La séance est ouverte.
La séance est ouverte à neuf heures.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire cette semaine en commission des lois, la situation est peu commune : il y a un mois, je me trouvais devant vous dans le cadre de l'examen en première lecture d'un texte visant à prolonger les mesures dérogatoires accompagnant la sortie de l'état d'urgence sanitaire. Ce texte n'aura pas atteint le terme de son parcours, qui a été interrompu lors de sa première lecture au Sénat, après que le Président de la République eut pris un décret en conseil des ministres instaurant de nouveau l'état d'urgence sanitaire dans notre pays.
Pour commencer, je voudrais justifier ce rétablissement de l'état d'urgence sanitaire par des raisons sanitaires. L'urgence dans laquelle cette mesure a été prise fait que je ne me présente devant vous que près d'une semaine plus tard. Cette urgence découle de la circulation active du virus dans l'ensemble de notre pays – et quand je parle de « circulation active », je pèse mes mots. Hier, en l'espace de vingt-quatre heures, 42 000 Français ont été reconnus porteurs du coronavirus : au cours du mois d'août, il y en avait 1 000 à 1 500 par jour. Hier, en vingt-quatre heures, 2 000 personnes ont été hospitalisées en raison d'une forme grave de l'infection ; 300 patients ont été admis en réanimation, pour la plupart placés en coma artificiel, intubés et ventilés, avec un risque vital non négligeable. Hier, enfin, près de 300 décès dus au coronavirus ont été déclarés dans notre pays, à l'hôpital ou au sein des EHPAD. Encore ces quelques chiffres ne disent-ils rien de la situation humaine, des conséquences de chaque diagnostic, de chaque admission à l'hôpital ou en réanimation, de chaque décès.
Le Premier ministre et moi-même l'avons annoncé cette semaine en conférence de presse : dans les prochains jours, les prochaines semaines, la situation va empirer, quoi que nous fassions, étant donné que les formes graves apparaissent environ quinze jours après le diagnostic de la maladie. Compte tenu de l'évolution de l'incidence, les formes graves que nous constations hier ne sont que le triste, le morbide reflet de la situation sanitaire de notre pays il y a deux semaines. Une aggravation est donc à craindre pour nos hôpitaux, alors même que 45 % des lits de réanimation y sont déjà occupés par des malades atteints du coronavirus.
D'autres indicateurs témoignent également de la rapidité avec laquelle le virus circule et de la dangerosité de la deuxième vague. Nous avons augmenté le nombre de tests : désormais, il en est réalisé 1 700 000 par semaine ; or leur taux de positivité excède désormais 15 %. En d'autres termes, 15 % des personnes testées sont porteuses du coronavirus. Nous ne découvrons pas cette situation : semaine après semaine, nous en avons débattu, dans cet hémicycle comme au Sénat. Nous avons demandé la confiance du Parlement afin de prendre les mesures indispensables en vue de freiner la circulation du virus. Vous nous avez toujours accordé cette confiance : aujourd'hui, elle est plus que jamais nécessaire.
Des mesures destinées à freiner la propagation du virus ont donc été prises depuis des semaines, dès le mois d'août en ce qui concerne la métropole d'Aix-Marseille-Provence. Ces mesures ont produit des résultats importants dans certaines métropoles : je pense à Nice ou à Bordeaux. Ailleurs, le virus a continué à se répandre, nous obligeant à prendre d'autres mesures encore. Toutes étaient compatibles avec les dispositions législatives en vigueur, à savoir celles du régime dérogatoire accompagnant la sortie de l'état d'urgence sanitaire. Les mesures décidées par le Président de la République, elles, ne sont pas compatibles avec l'état actuel du droit. Ce n'est pas nous qui le disons, mais le Conseil d'État qui le stipule : la restriction de la circulation entre vingt et une heures et six heures sur le territoire national nécessite de recourir à l'état d'urgence sanitaire. Le Conseil d'État s'appuie en cela sur la décision du Conseil constitutionnel du 9 juillet 2020, qui est extrêmement claire à ce sujet.
Conformément aux engagements que nous avions pris devant vous, je viens défendre ici un texte visant à prolonger cet état d'urgence sanitaire pour une durée nécessaire, estimée aujourd'hui à trois mois. Nous souhaitons évidemment sortir de ce régime le plus tôt possible ; si nous pouvons le faire avant trois mois, nous le ferons. Dans le cadre de ce projet de loi, nous vous demandons également de nous conférer les moyens de lutter contre l'épidémie, même au cas où l'état d'urgence prendrait fin : ce sont les fameuses mesures dérogatoires de sortie de l'état d'urgence sanitaire, prévues pour durer plusieurs mois au besoin.
Le Président de la République l'a dit hier : le fait de vivre avec le virus imposera des changements à notre quotidien, pendant des mois encore. Si nous n'anticipions pas aujourd'hui notre sortie de l'état d'urgence sanitaire, nous risquerions une sortie sèche, sans moyen de lutter contre le virus en limitant les grands rassemblements, par exemple, ou en fermant des établissements recevant du public. Nous ne pouvons accepter une telle perspective. Sans l'article 2 du projet de loi, qui contient ces mesures dérogatoires, nous serions obligés, le moment venu, de reporter la sortie de l'état d'urgence, le temps de faire adopter un texte ad hoc. Par conséquent, l'adoption de cet article sera essentielle pour tous ceux qui partagent notre objectif : que cet état d'urgence dure le moins longtemps possible.
L'article 3, lui, prévoit, comme vous en avez l'habitude, le maintien des systèmes d'information indispensables à la lutte contre l'épidémie : je pense à Contact-Covid et à SI-DEP – système d'information de dépistage – , qui nous permettent d'alerter les personnes dont le test est positif, de prévenir les cas contacts qu'ils sont potentiellement malades et, surtout, pour une plus grande efficacité, d'enregistrer dans un seul système d'information tous les résultats de tests, positifs ou négatifs, afin qu'ils soient partagés par l'ensemble de la sphère sanitaire. Il n'est question ni de feu StopCovid, ni de la nouvelle application TousAntiCovid, qui ne font l'objet d'aucune disposition de ce projet de loi.
Enfin, l'article 4 prévoit les habilitations requises en vue de rétablir ou de prolonger des dispositions prises par ordonnances sur le fondement des lois du 23 mars ou du 17 juin 2020, ou des dispositions législatives récentes, précisément identifiées. C'est ce qui, au printemps, nous avait permis de proroger des droits ou d'éviter de suspendre brutalement des services. Nous avons fait bon usage de l'habilitation que vous nous aviez alors accordée : aucun abus visant à faire passer tel ou tel texte n'a été déploré. Vous pouvez donc être rassurés quant aux intentions du Gouvernement.
Ces intentions, d'ailleurs, se fondent sur les remarques et les nombreux amendements des sénateurs lors de leur première lecture du texte abandonné. Ils nous signalaient le risque de mettre fin aux dispositions exceptionnelles concernant les maisons départementales des personnes handicapées – MDPH – , ou encore l'intérêt de prolonger tel droit, tel dispositif, dont bénéficient des citoyens français.
Nous avons besoin de ce projet de loi pour être pleinement efficaces durant cette période qui, vous l'imaginez, occupe énormément tous les services et les administrations, et ne doit entraîner aucune perte de droits pour les Français. Ce texte permettra aussi d'accompagner les établissements de santé, en leur apportant les garanties de pouvoir fonctionner dans les meilleures conditions possibles. C'est pourquoi, au nom du Gouvernement, je vous demande de voter en sa faveur. Il s'agit non pas d'un texte de conviction, mais d'un texte de responsabilité, visant à nous permettre de protéger activement les Français durant une période qui a d'ores et déjà débuté, qui sera longue, qui sera difficile.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
La parole est à M. Jean-Pierre Pont, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Depuis que la commission des lois s'est réunie, hier, 42 000 personnes de plus ont été contaminées par la covid-19. Comme le ministre l'a parfaitement expliqué à l'instant, la situation n'est plus seulement préoccupante : elle est devenue extraordinaire, exceptionnelle, et relève donc de l'urgence.
Nous y sommes : l'heure est grave et ne laisse plus place aux atermoiements. Il nous faut agir, avec l'ensemble des outils juridiques à notre disposition, afin de protéger les Français, de protéger notre système de soins, de protéger nos soignants. C'est pour eux que nous devons adopter, en toute responsabilité, ce projet de loi nécessaire, courageux et proportionné à la gravité de la situation sanitaire.
Dans ce contexte extrêmement préoccupant, le Président de la République n'a eu d'autre choix que de décréter à nouveau, le samedi 17 octobre, l'état d'urgence sanitaire dans l'ensemble du territoire national. Je tiens à saluer cette décision, qui était devenue indispensable alors que nous avons enregistré en une semaine 8 754 nouvelles hospitalisations, dont 1 493 en réanimation. Ainsi que l'a rappelé le Conseil d'État, citant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, au sujet du couvre-feu appliqué à une partie de la population, les mesures fortes qui s'imposaient ne pouvaient être prises que dans le cadre juridique de l'état d'urgence sanitaire. J'ai entendu en commission des interprétations étonnantes de cette jurisprudence constitutionnelle. Je vous le dis très clairement, mes chers collègues : déclarer l'état d'urgence sanitaire était nécessaire à l'entrée en vigueur du couvre-feu, comme il avait été nécessaire pour l'imposer dans certaines communes lors de la première vague, puis cet été en Guyane, où l'état d'urgence avait été prorogé.
Je vous le dis avec d'autant plus de vigueur que nous, législateurs, avions nettement exprimé cette intention lors de l'examen de la future loi du 9 juillet 2020, grâce au travail réalisé par notre rapporteure de l'époque, Marie Guévenoux. Aux termes de la décision du Conseil constitutionnel du 9 juillet 2020, « il ressort des travaux parlementaires que l'interdiction de circulation des personnes ne peut conduire à leur interdire de sortir de leur domicile ou de ses alentours » dans le cadre du régime transitoire. Selon l'avis du Conseil d'État sur ce projet de loi, « si la quasi-totalité des mesures prises » depuis la déclaration de l'état d'urgence « aurait pu être prise sur la base de la loi du 9 juillet 2020, ou des articles L. 3131-1 et suivants du code de la santé publique, il n'en est pas de même de la mesure » de couvre-feu, laquelle « ne peut être mise en oeuvre sur le fondement de la loi du 9 juillet 2020 comme cela résulte de la décision du Conseil constitutionnel ».
Je le répète, une chose est sûre : le Gouvernement agit et continuera d'agir, au moyen de tous les outils juridiques dont il dispose, afin de protéger la population. C'est pourquoi, en application de l'article L. 3131-13 du code de la santé publique, le Parlement est saisi d'un projet de loi visant à prolonger l'état d'urgence sanitaire au-delà de quatre semaines. Tel est l'objet de l'article 1er : le Gouvernement y sollicite une prorogation de ce régime pour trois mois, c'est-à-dire jusqu'au 16 février 2021, durée tout à fait adaptée et proportionnée à l'état de la situation sanitaire. Je vous renvoie sur ce point à l'avis du Conseil d'État, mais aussi à celui du Conseil scientifique, qui nous explique que, malheureusement, « les mois d'hiver seront difficiles » en termes de circulation de la covid-19.
Le rétablissement de l'état d'urgence sanitaire a automatiquement mis fin au régime transitoire en vigueur depuis le 11 juillet, et qui a vocation à l'être de nouveau, puisqu'il est conçu en vue d'organiser la sortie de l'état d'urgence. C'est pourquoi l'article 2 du texte le rend applicable, jusqu'au 1er avril 2021, dans les territoires où l'état d'urgence ne sera plus requis. Il s'y appliquerait dès le 17 février, voire plus tôt si l'état d'urgence est levé de manière anticipée. Cette disposition a, elle aussi, été validée à la fois par le Conseil d'État et par le Conseil scientifique. Consciente de la gravité de la situation et de sa propre responsabilité, la commission des lois a adopté ces deux articles, afin que le Gouvernement puisse agir efficacement face à la crise sanitaire.
L'article 3, quant à lui, permet d'appliquer la stratégie « tester, tracer, isoler » et de poursuivre la recherche du virus. Sans la capacité de suivre les personnes contaminées et leurs cas contacts, nous ne pouvons rompre les chaînes de transmission et lutter de manière efficace contre l'épidémie.
C'est la raison pour laquelle il est proposé de proroger les systèmes d'information SI-DEP et Contact-Covid jusqu'au 1er avril 2021. Par ailleurs, la liste des personnels de santé qui pourront entrer les informations relatives aux personnes contaminées dans ces systèmes est élargie, notamment pour permettre aux pharmaciens d'y procéder. Je rappelle que des garanties importantes sont prévues, notamment la transmission par le Gouvernement d'un rapport au Parlement, tous les trois mois, sur le fonctionnement de ces systèmes, complété par un avis public de la CNIL – Commission nationale de l'informatique et des libertés – et par l'avis du comité de contrôle et de liaison Covid-19, dont le rôle est notamment de veiller au respect du secret médical et à la protection des données personnelles.
À nouveau, tous les acteurs soutiennent la prolongation de ces outils. Par ailleurs, la commission a souhaité reprendre un amendement introduit dans le projet de loi que nous avions adopté le 1er octobre 2020 : pour répondre aux recommandations de la CNIL, nous proposons d'améliorer l'évaluation de ces systèmes d'information par le biais d'indicateurs précis, ce qui devrait recevoir l'assentiment de tous.
Enfin, l'article 4 habilite le Gouvernement à prolonger ou rétablir des dispositions prises par voie d'ordonnances au printemps et à l'été derniers, notamment en matière de droit du travail, de fonctionnement des administrations et des collectivités territoriales ou de garde d'enfant. Toutes ces mesures pourraient se révéler utiles si la situation se dégradait brusquement, si des services publics devaient devenir indisponibles pour un temps, s'il fallait agir rapidement pour soutenir les entreprises et nos concitoyens.
Le texte que nous examinons ce matin permet donc une réponse adaptée et rapide des pouvoirs publics en fonction de l'évolution de la situation, malheureusement difficile à prévoir. Il ne s'agit pas d'un chèque en blanc que nous faisons au Gouvernement, comme j'ai pu l'entendre en commission : nous lui confions au contraire une lourde responsabilité. Il revient bien au Parlement d'autoriser une nouvelle fois le Gouvernement à agir. Nous en sommes au cinquième texte en huit mois, et nous en aurons bientôt un sixième.
Le Parlement continue par ailleurs d'exercer quasiment en permanence sa mission de contrôle de l'action du Gouvernement. Demandez à M. le ministre, demandez à Mme la présidente de la commission des lois, demandez à vos collègues membres des commissions d'enquête et des missions d'information en cours. Lisez également les rapports hebdomadaires transmis par le Gouvernement et disponibles sur le site internet de l'Assemblée. Lisez les décisions du Conseil constitutionnel, les avis du Conseil scientifique, jetez un oeil du côté de l'activité du Conseil d'État, à la fois en tant que conseiller du Gouvernement et en tant que juge administratif.
Le Gouvernement n'a jamais été aussi contrôlé que pendant cette période. L'État de droit est là. Le respecter, c'est aussi garder en mémoire que le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 garantit à chaque citoyen le droit à la protection de sa santé. Ce droit, il nous revient à nous, comme législateur, de le protéger et de le réaffirmer. Et cette tâche, je l'assume et continuerai de l'assumer, en tant que médecin, en tant que député et en tant que rapporteur.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.
J'ai reçu de M. Damien Abad et des membres du groupe Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Philippe Gosselin.
Une fois encore, nous nous retrouvons dans cette enceinte avec un sentiment mêlé, non pas parce que nous sommes un samedi matin, ou parce que c'est la cinquième fois que nous examinons un texte sur l'état d'urgence, mais parce que la situation est évidemment dramatique.
C'est cette situation qui nous réunit ; personne ne le conteste. Nous nous trouvons cependant, ici, au Parlement, dans un état d'urgence bien singulier, puisqu'il est aussi parlementaire – mais nous savons faire face. Je rappelle, en effet, que le texte a été présenté au conseil des ministres mercredi dernier, qu'il a été examiné par la commission des lois durant toute la journée de jeudi et que, quarante-huit heures après, nous sommes ici, en séance publique : c'est dire que le Parlement prend ses responsabilités et qu'il sait débattre dans des conditions particulières. Ce que nous faisons aujourd'hui, nous l'avons déjà fait et pourrions donc aussi le refaire : je revendique, au nom du groupe Les Républicains et, plus largement, au nom des parlementaires, un droit de vigilance du Parlement, qui est le représentant du peuple mais aussi un garant de la démocratie.
Je le dis car, en réalité, nous sommes d'accord sur l'essentiel : oui, nous partageons – ô combien ! – l'inquiétude de nos concitoyens et du Gouvernement. Nul besoin de créer une polémique artificielle. L'état des lieux – vous l'avez dit avec solennité, monsieur le ministre – est incontestablement préoccupant. La maison brûle et vous ne regardez pas ailleurs – et nous ne regardons pas ailleurs non plus. C'est ensemble que nous constatons les difficultés du quotidien. Dans une très grande partie du territoire national, sur le continent ou dans les outre-mer, bien des foyers de contamination ont été dénombrés. Le nombre de personnes testées positives augmente et, dans les hôpitaux, la situation, notamment en réanimation, se tend de façon dramatique.
Depuis le début de la crise, le groupe Les Républicains a pris ses responsabilités ; il continuera. Il a accompagné la majorité dans un grand nombre de prises de décisions : nous étions présents à vos côtés, aux côtés du Gouvernement mais aussi de la nation, au mois de mars et dans les semaines qui ont suivi. Nous n'avons pas l'intention d'instrumentaliser qui que ce soit, ou quoi que ce soit : les risques épidémiologiques sont suffisamment prégnants et la propagation du virus est suffisamment exponentielle pour que nous restions responsables.
Il n'y pas de « mais » : nous sommes ici des défenseurs de la santé de nos concitoyens, évidemment, mais aussi des défenseurs du droit. C'est bien la moindre des choses lorsque la Constitution, et donc le peuple par voie de référendum, en 1958, nous a confié des pouvoirs particuliers dont nous ne devons pas hésiter à utiliser la moindre des parcelles.
Mais il importe, si nous sommes à vos côtés, que les messages envoyés soient clairs. Je ne suis pas sûr que ce soit toujours le cas, tant s'en faut. Il y a eu des cafouillages au sujet des masques. Certaines directives relatives aux tests sont aujourd'hui encore parfois difficiles à comprendre, c'est peu que de le dire. Les rythmes s'allongent, des produits peuvent encore manquer, des réponses, parfois, tardent à venir. Que dire aussi des difficultés que rencontrent nombre d'entreprises ? Il y a ces restaurants, ces cafés, le secteur de l'événementiel, le monde du spectacle et de la culture et les discothèques que l'on oblige à fermer, alors que, dans d'autres lieux, on continue parfois à s'entasser – transports en commun et supermarchés, entre autres.
Dans les écoles, les procédures diffèrent selon les âges et selon le type d'établissement – lycée ou autre. Tout cela est compliqué à comprendre ; portez attention à la lisibilité des annonces et à l'acceptabilité des mesures ! Nos concitoyens sont aujourd'hui un peu déboussolés, à fleur de peau, et ils ont besoin d'être rassemblés.
Partant de ce constat, vous comprendrez que nous vous reconnaissions évidemment, monsieur le ministre, ainsi qu'à l'ensemble du Gouvernement, non seulement le droit d'agir, mais le devoir de le faire. Vous vous doutez bien que si vous ne le faisiez pas, les oppositions et, plus largement, l'ensemble de nos concitoyens, vous prendraient à témoin.
Nous divergeons en revanche sur les moyens de parvenir à la mise en oeuvre de certaines décisions. Vous souhaitez tout d'abord proroger l'état d'urgence sanitaire. C'est un point important de divergence. Le Président de la République a annoncé des mesures fortes, comme le couvre-feu, qui n'est rien d'autre qu'une forme de confinement nocturne. Il nous semble que cette mesure extrême mais importante ne nécessitait pas le recours à l'état d'urgence sanitaire et qu'au contraire, le droit existant, notamment la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire, aurait parfaitement pu en être le support juridique.
