Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 6 novembre 2017 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2017 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Examinons maintenant les méthodes que vous nous proposez pour y remédier, et tout d'abord la célérité de la réparation.

Les 10 milliards sont rendus quasiment aussi vite qu'ils ont été demandés. Ni une ni deux ! L'encre de la signature du Premier ministre était à peine sèche que, après le Conseil des ministres, la commission des finances s'est réunie pour prendre connaissance du projet de loi, qu'elle a adopté dès le lendemain. Et nous voilà aujourd'hui dans l'hémicycle.

On nous répond qu'il fallait aller vite, mais on pourrait citer bien des textes à valeur législative importante dont la réalisation n'obtient pas le même succès. Ainsi, les associations attendent toujours l'application pleine et entière de la loi sur le handicap de 2005. Combien de collectivités territoriales réclament en vain les sommes correspondant à des transferts de compétences non financés par l'État, soit 1 milliard pour le seul conseil régional d'Île-de-France ?

Je pense aussi aux salariés de GM& S vilipendés en direct par le Président de la République sur une grande chaîne de télévision parce qu'ils ont osé réclamer une indemnité extralégale pour avoir été jetés à la rue après des décennies de bons services. Cumulées, ces indemnités auraient atteint 4,6 millions d'euros. Une goutte d'eau en comparaison de 10 milliards !

Notons enfin que bien des jugements de la Cour de justice de l'Union européenne et des exigences de l'Union ne rencontrent pas non plus le même succès. Je ne citerai qu'un exemple, parmi des dizaines. Le 13 juin 2013, la France a été condamnée par la Cour européenne et sanctionnée par l'Union pour sa politique de protection des eaux contre la pollution par les nitrates. On attend toujours la moindre mesure d'application de ce jugement.

J'en viens donc à ma sixième leçon de choses : pour exiger une réparation du Gouvernement et l'application de directives européennes, mieux vaut être un lobby de riches détenteurs de capitaux que des associations de l'environnement, des syndicats ou des citoyens. Cette construction européenne est décidément faible avec les forts, dure avec les faibles.

Considérons à présent les moyens du remboursement. Vous proposez deux sources : la première est une taxe exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés frappant les plus grosses entreprises ; la deuxième, à hauteur de 5 milliards, reposera sur la collectivité tout entière. Nous sommes en effet appelés à voir le déficit de la Nation se creuser d'un montant de 0,2 % supplémentaire pour payer la moitié de ces 10 milliards. C'est d'ailleurs, à l'origine, le seul moyen que vous envisagiez, monsieur Le Maire, quand on estimait que le remboursement n'excéderait pas 5 milliards.

Cela nous conduit à une septième leçon de choses : là où l'urgence sociale ne trouve pas grâce à vos yeux quand elle impliquerait une dépense publique supplémentaire, en revanche, dès que le capital est en danger, ou simplement exigeant, on ne compte plus les sous. Cela s'est vérifié avec l'explosion de la dette, à la suite de la crise financière de 2008, pour socialiser les pertes des banques et les renflouer par la dette publique ; cela se vérifie à nouveau aujourd'hui, puisque vous voulez alourdir le déficit du pays pour assurer la moitié du remboursement des 10 milliards.

À vrai dire, on ne peut pas vous le reprocher : vous êtes cohérent avec vous-même et avec votre PLF. La solution que vous préconisez obéit en effet à la même logique, consistant à distribuer 9 milliards de cadeaux fiscaux aux plus riches, et à compenser cette dépense, pour respecter la sacro-sainte règle d'or européenne, par une baisse de 15 milliards de la dépense publique, dont nous allons tous pâtir. À titre d'exemple, ce 0,2 % de déficit supplémentaire convoqué pour rembourser 5 milliards aux plus riches, pourrait nous servir, tout à la fois, à ne pas affaiblir les collectivités territoriales cette année – alors que vous entendez leur prendre 2,6 milliards – et à ne pas abaisser les APL, étant rappelé que vous avez décidé de placer 1,8 milliard à la charge des locataires les plus défavorisés.

Nous avons d'autres solutions à vous proposer, qui, au moins, présentent toutes l'avantage de faire payer la facture aux plaignants – car, si la loi est pour eux, la vertu, elle, ne l'est pas. De fait, cela fait déjà des années qu'ils se sont largement gavés de la richesse produite par tous ceux qui, en définitive, par leur travail, payent leurs profits. Le mammouth financier ne mérite pas que la Nation paye, encore, pour l'engraisser un peu plus.

La première solution, que vous retrouverez dans nos amendements, consiste à doubler la taxe sur l'impôt sur les sociétés des plus grosses entreprises. Étant donné les centaines de milliards qu'elles ont empochés en quelques années – comme l'attestent les dividendes versés – , elles auront largement de quoi payer et, au moins, l'opération sera quasiment nulle pour les comptes de la Nation.

La solution alternative consiste à conserver votre taxation de 5 milliards sur l'impôt sur les sociétés et à ajouter à la caisse la suppression de la disparition de l'ISF sur les biens mobiliers – ce qui représenterait une ressource de 3,5 milliards – et l'annulation de la flat tax, pour un gain global de 5 milliards. On atteindra ainsi sans peine les 10 milliards.

