. Nous avons pu faire figurer une mention assez intéressante sur le sujet dans la loi Peillon de 2013. En 2015, la loi, dite NOTRe, portant nouvelle organisation territoriale de la République a abordé la question du versement du forfait scolaire lorsqu'un enfant suit un enseignement bilingue dans un établissement public situé dans une autre commune que la sienne. En 2017, la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer a modifié le décret du 2 thermidor an II qui, à l'origine, punissait de six mois d'emprisonnement et frappait de destitution tout officier public rédigeant des actes dans une autre langue que le français.
Ainsi, peu à peu, les choses évoluent.
J'en viens à l'article 75-1 de la Constitution, qui précise que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » – vous le connaissez bien, cher Marc Le Fur, puisque vous avez été l'auteur de l'amendement ayant conduit à son introduction. De fait, nous avions bien besoin d'une telle accroche constitutionnelle. Et de même que la loi Toubon est une déclinaison de l'article 2 de la Constitution, selon lequel « la langue de la République est le français », ma proposition de loi se veut une déclinaison législative de l'article 75-1. Le Conseil constitutionnel nous y invite, et il n'est pas le seul, puisque le procureur général près la cour d'appel de Rennes a appelé le législateur à se prononcer concernant l'usage du « n » tildé dans la langue française. Qu'il se rassure : ce problème est un de ceux que cette proposition de loi tente de résoudre, en posant certains jalons destinés à clarifier la situation. En effet, comme l'avait indiqué le Conseil constitutionnel, la mention des langues régionales dans la Constitution n'ouvre pas de droits aux locuteurs, même si elle impose quelques devoirs à l'État, dès lors que ces langues font partie du patrimoine.
Les articles 1 et 2, adoptés en commission, reconnaissent la langue française et les langues régionales comme faisant partie intégrante du patrimoine de la France. À ce propos, je ne comprends pas pourquoi la majorité ne veut pas faire figurer cette disposition dans le code du patrimoine. Dans la mesure où la Constitution reconnaît désormais que les langues régionales font partie du patrimoine de la France, ce refus semble un peu curieux. En outre, c'est parce que l'on m'a dit que les langues ne relevaient pas de la Convention de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel – ce qui me semble discutable – que j'ai renoncé à m'y référer à l'article 1er au profit du code du patrimoine.
J'ai vu que la majorité avait déposé un amendement pour supprimer l'article 2, qui porte sur les biens. Il me semble pourtant important de le conserver – je fournirai à cet égard un exemple éclairant.
De même, il convient de rétablir les dispositions relatives à l'éducation, qui ont été supprimées en commission. Elles constituent évidemment le coeur de ma proposition de loi.