Le Conseil d'État botte en touche dans son avis sur la prorogation actuelle de l'état d'urgence. La décision du Conseil constitutionnel n'est pas claire, en tout cas pas autant que vous le dites, monsieur le ministre : il affirme qu'il est possible de prendre un certain nombre de mesures, auxquelles il pose comme condition la circulation active du virus. Or, aujourd'hui, il y a bien circulation active du virus. Vous pouvez donc agir en vous appuyant sur la loi du 9 juillet 2020, qui aurait dû être prorogée mais dont l'examen a été suspendu sine die la semaine dernière au Sénat. Le confinement généralisé, quant à lui, soulèverait sans doute effectivement quelques difficultés juridiques et nécessiterait, pour le coup, une loi. Alors disons-le clairement à nos compatriotes : si la décision future du Gouvernement est un retour au confinement généralisé, le retour à l'état d'urgence est effectivement nécessaire – mais dites-le ! Il ne faut pas infantiliser la représentation nationale, et encore moins nos concitoyens.
Il y a donc effectivement un débat juridique ; ces arguments ne sont pas des arguties ou des mouvements d'humeur de mauvais coucheurs. Nous sommes ici dans le temple de la loi. Nous la faisons en respectant la Constitution. Nous sommes les gardiens du contrôle démocratique qu'exerce le Parlement et nous n'entendons pas y renoncer.
Ce point de divergence est important car, bien évidemment, d'autres incidences sont à noter dans le texte tel que vous le présentez. L'article 2, non seulement, proroge l'état d'urgence, mais propose aussi d'en inscrire dès aujourd'hui les dates de sortie : l'état d'urgence courrait jusqu'au 16 février et la période de sortie jusqu'au 1er avril. Mais entre le 16 février et le 1er avril, nous serions encore en état d'urgence, …
… certes légèrement dégradé ; ce ne serait plus un état d'exception aussi important que celui dans lequel nous allons nous engager. Le Conseil constitutionnel reconnaît lui-même, dans sa décision du 9 juillet, qu'il s'agit bien d'une forme d'état d'urgence qui se prolongerait.
Est-il raisonnable, aujourd'hui, non seulement de voter l'état d'urgence, mais encore de le faire sans contrôle parlementaire, sans rendez-vous d'ores et déjà acté, pour une période de près de six mois nous menant jusqu'au 1er avril 2021 ? La réponse est non ! Il n'est pas question de vous dénier des pouvoirs d'action, mais il n'est pas raisonnable de ne pas avoir prévu de clause de revoyure : c'est cela qui aurait été nécessaire. Il est important que le Parlement n'abdique pas ses pouvoirs. Comme je l'indiquais tout à l'heure, l'article 24 de la Constitution nous confie un rôle éminent, celui non seulement de construire la loi et de la voter, mais aussi de contrôler l'action du Gouvernement. Cette loi, nous l'avons d'ailleurs votée au mois de mars et nous la contrôlons, au travers des différentes commissions d'enquête et missions de l'Assemblée. Mais c'est cette enceinte, l'hémicycle, qui est le coeur battant de nos travaux et qui permet le débat le plus large.
Dans ces conditions, vous donner les clés de la maison pour six mois, alors que nous sommes déjà en état d'urgence sanitaire depuis le mois de mars, c'est en fait accepter cet état pendant près d'un an !
C'est accepter une banalisation de cet état bien singulier, qui est tout de même attentatoire à un certain nombre de libertés publiques et individuelles. Le Conseil constitutionnel l'a rappelé à plusieurs reprises et le Conseil d'État, à plusieurs reprises également, a sanctionné l'action du Gouvernement. Tout ne se passe pas de façon linéaire : le Conseil d'État est intervenu le 18 mai sur la liberté des cultes, puis le 13 juin sur la liberté de manifester et les conditions des manifestations. Tout cela n'est pas neutre ! Nous ne sommes pas dans un pays où les Bisounours pourraient se contenter de bonnes paroles. Il n'y a pas de procès d'intention : la situation exige la prise de mesures, nul ne conteste, monsieur le ministre, de mesures fortes, comme le couvre-feu, et peut-être même un reconfinement. Mais il faut le dire clairement !
Et comme si tout cela ne suffisait pas, l'article 4 prévoit d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour prolonger, rétablir, adopter des mesures déjà prises ! Écoutez bien : nous n'avons pas encore examiné les lois de ratification des ordonnances que nous avons déjà autorisées, il y a quelques petits mois, qu'à nouveau, on nous demande de nous dessaisir de parties entières du droit qui touchent pourtant à l'essentiel pour nos concitoyens : la liberté d'aller et venir, la liberté de réunion, la liberté d'association, la liberté de commerce, mais aussi, éventuellement, la liberté des cultes.
Tout cela n'est pas neutre, et tout cela n'est pas rien. Vous voudriez qu'on prolonge à nouveau cette habilitation générale à légiférer par ordonnances, alors même que nous n'avons pas examiné le bien-fondé de la précédente. « Ordonnance sur ordonnance ne vaut », aurions-nous pu dire dans une formule ancienne.
Vous nous demandez une sorte de sub-délégation à une délégation qui serait quasiment permanente : le Parlement ne saurait se dessaisir à ce point, d'autant que vous prévoyez même la possibilité de prendre des ordonnances rétroactives. Nous avons donné les clés de la maison et, en plus, lorsque le texte n'est plus applicable dans un certain nombre de cas, vous le réactivez ! C'est de la réanimation juridique. Bravo !
Et tout cela avec une sorte de consentement de la majorité, qui m'étonne car, s'agissant de la place et du rôle du Parlement, nous devrions – et nous pourrions – être en accord.
Enfin, un point s'agissant des données de santé, qui, en dépit des apparences, n'est pas moins important : vous souhaitez réactiver plusieurs éléments relatifs aux dispositifs SI-DEP et Contact-COVID – certes, vous n'évoquez pas StopCovid. Mais nous avons déjà des craintes, que nous avons d'ailleurs exprimées. Dans une ordonnance du mois de juin, le Conseil d'État a enjoint le Gouvernement d'assurer davantage la protection des données. La CNIL est, elle aussi, intervenue à de nombreuses reprises sur ce sujet.
Je termine, madame la présidente !
Nous sommes déjà inquiets, et vous voudriez en plus – cela figure au IV de l'article 4 – , que les organismes qui doivent normalement être consultés ne le soient pas de toute la période de l'état d'urgence ! Bref, comme vous pouvez le constatez, il existe quelques difficultés.
En conclusion, je rappelle avec force que nous sommes responsables : nous ne souhaitons pas empêcher le Gouvernement d'agir, mais encore faut-il qu'il le fasse sur le bon fondement. Ce ne sont pas simplement des discours de tribune, …
Ce ne sont pas des discours de tribune : il s'agit d'un sujet essentiel, qui touche à l'équilibre entre la santé et les libertés publiques. On ne saurait sacrifier ni l'une, ni les autres. Nous ne sommes pas prêts à vous donner un blanc-seing : nous serons vigilants, nous pouvons vous l'assurer, …
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Une fois n'est pas coutume, permettez-moi tout d'abord, monsieur Gosselin, de vous remercier pour la responsabilité des propos que vous avez tenus à l'égard du couvre-feu, outil dont vous avez rappelé la nécessité pour lutter contre l'épidémie. Cela faisait longtemps que je n'avais pas entendu les intonations que j'y ai retrouvées, et qui laissent à penser que, dans la période que nous allons traverser, l'unité nationale est peut-être possible.
Je pense effectivement qu'elle est souhaitable, et même fondamentale. Au cours des derniers mois, les Français n'ont pas été aidés par les nombreuses polémiques qui ont émaillé le débat autour du virus.
Ces polémiques sont de votre fait ! Vous tenez des propos contradictoires !
J'essaye de vous rendre hommage, monsieur le député ! Ayez l'amabilité de m'écouter, sinon je peux passer à autre chose !
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
La gravité de mon intonation n'est pas habituelle : elle est à l'unisson de celle avec laquelle les Français regardent nos débats.
Vous avez dit que le Parlement prenait ses responsabilités. Comme je l'ai déjà souligné en commission des lois, je n'ai pas vos talents et vos connaissances de juriste, monsieur Gosselin– je suis médecin, ministre des solidarités et de la santé, chargé de la gestion de la lutte contre la diffusion du virus. Je prends ces débats avec beaucoup de responsabilité, parce que le droit est important et que légiférer doit être un travail sérieux.
Avant votre intervention, j'ai expliqué à la tribune que nous étions éclairés par le Conseil d'État et l'ensemble des services juridiques de la nation. L'état d'urgence sanitaire a été pris sur le fondement de l'avis rendu par le Conseil d'État en juin, qui est très clair : sans cet état d'urgence, nous ne pourrions assurer la pérennité d'un couvre-feu. Je le dis, je l'affirme même, non pas en tant que spécialiste du droit, mais en tant que ministre éclairé par l'ensemble des spécialistes du droit de la nation. Le tout est fondé sur un avis du Conseil constitutionnel qui, comme vous le savez, est une autorité qui en impose s'agissant de la façon de légiférer dans notre pays. Et c'est bien normal.
Hier, le Conseil d'État a validé la mesure de couvre-feu, dans les conditions dans lesquelles nous l'avons appliquée – ce même Conseil d'État qui nous disait que, si nous ne décrétions pas l'état d'urgence sanitaire, il n'était pas sûr de valider la mesure. Le couvre-feu a été attaqué mais le Conseil d'État nous a donné raison en droit.
Monsieur le député, lorsque l'on présente une motion de rejet préalable, on le fait pour des motifs qui sont propres, et je ne discuterai pas votre légitimité à le faire, en particulier dans la période que nous traversons. Mais je tiens à éclairer la représentation nationale sur ce qu'il se passerait si, dans les prochaines minutes, cette motion venait à être adoptée – …
… même si je ne pense pas que ce sera le cas. La conséquence d'une adoption serait binaire : le 17 novembre, dans tout le pays, le couvre-feu serait levé, et toutes les activités nocturnes reprendraient. Je ne crois pas que telle soit votre intention, et je pense même fondamentalement que ce n'est ni votre choix, ni votre ambition.
Nous pouvons discuter de droit et de légistique, c'est intéressant, mais j'ai aussi été parlementaire, et lorsque l'on dépose une motion – ou que l'on est amené à la voter – , il convient de toujours se poser la question de ce qu'il adviendrait si, par hasard, on était suivi.
Je souhaite de tout mon coeur, monsieur le député, que vous ne le soyez pas sur cette motion ; je le souhaite pour les Français et pour la sécurité sanitaire dans notre pays. J'incite donc très fortement la majorité à rejeter la motion, tant sur la forme que sur le fond.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Dans ce cas, il faut se manifester le plus tôt possible.
La parole est donc à M. Pascal Brindeau.
Je vous remercie, madame la présidente. Je pensais que, dans le cadre d'une motion de rejet préalable, les explications de vote étaient automatiques.
Monsieur le ministre, vous avez répondu à Philippe Gosselin que, si la motion était adoptée, elle aurait pour conséquence de mettre fin au couvre-feu le 17 novembre prochain. Cette mesure centrale étant celle qui vous fait nous présenter aujourd'hui un projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire, je vous répondrai que, si la motion était adoptée aujourd'hui, nous aurions largement le temps de débattre d'un nouveau texte, plus conforme à la conception du débat démocratique que nous devrions avoir, pour justifier du couvre-feu et le fonder juridiquement.
En réalité, bien plus que simplement juridique, ce débat est éminemment politique, puisqu'il touche à la conception démocratique de l'action du Gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire. Personne n'en conteste la gravité actuelle, d'ailleurs, non plus que les mesures d'exception qui doivent être prises en conséquence. Mais tout cela devrait être fondé sur la confiance du peuple Français. Or, depuis le début de la crise sanitaire, les Français ne vous l'ont pas accordée et ne vous l'accordent toujours pas ! Le devoir du Parlement, qui en a le pouvoir, est donc de contrôler votre action au plus près ; cela passe par des rendez-vous législatifs réguliers, que le texte qui nous est présenté aujourd'hui ne prévoit pas.
Il convient donc de le rejeter préalablement à sa discussion, et c'est la raison pour laquelle le groupe UDI-I votera en faveur de la motion.
Le groupe Mouvement démocrate MoDem et démocrates apparentés votera contre la motion de rejet préalable. Depuis que le régime transitoire a été instauré, puis prorogé – cela fait quelques mois – , nous avons eu l'occasion d'en débattre régulièrement dans notre assemblée : le Gouvernement et le Parlement, députés comme sénateurs, peuvent s'en féliciter.
Je ne crois pas, du reste, qu'il y ait de débat s'agissant du fondement juridique de l'instauration de l'état d'urgence, qui s'appuie sur le code de la santé publique. En effet, le propre d'un état d'urgence sanitaire, tel que nous l'avons voté, est bien de permettre que des mesures exceptionnelles et temporaires soient prises pour lutter contre une menace sanitaire – telle celle que nous connaissons actuellement.
La mesure de couvre-feu entre donc bien dans cette définition. En effet, il s'agit non pas de décréter le port du masque dans une zone délimitée, mais bien de restreindre, pour une plage horaire et une période données, la liberté de circuler. Il ne faut pas se tromper de débat : nous avons bien un cadre juridique, dont nous avons débattu de longues heures en mars dernier, et qu'il faut réactiver. C'est ce que nous allons faire avec ce texte, qui vise à prolonger l'état d'urgence sanitaire.
Notre groupe votera donc contre la motion de rejet préalable.
Sur la motion de rejet préalable, je suis saisie par le groupe La République en marche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Christophe Euzet.
Le groupe Agir ensemble accueille avec beaucoup de sérieux et de gravité le propos de Philippe Gosselin, en particulier lorsqu'il s'émeut de l'inconfort que les nouvelles mesures peuvent provoquer pour nos compatriotes. Je me réjouis également de l'entendre prendre ses responsabilités, en reconnaissant que l'essentiel va dans le bon sens.
Cependant, nous le comprenons un peu moins bien lorsqu'il semble insinuer que le Gouvernement avance masqué dans la perspective de rétablir, un jour peut-être, une forme de confinement généralisé. Je crois pourtant que le Premier ministre a été, sur le sujet, on ne peut plus clair, qui a déclaré que tout était fait pour l'éviter.
En d'autres termes, nous préférons notre collègue Philippe Gosselin lorsqu'il amende le texte qui lui est soumis, notamment en proposant de rétablir les consultations obligatoires de certains organismes, que le texte visait à supprimer en période de covid-19.
Je crois que ses amendements attestent du fait que, loin de devoir rejeter le texte, nous sommes plutôt invités à en débattre, et à le faire en urgence, car il y a urgence. C'est la raison pour laquelle le groupe Agir ensemble votera contre la motion de rejet.
Applaudissements sur les bancs des groupes Agir ens, LaREM et Dem.
Mes chers collègues, oui, la situation est préoccupante ; oui, il y a des cas positifs – nous aurons l'occasion d'y revenir. Mais, depuis le mois de mars, le Parlement ne cesse d'être abaissé, oublié, contourné, instrumentalisé, dénigré !
Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM.
Après avoir légiféré dans l'urgence absolue, nous sommes désormais réduits à une semi-activité, avec une jauge de présence dans l'hémicycle totalement contraire à la Constitution. Mais faisons fi des conditions aberrantes dans lesquelles, avec nos collaborateurs, nous devons travailler depuis des mois !
Le contrôle de l'action du Gouvernement est l'une des fonctions essentielles du Parlement.
Mais comment pourrions-nous valablement l'assurer alors que l'exécutif ose se présenter devant nous avec « ça » ?
« Ça », c'est une simple et unique page d'exposé des motifs, citant comme fondement un rapport de trois pages du Conseil scientifique, et avançant des faits dont on ne connaît pas les sources. Non, le Gouvernement ne nous donne aucune preuve de la nécessité de réunir le Parlement en urgence, un week-end. Non content d'habituer les Français à vivre dans la peur, il habitue les parlementaires à vivre dans l'urgence, et donc dans la non-contradiction. Vous nous demandez d'accepter ces manoeuvres attisant la peur et mettant à mal toute la stabilité de notre pays et de notre démocratie. Ne nous leurrons pas : si nous sommes réunis aujourd'hui à la demande du Gouvernement, c'est, à la fois, parce que ce dernier n'a, légalement, pas le choix, et parce que légiférer un week-end est si pratique pour faire taire l'opposition !
Pour ces raisons, le groupe Libertés et territoires, attaché aux valeurs de la démocratie, votera en faveur de la motion de rejet préalable.
D'abord, peut-être pourrions-nous, à l'ouverture de cette journée, nous accorder sur le fait que tous, sur ces bancs, nous agissons en responsabilité et sommes conscients de la gravité de l'épidémie et des mesures à prendre.
Nous pouvons cependant, comme l'a fait Philippe Gosselin, nous inquiéter du texte qui nous est présenté sans pour autant vouloir que nous soyons désarmés face à la crise. Il est possible de nous proposer de travailler sur d'autres dispositions, …
… et c'est ainsi que j'ai entendu le propos de notre collègue, en particulier lorsqu'il demande à l'Assemblée de refuser de se défaire de son pouvoir de contrôle pendant six mois – car c'est, grosso modo, ce dont il s'agit ici – , pour laisser les coudées franches au Gouvernement. Nous sommes en effet plusieurs à dire, comme vient de le faire Pascal Brindeau, que la France est le pays d'Europe où le peuple a le moins confiance dans ses gouvernants, …
… pour faire face au covid-19 et l'affronter efficacement. N'y a-t-il pas un parallèle à faire entre la question démocratique, la délibération, le rôle du Parlement et la défiance de la population envers le Gouvernement ? Tout le monde s'accorde à dire que, sans responsabilisation, sans adhésion massive du pays aux préconisations adoptées, le combat contre le covid-19 ne sera pas efficace. Il y a, qu'on le veuille ou non, un lien entre la démocratie vivante, même en période de crise, et l'adhésion de la population. Si vous vous masquez cette réalité, je crains que nous n'ayons des lendemains difficiles. C'est la raison pour laquelle le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera cette motion de rejet préalable.
Comme tous les autres, le groupe Socialistes et apparentés est conscient de la gravité de la pandémie que nous devons affronter et donc de celle de ce débat. Nous partageons cependant un grand nombre des interrogations exprimées par Philippe Gosselin. Néanmoins, comme nous estimons précisément que le rôle du Parlement est de débattre et de faire valoir des arguments, pour parvenir à un équilibre entre les libertés publiques et la nécessité de lutter contre la pandémie, nous ne pouvons pas voter la motion de rejet préalable du groupe Les Républicains, même si, je le répète, nous partageons un grand nombre des préoccupations qui s'y expriment.
La deuxième vague est là et la motion de rejet du groupe Les Républicains aurait pour conséquence de laisser le Gouvernement désarmé pour la combattre.
Si elle était adoptée, dès le 17 novembre, plus aucune mesure exceptionnelle ne pourrait être prise – aucune mesure restrictive de déplacement, mais aucune mesure d'aide non plus, puisque l'article 4 prévoit de renouveler l'habilitation pour des ordonnances permettant d'accompagner socialement et économiquement nos concitoyens et les entreprises. Selon Martin Hirsch, le directeur général de l'AP-HP, l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris, la deuxième vague peut être pire que la première.
Cher collègue Gosselin, vous reconnaissez au Gouvernement le droit d'agir, vous admettez également que le couvre-feu est utile ou que des confinements locaux pourront, eux aussi, s'avérer utiles, et vous vous opposez au régime d'exception qui permet de prendre ces mesures.
Nous ne comprenons pas ces contradictions.
Le groupe La République en marche votera évidemment contre cette motion de rejet. Chacun se souvient que vous aviez soutenu l'état d'urgence sanitaire pour affronter la première vague. Chacun se souviendra que vous avez préféré courir derrière ceux qui sont dans le déni et nous laisser seuls pour prendre nos responsabilités et affronter la deuxième vague.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Vous cherchez à nous enfermer dans une approche binaire : qui n'est pas avec nous est contre nous. Vous êtes assez brillant et assez sagace pour avoir parfaitement compris mes propos. Je les résume, et vous allez comprendre, si ce n'était pas déjà le cas – car je crois que tout le monde a bien compris.
