Les gens ont faim ! Voilà ce que disent aujourd'hui les bénévoles associatifs en Seine-Saint-Denis. Car, dans ce département, le coronavirus ne tue pas seulement plus qu'ailleurs : l'épidémie et ses conséquences plongent aussi de nombreux habitants déjà fragiles dans une précarité plus grande encore.
Dans un département où près de 28 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté – une proportion qui représente deux fois la moyenne nationale – , la crise sanitaire se double d'une crise sociale, une crise d'une gravité telle qu'elle est d'abord une crise alimentaire. Avoir faim, se demander comment l'on va nourrir sa famille : la question hante aujourd'hui le quotidien de milliers d'habitants de Seine-Saint-Denis. Partout les files d'attente s'allongent devant les points de distribution alimentaire. Le nombre des demandes aux centres communaux d'action sociale explose.
Les personnes concernées ne sont pas seulement les mêmes qu'avant le confinement : de nombreuses familles qui n'y avaient pas recours n'ont d'autre choix que de solliciter l'aide alimentaire, et menacent de tomber dans la pauvreté. Le préfet de la Seine-Saint-Denis estimait récemment lui-même que 15 000 à 20 000 personnes risquaient d'avoir du mal à se nourrir. Beaucoup d'autres le peuvent encore, mais seulement au prix de choix déchirants, de privations indicibles.
Une habitante d'Aubervilliers me disait encore il y a peu : « Mon mari est intérimaire et depuis la mi-mars il ne gagne plus rien. Nous ne touchons plus que les allocations pour les enfants. Je ne paierai pas mon loyer en avril. Ma priorité est de nourrir mes trois enfants. » Comment peut-on accepter cela aujourd'hui en France, dans la sixième puissance économique mondiale ?
Depuis le début du mois de mars, c'est avant tout l'élan de solidarité de la population, des associations, qui a permis de faire face à l'urgence. Pour beaucoup d'habitants, les distributions de paniers-repas, de produits de première nécessité, le soutien humain aussi, ont constitué une aide cruciale, souvent la seule. Il faut rendre hommage à tous ceux qui se sont engagés sans compter. Mais ces dons ne suffisent pas à eux seuls, d'autant que les séquelles sociales de la crise seront durables. C'est à l'État de prendre ses responsabilités et d'agir massivement pour protéger tous ceux qui en ont besoin.
Or le Gouvernement ne prend pas la mesure de l'urgence sociale qui frappe la Seine-Saint-Denis. C'était déjà le cas avant la crise : le plan pour le département, annoncé par le Premier ministre en octobre 2019, n'était pas à la hauteur. Votre surdité est plus grave encore aujourd'hui. L'aide exceptionnelle de 150 euros et de 100 euros par enfant qui a été annoncée, versée une seule fois aux foyers les plus modestes, ne suffit pas, pas plus que l'enveloppe de 39 millions d'euros destinée aux associations chargées de l'aide alimentaire et à la distribution de chèques d'urgence alimentaire. Vous pouvez faire plus – nous savons par exemple que l'État a débloqué 7 milliards d'euros de prêts pour Air France-KLM !
Les mesures qui pourraient être prises immédiatement sont pourtant simples. Je les ai déjà proposées au Premier ministre dans un courrier : encadrer les prix des produits alimentaires de première nécessité ; doubler la prime aux ménages les plus modestes et la pérenniser jusqu'à la fin de la crise ; mettre en place un soutien vraiment massif de l'État aux collectivités locales et aux associations ; suspendre les loyers des personnes en difficulté en compensant les bailleurs. Je pourrais continuer.
Ma question est donc simple. Quand prendrez-vous la mesure de la crise et de ses conséquences sociales ? Quand déploierez-vous un vrai plan d'urgence, pour que des milliers de personnes, y compris d'enfants, n'éprouvent pas la faim, aujourd'hui, en Seine-Saint-Denis, aux portes de Paris ?