Depuis plus de trente ans, la fermeture des lits est presque devenue une règle dans les hôpitaux français. Entre 1993 et 2018, près de 100 000 lits ont été fermés. Hélas, cette baisse n'a pas ralenti au cours des dernières années. D'après la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du ministère de la santé – DREES – , 17 500 lits ont été fermés en six ans.
Derrière ces chiffres, il y a une dure réalité. Derrière ces strictes considérations comptables, devenues l'unique grille de lecture valable pour gérer les hôpitaux publics, se trouve le risque de proposer un service public de moindre qualité et, surtout, l'assurance de compliquer davantage les conditions de travail des professionnels de santé.
Fermer les lits, c'est en effet confier aux personnels la dure tâche de chercher des moyens pour hospitaliser des patients, quitte à y passer des heures, voire à faire sortir des malades plus tôt pour en accueillir d'autres.
Nous ne pouvons accepter plus longtemps que les personnels hospitaliers s'engagent dans une chasse aux lits. Cela ne fait qu'ajouter au malaise d'une profession déjà bien éprouvée et de moins en moins attractive. Quel sens donner à la médecine quand l'activité principale des praticiens consiste à faire de la place ?
Accueillir des personnes malades à l'hôpital est devenu un casse-tête permanent qui oblige parfois les médecins à envoyer leurs patients, notamment en chirurgie, dans d'autres services, au détriment de leur suivi et de la qualité des soins. En juin 2018, le syndicat SAMU-Urgences de France estimait qu'au premier semestre de l'année, près de 100 000 personnes avaient passé la nuit sur un brancard, faute de lits. Ces images, nous les avons trop vues, nous ne les supportons plus.
Les fermetures de lits sont aussi une première étape vers les fermetures de services. Ces derniers ferment car il n'y a plus de personnels pour en assurer le fonctionnement. Or les professions hospitalières ont perdu en attractivité du fait de conditions difficiles et de l'absence de revalorisation salariale.
Les services ferment également car les agences régionales de santé ont érigé le regroupement des plateaux hospitaliers en mot d'ordre, sans tenir compte des besoins en santé et des spécificités des territoires. À titre d'exemple, en vingt ans, la moitié des maternités ont fermé leurs portes en métropole.
Chers collègues, chacun de nous ici porte la responsabilité de cette situation, qui est la conséquence d'une lente dégradation. Aussi devons-nous faire preuve d'humilité en la matière. Ces dernières années, tous les gouvernements ont baissé les moyens accordés aux hôpitaux et les ont incités à réaliser des économies d'envergure. Depuis les années 2000, nous assistons à une intensification des modes de raisonnement économiques, qui conduisent à gérer les hôpitaux publics comme des entreprises et à les aligner sur les standards de gestion du secteur lucratif.
En pleine épidémie de covid-19, la politique de fermeture de lits et de services a largement pesé sur nos capacités de prises en charge. Le système de santé a tenu, mais au prix de tensions considérables. Pour faire face à la vague de patients, la France a augmenté ses capacités en réanimation à presque 14 000 lits, contre environ 5 000 habituellement, au détriment d'autres patients dont les actes ont été déprogrammés. Sans les transferts de malades dans les territoires et en Europe, nous aurions été dépassés.
Nous devons en finir avec les politiques de « rationalisation de l'offre de soins », ce qui signifie qu'il faut octroyer enfin des moyens suffisants aux hôpitaux publics, et donner plus de poids aux soignants, afin que la gouvernance hospitalière soit plus représentative des besoins des populations et des territoires.
Un moratoire sur les fermetures de lits et de services, c'est bien le strict minimum ! Le groupe Libertés et territoires votera donc cette proposition de résolution, mais attend beaucoup des décisions et des investissements qui sortiront du Ségur de la santé.