Un : la maison brûle. Deux : le Gouvernement a raison de ne pas regarder à côté. Trois : si le constat est partagé, nous avons néanmoins des raisons juridiques de ne pas faire droit à votre demande d'état d'urgence sanitaire. Cela ne veut nullement dire que le Gouvernement serait désarmé, ou qu'il l'est, car il existe d'autres textes dans le droit commun. Nous refusons cette forme, qui est peut-être une facilité, du recours à l'état d'urgence. Dans tous les cas, nous refusons une banalisation de cet état d'exception. Oui, nous avons besoin de moyens. Oui, nous avons besoin d'agir collectivement, en responsabilité, mais ici, à l'Assemblée nationale, on ne se contente pas de bricoler avec le droit.
Nous avons conscience de nos devoirs, de nos responsabilités de législateur. Nous devons donner des moyens juridiques au Gouvernement pour qu'il agisse concrètement pour la sécurité de nos concitoyens. Nous prendrons nos responsabilités. Le Gouvernement n'est pas seul. Il ne peut pas non plus s'asseoir, pour ainsi dire, sur la représentation nationale. Ce que nous souhaitons, …
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 86
Nombre de suffrages exprimés 86
Majorité absolue 44
Pour l'adoption 18
Contre 68
La motion de rejet préalable n'est pas adoptée.
En commission, jeudi, on faisait remarquer que nous travaillions dans l'urgence. C'est vrai. Il y a urgence, et nous avons pu constater que ce n'est pas seulement chez nous : toute l'Europe est concernée, le continent américain également. La crise est mondiale. C'est inconfortable pour tout le monde.
Rien de ce que nous faisons ici ne nous est réellement agréable, mais j'ai la conviction profonde qu'il nous faut le faire, en responsabilité, comme cela a été dit à plusieurs reprises. J'entends avec attention, sérieux et gravité les critiques de l'opposition. Elles sont nécessaires, et même indispensable, car elles permettent de voir, par effet miroir, ce que fait la majorité. J'entends les discours, parfois exagérément alarmants, qui évoquent la fin de la démocratie et le risque pour l'État de droit, mais le groupe Agir ensemble et moi-même refusons de hurler avec les loups. Il nous faut regarder les choses avec lucidité et le plus d'objectivité possible.
Objectivement, en responsabilité, avec gravité, ne pas réagir à la hauteur du problème reviendrait à ne pas assumer la responsabilité sanitaire qui incombe aux responsables politiques que nous sommes. En faire trop porterait une atteinte excessive à notre liberté et à nos droits fondamentaux, au-delà de ce que la population de notre pays est prête à accepter. Entre ces deux termes se trouve, comme cela a déjà été dit, le seuil étroit et fragile de l'acceptabilité sociale, économique et sanitaire des mesures qui seront prises. Or, comme chacun dans cet hémicycle en conviendra en responsabilité et avec gravité, l'exercice est compliqué.
Je ne reviendrai pas sur les chiffres, qui sont connus de tous, qui ont été rappelés et qui sont alarmants. Je ne reviendrai pas davantage sur le détail du texte : il prolonge l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 16 février, c'est-à-dire de trois mois, il prévoit une nouvelle période transitoire modifiée de sortie de l'état d'urgence sanitaire pour permettre un retour à la normale que chacun dans cet hémicycle appelle de ses voeux, il prolonge la mise en oeuvre des systèmes d'information et de conservation de données, et, en toute logique, il habilite le Gouvernement à prendre des mesures par voie d'ordonnances en cas de besoin, notamment, comme vient de le rappeler pertinemment M. le ministre, pour prolonger l'exercice de certains droits.
Il nous faut, en d'autres termes, faire face à un nouvel écueil, à une deuxième vague, devant laquelle chacun joue son rôle : l'exécutif pour la prise de décision rapide, la société civile, qui nous regarde faire avec beaucoup d'implication, les médias dans leur rôle, et nous, ici, parlementaires, représentants de la nation, chargés de porter un jugement sur la méthode, sur la forme et sur le fond.
Sur la méthode, être trop dogmatiques nous enverrait à un procès où il nous serait reproché de ne pas écouter ou de ne pas comprendre la difficulté du problème. La méthode est donc nécessairement empirique, car nous faisons face à l'inconnu.
Sur le fond, notre réunion est évidemment inconfortable, car il s'agit de porter des atteintes dures à nos libertés fondamentales, à nos droits fondamentaux, à notre liberté de circuler, d'entreprendre et de nous réunir. C'est un sacrifice important, qui pose la question, comme cela a été dit, de l'acceptabilité sociale, économique et sanitaire des mesures prises.
Il nous revient donc, en tant que parlementaires et pour jouer notre rôle, de porter une appréciation, en État de droit, sur la forme de ce qui est fait. Les décisions sont-elles fondées ? Elles sont prises après avis du Conseil scientifique et du Conseil d'État, qui considèrent tous deux qu'elles sont exigées par les circonstances. Quant à nous, nous sommes consultés pour la cinquième fois en quelques mois, ce qui témoigne pleinement du rôle que nous sommes appelés à jouer au long cours.
Ces mesures sont proportionnées et strictement nécessaires, avec des habilitations limitées dans le temps, limitées en termes de domaines et localisées au maximum, les préfets se voyant donner le pouvoir de prendre des mesures adaptées. Elles sont contrôlées – les dispositions législatives par le Conseil constitutionnel et les dispositions réglementaires par le Conseil d'État. Nous-mêmes serons attentifs, comme cela a été dit en commission, à ce que les consultations préalables obligatoires soient respectées. Elles sont appelées, enfin, à déboucher sur un régime juridique qui devra se clarifier dans les semaines qui viennent, avec une mission appelée par la présidente de la commission des lois et un projet de loi qui arrivera un peu plus tard. Nous sommes donc impliqués, attentifs, responsables et vigilants, et nous voterons pour ce projet de loi.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Monsieur le ministre, vous avez commencé votre propos en évoquant le nombre de décès à déplorer ces derniers jours, le nombre de cas graves nécessitant des hospitalisations, notamment en réanimation, et le risque, avec cette deuxième vague, de voir nos hôpitaux et nos personnels de santé, à qui nous pensons en cet instant, submergés par le nombre de nos concitoyens qui se trouveraient à nouveau en grande difficulté face à la maladie.
Personne ici ne conteste la gravité de cette situation – nous-mêmes ne la contestons pas…
… et je pense que tous nos concitoyens sont conscients que des mesures strictes doivent être prises. Cependant, le débat ne peut se résumer à une alternative où, d'un côté, on réglerait l'urgence de la problématique sanitaire en vous abandonnant la totalité des prérogatives qui reviennent habituellement au Parlement dans tous les domaines – sanitaire, économique et social – pour une durée de six mois et où, de l'autre côté, le fait de contester cette solution ferait de nous des irresponsables qui ne laissent pas au Gouvernement les moyens suffisants pour agir face à la deuxième vague.
Rien dans la décision du Conseil constitutionnel du 9 juillet dernier ne dit que le couvre-feu n'aurait pas de fondement juridique dans cette loi…
… et le Conseil d'État n'est d'ailleurs pas aussi clair dans son avis que vous l'affirmez.
En réalité, une seule mesure doit justifier le rétablissement de l'état d'urgence – une seule, celle du confinement généralisé. C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous pose la question très clairement, comme l'a fait avant moi notre collègue Philippe Gosselin : le reconfinement général de nos concitoyens est-il à l'agenda du Gouvernement et, le cas échéant, quand interviendrait-t-il ? Je crois que nos concitoyens ont le droit de le savoir, et les députés du groupe UDI et indépendants ne pourront voter ce texte tant qu'ils n'auront pas obtenu de réponse claire à cette question.
Avec l'article 2, vous affirmez qu'il est absolument indispensable de prévoir des mesures de sortie de l'état d'urgence sanitaire car, à défaut, nous nous retrouverions dans une situation intenable à la date du 16 février prochain. Non, monsieur le ministre : en ce qui concerne le premier état d'urgence, nous avons parfaitement su délibérer sur des mesures transitoires, dont certaines étaient d'ailleurs encore en cours d'examen – le quatrième texte n'avait pas encore terminé son parcours législatif.
Il est tout à fait possible, et même indispensable – c'est le rôle du Parlement – de délibérer sur ces questions et de pouvoir le faire durant l'état d'urgence, même rétabli pour trois mois. Vous avez d'ailleurs indiqué avant-hier à la commission des lois que le texte prévu en janvier sur la pérennisation du régime juridique de l'état d'urgence sanitaire serait de toute façon soumis à l'examen du Parlement.
Enfin, ce texte doit, notamment à l'article 3, encore faire l'objet de débats sur les conditions de conservation et d'utilisation des données personnelles de nos concitoyens résultant de l'utilisation du système d'information destiné à tracer et suivre les cas positifs au covid-19 – des conditions sur lesquelles nous ne disposons toujours pas d'éléments sûrs et clairs, permettant de juger de l'efficacité du dispositif mis en oeuvre ni de la façon dont vous comptez utiliser les données en question pour combattre l'épidémie.
Enfin, certaines ordonnances prises au titre du texte voté au mois de mars n'ont à ce jour, contrairement à ce que prévoit la loi, pas fait l'objet d'une ratification par notre Parlement. Vous allez créer une sorte d'objet juridique non identifié en permettant de renouveler l'habilitation pour des ordonnances qui n'auraient pas été ratifiées par notre assemblée, ce qui ne me semble pas souhaitable. Si le texte n'est pas fortement amendé sur les questions que j'ai posées, le groupe UDI et indépendants ne le votera pas.
Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-I et LR.
Et avec un masque !
… et oui, la situation est préoccupante. Une fois de plus, vous nous demandez d'acquiescer à vos manoeuvres attisant la peur et mettant à mal la stabilité de notre pays et de notre démocratie. Mais, au fond, la situation sanitaire est-elle si préoccupante ? Jamais nous n'avons nié la détresse des personnes malades et de leurs proches. Oui, je pense aussi à tous ces professionnels de santé qui sont en première ligne. En revanche, la défiance envers les institutions de la part de notre gouvernement est particulièrement préoccupante.
Pourtant, le confinement mis en place le 17 mars 2020 n'a été déclaré sur la base d'aucun texte. Aucune base juridique n'existait alors pour enfermer les Français au nom d'une mesure de restriction inédite des libertés reposant sur la seule peur du virus. Depuis ce mois de mars, notre parlement est abaissé, oublié, contourné, instrumentalisé, quand il n'est pas dénigré. Après avoir légiféré dans l'urgence absolue, il est désormais réduit à une semi-activité, avec des jauges de présence dans l'hémicycle qui, elles aussi, sont contraires à la Constitution. Ne nous leurrons pas : si nous sommes réunis aujourd'hui à la demande du Gouvernement, c'est à la fois parce que ce dernier n'a légalement pas le choix, mais aussi parce que légiférer un week-end, comme je le disais tout à l'heure, est vraiment pratique pour avoir très peu de monde dans cet hémicycle, donc pour faire taire l'opposition.
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Ce rétablissement de l'état d'urgence sanitaire était-il nécessaire ? Les institutions de la République n'étaient-elles pas capables d'affronter une crise sanitaire – dont nous ne minimisons pas l'ampleur – , sans passer par cet attirail de dispositifs qui abîment notre démocratie ? Oui, mes chers collègues, il existait d'autres moyens, d'autres possibilités, que le groupe Libertés et territoires a déjà évoquées, relevant du droit commun – je pense notamment au code de la santé. Les multiples questions de parlementaires, de juristes, d'universitaires ou de simples citoyens sur les raisons qui ont poussé le Gouvernement à passer outre le droit commun sont restées sans réponse.
Le Président de la République, dans sa majesté jupitérienne, décide, …
… le Gouvernement exécute, le Parlement et les élus locaux sont priés d'acquiescer – et rapidement, car il ne faudrait pas que nous puissions questionner la méthode ou, pire, essayer de comprendre vos motivations…
Sourires et exclamations sur les bancs du groupe LR.
La politique du fait accompli a assez duré. Il n'est plus acceptable que les maires des grandes métropoles apprennent, une demi-heure avant l'annonce publique de l'exécutif, que leur collectivité vivra sous contrainte renforcée. Il n'est plus acceptable que l'annonce du rétablissement de l'état d'urgence sanitaire par l'exécutif ne soit pas suivie d'une véritable explication devant le Parlement. Il est vrai que le chemin pour trouver l'hémicycle aurait été long, n'est-ce pas ?
Il n'est plus possible que les citoyens soient soumis à des décisions contradictoires sur la base d'informations sanitaires et politiques insuffisamment explicitées – quand elles ne sont pas fausses. Non, un document de trois pages et demie ne constitue pas une explication suffisante. Non, un exposé des motifs d'une page n'est pas une explication suffisante. La loi que le Parlement a votée dans la précipitation en mars dernier, sous le coup de l'émotion du confinement décrété quelques jours auparavant, et dans des conditions de travail totalement contraires à la Constitution, face à un virus que nous ne connaissions que très peu, n'exempte pas le Gouvernement de devoir rendre des comptes, en particulier lorsqu'il s'agit d'accorder à l'exécutif des pouvoirs si attentatoires aux libertés fondamentales – en d'autres termes, de piétiner nos libertés sur l'autel d'un sacro-saint principe d'ultra-précaution.
Si nous avons légiféré dans l'urgence, c'est aussi pour parer à l'impréparation de l'État. Quant à la menace que la situation sanitaire fait peser sur la tenue des élections départementales et régionales, nous rappelons que la démocratie ne peut être confinée. Oui, mes chers collègues, ces mesures que le Gouvernement présente comme provisoires, il vous demandera au mois de janvier de les inscrire définitivement dans notre corpus juridique, et l'exception deviendra la règle. C'est notre État de droit qui se meurt, et vous laissez faire. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera très majoritairement contre…
Sourires et exclamations sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Nous sommes passés d'un grandiloquent : « Nous sommes en guerre », prononcé par Emmanuel Macron le 16 mars 2020 à un piteux : « Il faut apprendre à vivre avec le virus » du même président, six mois plus tard. Les coups de menton du ministre Véran qui, toute honte bue, se permet de tancer les parlementaires qui font leur travail de contrôle de l'action de son gouvernement pour masquer son mauvais bilan, n'y changeront rien.
Si nous sommes passés du son du clairon à la capitulation, pour reprendre le vocabulaire martial tant prisé par la macronie, c'est que les choix de ce gouvernement et de cette majorité nous ont fait perdre bataille après bataille. La bataille des moyens, d'abord : comment le Gouvernement peut-il justifier la restriction des libertés par la saturation du système de santé alors qu'en même temps, il a supprimé 4 200 lits d'hôpitaux en 2018 et 3 400 autres en 2019 et que, faute de personnel disponible, des soignants et soignantes testés positifs à la covid-19 ont dû être mobilisés ? Avec 900 millions d'euros en moins pour l'hôpital en 2021 et 4 milliards d'économies attendues sur les dépenses de l'assurance maladie dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, comment peut-il espérer nous faire croire qu'il a pris conscience de l'ampleur de la crise ?
Alors que c'est l'implication collective des soignants et soignantes, des salariés essentiels et de toute la population pendant le confinement qui a permis de faire baisser le taux de propagation du virus, ce gouvernement et cette majorité n'ont cessé de piétiner toutes les formes de démocratie – sanitaire, sociale et parlementaire. Vous avez choisi, chers collègues, de privilégier le verticalisme jupitérien au détriment des contributions associatives, syndicales et politiques, y compris de groupes d'opposition.
Encore aujourd'hui, monsieur le ministre, vous continuez à feindre d'ignorer les propositions telles que celles qu'a faites depuis des mois la France insoumise : je me permets de vous les rappeler. Nous avons déposé onze propositions législatives, pour la nationalisation de Luxfer et Famar, …
C'est sûr, on va soigner beaucoup de malades, avec ça !
… la création d'un pôle public du médicament, la réquisition de l'industrie textile, la suspension des loyers, la gratuité des obsèques pour les familles des victimes du coronavirus, la gratuité des masques, la reconnaissance du coronavirus comme catastrophe naturelle, la reconnaissance de la covid-19 comme maladie professionnelle, l'encadrement des prises alimentaires, la lutte contre la précarité énergétique, l'annulation de la dette.
Nous avons aussi proposé onze mesures d'urgence pour les moyens de protection globale de la population, et des mesures d'urgence dédiées aux étudiants et aux étudiantes ; vingt-cinq propositions pour la sortie de crise au niveau européen ; un plan de déconfinement général et un plan de déconfinement économique pour une bifurcation écologique ; quatre guides sur les violences intrafamiliales liées au confinement ainsi que sur la protection des salariés pendant la crise ; enfin, des analyses des ordonnances et des préconisations municipales pour les élus.
Infantilisant le peuple, méprisant la représentation nationale et la société civile, vous n'avez cessé de mentir, perdant sans conteste la bataille de l'opinion. Pour ce qui est de la gestion de la crise et du manque d'anticipation, rappelons qu'en novembre 2019, des premiers cas ont été détectés en Chine, mais aussi en France. Pourtant, le 24 janvier, la ministre de la santé a expliqué que le risque d'importation depuis Wuhan était quasi nul et le risque de propagation du coronavirus dans la population très faible, avant d'avouer, en mars, qu'elle avait quitté le ministère « en pleurs, parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous. » Cette même ministre est aujourd'hui assignée – comme vous, monsieur Véran – devant la Cour de justice de la République.
Quant au dépistage, le 17 mars 2020, la France n'était « pas visée par les consignes de l'OMS de tester, tester, tester », expliquait Jérôme Salomon. Le 24 mars, vous expliquiez vous-même, monsieur le ministre, que tout allait bien, que nous avions toutes les capacités qu'il faut. Il y a quelques jours, Emmanuel Macron, lui, reconnaissait l'échec de votre non-stratégie.
Magnifique, ne changez rien !
On pourrait gloser sur la pénurie des masques et l'affirmation de leur inutilité, mais je vous épargnerai le rappel des discours et des affirmations péremptoires de vous-même, monsieur Véran, et de l'ancienne porte-parole du Gouvernement, Mme Ndiaye, selon lesquels les Français n'étaient pas assez habiles pour mettre des masques – alors qu'ils sont aujourd'hui obligatoires partout, même s'ils ne sont pas gratuits.
Cette politique de gribouille a conduit à affaiblir la réponse sanitaire et la protection de la population, qui ne s'y est d'ailleurs pas trompée. Fin mars, 79 % des Français et Françaises estiment que l'exécutif a trop tardé à prendre des mesures. En mai, les deux tiers de nos concitoyens jugent que le Gouvernement n'a pas été à la hauteur, alors que 51 % des populations en Europe pensent que leur gouvernement a bien géré la crise.
Faute d'avoir adopté des mesures concrètes en matière économique, sanitaire et sociale, vous avez laissé l'hôpital à l'abandon et vous préférez confiner nos libertés.
En l'occurrence, vous ne vous êtes pas montrés dignes de notre confiance ni de celle des citoyens et des citoyennes ; nous ne saurions donc approuver votre demande…
Les temps d'extrême incertitude que nous traversons doivent tous nous conduire à plus d'humilité, mais aussi à plus de clarté et de démocratie.
Plus d'humilité, tout d'abord : les députés communistes ont pour principe de ne pas dénoncer chez autrui des turpitudes auxquelles il n'est pas certain qu'ils auraient eux-mêmes su échapper.
En effet, qui pouvait prétendre au printemps 2020 définir sans hésitation le cap à suivre ? Nous gardons cela à l'esprit à l'heure de nos débats.
À cet appel à l'humilité, nous en ajoutons un second : un appel à la clarté et à la démocratie. Depuis huit mois, nous avons aussi appris : nous avons appris qu'en sollicitant l'intelligence et le civisme de la population, celle-ci accepte les obligations qui lui sont imposées pour lutter contre la covid-19, même les plus contraignantes comme la privation de la liberté d'aller et de venir.
A contrario, nous avons appris que le meilleur allié de la covid-19 est l'absence de clarté des décisions publiques. Nous avons appris que lorsqu'à la confusion et à la cacophonie à laquelle la parole publique a parfois contribué au sujet du port du masque et des tests, sans parler des injonctions paradoxales, …
… s'ajoutent l'autoritarisme et l'arbitraire, l'adhésion de la population s'affaisse.
