En première lecture, j'avais indiqué que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutient votre intention de lutter contre la menace terroriste. Je dis bien « menace », car chacun sait, hélas, qu'en dépit du formidable travail livré par nos services de renseignement et nos fonctionnaires de police et de justice, notre pays peut être frappé à tout instant. Je sais, en tant que parlementaire de Seine-Saint-Denis et en tant qu'élu de la ville de Saint-Denis, combien le tribut payé par la nation et les victimes de ces actes odieux peut être lourd, car j'ai assisté à l'attentat perpétré au Stade de France. Je suis intimement convaincu que la représentation nationale doit être au rendez-vous de ce combat en exprimant une détermination sans faille.
Toutefois, cette bataille, si importante soit-elle, ne saurait être menée, même à notre corps défendant, au mépris des grands principes républicains, comme c'est le cas depuis trop d'années. En matière de terrorisme comme en matière de délinquance, la tentation est grande de s'engager dans une course sans fin vers le risque zéro. Or, dans ce domaine, le risque zéro n'est évidemment qu'un mythe, une tentation à laquelle toutes les majorités successives ont succombé, en renforçant sans cesse l'arsenal législatif.
Cette proposition de loi n'échappe pas à cette surenchère législative, en instaurant, en quelque sorte, une peine après la peine. Il n'est plus question ici de prévenir le risque terroriste et d'imaginer des peines compatibles avec notre vision de la justice républicaine ; il est seulement question de s'assurer une quiétude illusoire, au moyen de mesures de sûreté drastiques.
En plus d'être une chimère, votre dispositif montre mieux que nul autre – c'est sans doute le plus préoccupant – à quel point la frontière entre la logique de prévention des attaques et celle de justice s'est étiolée dans l'esprit du législateur. Le Conseil d'État, dans son avis sur le texte, vous met d'ailleurs en garde, à juste titre, contre la confusion existant entre la peine et la mesure de sûreté, en raison « de l'empilement au fil des années de dispositifs [… ] qui ont mêlé mesures à caractère répressif, ou s'insérant dans l'exécution des peines, et mesures à caractère préventif ».
Ces modifications successives ne sont pas sans conséquences. Elles ont profondément bouleversé et troublé les principes hérités de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dont l'article 8 dispose que nul ne peut être à nouveau poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits. En 2008, Robert Badinter alors sénateur, résumait admirablement cette évolution des mesures de sûreté en s'inquiétant : « L'homme dangereux va remplacer l'homme coupable devant notre justice. »