Intervention de Jean-Pierre Pont

Séance en hémicycle du samedi 24 octobre 2020 à 9h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Pont, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Dans ce contexte extrêmement préoccupant, le Président de la République n'a eu d'autre choix que de décréter à nouveau, le samedi 17 octobre, l'état d'urgence sanitaire dans l'ensemble du territoire national. Je tiens à saluer cette décision, qui était devenue indispensable alors que nous avons enregistré en une semaine 8 754 nouvelles hospitalisations, dont 1 493 en réanimation. Ainsi que l'a rappelé le Conseil d'État, citant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, au sujet du couvre-feu appliqué à une partie de la population, les mesures fortes qui s'imposaient ne pouvaient être prises que dans le cadre juridique de l'état d'urgence sanitaire. J'ai entendu en commission des interprétations étonnantes de cette jurisprudence constitutionnelle. Je vous le dis très clairement, mes chers collègues : déclarer l'état d'urgence sanitaire était nécessaire à l'entrée en vigueur du couvre-feu, comme il avait été nécessaire pour l'imposer dans certaines communes lors de la première vague, puis cet été en Guyane, où l'état d'urgence avait été prorogé.

Je vous le dis avec d'autant plus de vigueur que nous, législateurs, avions nettement exprimé cette intention lors de l'examen de la future loi du 9 juillet 2020, grâce au travail réalisé par notre rapporteure de l'époque, Marie Guévenoux. Aux termes de la décision du Conseil constitutionnel du 9 juillet 2020, « il ressort des travaux parlementaires que l'interdiction de circulation des personnes ne peut conduire à leur interdire de sortir de leur domicile ou de ses alentours » dans le cadre du régime transitoire. Selon l'avis du Conseil d'État sur ce projet de loi, « si la quasi-totalité des mesures prises » depuis la déclaration de l'état d'urgence « aurait pu être prise sur la base de la loi du 9 juillet 2020, ou des articles L. 3131-1 et suivants du code de la santé publique, il n'en est pas de même de la mesure » de couvre-feu, laquelle « ne peut être mise en oeuvre sur le fondement de la loi du 9 juillet 2020 comme cela résulte de la décision du Conseil constitutionnel ».

Je le répète, une chose est sûre : le Gouvernement agit et continuera d'agir, au moyen de tous les outils juridiques dont il dispose, afin de protéger la population. C'est pourquoi, en application de l'article L. 3131-13 du code de la santé publique, le Parlement est saisi d'un projet de loi visant à prolonger l'état d'urgence sanitaire au-delà de quatre semaines. Tel est l'objet de l'article 1er : le Gouvernement y sollicite une prorogation de ce régime pour trois mois, c'est-à-dire jusqu'au 16 février 2021, durée tout à fait adaptée et proportionnée à l'état de la situation sanitaire. Je vous renvoie sur ce point à l'avis du Conseil d'État, mais aussi à celui du Conseil scientifique, qui nous explique que, malheureusement, « les mois d'hiver seront difficiles » en termes de circulation de la covid-19.

Le rétablissement de l'état d'urgence sanitaire a automatiquement mis fin au régime transitoire en vigueur depuis le 11 juillet, et qui a vocation à l'être de nouveau, puisqu'il est conçu en vue d'organiser la sortie de l'état d'urgence. C'est pourquoi l'article 2 du texte le rend applicable, jusqu'au 1er avril 2021, dans les territoires où l'état d'urgence ne sera plus requis. Il s'y appliquerait dès le 17 février, voire plus tôt si l'état d'urgence est levé de manière anticipée. Cette disposition a, elle aussi, été validée à la fois par le Conseil d'État et par le Conseil scientifique. Consciente de la gravité de la situation et de sa propre responsabilité, la commission des lois a adopté ces deux articles, afin que le Gouvernement puisse agir efficacement face à la crise sanitaire.

L'article 3, quant à lui, permet d'appliquer la stratégie « tester, tracer, isoler » et de poursuivre la recherche du virus. Sans la capacité de suivre les personnes contaminées et leurs cas contacts, nous ne pouvons rompre les chaînes de transmission et lutter de manière efficace contre l'épidémie.

C'est la raison pour laquelle il est proposé de proroger les systèmes d'information SI-DEP et Contact-Covid jusqu'au 1er avril 2021. Par ailleurs, la liste des personnels de santé qui pourront entrer les informations relatives aux personnes contaminées dans ces systèmes est élargie, notamment pour permettre aux pharmaciens d'y procéder. Je rappelle que des garanties importantes sont prévues, notamment la transmission par le Gouvernement d'un rapport au Parlement, tous les trois mois, sur le fonctionnement de ces systèmes, complété par un avis public de la CNIL – Commission nationale de l'informatique et des libertés – et par l'avis du comité de contrôle et de liaison Covid-19, dont le rôle est notamment de veiller au respect du secret médical et à la protection des données personnelles.

À nouveau, tous les acteurs soutiennent la prolongation de ces outils. Par ailleurs, la commission a souhaité reprendre un amendement introduit dans le projet de loi que nous avions adopté le 1er octobre 2020 : pour répondre aux recommandations de la CNIL, nous proposons d'améliorer l'évaluation de ces systèmes d'information par le biais d'indicateurs précis, ce qui devrait recevoir l'assentiment de tous.

Enfin, l'article 4 habilite le Gouvernement à prolonger ou rétablir des dispositions prises par voie d'ordonnances au printemps et à l'été derniers, notamment en matière de droit du travail, de fonctionnement des administrations et des collectivités territoriales ou de garde d'enfant. Toutes ces mesures pourraient se révéler utiles si la situation se dégradait brusquement, si des services publics devaient devenir indisponibles pour un temps, s'il fallait agir rapidement pour soutenir les entreprises et nos concitoyens.

Le texte que nous examinons ce matin permet donc une réponse adaptée et rapide des pouvoirs publics en fonction de l'évolution de la situation, malheureusement difficile à prévoir. Il ne s'agit pas d'un chèque en blanc que nous faisons au Gouvernement, comme j'ai pu l'entendre en commission : nous lui confions au contraire une lourde responsabilité. Il revient bien au Parlement d'autoriser une nouvelle fois le Gouvernement à agir. Nous en sommes au cinquième texte en huit mois, et nous en aurons bientôt un sixième.

Le Parlement continue par ailleurs d'exercer quasiment en permanence sa mission de contrôle de l'action du Gouvernement. Demandez à M. le ministre, demandez à Mme la présidente de la commission des lois, demandez à vos collègues membres des commissions d'enquête et des missions d'information en cours. Lisez également les rapports hebdomadaires transmis par le Gouvernement et disponibles sur le site internet de l'Assemblée. Lisez les décisions du Conseil constitutionnel, les avis du Conseil scientifique, jetez un oeil du côté de l'activité du Conseil d'État, à la fois en tant que conseiller du Gouvernement et en tant que juge administratif.

Le Gouvernement n'a jamais été aussi contrôlé que pendant cette période. L'État de droit est là. Le respecter, c'est aussi garder en mémoire que le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 garantit à chaque citoyen le droit à la protection de sa santé. Ce droit, il nous revient à nous, comme législateur, de le protéger et de le réaffirmer. Et cette tâche, je l'assume et continuerai de l'assumer, en tant que médecin, en tant que député et en tant que rapporteur.

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