Avec elle, c'est l'efficacité même des politiques publiques qui est entamée – et le virus gagne alors du terrain. C'est pourquoi le fait de prendre la situation au sérieux ne signifie nullement qu'il faut s'abstenir de porter un regard critique sur la réponse qu'entend y apporter l'exécutif.
Or nous donnons depuis longtemps l'alerte sur la dangerosité, pour notre démocratie, de la banalisation d'un régime d'exception dérogatoire au droit commun. L'accoutumance à de tels procédés maintiendrait l'exécutif dans une zone de confort nocive et court-circuiterait les institutions les plus essentielles, en particulier le Parlement, et la démocratie s'en trouverait affaiblie. La tentation serait grande, en effet, que ce régime d'exception devienne pour le Gouvernement le moyen d'euphémiser les pénuries et de masquer ses dysfonctionnements – comme le désengagement de l'État de l'hôpital public, organisé de longue date.
Alors que nous affrontons la deuxième vague épidémique, la situation de l'hôpital public, sur laquelle nous n'avons eu de cesse de vous alerter, est aussi désastreuse qu'elle l'était à l'orée de la crise. Malgré le Ségur de la santé, les démissions de personnel se poursuivent, toutes catégories confondues. L'hôpital est-il réellement plus solide qu'au printemps comme vous l'affirmez, monsieur le ministre ? Je ne citerai qu'un seul exemple, celui de mon département de la Seine-Saint-Denis, qui illustre hélas le fait que la question des moyens matériels et humains n'est toujours pas traitée. Comment expliquer autrement que dans ce département, qui a payé le plus lourd tribut à la crise sanitaire, le taux d'incidence aux tests soit le plus faible alors que le taux d'occupation des lits de réanimation est le plus élevé, sinon par une pénurie considérable de lits et par le triste état dans lequel se trouve l'hôpital public ?
L'état d'urgence sanitaire entré en vigueur le 17 octobre est prorogé jusqu'au 16 février 2021. Sa mise en oeuvre durera quatre mois. En outre, du 16 février au 1er avril, le projet de loi prévoit l'application du régime transitoire institué à la sortie de l'état d'urgence. Le Gouvernement demande donc au Parlement de l'autoriser à maintenir l'état d'urgence sanitaire pour une durée de quatre mois et de mettre en oeuvre le régime transitoire à partir du 16 février ; nous ne pouvons lui accorder un tel blanc-seing durant une période aussi longue.
Je l'ai dit au début de mon intervention : face à la menace sanitaire, l'engagement des députés du groupe GDR ne doit faire aucun doute. Nous sommes prêts à répondre à l'appel à l'unité nationale face à une crise sanitaire que nous ne sous-estimons pas mais nous aurions tort, chers collègues, de perdre de vue le fait que c'est précisément à sa capacité à fonctionner en temps de crise que l'on mesure l'effectivité de l'État de droit. Face à l'ampleur des crises et des défis – écologiques, sociaux, sanitaires – qui s'accumulent, la réponse d'une démocratie moderne ne saurait être de s'amputer des moyens du droit, de la transparence et de la délibération collective. Tel est l'enjeu immense qui se dresse devant nous ; il dépasse même la question de la crise sanitaire. C'est aussi pour ces raisons de fond que nous ne voterons pas en faveur de ce projet de loi – sauf si nos amendements étaient tous adoptés, ce qui ne semble guère probable.
Nous voici de nouveau réunis pour voter sur un nouvel état d'urgence sanitaire. Nous l'avons plusieurs fois répété : nous ne le faisons pas de gaîté de coeur mais en conscience et en responsabilité. En conscience : à mesure que les jours passent, la situation sanitaire se dégrade fortement. Nous sommes en plein coeur d'une crise, comme vous l'avez rappelé avec gravité, monsieur le ministre. Les chiffres nous obligent, tant nous savons que, derrière eux, se trouvent des vies et des souffrances, celles de nos concitoyens.
Hier, la France a dépassé le seuil d'1 million de personnes contaminées et plus de 41 000 nouveaux cas positifs ont été recensés. En commission des lois, j'évoquais un taux de positivité de 13,7 % ; il atteint désormais 14,3 %. Les services de réanimation sont au bord de la saturation ; 46 % de leurs lits sont occupés par des patients atteints de la covid-19. Pendant la seule journée d'hier, 1 627 personnes ont été hospitalisées pour des soins lourds en réanimation.
Vous avez considérablement augmenté les capacités de réanimation, monsieur le ministre, et je salue cette action. Ne nous méprenons pas quant à l'objectif, cependant : il ne s'agit pas d'augmenter le nombre de personnes en réanimation – des personnes en souffrance, intubées, dans le coma – mais nous voulons au contraire réduire le nombre de malades, ce qui exige d'agir en responsabilité.
Pour faire face en responsabilité, donc, à cette seconde vague, il faut prendre des décisions fortes et courageuses. Le Gouvernement a su agir rapidement, dès la fin de l'été, sur la base des textes que le Parlement a adoptés, en prenant des mesures de protection et de restriction dans l'ensemble du territoire. Il faut aller plus loin, nous doter de tous les moyens nécessaires pour endiguer la propagation du virus et mettre pleinement en oeuvre les mesures annoncées par le Président de la République.
J'entends dire que rien ne justifierait l'état d'urgence sanitaire, sauf le confinement. J'ai également entendu M. Gosselin affirmer que le couvre-feu est lui-même un confinement nocturne. Qu'en conclure ? Je ne suis pas médecin : je suis juriste. Mais faut-il être juriste pour lire le paragraphe 15 de la décision du Conseil constitutionnel du 9 juillet 2020 : « L'interdiction de circulation des personnes ne peut conduire à leur interdire de sortir de leur domicile ou de ses alentours » ? Le Conseil constitutionnel a bien interdit de décréter un couvre-feu sans que nous légiférions de nouveau.
Le Gouvernement a rétabli l'état d'urgence sanitaire pendant un mois, jusqu'au 16 novembre. Aujourd'hui, cinquante-quatre départements sont sous couvre-feu : 46 millions de Français sont concernés. Tout le pays est en état d'alerte. Nous devons fixer un cadre pour que les efforts de chacun ne soient pas vains. Ces mesures sont difficiles et affectent notre vie sociale et quotidienne. Pour être efficaces, elles requièrent un effort collectif, mais aussi l'adhésion de tous.
Pour ce faire, il faut tracer un horizon. C'est pourquoi je salue la demande que nous fait le Gouvernement par ce projet de loi d'agir à la fois en prenant des mesures d'exception et des mesures d'anticipation. Exception, car le régime de l'état d'urgence sanitaire doit rester dérogatoire, exceptionnel et encadré, comme nous avons su le faire depuis le début de la crise. Anticipation, car outre l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 16 février 2021, le Gouvernement nous propose de bâtir dès aujourd'hui les conditions d'un retour progressif à la normale, que nous espérons le plus tôt possible. Ce sont les deux piliers de ce texte.
Je passe rapidement sur l'article 3 qui a suscité peu de débat en commission des lois, car nous savons tous, au fond, que pour sortir de cette crise sanitaire, nous avons besoin des outils de traçage. Je reviendrai donc sur ce qui nous occupera le plus aujourd'hui : l'article 4 et les habilitations qu'il prévoit. Elles sont nombreuses, il est vrai, mais elles ont pour but de protéger les droits de nos concitoyens, qui ne doivent surtout pas reculer à mesure que le virus se propage. Je parle ici du droit au chômage partiel, des délais administratifs, des procédures d'expulsion, et ainsi de suite. Des amendements encadrant ces habilitations ont déjà été adoptés en commission et d'autres seront présentés au cours du débat ; c'est le rôle des parlementaires.
Je conclus, monsieur le ministre, en vous disant que le groupe de La République en marche votera bien entendu en faveur de ce projet de loi, en responsabilité et parce que nous connaissons votre mobilisation de chaque instant, de chaque jour, contre la propagation du virus. Soyez assuré de notre entier soutien dans cette bataille de longue haleine.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Je commencerai par saluer votre courageuse présence au banc du Gouvernement, monsieur le ministre : comme vous nous l'avez dit en commission et encore tout à l'heure, vous êtes non pas juriste mais médecin, et vous êtes le ministre de la santé. Or vous avez le courage de venir défendre ce texte, bien que cela semble quelque peu paradoxal.
Nous l'avons tous dit : nous convenons de la gravité de la crise sanitaire que traverse la France – la question ne souffre aucun débat. La France est malade ; il faut la soigner. Vous devriez alors être au chevet de cette France, et c'est le ministre de l'intérieur qui devrait être à votre place pour débattre avec nous des mesures à adopter afin de traverser la crise.
À nos yeux, ce dysfonctionnement institutionnel est particulièrement inquiétant, d'autant plus que vous nous posez aujourd'hui la question de la confiance. Sommes-nous disposés à renoncer à nos prérogatives en vous laissant, pour les besoins de la gestion de la crise sanitaire, faire la loi à notre place, prendre des mesures liberticides et décider à la place du législateur de ce qui est bon ou mauvais pour les Français ? Cela, nous l'avons déjà fait en mars, puis en mai, et encore en juillet. Nous étions sur le point de le refaire il y a dix jours lorsque vous avez interrompu le processus parlementaire pour prononcer à nouveau l'état d'urgence sanitaire.
Toutes les habilitations que nous vous avons données depuis le début de la crise avaient pour but d'assurer une bonne gestion de la crise. Depuis, nous entendons chaque jour des déclarations contradictoires : masques ou pas masques, ouverture ou fermeture, dépistage de tous ou dépistage des sujets symptomatiques, liberté d'aller et de venir. Voilà où nous en sommes. Les chiffres explosent et les nouveaux cas se comptent par dizaines de milliers chaque jour. Dans la panique la plus absolue, alors que le projet de loi permettant de proroger les dispositions exorbitantes du droit commun au-delà du 30 octobre était sur le point d'être adopté, vous sortez du chapeau un nouveau dispositif : le couvre-feu. D'abord limité à certains territoires, il ne cesse de s'étendre depuis quelques jours. Ce protocole n'est pourtant écrit nulle part et personne ne sait s'il sera bénéfique. Il y a fort à craindre qu'il n'aura, hélas, aucun effet contre la crise.
Depuis six mois, on bricole, on tâtonne, on essaie, on abandonne, on change ; on nous abreuve de chiffres produits sur des bases qui fluctuent de jour en jour. Au début de l'été, vous considériez que nous sortions de l'état d'urgence ; à peine l'été passé, vous faisiez part de vos inquiétudes et sollicitiez à nouveau le Parlement, afin de bénéficier d'un délai supplémentaire pour vous permettre de sortir de la crise. Aujourd'hui, nous replongeons violemment dans la crise, alors que vous aviez pour mandat de faire tout ce qu'il fallait pour que nous en sortions. Malgré cet échec de la gestion de la crise, vous venez aujourd'hui, dans un état de panique absolue, nous demander une nouvelle fois de vous faire confiance pour gérer la crise ! Si vous aviez au moins tiré les conséquences de la période passée, si les hôpitaux avaient été armés pour faire face à cette rechute que vous aviez pourtant vue venir, …
Vous êtes fier de ce que vous dites ?
… si des lits avaient été ouverts, des effectifs mobilisés, des protocoles écrits pour permettre de vivre malgré le virus, de protéger plus fermement les plus vulnérables, d'identifier les métiers absolument indispensables à la vie du pays… Mais de cela, rien n'a été fait. Parce que la tension sur les capacités hospitalières va de nouveau exploser, vous voudriez que nous vous fassions de nouveau totalement confiance.
Vous comprendrez, monsieur le ministre, qu'en toute responsabilité, nous ne puissions le faire sans trahir les Français, d'autant plus que vous ne nous dites pas ce que vous entendez faire de ces prérogatives, ni ce qu'est votre plan d'attaque – même si, hier, le Président de la République a enfin admis qu'il fallait se préparer à un nouveau confinement.
Mais il y a tant de choses ! Des pans entiers de l'économie et de la culture s'effondrent un peu plus chaque jour. Les Français sont inquiets ; les Français ont peur ; ils n'ont plus confiance : ils veulent savoir, ils veulent prévoir, ils veulent comprendre. Les Français sont à bout. Le climat anxiogène que vous entretenez par vos déclarations fluctuantes n'est plus supportable. En responsabilité, forts de la confiance que nous ont accordée nos concitoyens, nous ne pouvons à nouveau abdiquer et vous laisser les clefs du pays. Vous n'y arrivez pas : on vous aidera, tous ensemble !
Dites-nous ce que vous voulez faire, nous en discuterons ensemble et nous vous accorderons la confiance, mais, en l'état, vous comprendrez aisément que nous ne puissions pas vous laisser faire, car nous serons toujours plus forts collectivement que vous ne le serez seul.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Alors que cinquante-quatre départements et une collectivité d'outre-mer ont été placés sous couvre-feu, je salue la réaction de nos concitoyens face à une telle décision : ils mesurent l'enjeu sanitaire qui la sous-tend. Depuis le mois de mars, nous savons que nous devons rester mobilisés contre l'épidémie – quand je dis « nous », je parle non seulement des Français, mais aussi de la représentation nationale. Nous devons être réactifs et responsables, pour donner au Gouvernement les moyens d'agir, pour protéger chacun de nos concitoyens et pour soutenir une économie particulièrement malmenée.
Avant d'entamer l'examen du texte, je tiens à souligner qu'en commission des lois, chacun a pu intervenir et faire part de ses craintes et de ses réserves, sans jamais minimiser la gravité de la situation sanitaire. Je veux croire que nous travaillerons de la sorte, aujourd'hui encore, pour aboutir à un texte équilibré et protecteur. Le Premier ministre l'a dit il y a deux jours : la situation est grave. Aussi le Parlement fait-il preuve, une fois encore, d'une remarquable capacité d'adaptation, en bousculant son ordre du jour pour y intégrer le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire. Aujourd'hui plus que jamais, il est important de rappeler que le Parlement travaille au service des Français et de l'intérêt général. Dans ce processus législatif, le groupe Mouvement démocrate (MoDem) et démocrates apparentés a sans cesse à l'esprit la recherche d'un équilibre entre la préservation des libertés et de l'état de droit, d'une part, et, d'autre part, la sécurité que nous devons à chacun, individuellement, et à tous, collectivement.
Une fois encore, nous sommes au rendez-vous. Comme vous, j'aurais préféré débattre de bien d'autres sujets, mais la situation est ce qu'elle est, et nous devons y répondre au mieux. La propagation du virus est inquiétante et appelle une réponse forte et rapide. C'est pourquoi notre groupe votera le projet de loi. Ce dernier rétablit un cadre juridique que nous connaissons, car nous avons concouru à sa création, après des heures de débat. Il permet au Gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour combattre le virus. Il lui permet d'agir avec anticipation et réactivité.
Mes chers collègues, j'ai entendu, en commission des lois, la surprise de certains face à l'instauration de l'état d'urgence sanitaire. C'est refuser de voir la réalité en face ; c'est faire de la politique politicienne quand l'heure est à la responsabilité.
Nous sommes responsables ! Il s'agit de libertés publiques, tout de même !
Quand nous avons adopté la loi relative à l'état d'urgence sanitaire, en mars dernier, nous savions que, si les indicateurs étaient mauvais, ce régime d'exception pourrait être réactivé. Le Conseil scientifique n'a cessé de nous alerter, comme dans son avis du 22 septembre : « La France est confrontée à une dégradation de la situation épidémiologique. [… ] Cette situation pourrait, en quelques semaines, induire dans certaines régions ou métropoles une saturation des services de soins, notamment en réanimation, et être à l'origine d'une augmentation de la mortalité liée au covid-19, mais aussi à d'autres maladies suite à une désorganisation du système de soins. » On sait ce qu'il en est un mois plus tard : la situation se dégrade très vite, d'où la nécessité d'une réaction vive de notre part.
Il revient à chacun d'entre nous de faire en sorte que l'état d'urgence sanitaire dure le moins possible. Il peut être interrompu à tout instant, dès lors que la propagation du virus diminue de manière significative. Ce régime d'exception doit être limité dans le temps, mais aussi rester un régime d'exception. Si une nouvelle dégradation de la situation sanitaire était avérée, le Parlement serait à nouveau en mesure de légiférer – nous en sommes d'ailleurs, me semble-t-il, au cinquième texte consacré à ce sujet depuis le mois de mars. Le Gouvernement prend ses responsabilités, et nous sommes au rendez-vous.
Monsieur le ministre, j'aimerais que vous nous éclairiez sur la date du 16 février retenue pour la fin de l'état d'urgence sanitaire. Quelle est la pertinence de ce délai de trois mois ? S'agit-il de poser le cadre juridique d'un éventuel confinement local ou plus large au cours de cette période ?
Les Français l'ont montré : ils sont capables d'entendre et de comprendre vos décisions, même lorsqu'elles sont difficiles, mais il faut, pour cela, agir en transparence…
… et ne pas laisser place à la désinformation ou à la mauvaise information.
Alors, rassurons les Français en leur donnant les clés de compréhension de chacune de vos décisions.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et LaREM.
Depuis presque un an, une pandémie mondiale bouleverse nos vies et nos habitudes ; surtout, elle a déjà causé la mort de plus de 33 000 de nos concitoyens. Bien évidemment, nous sommes conscients de la gravité de la situation. En mars dernier, le Gouvernement a décidé de confiner le pays, entraînant l'arrêt de notre vie sociale et de notre vie économique. Cette mesure a sans doute permis de ralentir la propagation du virus et de sauver des vies.
Malgré les mesures qui ont été prises, nous sommes confrontés à une deuxième vague. Nous savons que nos gouvernants font face comme ils le peuvent, et qu'ils naviguent dans un océan d'incertitudes scientifiques, …
… soumis à deux défis opposés : d'une part, la gravité de la maladie, donnant lieu à un rituel macabre dans lequel, chaque jour, on compte les malades et les morts ; d'autre part, notre attachement réel à ce qui fonde la démocratie et à la préservation des libertés – dont la première, celle d'aller et venir, est menacée par divers confinements.
Pour limiter la propagation du virus, et donc pour assurer la sécurité sanitaire, tous les régimes appliquent peu ou prou une forme de confinement, et donc une solution identique : la privation de liberté.
L'immense majorité de nos concitoyens s'y résignent, même si quelques-uns s'émeuvent du tour que cette peur de la mort fait prendre à notre démocratie. C'est pourquoi, même si nos débats réitérés peuvent vous sembler pesants, monsieur le ministre, il faut avoir à l'esprit un principe que rappelait encore récemment la Revue politique et parlementaire : la distinction entre démocratie et dictature réside justement dans la délibération et la controverse, qui permettent de discuter les mesures prises, et par conséquent, de s'assurer du consentement formel de peuples libres aux décisions de leur gouvernement. C'est par les représentants du peuple – donc, par le Parlement, par nous – que ce débat doit passer ; nos objections et nos questions sont donc légitimes. On ne saurait se satisfaire d'un régime où le pouvoir législatif serait sommé d'avaliser après coup, sans discuter, des décisions annoncées par l'exécutif dans les médias – même si l'exécutif est mû, nous le savons, par l'idée qu'il fait le bien du peuple. Nous ne pouvons pas vivre dans une république des experts, car non seulement les experts ne sont pas d'accord entre eux – les débats à la télévision le montrent – , mais encore, ils ne sont pas chargés de protéger les libertés fondamentales du peuple : cela est de notre responsabilité, et nous devons l'assumer.
Le présent projet de loi vise à donner les coudées franches au Gouvernement pour mieux endiguer la propagation du virus. Il semble effectivement inévitable de prendre de nouvelles mesures de restriction pour sauver des vies. Nous ne contestons pas la mesure phare du texte : la possibilité d'instaurer des confinements et des couvre-feux, limitant la liberté d'aller et venir. Toutefois, le texte nous demande que, durant six mois, le Gouvernement puisse prendre des mesures restreignant fortement, voire totalement, des libertés fondamentales, sans que le Parlement ait son mot à dire. On nous assure que ces mesures seront strictement proportionnées et nécessaires : peut-être, mais pourquoi écarter le Parlement, alors que ces dernières semaines, et même ce week-end, les députés siègent en séance, sont présents en commission et sont disponibles pour travailler ?
