Notre assemblée examine cet après-midi la proposition de résolution déclarant nécessaires le rachat de la dette publique par la Banque centrale européenne et sa transformation en dette perpétuelle. Cette proposition des membres du groupe de La France insoumise, qui porte sur deux questions, appelle selon moi trois types de remarques.
Le premier est juridique : les deux premiers points de cette proposition de résolution ne sont pas conformes au Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Vous proposez que la BCE transforme la dette actuelle des État en dette perpétuelle à taux nul immédiatement. Nous sommes d'accord sur un point : la BCE, et les banques centrales nationales détiennent dans leur bilan des titres d'État achetés dans le cadre des programmes d'achat de titres que la BCE a adoptés, afin de rétablir les canaux de transmission de la politique monétaire. Cependant, a-t-elle la possibilité de transformer, comme vous le prônez, cette dette en dette perpétuelle ? Non !
L'article 123 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdit aux banques centrales « d'accorder des découverts ou tout autre type de crédits » aux États membres. L'exposé des motifs de votre proposition de résolution, évidemment, ne mentionne nullement cette interdiction, vous conduisant à des affirmations fausses.
Il en va de même pour votre proposition de racheter la dette sur les marchés secondaires, pour la geler progressivement. Contrairement aux assertions, fausses, de l'exposé des motifs, une modification du traité serait nécessaire.
Enfin, vous souhaitez que la BCE puisse acheter directement de la dette aux États, que ces derniers ne seraient pas dans l'obligation de rembourser. Cette opération est également interdite.
Par ailleurs, je relève qu'au deuxième point de l'article unique, vous prévoyez que la BCE « émette de la dette publique des États ». Cette formulation me semble, sur le plan juridique, maladroite, erronée, mal argumentée, parce que vous oubliez qu'il s'agit de deux personnes morales distinctes, et qu'une banque ne peut émettre de la dette pour un État – fait juridique essentiel. Cette proposition, ainsi, pose des difficultés de fond.
Ainsi, pour appliquer vos propositions, il conviendrait de modifier substantiellement les traités, et donc d'obtenir l'accord de tous les pays de la zone euro, ce qu'on peut déjà qualifier de mission impossible.
Il y a certainement d'autres problèmes, outre les quatre que je viens de citer. Clairement, cette proposition n'a pas de valeur juridique, puisque l'exposé des motifs indique souvent le contraire de l'article unique, ou n'en explique pas les dispositions.
Pour que le groupe de La République en marche accepte cette proposition, il faudrait donc entièrement la réécrire, sur le fond plus encore que sur la forme.
Ma deuxième série de remarques porte sur les conséquences économiques de vos propositions. Dans l'exposé des motifs, vous écrivez que les statuts et le mandat de la Banque centrale européenne « lui assurent une indépendance problématique et des objectifs contraires à l'intérêt général. »
En premier lieu, l'indépendance de la Banque centrale européenne lui permet de remplir son mandat plus efficacement. Toutes les études montrent que cette indépendance lui a permis de mieux atteindre les objectifs qui lui ont été attribués, en particulier en matière d'inflation et de croissance économique.
En second lieu, l'objectif de la Banque centrale européenne est de veiller à la stabilité du marché et des prix : c'est le coeur de sa mission. On ne peut pas dire, comme vous le faites dans l'exposé des motifs, que c'est contraire à l'intérêt général.
Vous souhaitez remettre en cause l'indépendance de la BCE et sa mission d'intérêt général. Nous n'y sommes évidemment pas favorables.
De plus, il est faux d'affirmer qu'il existe de l'argent facile. Les banques centrales ont aussi des obligations à respecter. Dans un monde globalisé, interconnecté, une annulation massive et soudaine d'environ 11 000 milliards d'euros de dette publique aurait des conséquences parfaitement inconnues et incontrôlables. C'est un risque qu'il est impossible de courir.
La BCE est un organe essentiel de la construction de la zone euro : sur le plan économique, elle a permis de stabiliser la monnaie ainsi que les mondes bancaires et financiers, et elle a logiquement protégé les petits épargnants.
Remettre en cause ses mandats et statuts est une chose – il est probable qu'ils doivent évoluer ; mais complètement les redéfinir en est une autre, et ce n'est pas à l'ordre du jour. L'urgence est tout autre : il faut travailler sur le financement de la relance, le rachat de la dette de certains pays, comme c'est le cas avec l'Italie actuellement.
Plutôt que de faire rêver, il faut être opérationnel, et utiliser les outils à notre disposition pour agir vite. On voit bien que La France insoumise se trompe de guerre : nous ne sommes plus en 2008 ni en 2009, mais en 2020.
Ma dernière série de remarques est d'ordre politique. Au niveau communautaire, l'application de vos propositions ne manquerait pas de provoquer une crise politique supplémentaire, alors qu'il nous faut déjà résoudre une crise économique et sanitaire.
Par ailleurs, alors que, dans ce texte, vous proposez de faire évoluer la Banque centrale européenne, dans votre programme initial, vous prévoyiez de la supprimer. C'est un sacré revirement, un sacré changement, puisque vous vous rendez compte que la BCE a une utilité, et pourrait en avoir d'autres ! En fait, tout en n'envisageant les choses que du point de vue de la souveraineté nationale, vous prenez conscience qu'un autre outil, européen, doit être central.
Après ce revirement total des dogmes de La France insoumise, êtes-vous prêts à nous rejoindre pour construire l'Europe et la zone euro, et les consolider ? Tel est en tout cas le sens de votre programme.
Or vous vous trompez de méthode pour y parvenir. Pour toutes les raisons juridiques, économiques, et évidemment politiques que j'ai données, le groupe de La République en marche ne votera pas en faveur de cette proposition de résolution.