En agissant de la sorte, d'ailleurs, vous vous éviterez peut-être des problèmes à l'avenir. En effet, tout indique que la flat tax coûtera beaucoup plus cher que prévu. De fait, vous avez calculé votre 1,5 milliard sur la base du stock actuel de dividendes. Mais l'économiste Gabriel Zucman a montré depuis lors que cela nous coûtera beaucoup plus cher ; en effet, ceux qui, aujourd'hui, se paient par honoraires ou salaires, ont évidemment avantage à se payer par dividendes, puisque la taxation de ces derniers sera plafonnée à 30 %. Cela conduit à un budget que je n'hésite pas à qualifier d'insincère, dont il vous faudra bien combler le déficit pour respecter la fameuse règle communautaire des 3 %. Il s'ensuivra peut-être un futur projet de loi de finances rectificative en août 2018, dont nous pâtirons autant que celui que nous examinons.

Je rappelle le contenu de nos deux solutions, au demeurant aisées à mettre en oeuvre : première possibilité, vous doublez l'impôt sur les sociétés ; deuxième possibilité, vous conservez la taxation de 5 milliards de l'impôt sur les sociétés et vous annulez la suppression de l'ISF sur les biens mobiliers ainsi que l'instauration de la flat tax. Cela vous éviterait aussi une faute plus lourde. En effet, comment ne pas comprendre que cette politique des deux poids, deux mesures n'est pas supportable dans un pays abritant 9 millions de pauvres, 4 millions de mal logés, 9,2 % de chômeurs et dans lequel le revenu médian n'est que de 1 800 euros ?

Les chiffres des profits et des cadeaux fiscaux sont tellement vertigineux qu'on tend à perdre de vue leur grandeur réelle et leur impact sur l'économie. Je me souviens, pour ma part, d'une manifestation, il y a peu, de gens demandant que vous reveniez sur la baisse des APL. Il y avait parmi eux un locataire qui expliquait que la disparition des 5 euros, dont vous entendez faire l'économie, marquait le passage d'une vie certes très difficile à une situation de survie. Combien de ces billets de 5 euros sont-ils ainsi distribués à ceux qui ont déjà tant ? Jusqu'à quelle accumulation de richesse faut-il aller pour nourrir ce minotaure impitoyable ? À quoi vous sert de le servir toujours plus ? Enfin, ces chiffres astronomiques ne finissent-ils pas, chers collègues, par vous ébranler ? À quoi sert-il d'alimenter cette machine folle ?

D'autres solutions existent, que nous voulons bien partager avec vous, puisque nous sommes partageux. Imaginons que, non seulement, vous souhaitiez faire peser ces 10 milliards sur ceux qui se plaignent, mais également que vous entendiez compenser la perte pour le budget de l'État des 2 milliards qui résultent de la suppression de cette taxe sur les dividendes. Grâce à notre contre-budget, que nous avons présenté récemment, nous pouvons faire rentrer l'équivalent de ces sommes, voire davantage, dans les caisses de l'État, au moyen de mesures telles que l'instauration d'une TVA grand luxe à 33 % – qui représenterait une ressource de 5 milliards – , un renforcement de l'ISF, doublé de l'instauration d'un héritage maximum au-delà de 33 millions d'euros – qui ne toucherait que 0,01 % des foyers mais rapporterait 3 milliards – ou la création d'une taxe sur les transactions financières intra day, pour un montant de 1,5 milliard. Nous avons ainsi 33 milliards à votre service, énumérés dans notre contre-budget, qui permettraient de financer l'équivalent en dépenses courantes et de répondre aux besoins urgents des Français en matière de santé, de logement, d'emploi, d'éducation ou d'enseignement supérieur, pour ne citer que ces domaines. En outre, cela redonnerait à la fiscalité toute sa valeur redistributive, qui est la base du consentement républicain à l'impôt.

Les solutions que nous proposons reposent d'abord sur une bifurcation écologique de la société. À cet égard, la seule dette que vous devriez évoquer est la dette écologique, laissée aux générations à venir, qui pourrait conduire à leur léguer une Terre invivable, et non cette dette financière dont vous nous parlez sans arrêt. En effet, cette dernière est largement supportable par notre pays et peut, de toute façon, être effacée au moyen d'un outil politique au service de notre projet, à savoir une politique monétaire différente. Nos solutions traduisent aussi une autre façon de voir l'économie, qui a pour objet d'enclencher un cercle vertueux. Rappelons à cet égard que 1 million d'euros investis dans la dépense publique, dans l'investissement, rapportent 1,4 milliard à l'économie. Nous proposons de lancer un grand plan d'investissement pour le bâtiment, le logement social, mais aussi d'engager une politique économique fondée sur le partage des richesses.

Vous l'aurez compris, chers collègues, nous n'acceptons pas les traités européens sur lesquels s'appuie cette directive, la logique de la concurrence, du dumping fiscal et, en définitive, de l'affaiblissement des États dans leur fonction économique, sociale, redistributive. Quand nous gouvernerons la France, nous refuserons de nous y soumettre, tout en entamant des négociations avec les États membres, qui auront pour point de départ la sortie des traités. Malheureusement pour le pays, nous n'en sommes pas là, puisque c'est vous qui gouvernez.

Notre réponse à votre projet de loi de finances rectificative consiste donc à trouver la meilleure méthode pour remédier à l'annulation et au remboursement de la taxe sur les dividendes. Nous proposons un principe simple : si l'on peut regretter que les pollueurs polluent, au moins faisons en sorte qu'ils soient les payeurs. Autrement dit, à la finance de payer ce qu'elle nous impose de lui concéder. Ce n'est pas ce que vous proposez dans ce projet de loi de finances rectificative, manifestement échafaudé, messieurs les ministres, dans la panique et l'impréparation. Voilà pourquoi, chers collègues, nous vous appelons à voter cette motion de renvoi en commission.

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