À l'occasion du précédent projet de loi, le Conseil constitutionnel avait émis des réserves quant à l'habilitation de certaines personnes à accéder aux données personnelles des Français dans un système d'information. Pourtant, le présent projet de loi prévoit d'étendre à d'autres personnes encore la possibilité d'accéder à des données sensibles. Par ailleurs, vous nous demandez un blanc-seing pour légiférer par ordonnance sur tous les sujets ou presque – économiques, régaliens, administratifs, médicaux, relatifs à l'organisation de la vie publique – , et ce, durant six mois. Nous ne pouvons pas accepter que le Parlement soit ainsi écarté du processus législatif – vous le comprendrez certainement. Il y va du respect de la séparation des pouvoirs, fondement même de notre démocratie.
Vous avez pris des décisions très positives que nous accompagnons depuis plusieurs mois, comme les mesures de soutien économique et le chômage partiel, mais vous devez prendre en considération que ce nouveau projet de loi intervient à un moment où notre société est déjà malade, soumise à d'autres épreuves comme les perturbations climatiques ou le terrorisme intégriste. Nos citoyens sont exténués et ne peuvent accepter une telle réponse.
Je vous demande donc d'y réfléchir. Par conséquent, le groupe Socialistes et apparentés ne pourra pas voter un projet qui prévoit de telles restrictions…
Depuis sept mois, l'état d'urgence sanitaire s'est installé dans notre quotidien, régime d'exception tant attentatoire à nos libertés les plus fondamentales. Si rien ne nous permet d'affirmer qu'il s'agit là d'une épreuve illégitime infligée aux Français, nous devons admettre que nous avons perdu quelque chose dans cet état d'urgence : l'assurance de nos libertés. Contre la plus grave crise sanitaire qu'ait connue la France depuis un siècle, ont été troquées certaines libertés, y compris les plus palpables, comme la liberté de circuler. Peu à peu, nos libertés se sont réduites à des droits que l'État distribue – un État dépassé, qui restreint notre champ d'action. « La liberté, c'est de savoir danser avec ses chaînes », écrivait Nietzsche, mais même danser est aujourd'hui interdit aux Français – personne ne s'en réjouira.
Après le confinement vient le couvre-feu, sorte de confinement qui ne dit pas son nom et qui se généralise progressivement. Ce même État, dépassé depuis le début, s'octroie donc une extension tentaculaire de ses interventions et de ses prérogatives. Telle est bien la problématique qui nous occupe aujourd'hui : l'impossibilité que nous aurions de refuser, dans l'urgence, une extension des interventions de l'État, motivée par la sécurité sanitaire. Face à un principe des plus oxymoriques, l'état d'urgence de droit commun, il nous est impératif de définir le contrepoids à un régime d'exception de plus en plus mal vécu. Ce pouvoir de mise en discussion constante est bien le propre du Parlement. La très relative mansuétude que réservent les Français aux récentes dispositions ne constitue pas un consentement certain.
Si le peuple n'est pas directement consulté dans cette situation si astreignante, c'est donc bien au Parlement de parler : c'est une nécessité de premier ordre. Nous ne pouvons pas accepter de voir régresser nos libertés aussi longtemps sans une supervision du Parlement. Nous ne pouvons pas nous trouver dépossédés par des comités d'experts auxquels l'État s'en remet, sans une consultation parlementaire plus régulière et plus constante. La science ne doit pas – et ne peut pas – être une autorité plus haute que la démocratie. Je le répète, c'est au Parlement d'exercer une mission de contrôle permanent.
Le droit exceptionnel n'est pas une excuse pour faire taire la critique et se substituer à la démocratie – d'autant que l'atteinte aux libertés a un prix très lourd, que paient chaque jour les Français dans leur quotidien. Qu'a donc anticipé le Gouvernement en six mois ? La situation des professionnels de santé publics est pire qu'en mars, alors même que la crise de l'hôpital public précédait depuis longtemps la crise sanitaire. Après le manque de masques, le manque de lits et le manque de ressources humaines, vinrent le manque de tests, des dotations de nouveau amputées pour bon nombre d'infirmiers libéraux, et des embouteillages qui se profilent encore et toujours dans les services hospitaliers. Vous voulez enfermer les Français, car vous n'avez pas donné aux hôpitaux les moyens de faire leur métier.
Qu'a donc anticipé le gouvernement en six mois ? Songez au maintien des élections municipales, véritable fiasco démocratique en matière de participation !
Qu'a donc anticipé le Gouvernement en six mois pour obliger les bars et bon nombre de restaurants, mais aussi d'établissements de la vie nocturne à fermer – pour ne jamais rouvrir pour beaucoup d'entre eux ? Au moment où les premiers PGE – prêts garantis par l'État – viennent à être remboursés, nous réitérons nos propositions tant d'annulation de charges que de subventions en fonds propres au bénéfice de toutes les PME et les TPE, quel que soit le nombre de leurs salariés.
Le besoin d'efficacité sanitaire peut-il éclipser tout débat ? Ordonnances rétroactives, absence de bilan des précédentes : vous ne faites pas grand cas du Parlement.
Notre proposition est simple : si l'État s'accorde des prérogatives exceptionnelles, alors ce droit circonstanciel doit avoir pour contrepartie un contrôle parlementaire automatique, qui doit être mensuel. Ce contrôle est nécessaire au maintien de la démocratie. Parce que nous en comprenons le principe et que nous déplorons l'absence de ce contrôle mensuel, nous ne voterons pas ce texte.
J'aimerais en effet, sans retarder l'examen du texte, donner quelques éléments de réponse.
J'entends certains députés, bien qu'ils reconnaissent que l'heure est grave et qu'il faut prendre des mesures, dire qu'ils ne voteront pas en faveur de celles-ci, jugeant que ce ne sont pas les bonnes ou que ce sont les bonnes mais que ce n'est pas la bonne façon de procéder. Sans être juriste, à ces derniers, j'ai envie de répondre que c'est comme dire, alors que la maison brûle, qu'il faut avant tout débattre de la couleur du Canadair !
Approbations sur les bancs du groupe LaREM – Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Quant à ceux qui considèrent que ces mesures ne sont pas les bonnes, je leur demande : « Quelles sont vos propositions ? Comment comptez-vous protéger la vie des Français et lutter contre ce virus ? » L'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, la Suède, Israël et de très nombreux autres pays prennent des mesures analogues – mais peut-être que tout le monde se plante ! Il est vrai que ce virus est un phénomène évolutif et peu connu, qui conserve une grande part de mystère, mais faites des propositions !
Je comprends que vous considériez qu'en tant que parlementaires vous avez vocation à participer à la gestion de cette crise, sans qu'on vous impose des modalités d'action, mais quel est le député qui, à cette tribune, pendant cette heure de discussion générale, a émis la moindre proposition ?
C'est vrai, la France insoumise a fait, par la voix de Mme Obono, des propositions pour protéger les Français. Tremble covid, on va nationaliser une entreprise qui produit de l'oxygène ! Tremble covid, on va annuler la dette des États !
La police sanitaire est une mission régalienne qui relève de l'exécutif, sous le contrôle des parlementaires. C'est pour cette raison que je suis présent devant vous.
J'entends que le Parlement n'aurait pas été suffisamment associé au débat : du 17 mars au 10 mai, la crise sanitaire a fait l'objet de quatre-vingt-une heures et quarante minutes de débat dans l'hémicycle, auquel j'ai participé.
Du 11 mai au 21 juin, cette question a fait l'objet de 137 heures et cinq minutes de débat dans cet hémicycle, toujours avec ma participation.
Et je ne parle pas du Sénat, ni des séances de questions au Gouvernement. On voit que la place du Parlement est respectée.
Le texte que j'ai l'honneur de présenter devant vous est le cinquième texte d'état d'urgence sanitaire. Je le répète : mon ministère n'est pas celui des sciences infuses. Si vous avez des solutions à proposer pour protéger la vie des Français, je suis à votre écoute et je le serai toujours.
C'est tellement simple de voter contre un texte d'état d'urgence sanitaire, madame Obono ! On laisse penser ainsi qu'on a des contre-propositions alors qu'en réalité on ne propose rien !
Annoncer, comme vous le faites, que vous voterez contre les mesures dérogatoires de l'état d'urgence sanitaire, revient à dire que vous ne voulez pas autoriser la fermeture des discothèques, des bars, la mise en place d'un couvre-feu, l'interdiction des rassemblements de plus de 1 000 personnes, la limitation du nombre des invités aux mariages dans les salles des fêtes, la protection des hôpitaux, la prolongation des droits sociaux.
Vifs applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Vous ne voulez pas que nous puissions assurer aux hôpitaux le bénéfice de financements exceptionnels pour pouvoir continuer à fonctionner. Mais que voulez-vous donc, madame Obono ? Que proposez-vous ?
Monsieur Gosselin, j'ai beaucoup de respect pour la façon avec laquelle vous avez posé le débat en défendant votre motion. On peut échanger sans fin des arguments juridiques, …
Madame Obono, je vais devoir suspendre la séance. Maintenant, silence !
… mais ma charge me fait obligation d'agir, et vite, pour protéger les Français. Je sais que vous le savez, monsieur Gosselin. Mais franchement, les propos que votre collègue des Républicains, M. Savignat, a tenus à la tribune, c'est beau comme du Dupont-Aignan ! Des propos totalement critiques : nous n'avons rien fait de bien ; nous n'avons pas protégé les Français, nous n'avons pas préparé les hôpitaux. Si j'étais soignant, je me dirais en entendant ces débats qu'on est quand même très mal !
Je crois, pour ma part, que l'heure est à l'unité nationale, à l'union face à la crise sanitaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs des groupes LR et LT.
Il faut montrer aux soignants de ce pays que la représentation nationale est capable de mettre ses divergences et ses vieilles bisbilles politiciennes de côté pour consacrer tout son temps et toute son énergie à chercher les moyens de les protéger et de les aider à protéger les Français.
C'est notre mission éminente et c'est la raison pour laquelle je vous demande de voter en faveur de ce projet de loi.
Suspension et reprise de la séance
Pour calmer les esprits qui s'échauffent, je suspends la séance pour cinq minutes.
La séance, suspendue à dix heures cinquante, est reprise à dix heures cinquante-cinq.
J'appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
Monsieur le ministre, vous nous appelez à l'unité nationale en invoquant la gravité de la crise, mais au lieu de répondre aux orateurs qui sont intervenus dans le cadre de la discussion générale, vous vous emportez et vous stigmatisez les parlementaires qui ne sont pas d'accord avec votre méthode, même s'ils partagent, comme tout le monde ici, l'analyse sur la gravité de la situation.
Souffrez que nous fassions notre travail de parlementaires qui est de discuter, de débattre, voire de n'être pas toujours d'accord avec certaines de vos orientations. Cela ne fait pas de nous des irresponsables dont on peut balayer l'avis d'un revers de main.
Je vous ai posé une question, à laquelle vous n'avez pas encore répondu, monsieur le ministre, alors qu'elle vise la seule justification de ce projet de loi tel qu'il est rédigé : oui ou non, le reconfinement général de la population française est-il à l'agenda du Gouvernement ? Les Français ont le droit de le savoir ; les Français ont le droit de s'y préparer.
Les uns après les autres, nous allons tous poser la même question : oui ou non, y aura-t-il reconfinement ? Les citoyens ont le droit de le savoir.
Je veux aussi répéter qu'en état d'urgence sanitaire, l'urgence consiste à soigner et non à enfermer la population, à la confiner ou à la bâillonner. L'urgence, monsieur le ministre, c'est de dépister, de tracer, d'isoler et de traiter.
Vous nous avez dit, en présentant le projet de loi, qu'hier on comptait 300 personnes en réanimation, 300 personnes intubées et ventilées. Vous souhaitez donc les faire mourir ?
Interruptions sur les bancs du groupe LaREM.
On sait qu'en réanimation, il ne convient plus d'intuber massivement, comme on le faisait au mois de mars dernier : on n'intube désormais pas plus de 20 à 30 % des patients…
… et on place les autres sous oxygène à haut débit. Monsieur le ministre, peut-être devriez-vous réviser vos propos, car ce que vous dites devant la représentation nationale est extrêmement grave.
C'est ce qui a été dit au début de cette séance par M. le ministre qui est scandaleux.
Mme Wonner utilise un masque beaucoup plus efficace que le vôtre. Tout à l'heure, M. le ministre…
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
J'essaie de répondre à diverses interpellations. J'aurai l'occasion de le faire plus tard. Je note que M. le ministre m'a gentiment tourné le dos lorsque je m'exprimais depuis la tribune durant la discussion générale et que pour mon montrer que mon masque n'était pas conforme selon lui, il a mis les cinq doigts de sa main droite sur le sien. J'espère, Olivier, que tu l'as déjà changé !
Vous nous présentez un texte qui ne parle pas…
Merci, madame Wonner. Votre temps de parole est écoulé.
La parole est à M. Antoine Savignat.
L'article 1er est ainsi rédigé : « L'état d'urgence sanitaire déclaré par le décret no 2020-1257 du 14 octobre 2020 déclarant l'état d'urgence sanitaire est prorogé jusqu'au 16 février 2021 inclus. » Les articles 2, 3 et 4 permettent de prendre l'ensemble des dispositions découlant de l'état d'urgence sanitaire, en particulier en habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances.
Je l'ai dit dans la discussion générale : en procédant de la sorte, vous dessaisissez le Parlement de ses prérogatives, lui interdisant de vous faire toute proposition relative à la gestion de la crise. Monsieur le ministre, il n'est pire sourd que celui qui ne veut entendre. Vous nous avez rétorqué que nous ne faisions aucune proposition, alors que tout est fait dans ce projet de loi pour nous interdire d'en formuler ; tout est fait pour nous interdire de vous accompagner dans la crise majeure que traverse notre pays. En demandant une habilitation à légiférer par ordonnances, vous montrez que vous ne voulez pas nous entendre. De grâce, monsieur le ministre, gardez vos nerfs : discutons sereinement et ne stigmatisez pas des parlementaires qui ont tous été désignés par le peuple français !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
Il vise en effet à supprimer l'article 1er. Le Gouvernement ne nous a pas convaincus car, de toute évidence, il ne dispose pas des arguments pour le faire si l'on considère le spectacle que nous a offert le ministre des solidarités et de la santé – j'imagine qu'il en fera également profiter la Cour de justice de la République lorsqu'il devra rendre des comptes…
Exclamations continues sur les bancs du groupe LaREM.
S'il vous plaît, nous n'allons pas nous échauffer à chaque intervention ! Laissez parler l'oratrice !
Gardez vos nerfs ! Un peu de sang-froid, s'il vous plaît ! Faites preuve d'un peu de sens des responsabilités et de décence ! Je sais que cela vous manque, mais vous devrez vous y faire.
Mêmes mouvements.
Mêmes mouvements.
Peut-être devons-nous demander une suspension de séance pour que vous vous calmiez ?
S'il vous plaît, nous écoutons notre collègue ! Nous examinons le premier amendement déposé sur le projet de loi, et il est important que nous nous écoutions. Hier, les débats étaient apaisés ; je crois qu'il peut en être de même aujourd'hui.
Le Gouvernement n'a pas d'argument sinon celui qu'il n'avance pas, mais que certains collègues évoquent, selon lequel il prévoit de décréter un confinement généralisé. S'il avait adopté une démarche d'ouverture, de transparence et de respect du Parlement, il aurait mis cette option sur la table. En effet, nous sommes tous et toutes responsables et, depuis le début de la crise, nous avons tous et toutes fait preuve de responsabilité en ayant à l'esprit l'intérêt général de la population et la gravité de la situation – ce malgré les incohérences du Gouvernement et de la majorité, qui n'ont pas accru la confiance que vous accorde la population. Nous sommes le pays d'Europe dans lequel la population a le moins confiance dans l'action que mène l'exécutif, dans ce que vous faites.
Ce n'est pas la France insoumise qui le dit ; ce sont les Français et les Françaises dans leur majorité.
Selon nous, le cadre juridique que vous bricolez depuis plusieurs mois ne répond à aucune nécessité : le droit commun permet déjà d'agir. L'état d'urgence ne fait pas l'objet de notre part d'une opposition de principe – il faut que le Gouvernement dispose de marges de manoeuvre – , mais il doit être déclaré ou prorogé, si cela est nécessaire, dans un cadre clair et transparent, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Voilà pourquoi vous ne nous convainquez pas.
Nous demandons donc la suppression de l'article 1er en formulant, comme nous le faisons depuis des mois, ne vous en déplaise, des propositions très concrètes auxquelles vous ne répondez pas sur le fond.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 10 .
Le Parlement doit pouvoir contrôler l'action du Gouvernement. Sans rien minimiser de la crise sanitaire, rien ne justifie aujourd'hui de donner les pleins pouvoirs au Gouvernement pour qu'il gère les prochaines semaines, jusqu'au mois de février, voire jusqu'en avril 2021. Le Parlement siège jour et nuit, week-end compris, comme notre présence aujourd'hui en atteste : pourquoi vouloir lui retirer ses prérogatives ?
Monsieur le ministre, vous affirmez que si nous ne votons pas votre texte, le couvre-feu sera levé le 17 novembre prochain. En clair, vous nous prenez en otage : soit nous vous donnons un blanc-seing, soit nous sommes des irresponsables ! D'ici au 17 novembre, il reste plus de trois semaines pour travailler, et le droit commun comporte déjà des outils utiles. Une banalisation de l'état d'exception dans lequel nous vivons depuis le mois de mars dernier ne serait pas saine. Le Parlement doit pouvoir contrôler le Gouvernement, mais le projet de loi ne lui permet pas de le faire. Je demande en conséquence la suppression de l'article 1er.
Lors de son allocution annonçant l'instauration d'un couvre-feu, le 14 octobre dernier, le Président de la République indiquait que cette disposition concernait certains points du territoire pour quatre semaines et qu'il demanderait au Parlement la possibilité de la prolonger jusqu'au 1er décembre, ce qui permettait de couvrir une durée totale de six semaines. Finalement, vous venez bien devant nous, mais c'est pour nous demander de vous signer un chèque en blanc et d'instaurer un régime dérogatoire pour six mois.
Tout d'abord, je note une certaine « distorsion » entre la parole du Président de la République et le projet de loi que nous examinons. Ensuite, parce que l'épidémie évolue de façon erratique et qu'elle nous réserve malheureusement de nombreuses surprises, je crois, comme d'autres collègues, qu'il serait beaucoup plus sain et respectueux des prérogatives du Parlement de n'accorder d'autorisation que pour des délais beaucoup plus courts, de demander au Gouvernement de revenir devant nous, et d'exercer notre contrôle. Cela permettrait en particulier que les décisions de l'exécutif, après avoir fait l'objet de débats, suscitent davantage la confiance de la population. Nous serions ainsi plus efficaces dans la lutte contre le covid-19.
D'une manière générale, je nous invite collectivement à réfléchir. Il y a eu l'état d'urgence en raison du terrorisme, nous avons l'état d'urgence en raison de la crise sanitaire, et nous ne pouvons pas exclure que demain, dans un monde de plus en plus tumultueux, se déclarent de grandes crises, qu'elles soient climatiques ou sociales : une démocratie, un État de droit sont-ils armés pour affronter la période actuelle ou faut-il renoncer à ces acquis ? Il ne faut en tout pas que l'on nous accoutume insidieusement à le faire. Le sujet est assez grave pour que nous l'abordions.
Il vise également à supprimer l'article 1er qui proroge, jusqu'au 16 février 2021, l'état d'urgence sanitaire sur l'ensemble du territoire national, sans aucune justification. Le Gouvernement dispose déjà de l'arsenal juridique nécessaire dans le code de la santé publique. Des dispositifs efficaces doivent bien sûr être mis en place pour lutter contre les risques liés au virus, mais ils doivent rester proportionnés et ne pas mettre en danger notre État de droit.
Le Gouvernement trahit sa parole. Il parlait de mesures territorialisées ; il vient à nouveau défier les élus locaux et leur gestion des territoires en prenant des mesures générales. Le Gouvernement indique que les outils dont il dispose dans le cadre de la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire ne suffiraient plus, mais jamais il n'a été capable de nous livrer les raisons objectives qui le poussent à ne pas nous faire confiance. Jamais il n'a été capable de nous expliquer en quoi notre commun ne suffisait plus pour gérer la crise.
Pour justifier sa décision, le Gouvernement cite l'avis du Conseil scientifique. Or j'ai montré tout à l'heure que les trois pages de ce document étaient totalement fausses.
L'article 1er pose deux problèmes. Le premier tient en une question qu'il nous faut trancher : oui ou non, est-il nécessaire de rétablir l'état d'urgence sanitaire pour fonder juridiquement les mesures de couvre-feux territoriaux ? À ce stade, nous répondons par la négative, à la fois en raison de ce que le Conseil constitutionnel a dit de la loi du 9 juillet 2020 et en raison de la rédaction de l'alinéa 1er de l'article 1er de cette même loi. En réalité, seul le souhait de pouvoir déclarer un reconfinement généralisé peut justifier la rédaction de l'article 1er du projet de loi qui nous est proposé aujourd'hui. La question vous a été posée une fois, deux fois ; je la poserai autant de fois qu'il sera nécessaire pour obtenir une réponse.
L'article 1er pose un second problème relatif à la durée du couvre-feu, déjà évoqué par Stéphane Peu. La durée proposée n'est pas celle annoncée par le Président de la République pour justifier des couvre-feux localisés – il est vrai qu'ils s'étendent, semaine après semaine, à de nouveaux territoires. Il nous a annoncé six semaines, cela doit être six semaines. Vous nous parlez maintenant de trois mois : cela signifie que vous poursuivez un autre objectif, sur lequel vous devriez faire la clarté pour nos concitoyens. Il faut donc supprimer l'article 1er.
La prorogation de trois mois de l'état d'urgence sanitaire, qui a reçu un avis favorable du Conseil scientifique, est aujourd'hui nécessaire, adaptée et proportionnée à la situation sanitaire.
Depuis le mois de juillet dernier, les oppositions ont critiqué le régime transitoire en affirmant que le Gouvernement devait assumer ses responsabilités et déclarer l'état d'urgence sanitaire si la situation le nécessitait. La majorité a néanmoins tout fait pour repousser ce moment fatidique, consciente des bouleversements qu'il engendrerait. Aujourd'hui, plus personne ne conteste la gravité de la situation et la nécessité d'agir avec les instruments juridiques adaptés, c'est-à-dire en prorogeant l'état d'urgence sanitaire qui a permis d'instaurer le couvre-feu.
Cette mesure est bien sûr éprouvante, et il aurait été préférable de s'en dispenser, mais elle est malheureusement nécessaire lorsque l'on constate que 42 000 nouvelles personnes ont encore été contaminées durant la seule journée d'hier.
J'aurais pu rappeler ce qu'ont écrit le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État, mais, comme le ministre, je ne suis pas juriste ; comme lui, je suis simplement médecin généraliste. J'ai le sentiment que certains d'entre vous nous demandent s'il y aura un reconfinement et à quelle date il aurait lieu.
Autrement dit, on nous demande de prédire l'avenir, mais comment le prédire lorsque l'on ne connaît pas le virus ?
Il est vrai que certains avaient imaginé une deuxième vague ; elle est arrivée, mais on ne sait pas comment.
S'explique-t-elle par la venue du froid, par la période des vacances, par la transmission par les jeunes ? On ne connaît pas le virus, on ne peut pas faire de prévisions, mais il faut fournir toutes les armes pour le combattre.
Je répète ces chiffres qui sont pour moi essentiels : on a enregistré 1 million de cas positifs et 34 500 décès, et, pour la seule journée d'hier, 42 000 nouveaux cas et 300 décès, soit malheureusement un décès toutes les cinq minutes. En une semaine, le nombre de malades du covid-19 hospitalisés a augmenté de 50 %, de même que le nombre de ceux admis en réanimation.
Je pense que c'est un état d'urgence exceptionnel, extraordinaire : ces trois termes que vous avez utilisés en commission, monsieur Gosselin, m'ont marqué. Nous sommes dans une situation d'urgence extraordinaire, exceptionnelle – sinon dites-moi à partir de quels chiffres on atteint selon vous une telle situation.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.
Monsieur le rapporteur, nous ne vous demandons pas une heure et une date de confinement généralisé : tout le monde a conscience que ce ne sont pas des éléments que vous pouvez apporter dans la discussion. Mais nous espérons tout de même que le Gouvernement a plusieurs options sur la table, car il serait inquiétant qu'il navigue à vue et opte pour telle ou telle décision cinq minutes avant une conférence de presse. J'espère que ce n'est pas ce que vous êtes en train de nous dire ! On peut comprendre que vous n'envisagiez pour le moment que le couvre-feu, mais il faut aussi que le confinement généralisé – même si personne ne souhaite l'imposer à la population ni se l'imposer à soi-même – soit sur la table et que vous ayez des projections en fonction de l'évolution et du pire scénario possible.
Quand nous vous avons interpellé ici même – nous n'étions pas les seuls – , quand Jean-Luc Mélenchon affirmait qu'une seconde vague était fort certaine, il ne s'agissait pas pour lui de jouer à Madame Irma : il reprenait ce qui était dit par les scientifiques. Il s'est fait rire au nez alors que vous dites aujourd'hui qu'il y a bien une seconde vague. La question est donc bien là : qu'est-ce qui est anticipé et anticipable, qu'est-ce qui est projeté ? C'est tout ce que nous demandons, mais vous ne le posez pas sur la table. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas vous faire confiance sur cet article 1er, pas plus que sur l'ensemble de ce texte.
J'entends les précisions apportées par le rapporteur, avec des chiffres. Pouvez-vous nous dire cependant ce qui change par rapport à une énorme grippe ?
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Qu'est-ce qui change par rapport à une épidémie virale comme celle que nous avons connue par exemple en 2017, avec une surmortalité en janvier et février cette année-là ? Ce qui change, c'est que les mesures prises par le Gouvernement interdisent, toujours et encore, aux médecins de première ligne de soigner leurs patients ; ils doivent attendre que ceux-ci soient hospitalisés.
Oui, il y a aujourd'hui des personnes en réanimation, oui, la situation sanitaire est extrêmement préoccupante, je ne le nie absolument pas, …
… mais qu'est-ce qui a été fait depuis mars pour réorganiser l'hôpital ? Le PLFSS dont nous venons d'achever la discussion et qui sera voté mardi est le PLFSS que nous aurions dû avoir en 2017 : il va enfin permettre de redéployer les 4 000 lits qui nous manquent cruellement depuis tant d'années.
La situation sanitaire est compliquée, mais la mortalité – car heureusement nos réanimateurs sont extraordinaires et nous savons soigner – est aujourd'hui inférieure à 1 %.
C'est gravissime !
Le seul fait que nous soyons réunis ici un samedi pour voter ce texte atteste des circonstances exceptionnelles de celui-ci. Ni moi, ni le groupe La République en marche, ni aucun des collègues ici présents n'a plaisir à voter des mesures restrictives de liberté. La raison pour laquelle nous le faisons a été dite à plusieurs reprises, chiffres à l'appui, et vous les avez en tête.
Ce que vous dites sur le couvre-feu ou sur le confinement est assez paradoxal. D'un côté vous affirmez que le couvre-feu est déjà trop, de l'autre vous demandez quand vient le confinement.
C'est inexplicable. Et c'est juridiquement incompréhensible, car à la fois la décision du Conseil constitutionnel du 9 juillet et le considérant 8 de l'avis du Conseil d'État qui vient d'être rendu sur ce projet de loi nous disent qu'en l'état, les mesures transitoires de sortie de l'état d'urgence ne sont pas suffisantes pour permettre l'assignation de personnes à domicile pour raison sanitaire.
Dernier élément, sur ce que vous dites du contrôle parlementaire : c'est ensemble que nous avons voté les articles L. 3131-13 et L. 3131-14 du code de la santé publique.
Ces articles prévoient que c'est nous qui décidons de la prorogation de l'état d'urgence sanitaire, nous qui en décidons la durée, nous qui contrôlons le Gouvernement sur ces questions et recueillons toutes les informations nécessaires. Il ne serait pas très cohérent de demander au Gouvernement de décréter, puis de voter pour un mois, puis de redécréter l'état d'urgence et ainsi de suite. Je crois que le devoir de transparence du Gouvernement est rempli quand les dates nous sont ainsi données.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Je souhaite répondre au rapporteur, qui m'interpelle, ainsi qu'au ministre. Ils ont l'un et l'autre de vrais arguments et personne ne les conteste. Personne ne cherche non plus à opposer les médecins et les juristes – dans cette enceinte, il y a forcément l'alliance des deux. Vous êtes médecin, monsieur le rapporteur, je ne le suis pas, vous avez donc des compétences que je n'ai pas et je vous les reconnais bien volontiers. Vous avez des chiffres qui sont alarmants, nous ne les contestons pas non plus. Il faut agir, oui, c'est évident, mais il faut agir au moyen du droit : c'est la partie des juristes. Ce qui est en cause n'est pas l'action, mais la forme juridique de l'action. Ce n'est pas un débat sur le sexe des anges.
Si dans cette enceinte où nous faisons la loi, un acte d'une importance extraordinaire dans une démocratie et dans une république, nous-mêmes ne sommes pas soucieux de l'État de droit, qui le sera pour nous ?
Protestations sur les bancs du groupe LaREM.
Je n'ai pas de défiance à l'égard de la majorité : nous pourrions collectivement nous retrouver, peut-être sur des mesures et peut-être sur le droit légitime du Parlement à être régulièrement consulté. Or, ici, nous avons un état d'urgence jusqu'au 16 février, qui se prolongera jusqu'au 1er avril, et il n'y a entre les deux aucune clause de revoyure. Cela pose de vraies questions, aux médecins comme aux juristes.
Interdire la circulation des personnes dans l'espace public dès lors que le virus circule de manière active, et pouvoir procéder à la fermeture d'établissements recevant du public dans ces mêmes circonstances, c'est à peu près la définition du couvre-feu. Cette définition se trouve textuellement dans l'article 1er, alinéa 1 de la loi du 9 juillet – vous pouvez hocher la tête, monsieur le conseiller, mais c'est ainsi.
À aucun moment dans la décision du Conseil constitutionnel du 9 juillet – c'est l'attendu numéro 15 – vous ne trouverez de restriction à la possibilité de mettre en oeuvre ces dispositions qui s'appellent un couvre-feu. Le débat juridique, comme le débat d'ordre sanitaire, est donc de permettre la réinstauration d'un confinement généralisé. Je ne conteste pas l'hypothèse, je souhaite seulement de la clarté sur l'objectif. Je ne vous demande pas de me dire le jour précis…
… mais comment le Gouvernement envisage de procéder entre le couvre-feu territorialisé et un reconfinement territorialisé ou généralisé.
Chacun l'a compris : depuis des mois, nous informons les Français, nous leur apportons une information claire, loyale, appropriée – ce sont les termes qu'on utilise en médecine – et nous nous assurons qu'ils puissent la comprendre. Nous le faisons parce que nous le leur devons, mais aussi parce que c'est par les Français que viendra la victoire contre cette épidémie. Nous appelons à la solidarité des jeunes et des moins jeunes, à l'action déterminée de chacun dans son quotidien. Nous avons conscience des renoncements que cela occasionne, qui sont considérables – ne pas pouvoir se retrouver en grand nombre, ne pas pouvoir faire la fête, ne pas pouvoir inviter tous les convives que l'on voudrait à son mariage, porter un masque, un vrai,
Sourires sur les bancs du groupe LaREM
limiter nos déplacements, changer nos modes de vie pour une durée que nous espérons tous la plus courte possible, mais qui est nécessaire.
J'ai conscience que ce message peut être compliqué à appréhender et à appliquer dans la durée, et nous l'avons vu au sortir de l'été avec une forme de relâchement et des difficultés à promouvoir un discours de responsabilité, …
Il y a une semaine, vous encouragiez les gens à aller en vacances ! C'est la vérité !
… en tout cas avec suffisamment d'uniformité entre les uns et les autres, qu'il s'agisse de la classe politique ou des scientifiques, de manière à permettre à chaque Français, non pas de se forger une opinion sur la base de controverses fondées en grande partie, hélas, sur certains plateaux, sur des fake news, mais d'appréhender les choses telles qu'elles sont.
Madame Wonner, je n'ai pas pour coutume de vous répondre.
Je l'évite en général et vous me le reprochez, mais parfois cela vaut mieux. Vous avez dit des choses d'une gravité que je considère extrême.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Vous considérez que ce n'est rien d'autre qu'une grosse grippe qui ne cause finalement que 1 % de mortalité. Nous sommes 70 millions de Français : si nous devions atteindre une immunité collective de 60, 70, 80 % – on ne sait pas jusqu'où doit monter cette immunité collective– , gageons que nous ayons – je théorise comme vous – 40 millions de victimes de ce coronavirus : acceptez-vous que 1 % de ces 40 millions doivent mourir ?
Donc, avant de dire que c'est une grosse grippe, réfléchissez. Vous êtes médecin, vous n'avez pas le droit de vous tromper quand vous dites cela : c'est encore plus grave.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Vous me dites ensuite que je laisse mourir les gens en réanimation. Je pourrais vous répondre que l'émotion que je ressens est liée à une forme de personnalisation, vers laquelle certains essaient de m'entraîner, comme Mme Obono quand elle parle de la Cour de justice de la République.
Mais je ne personnalise pas la gestion de crise. Quand je m'exprime devant vous, j'essaie de le faire au nom des équipes au ministère, à la direction générale de la santé, à Santé publique France, au nom des soignants, des médecins, qui attendent de nous un débat à la hauteur parce qu'ils ont peur et parce qu'ils passent leurs journées et leurs nuits à tenter de sauver des vies. Oui, madame la députée, cela me met en colère quand vous dites cela car, à travers moi, c'est l'ensemble de la communauté médicale que vous injuriez.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Enfin, vous avez tweeté hier « Il y a une légère recrudescence des malades covid ». Dans trois quarts d'heure, je vous quitterai pour accompagner le Premier ministre à Marseille, où je me rendrai dans un service d'urgence et de réanimation, comme je le fais chaque semaine. Comme chaque semaine, je verrai des familles de malades, de victimes, des soignants mobilisés jour et nuit, et si je leur montrais votre tweet – mais je ne le ferai pas – , je n'ose imaginer l'horreur dans leur regard tant la situation qu'ils affrontent est décorrélée de ce que vous décrivez.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Monsieur Brindeau, vous posez des questions légitimes. Y a-t-il un plan de confinement ? L'état d'urgence n'est-il que le corollaire légistique qui nous permettra de prendre d'autres mesures ? Je ne suis pas le Conseil d'État, qui est, comme son nom l'indique, un organe qui conseille l'État, et qui nous écrit noir sur blanc qu'il faut l'état d'urgence sanitaire pour prendre une mesure de couvre-feu. Vous pourrez les contacter, c'est votre droit comme parlementaire ; je ne suis pas sûr qu'ils vous écoutent.
Chaque semaine, et parfois plusieurs fois par semaine, en conseil de défense et de sécurité nationale, j'ai l'honneur de rapporter la situation sanitaire au Président de la République et aux membres du Gouvernement et de l'état-major qui y assistent et de formuler, en me fondant sur cet état des lieux, une série de propositions. Nous en débattons avec toutes les parties prenantes du conseil, à la lumière des évaluations. Depuis le premier conseil de défense – nous en avons eu une quarantaine – , nous sommes toujours tombés parfaitement d'accord sur le moment où il fallait prendre tel ou tel type de mesures. Nous tenons compte de la situation sanitaire, de l'efficacité des dispositions envisagées comme de leur acceptabilité par les Français.
Nous savons que certaines mesures vont agir sur un temps long. Avant-hier, le Premier ministre et moi-même l'avons précisé dans la conférence de presse : lorsque nous mettons en place un couvre-feu, nous savons que nous ne pouvons espérer un résultat avant quinze jours au moins. Cela veut dire que c'est en début de semaine prochaine que nous pourrons en apprécier les premiers impacts sur l'évolution du taux d'incidence.
Si nous avons mis en place un couvre-feu, ce n'était pas pour embêter les Français, ni parce que nous pensions que cela ne marcherait pas, mais parce que nous pensons et espérons que la mesure aura des résultats qui nous éviteront de prendre d'autres types de décisions. Le Président de la République lui-même, hier, en déplacement, a évoqué d'autres décisions qui pourraient être prises dans les prochains jours si la situation sanitaire l'exigeait et si le couvre-feu n'était pas efficace. Il ne s'agit pas d'un manque de transparence ou d'un défaut de volonté de débattre avec vous, et cela ne veut certainement pas dire que ces nouvelles mesures éventuelles seront décidées sur un coin de table, cinq minutes avant une conférence de presse. On ne peut pas dire de choses pareilles, ni même les penser : c'est à mille lieues de la réalité et du fonctionnement de l'État depuis le début de la crise !
En effet. Je vous regarde uniquement parce que je répondais à l'ensemble de votre intervention.
S'il faut prendre d'autres décisions, elles seront annoncées aux Français et à la représentation nationale ; mais il n'y a pas un plan caché et daté, pour lequel on attendrait d'avoir un cadre juridique. Ce n'est pas ainsi que les choses se passent.
Avis défavorable sur l'ensemble des amendements de suppression.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Je me fonde sur l'article 58 de notre règlement, car j'ai été mise en cause personnellement.
Monsieur le ministre, depuis les débats en commission, vous m'avez désignée comme une sorte de tête de turc – je partage ce rôle avec Mme Wonner – et vous refusez de répondre à mes interrogations, qui ressemblent pourtant à celles des autres collègues, et de réagir à nos propositions sinon pour mettre en cause ma personne. C'est ridicule : personne n'est dupe de la fausse humilité et des rodomontades dont vous faites preuve !
Pour la bonne tenue des débats, cher ministre Véran, et pour préserver ce qui vous reste de crédibilité aux yeux de la population, …
Protestations sur les bancs du groupe LaREM
… il serait bon que vous répondiez sur le fond, comme vous y êtes tenu. Vous devez répondre à tous les députés, y compris à ceux avec qui vous êtes en total désaccord et dont les questions vous semblent dépasser les bornes. Vous y êtes tenu constitutionnellement et vous n'avez pas à vous enorgueillir de ne jamais répondre à un ou à une députée.
Répondez sur le fond, sinon nous risquons de passer une très longue journée ! Votre attitude n'aboutit à rien d'autre qu'à renforcer…
Le ministre a pris le temps de vous répondre, à deux reprises, pendant dix minutes.
Il s'agit d'un amendement de repli qui substitue à la date du 16 février 2021 celle du 1er décembre 2020, qui correspond au délai de six semaines annoncé par le Président de la République.
L'amendement vise à dénoncer la méthode avec laquelle ce texte est présenté à la représentation nationale. L'état d'urgence sanitaire est certes un sujet qui, par nature et par définition, est urgent ; mais lorsqu'il est question des droits et libertés individuelles, nous devons laisser le temps au débat. Brandir l'épouvantail de la santé publique ne doit pas octroyer au Gouvernement le droit de passer outre les principes fondamentaux, surtout lorsque nous démontrons jour après jour que le Parlement est capable de se mobiliser et de se réunir en urgence.
Par ailleurs, pour des raisons déjà largement évoquées et vu ce que cela entraîne au niveau de notre économie et de nos droits et libertés, il semble abusif de proroger un régime juridique dérogatoire au droit commun, ce dernier nous donnant tous les outils nécessaires pour agir. Étant donné la situation, il paraît dangereux que le Gouvernement choisisse de se priver de la grande sagesse de la représentation nationale.
C'est également un amendement de repli, qui propose de limiter l'état d'urgence à un mois, jusqu'au 16 décembre. D'abord, il ne nous semble pas très bon de s'accoutumer à un régime d'exception ; ensuite, il paraît important qu'au terme d'un mois, le Gouvernement revienne devant la représentation nationale pour faire le point sur une épidémie hélas imprévisible et éventuellement prolonger le dispositif. Cela permettrait de donner au régime d'exception un caractère proportionnel et adapté aux nécessités de gestion de la crise, tout en renforçant le pouvoir de contrôle du Parlement.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 43 .
C'est un autre amendement de repli, qui vise cette fois à limiter la période d'état d'urgence au 21 décembre, date de début des prochaines vacances scolaires. Cela nous laisse très largement le temps de nous réunir à nouveau pour réexaminer la situation. Vous n'avez pas à faire la loi à notre place. Je vous rappelle que le rôle du Parlement est de contrôler le Gouvernement. Depuis six mois, nous vous avons laissé les rênes, mais les Français ne vous font plus confiance pour gérer cette crise. Il est temps que le Parlement reprenne son rôle plein et entier. Nous ne sommes pas une chambre d'enregistrement : nous devons pouvoir débattre et voter les mesures exceptionnelles quand la situation l'exige.
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour soutenir l'amendement no 61 .
Il répond à la préoccupation que nous avons exprimée dans la discussion générale : nous pensons que pour déterminer la politique à mener face à cette grave pandémie, les pouvoirs exécutif et législatif doivent rester en liaison étroite, et que le Parlement doit pouvoir dire régulièrement son sentiment sur la question. Par conséquent, nous demandons à réduire la durée de l'état d'urgence de trois à deux mois – date à laquelle le Parlement serait à nouveau consulté sur la suite à donner aux opérations.
Le rappel au règlement que je souhaite faire porte sur l'organisation de nos travaux et concerne notamment l'article 1er ; mais soit, je le ferai après.
Les deux amendements, qui proposent des mesures différentes, ont pour objectif commun de rendre l'action du Gouvernement plus claire et plus lisible. L'amendement no 89 vise à réduire la durée de l'état d'urgence, alors que l'amendement no 102 propose au contraire de l'augmenter.
Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre longue réponse à nos interpellations. Certes, nous sommes d'accord : on ne peut pas prévoir l'évolution du virus – personne ne vous le demande – , mais nous devons nous doter d'un arsenal juridique qui permette de prendre des décisions rapides pour protéger la santé de nos concitoyens. Là où beaucoup d'entre nous ne vous suivent plus, c'est lorsqu'on constate que cet instrument juridique a pour conséquence de soustraire au débat démocratique toute une série de champs, et pas uniquement celui de la santé. Si, monsieur le rapporteur : c'est le cas pour le champ économique, le champ social et celui des libertés fondamentales individuelles – celles de se réunir ou de manifester. Ces questions ne peuvent pas échapper au débat démocratique régulier : voilà le vrai problème de la rédaction de l'article 1er.
Tout le monde s'accorde ou devrait s'accorder – j'espère que c'est aussi le cas de nos collègues de la majorité – pour dire qu'il faut des rendez-vous démocratiques réguliers avec le Parlement. C'est techniquement possible, nous le faisons depuis le début de la crise sanitaire. C'est l'objet de ces deux amendements.
Rappel au règlement
Il se fonde sur l'article 48 du règlement, portant sur l'organisation de nos travaux.
Monsieur le ministre, je viens de vous remercier pour la réponse circonstanciée que vous nous avez faite. Dans cette réponse, vous avez pourtant annoncé que vous alliez nous quitter dans quarante-cinq minutes pour accompagner le Premier ministre dans une visite d'hôpitaux. On peut tout à fait comprendre que le ministre de la santé accompagne le Premier ministre dans ce genre de déplacements, mais comprenez notre stupeur et notre frustration : en tant que ministre qui défend le texte, vous êtes le mieux placé pour répondre à nos interrogations ; or vous n'aurez suivi qu'un peu plus de deux heures de débats !
J'imagine que c'est Adrien Taquet qui viendra vous remplacer dans quelques instants ; ce n'est pas lui que vise mon propos, mais je trouve regrettable qu'alors que le Gouvernement décide de faire siéger le Parlement un week-end, …
… le ministre chargé du dossier ne suive pas le débat dans sa totalité.
Approbation sur les bancs du groupe LR.
Article 1er
Quel est l'avis de la commission sur les amendements en discussion commune ?
Avis défavorable sur l'ensemble des amendements proposant des dates différentes pour la fin de l'état d'urgence.
Je rappelle que le Conseil scientifique, dont la position ne sera source ni de contestation ni d'interprétation, a émis un avis favorable sur le projet de loi. Il dit entre autres que « les mois d'hiver seront difficiles vis-à-vis de la circulation du SARS-CoV-2 ». Les trois mois d'hiver vont du 20 décembre au 20 mars ; avec la date choisie, le 16 février, l'état d'urgence couvrira les deux tiers de cette période, lourde de possibles complications.
J'interviens sur le fondement de l'article 58 du règlement, pour contribuer à la sérénité des débats.
J'aimerais remercier Olivier Véran pour son aveu de faiblesse. Il est incroyable de l'entendre dire qu'habituellement il n'aime pas me répondre, alors que nous sommes dans cette belle maison pour débattre ! Puisque le brouhaha des collègues n'a pas permis d'entendre ce que je disais sur la réanimation, je voudrais préciser mon propos.
Vous avez dit, dans votre intervention liminaire, que 300 personnes en réanimation, c'était 300 personnes intubées…
Protestations sur les bancs du groupe LaREM
Un rappel au règlement, c'est une prise de parole qui vise à me rappeler comment je dois appliquer le règlement. C'est donc une remise en cause de la présidence, et ce n'était pas le cas de votre intervention.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Notre présence à toute heure du jour et de la nuit, à toute période de l'année, montre combien le Parlement est capable de se mobiliser quand il le faut. Il est légitime que les parlementaires travaillent. Que craindre à réunir le Parlement ? Rien ! Nous ne sommes pas toujours d'accord et certains considèrent peut-être que c'est une perte de temps, mais débattre de façon démocratique dans une enceinte comme la nôtre, ce n'est pas une lubie qu'il faut souffrir, mais l'acte démocratique par excellence.
Il faut prévoir des clauses de revoyure. Les amendements proposés, sans nécessairement remettre en cause l'état d'urgence sanitaire, cherchent à en limiter les effets dans le temps, ce qui me paraît plutôt intelligent. Nous nous sommes mobilisés plusieurs fois ces derniers mois, et nous continuerons à le faire dans les semaines et les mois à venir. Pourquoi craindre de réunir le Parlement ?
En créant un état d'urgence sanitaire qui irait désormais jusqu'au 1er avril 2021 – il serait certes gradué mais bien réel, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 juillet 2020 – , vous nous plongez en réalité dans une situation qui banalise l'exceptionnel et rend secondaire l'État de droit. Vous utilisez l'arme atomique alors que les armes juridiques conventionnelles classiques suffiraient à avancer. C'est bien ce dont nous voulons débattre, et nous le ferons sans aucun doute tout au long de la journée.
Nous débattons, et c'est bien légitime, de la date de fin de la prorogation de l'état d'urgence sanitaire.
Nous croyons, au sein du groupe La République en marche, que nous allons vivre une deuxième vague qui sera au moins aussi difficile à affronter que la première. Je souhaite simplement rappeler qu'alors, nous avions tous voté pour un état d'urgence de quatre mois. Dans ce projet de loi, le Gouvernement propose une durée identique ; il y a donc là une forme de cohérence.
Plusieurs dates sont proposées : le 1er décembre, le 16 décembre, le 21 décembre, le 1er janvier, le 10 janvier, et même le 15 mars, soit après celle qui vous est soumise par le projet de loi ! Il est difficile de trouver une date adéquate, mais nous voulons prendre une décision cohérente par rapport à ce qui a déjà été fait. Nous avons pu mesurer l'utilité de l'état d'urgence sanitaire pendant la première vague ; ayons confiance dans le fait qu'il sera utilisé dans un unique but : protéger les Français face à la reprise de l'épidémie.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Monsieur le ministre, nous nous trouvons dans une situation compliquée. Il n'y a pas d'une part ceux qui approuvent votre position, et d'autre part ceux qui contestent la gravité de la situation sanitaire – j'ai entendu quelques propos allant dans ce sens, mais je ne les partage absolument pas. La situation est grave, et il est normal que le Gouvernement prenne des décisions susceptibles de limiter la progression et la circulation du virus.
La quasi totalité de l'hémicycle adhère à cette idée. Le problème, ce sont les conditions dans lesquelles notre institution est amenée à accompagner les décisions gouvernementales.
Je le dis très clairement mais amicalement, je n'arrive pas à comprendre pourquoi vous restez figés sur une durée de quatre mois. Je viens d'entendre M. Rupin expliquer qu'il s'agissait de cohérence par rapport à ce qui avait été fait lors de la première vague ; mais, à ce moment, nous étions dans l'inconnu, et je pouvais comprendre que le Gouvernement ait besoin de temps. Aujourd'hui, nous ne sommes pas dans la même situation.
La clause de revoyure proposée par George Pau-Langevin et par d'autres orateurs, comme Philippe Gosselin à l'instant, permet à notre institution parlementaire de fonctionner à plein. C'est la condition de l'unité nationale que vous appelez de vos voeux ! Sans cette possibilité donnée au Parlement de travailler avec le Gouvernement, sans cette capacité à dialoguer et à faire confronter nos positions pour arriver à un point de convergence, il ne peut y avoir d'unité nationale. C'est vrai pour la question de la date, mais aussi concernant les modalités de l'état d'urgence – nous le verrons tout à l'heure s'agissant des manifestations.
J'appelle donc le Gouvernement à faire un effort et à comprendre que notre désir n'est pas d'entraver son action, mais au contraire de faire valoir certains principes auxquels nous sommes attachés.
Nous avons là un exemple tout à fait représentatif de la mauvaise foi du Gouvernement et de la majorité. Des propositions vous sont adressées depuis les différents bancs pour que l'état d'urgence soit mis en oeuvre selon d'autres modalités, plus à même de répondre à la gravité de la situation tout en respectant notre cadre parlementaire et démocratique. Vous n'y apportez aucune réponse.
Il ne suffit pas de répondre à certains députés, par préférence et alors que vous en méprisez d'autres, pour que l'on considère que vous respectez le Parlement. Vous le respectez encore moins quand, après avoir répété à quel point il y avait urgence à ce qu'il se réunisse – nous sommes bien là, présents et présentes, et nous le serons toute la journée – , le ministre annonce qu'il s'en ira visiter un hôpital. J'imagine que les soignants et soignantes seront très heureux – et heureuses – de le recevoir, mais ce n'est pas la première fois que vous agissez de la sorte, et je pense qu'il est davantage nécessaire de leur donner des moyens concrets que de faire de la communication. Malheureusement, j'ai l'impression que le Gouvernement privilégie par trop la communication médiatique à la prise de décision et au respect du Parlement. En voilà encore un exemple significatif.
Protestations sur les bancs du groupe LaREM.
J'aimerais que l'on revienne ensemble sur l'avis du Conseil scientifique. C'est d'après cet avis, daté du 19 octobre, que vous avez décidé de prolonger l'état d'urgence au-delà de quatre semaines. Or je l'ai trouvé particulièrement maigre – j'en ai parlé tout à l'heure. Que dit-il ? Il se réfère à la note d'alerte du 22 septembre, selon laquelle des mesures « adaptées » et « proportionnées » territorialement devaient être préférées à l'état d'urgence et à un confinement national, qui n'apparaissaient alors pas nécessaires.
Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ? Nous sommes là pour entendre les arguments qui justifient l'adoption brutale de mesures privatives de liberté, car celles-ci nous semblent disproportionnées par rapport à la situation sanitaire.
Je ne suis quant à moi ni médecin ni épidémiologiste, mais je pratique un petit peu le droit. J'entends des discussions sur la nature et la dérive éventuelle du principe de l'État de droit, mais j'ai du mal à percevoir où se situe cette dérive. Le droit est composé de contenus, véhiculés par des procédures que les institutions sont chargées de faire respecter. Or ce que disent les textes de notre droit positif, c'est qu'au-delà d'un mois, la prorogation de l'état d'urgence doit être validée par le Parlement. C'est bien ce que nous sommes en train de faire !
Pour construire la loi, nous nous fondons sur les avis d'institutions dont la renommée n'est plus à faire, le Conseil d'État ou le Conseil constitutionnel ; ils nous disent que les mesures prévues sont appropriées et proportionnées, et que l'état d'urgence est indispensable pour décider notamment du couvre-feu, dont tous, dans le monde médical, s'accordent à dire qu'il est bénéfique pour faire face aux difficultés rencontrées.
Le projet de loi comporte diverses habilitations, type de texte prévu par l'article 38 de la Constitution et qui permet au Gouvernement de prendre des mesures par voie d'ordonnances. Elles sont limitées dans le temps et par domaine, et doivent par la suite faire l'objet d'une loi de ratification. Les mesures sont prises sous le contrôle du Conseil constitutionnel quand elles sont législatives, et du Conseil d'État lorsqu'elles sont réglementaires ; par ailleurs, le procureur de la République est informé des mesures individuelles qui sont prises. Je ne vois pas en quoi l'État de droit serait affecté par les dispositions formelles qui sont ici débattues.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
L'article 1er est adopté.
Il propose une méthode pour décider de l'état d'urgence sanitaire. Nous pensons que l'instauration d'un tel régime doit se faire dans le cadre parlementaire, devant la représentation nationale, au lieu d'une consultation qui intervienne après coup, une fois le décret pris par le Premier ministre. En effet, si nous devons prendre la responsabilité de restreindre à ce point les libertés et de donner au Gouvernement des pouvoirs exorbitants, nous ne pouvons le faire a posteriori.
C'est le sens de cet amendement, qui propose un dispositif nous permettant de réagir promptement à la situation. Il vise à renforcer les garanties démocratiques de l'état d'urgence sanitaire, qui est un état d'exception. Ainsi, il devrait être par principe déclaré à la suite d'un vote à l'Assemblée nationale et au Sénat autorisant le Gouvernement à l'instituer. Le vote pourrait également avoir lieu par la réunion d'un quorum représentatif des forces politiques des deux chambres. Pour être renouvelé, l'état d'urgence sanitaire devrait en outre faire l'objet d'un vote du Parlement douze jours – et non un mois, comme c'est prévu actuellement – après son entrée en vigueur. Le dispositif serait ainsi mieux encadré, mais resterait réactif face à la crise.
Il est catégoriquement défavorable. L'adoption de votre amendement conduirait à entraver totalement la capacité et la réactivité de l'exécutif à réagir en période de crise sanitaire. Le Gouvernement est suffisamment contrôlé ; nous en sommes au cinquième projet de loi et un sixième devrait arriver en janvier.
Défavorable, pour les mêmes raisons.
J'entends dans la proposition de notre collègue Danièle Obono la volonté de définir un cadre plus pérenne concernant l'état d'urgence sanitaire.
C'est parfait puisque, comme vous le savez, nous débattrons dès le début de l'année 2021 d'un texte qui nous permettra de définir ce cadre tous ensemble et d'activer l'état d'urgence sanitaire dans d'autres conditions que celles ayant cours aujourd'hui, comme c'est le cas pour l'état d'urgence sécuritaire. J'espère qu'en toute cohérence, vous le voterez.
Je me satisfais au moins que vous entendiez le fond de nos arguments, et que vous compreniez qu'il s'agit de propositions susceptibles de sécuriser l'ensemble des mesures visées.
Je vous rappelle que depuis désormais plus de neuf mois, nous avons été appelés à nous prononcer sur plusieurs textes ; je crois que le recul nous permet d'avoir conscience des difficultés que posent l'accumulation législative et le manque d'anticipation.
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'attendre janvier pour mettre à niveau l'état d'urgence sanitaire. Notre proposition, si elle était adoptée, permettrait d'instaurer un cadre de plus grande confiance et de plus grande responsabilité, à la fois pour le Gouvernement et pour la représentation nationale. Pourquoi repousser en janvier ce que l'on peut faire maintenant, et qui permettrait de rendre le projet de loi plus acceptable ?
Nous continuerons à défendre ces propositions, comme nous le faisons depuis le début de la crise, mais votre intervention va plutôt dans notre sens ; elle devrait conduire à adopter notre amendement, plutôt que de repousser la décision à plus tard, alors que l'avenir est très incertain et que la crise pourrait s'aggraver. Autant sécuriser le dispositif dès maintenant.
Le débat est intéressant ; il souligne notre volonté commune d'unité nationale, rappelée précédemment par M. le ministre. Je ne pense pas que le dispositif proposé par Mme Obono soit bon ; en revanche, il contribue à la réflexion que nous devons mener pour parvenir à la construction d'un état d'urgence dans lequel la volonté d'unité nationale ne soit pas qu'un discours permettant de se concilier les bancs de notre hémicycle, mais bien un outil de management et de gestion de la crise.
On ne peut pas discuter de la prolongation de l'état d'urgence sanitaire dans de telles conditions, sans connaître les intentions du Gouvernement et le processus de gradation qu'il compte mettre en oeuvre. Nous vous le disons depuis l'examen du texte en commission : sur le plan juridique, l'état d'urgence a été déclenché trop tôt, parce que les mesures prises jusqu'à présent auraient pu l'être sans avoir besoin de recourir à un état d'exception juridique. Son déclenchement précipité nous conduit aujourd'hui à discuter de sa prolongation, alors que celle-ci autorisera le Gouvernement à prendre des mesures qu'il ne souhaite pas encore mettre sur la table.
Quand on veut construire avec le Parlement et les Français un dialogue qui permette l'unité nationale, il faut tout mettre sur la table dès le départ. Il faut nous dire dès aujourd'hui jusqu'où vous entendez aller, jusqu'où vous êtes prêts à aller et quelles seront les éventuelles lignes rouges.
C'est seulement cette transparence qui vous donnera la confiance des Français et de la représentation nationale et qui vous permettra d'avoir l'unité nationale que vous souhaitez tant.
L'amendement no 87 n'est pas adopté.
Je peux présenter les amendements nos 68 et 69 en même temps, madame la présidente, mais l'amendement no 70 traite vraiment d'un autre sujet.
Ces amendements nos 68 et 69 visent à rendre le contrôle du Parlement plus effectif.
Dans le premier, nous demandons que l'Assemblée nationale et le Sénat soient informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement. Nous proposons d'aligner le contrôle parlementaire sur le régime de l'état d'urgence prévu par la loi du 3 avril 1955, modifiée par la loi du 31 juillet 2016.
Les autorités administratives seraient ainsi tenues de communiquer aux assemblées parlementaires tous les actes pris sur le fondement de l'urgence sanitaire.
Lors de nos travaux en commission des lois, la présidente nous a indiqué que le Gouvernement faisait de nombreuses communications au Parlement, notamment par l'intermédiaire d'un site internet. Tout cela est quand même très indirect. Il vaudrait mieux que ce soit beaucoup plus clair et que nous soyons vraiment informés.
Dans l'amendement no 69 , nous demandons que toute prorogation soit subordonnée à la présentation par le Gouvernement d'un rapport au Parlement établissant l'impérieuse nécessité de cette mesure.
Vous venez de nous indiquer que toute prorogation à l'initiative du Gouvernement donnerait lieu à un projet de loi, et donc à un rapport. Cependant, comme nous voyons souvent le Gouvernement s'affranchir de toute communication utile au Parlement, il nous semble que cela va beaucoup mieux en le disant clairement.
Concernant l'amendement no 68 , j'indique que lorsqu'elle mentionne les autorités administratives, la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence fait référence au ministère de l'intérieur et aux préfets.
Dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, votre amendement est satisfait puisque le ministère de l'intérieur centralise d'ores et déjà l'ensemble des actes préfectoraux. Une synthèse, sous la forme d'un rapport d'étape hebdomadaire, est également publiée sur le site internet de l'Assemblée, comme l'avait précisé la présidente de la commission. Je suis défavorable à cet amendement.
J'émets également un avis défavorable à l'amendement no 69 , car je pense qu'il faut laisser de la souplesse au dispositif, d'autant qu'il reste strictement encadré. Quant à l'impérieuse nécessité d'une telle prorogation, je vous renvoie à l'avis du Conseil scientifique, qui est parfaitement clair sur la question.
Même avis.
Nous allons soutenir l'amendement no 69 de notre collègue Pau-Langevin.
Madame la ministre, vous dites que le Gouvernement entend respecter le Parlement et ses prérogatives au maximum, que le contrôle démocratique de celui-ci sur l'action de l'exécutif est légitime et que l'état d'urgence sanitaire est une mesure grave au plan des libertés publiques.
Si vous êtes sincère en disant cela, alors vous devez donner un avis favorable à cet amendement, qui vise à faire en sorte que chaque parlementaire soit éclairé sur l'objectif et l'efficacité du dispositif d'état d'urgence avant sa prolongation éventuelle ; Cela me semble même être du pur bon sens.
Tous les collègues ici présents devraient être d'accord avec l'objet de cet amendement.
Madame la ministre, les amendements de Mme Pau-Langevin correspondent exactement à ce que vous aviez voté – que nous avions voté – en 2016. Exactement !
Je ne sais pas si nous nous sommes trompés en 2016, …
Probablement !
… mais j'ai le sentiment que vous vous trompez en 2020.
Penser un seul instant que l'urgence sanitaire exige davantage de vacance de l'Assemblée que l'état de crise dû au terrorisme, c'est une vue de l'esprit que je ne partage pas.
Pour ma part, je pense qu'il est nécessaire de prévoir certains dispositifs. Je me range derrière ce que vous et d'autres aviez vraisemblablement fait valoir en 2016 pour que nous adoptions ce dispositif.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
L'argument de notre collègue est très intéressant : ceux qui siégeaient à l'époque sur les mêmes bancs pourront s'y retrouver.
En dehors de cet élément, je crois que le Gouvernement commet une erreur.
Nous pouvons avoir des divergences sur les mesures à prendre – ce n'est pas nécessairement le cas, vous l'avez compris. Nous pouvons avoir de vraies divergences sur les fondements juridiques – et je maintiens que c'est une vraie question dans une enceinte comme celle-ci.
Souhaiter écarter le Parlement, c'est commettre une erreur de stratégie. Je ne dis pas que le Parlement n'a jamais été réuni, ce serait excessif, mais pourquoi vouloir opposer les pouvoirs exécutif et législatif en matière de gestion de la crise ?
Nous avons l'impression que le Gouvernement est du côté des sachants : il y a la vérité scientifique dont découlent des mesures qui s'imposent à nous. Mais non ! Les mesures peuvent, parce que les faits sont têtus, parfois s'imposer à nous, mais le propre du politique est de pouvoir aussi tenter de prendre d'autres approches, parfois complémentaires.
C'est en ce sens que nous – vous, l'exécutif, et nous, le législatif – devons être complémentaires. Avoir des informations sur un site, c'est bien ; pouvoir les exploiter et les mettre en perspective, c'est quand même mieux ! Pourquoi voudriez-vous que la représentation nationale soit nécessairement l'ennemi de l'exécutif, du Gouvernement, quand l'intérêt national est en jeu ?
Vous faites une profonde erreur de stratégie, qui nuit clairement à l'unité nationale et à l'acceptabilité des décisions que vous prenez. Nous pourrions travailler davantage ensemble. Voilà ce que nous revendiquons dans l'intérêt des Françaises et des Français, dans l'intérêt de la nation – je le dis avec gravité.
Il est tout à fait intéressant que les débats soient plus apaisés pour qu'ils soient audibles. Je remercie donc les collègues qui insistent à ce point sur l'unité et le besoin de dialogue, car c'est absolument fondamental.
J'aimerais rectifier une petite erreur commise par l'un de nos collègues : la première fois, l'état d'urgence n'a pas été promulgué pour quatre mois, …
… mais pour deux mois avant d'être prolongé d'autant – et nous nous étions réunis pour débattre de cette prolongation. Pourquoi faut-il cette fois que, suite au décret qui a été pris, nous soyons mis devant un état d'urgence aussi long ?
La parole est à Mme la présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Je souhaite apporter quelques précisions. Quand nous avons créé ce régime d'état d'urgence sanitaire, nous avions pensé qu'il fallait que le Gouvernement puisse agir très rapidement. D'où l'intérêt de prendre un décret permettant d'agir en vingt-quatre heures si besoin, avec un passage devant le Parlement dans un délai très bref, qui a été fixé à un mois.
C'est ce que nous faisons.
Dans le régime prévu par la loi de 1955, le Parlement proroge à loisir l'état d'urgence, en fonction des durées qu'il détermine. C'est ce que nous faisons.
Entre 2015 et 2017, il y a eu des prorogations de trois mois, mais certaines ont duré jusqu'à huit mois…
… en fonction des circonstances et de l'état de la menace terroriste à cette époque.
Nous sommes là pour délibérer de cette durée. Le Gouvernement pense que le régime d'état d'urgence sanitaire doit aller jusqu'au mois de février. Je ne crois pas qu'il soit utile d'avoir un délai fixe – d'un, deux ou trois mois – parce que, précisément, il faut que le Parlement puisse délibérer en toute liberté et latitude en fonction de la situation, et adapter la durée de prorogation. Avoir un délai fixe serait donc une erreur.
En ce qui concerne les actes, nous avions également prévu dans la loi que l'information du Parlement se ferait sans délai. C'est dans la loi qui fixe le cadre de l'état d'urgence – l'amendement de Mme Pau-Langevin est donc superflu.
À l'intention de M. Habib, j'indique que les actes dont la transmission est prévue par la loi de 1955 sont des actes individuels : perquisitions administratives, assignations à résidence. Il s'agit ici d'actes collectifs pris par les préfets, qui se comptent donc par milliers.
À l'époque, nous avions décidé que le Gouvernement informerait immédiatement, sans délai, le Parlement, et que ce dernier ferait une synthèse destinée à être publiée. Afin de ne pas provoquer une embolie du système, nous avions convenu qu'il ne fallait pas une transmission de chaque acte, sachant qu'il y en aurait des milliers. C'est la raison pour laquelle nous avions fait ce choix.
En tout cas, je ne peux pas laisser dire que le Parlement n'effectue pas son contrôle. Comme Sacha Houlié l'a rappelé, le Parlement est continuellement saisi, nous délibérons, et le ministre s'est encore expliqué pendant plus de deux heures devant la commission des lois il y a deux jours. S'il faut auditionner de nouveau le ministre sur l'application de l'état d'urgence, j'accéderai à cette demande, ainsi que j'en ai pris l'engagement auprès de M. Gosselin.
Le contrôle du Parlement est donc bien vivant, ce qui est tout à notre honneur.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour soutenir l'amendement no 70 .
Cet amendement pose le problème de la liberté de manifestation. En démocratie, même l'existence d'une crise sanitaire grave ne suffit pas à justifier l'interdiction de manifester. Or, l'an dernier, les rassemblements de plus de dix personnes ont été interdits sur la voie publique jusqu'au mois de juin, date à laquelle le Conseil d'État a suspendu ces restrictions concernant les manifestations sur la voie publique.
Nous proposons que le nouveau texte prévoie que le Gouvernement puisse réglementer, mais pas limiter ou interdire ces manifestations, ce qui serait contraire aux principes démocratiques.
Dimanche dernier, après l'émotion vive suscitée par le drame de Conflans-Sainte-Honorine, nous étions d'ailleurs très nombreux dans divers endroits en France, y compris sur la place de la République à Paris, à exprimer notre émotion.
Il est normal de pouvoir manifester quand on veut exprimer quelque chose. Que le Gouvernement pose certaines restrictions telles que l'obligation de se tenir à distance les uns des autres ou de porter un masque, c'est normal. En revanche, il ne doit pas limiter ou interdire les manifestations. Amnesty International a d'ailleurs appelé notre attention sur ce point, indiquant que ce n'était pas possible dans un pays démocratique comme le nôtre.
Mon avis est bien sûr défavorable : l'heure n'est pas à l'affaiblissement du dispositif de l'état d'urgence sanitaire. Madame Pau-Langevin, vous avez répondu vous-même à la question : la manifestation d'hommage à M. Samuel Paty a eu lieu, elle n'a pas été interdite.
J'irai dans le même sens que M. le rapporteur, pour vous rappeler que le droit de manifester est bien garanti dans la circulaire du 16 octobre.
À l'appui de l'amendement de Mme Pau-Langevin, je rappelle que le Conseil d'État a retoqué, au mois de juin, des dispositions sur le droit de manifestation.
Il a estimé qu'il ne pouvait pas y avoir, d'un côté, l'autorisation de rassemblements pouvant réunir jusqu'à 5 000 personnes et, de l'autre, une limitation du droit de manifestation et l'obligation d'autorisations spécifiques pour celles réunissant plus de dix personnes. C'est une distorsion dans l'application du droit.
Un événement malheureux nous en a fourni un exemple dimanche. Des rassemblements en hommage à Samuel Paty ont eu lieu dans toute la France et à Paris où nous étions nombreux, en présence du Premier ministre. Il y en aura d'autres, notamment au moment de la rentrée scolaire.
Le préfet de police avait dit qu'il n'interdirait pas le rassemblement de dimanche sur la place de la République, mais qu'il pourrait en interdire un autre portant sur un autre sujet. Non, la liberté de manifester ne fonctionne pas comme ça ; elle doit être garantie pour toutes les causes, en respectant bien sûr les règles sanitaires.
Je soutiens également cet amendement. Depuis le début de l'état d'urgence sanitaire, les citoyens s'inquiètent pour leurs libertés essentielles et leurs droits fondamentaux, au premier rang desquels figure le droit de manifester. Aujourd'hui, pour être autorisé à manifester à Paris, il faut déclarer une manifestation deux mois à l'avance : c'est un régime extrêmement restrictif.
J'étais dimanche place de la République : tous les manifestants étaient masqués et respectaient les gestes barrière, témoignant d'un grand sens des responsabilités. D'ailleurs, une manifestation en plein air est peu risquée puisque, c'est bien connu, le virus circule moins en extérieur qu'en intérieur.
Soyons attentifs à ne pas limiter une fois de plus les droits de nos concitoyens !
Au fond, nous sommes toutes et tous d'accord. Le décret du 16 octobre prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire sacralise le droit de manifester, qu'il n'est évidemment pas question de remettre en cause aujourd'hui – je tiens à le dire de la manière la plus claire.
La manifestation du 18 octobre, à laquelle nous avons tous participé, a pu avoir lieu malgré l'état d'urgence sanitaire entré en vigueur le 17 octobre : c'est bien la preuve qu'il n'y a pas d'interdiction. Les manifestations de plus de dix personnes n'entrent pas dans la liste des manifestations interdites. Je le répète, le droit de manifester est sacralisé.
Je rappelle, en outre, que l'application des différentes dispositions de l'état d'urgence sanitaire est soumise au principe de proportionnalité, conformément à l'article L3131-15 du code de la santé publique. Le Conseil d'État et le juge des référés l'ont eux-mêmes souligné. Supprimer la possibilité d'une interdiction ne serait pas opportun, car celle-ci peut s'avérer nécessaire dans certaines circonstances exceptionnelles. Néanmoins, le principe qui prévaut est l'autorisation. L'interdiction est l'exception.
S'il s'agit de témoigner de notre attachement ferme et profond à la liberté de manifester, il ne fait pas de doute qu'il est ici unanimement partagé. Reste que la rédaction proposée par l'amendement no 70 est problématique, puisqu'il tend à remplacer les mots « limiter ou interdire » par « réglementer ». Or réglementer revient à apporter des restrictions par des mesures réglementaires, et donc des limites au droit de manifester. Cette rédaction serait donc redondante.
Je voudrais revenir, à l'occasion de cet amendement, sur l'argumentation développée par Mme la présidente de la commission des lois au sujet des deux précédents amendements.
Madame Braun-Pivet, pour justifier l'absence de date limite à la prorogation de l'état d'urgence sanitaire, vous faites le parallèle avec l'état d'urgence sécuritaire lié à la menace terroriste et vous soulignez que, de toute façon, c'est le Parlement qui décide in fine de la prorogation. Certes, mais sur saisine de l'exécutif !
La distinction entre les deux types d'état d'urgence est absolument nécessaire. C'est si vrai que nous serons saisis en janvier d'un projet de loi visant à pérenniser le régime juridique de l'état d'urgence sanitaire.
Cet amendement sur le droit de manifester est dès lors parfaitement compréhensible. Le droit de manifester doit être appréhendé de manière différente selon que l'état d'urgence est sécuritaire ou sanitaire. Les mesures prises dans l'un ou l'autre de ces régimes ne sont évidemment pas de même nature.
Quant à l'argument de Mme Avia selon lequel le droit de manifester serait protégé par le décret du 16 octobre, pardonnez-moi de rappeler que ce droit fondamental relève avant tout du domaine législatif. L'inscrire dans le marbre de la loi est indispensable, y compris pour sécuriser le décret.
Madame la présidente de la commission des lois, la loi du 23 mars 2020 pour faire face à l'épidémie de covid-19 s'inspire en effet de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence – une loi qui peut être qualifiée, il est vrai, de « sécuritaire » – , mais comparaison n'est pas raison. Les effets et les dispositions qui découlent de ces textes sont différents, d'où l'évaluation que nous allons bientôt conduire ensemble afin de construire un cadre pérenne pour l'état d'urgence sanitaire.
Permettez-moi d'être un peu taquin, madame la ministre. Vous avez dit que le droit de manifester était inscrit dans la circulaire du 16 octobre. C'est donc une circulaire qui assure désormais le respect de nos libertés fondamentales ! Il y a de quoi s'inquiéter du respect de la hiérarchie des normes et de l'état de droit. Sans doute s'agissait-il d'une erreur de votre part…
Les déclarations faites devant nous en avril et en mai 2020 ne souffraient quant à elles d'aucune erreur possible : le Gouvernement nous a demandé de lui faire confiance et nous a assurés qu'il n'était pas liberticide et qu'il resterait vigilant. Soit, mais le Conseil d'État est intervenu à deux reprises au sujet de la liberté de manifestation : le 13 juin, en suspendant l'interdiction générale et absolue de manifester – excusez du peu ! – ; le 6 juillet, en suspendant le décret imposant un régime d'autorisation préalable pour l'organisation de toute manifestation sur la voie publique. Preuve qu'il convient d'être prudent !
L'amendement no 70 n'est pas adopté.
La parole est à Mme George Pau-Langevin, pour soutenir l'amendement no 103 .
Il concerne un autre sujet de préoccupation, dont je sais qu'il inquiète les députés sur tous les bancs : l'avenir du spectacle vivant et du monde de la culture dans le contexte de la pandémie. Depuis le mois de mars, les salles de spectacle et les professionnels de la culture sont en grande difficulté. Les problèmes commençaient à s'éloigner quand le couvre-feu a été décrété. Les théâtres avaient pris des mesures pour assurer la distanciation physique entre les spectateurs. Nous pouvions continuer d'avoir une vie culturelle sans remettre en cause la sécurité sanitaire. Avec le couvre-feu, un nouveau coup de massue a été porté aux salles de spectacle.
Cet amendement demande qu'une exception soit faite pour les salles de spectacle et les cinémas et qu'ils puissent demeurer ouverts lorsque le spectacle commence avant l'heure d'interdiction de circulation. Sans cela, c'est la mort assurée ! En tout état de cause, un couvre-feu aussi restrictif est-il réellement justifié ?
Afin que le couvre-feu soit efficace, et il faut qu'il le soit, nous n'avons plus le choix : nous devons appliquer une règle claire et parfaitement intelligible. Le Gouvernement a fait le choix de ne pas autoriser de dérogations : il s'agit d'une décision cohérente, même si je comprends le désarroi des acteurs culturels. Je me félicite donc de l'annonce, jeudi dernier, par la ministre de la culture, du déblocage d'une aide supplémentaire de 115 millions d'euros pour le spectacle vivant et le cinéma.
D'autres secteurs pourraient être tentés de demander une dérogation – M. Marleix a déposé un amendement pour la restauration – et verront également leur demande rejetée. Avis défavorable.
Avis défavorable.
L'amendement no 70 , déposé à l'initiative de notre collègue Michèle Victory, mérite toute notre attention. Il y a quelques jours, la ministre de la culture a elle-même fait savoir qu'elle était favorable à des dispositions dérogatoires pour le secteur culturel, afin que les Françaises et les Français qui se rendraient à un spectacle musical ou théâtral puissent dépasser l'heure fatidique du couvre-feu.
Depuis de nombreux mois, les acteurs du monde de la culture sont frappés de plein fouet par la crise sanitaire, qui les a plongés dans une crise économique d'une intensité extrême. Il y a fort à parier que des petites salles de spectacle et de théâtre seront obligées de fermer dans un avenir proche. Les conséquences de la crise sanitaire pour l'écosystème de la culture sont très négatives.
L'amendement déposé par notre collègue Olivier Marleix, brièvement évoqué par le rapporteur, demande également une dérogation au couvre-feu pour les clients des restaurants, sur présentation d'un justificatif du restaurateur.
Il est important que la représentation nationale soit au chevet de ces secteurs d'activité essentiels pour notre pays : ils sont essentiels sur le plan économique, mais aussi parce qu'ils incarnent l'esprit français.
Je compatis pleinement avec les professionnels du monde du spectacle et je me suis réjouie pour eux de la dérogation envisagée un temps par Mme Bachelot. Pourtant, après réflexion, je crois qu'une telle dérogation serait profondément inégalitaire. Pourquoi accorder une exception à ceux qui se rendent au théâtre et au cinéma et pas à ceux qui font du sport ou qui assistent à des matchs ?
Comme le rapporteur, je veux saluer les aides supplémentaires accordées par le Gouvernement au spectacle vivant et au cinéma, annoncées par Mme Bachelot lors de la conférence de presse du Premier ministre du 22 octobre, au cours de laquelle l'extension des mesures de couvre-feu a été présentée. Ces 115 millions constituent une aide bienvenue, qui témoigne du soutien accordé par le Gouvernement et la majorité au secteur de la culture, particulièrement touché par l'instauration de l'état d'urgence sanitaire.
Je salue également l'adaptabilité et la réactivité des institutions culturelles et des théâtres de certaines communes depuis une semaine. En adaptant leurs horaires, ils ont pu maintenir leur offre culturelle. Le travail d'adaptation des acteurs culturels, en lien avec le Gouvernement et les collectivités locales, est tout à fait remarquable. Je veux leur dire qu'ils ont tout notre soutien !
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Nous nous réjouissons évidemment des aides accordées au secteur culturel, mais pourquoi stigmatiser une nouvelle fois les acteurs de cette filière économique ? Le spectacle vivant représente 2,3 % du produit intérieur brut – mais qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Pourtant, depuis le début de la crise sanitaire, les professionnels de la culture ont su s'adapter en prenant des précautions en matière de distanciation et de port du masque.
Le Gouvernement ne m'a toujours pas répondu : pourquoi a-t-il imposé aux 67 millions de Français une mesure aussi radicale que le couvre-feu ? Je ne suis jamais à l'aise quand on compare les différentes causes de décès, mais connaissez-vous le nombre de personnes qui se suicident aujourd'hui parce que l'avenir que vous leur préparez est si noir qu'elles décident d'en finir avec la vie ?
Murmures sur les bancs du groupe LaREM.
Les pièces de théâtre et le spectacle vivant permettent de maintenir la lumière en cette période sombre : la lumière dans les salles, mais aussi dans les têtes de nos concitoyens !
Tous d'abord, les Français ne sont pas tous égaux. Dans certains endroits, si vous sortez d'une salle de spectacle, vous êtes chez vous en un quart d'heure. Dans d'autres, il vous faut une heure pour rentrer.
Le monde du spectacle vivant fait énormément d'efforts pour s'adapter. Par conséquent, il ne serait pas incongru d'accompagner un peu ce secteur. Je ne comprends toujours pas pourquoi un billet de train peut servir de laissez-passer pour rentrer chez soi, par exemple si l'arrivée à la gare Montparnasse est prévue à 21h10, alors qu'un billet de salle de spectacle ne peut remplir la même fonction. Je pourrais sans doute en dire autant à propos des restaurants, un sujet sur lequel nous reviendrons tout à l'heure.
Il est possible d'instaurer un régime très strict sans pour autant détruire tous les espaces de sociabilité et de culture dans notre pays. S'il est sans doute plus difficile à mesurer que d'autres, l'état psychologique d'un pays est un indicateur qui doit aussi être pris en considération dans la gestion d'une crise telle que celle que nous traversons.
L'amendement no 103 n'est pas adopté.
Par cet amendement, nous proposons que les contraventions dressées en raison du non-respect des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ne puissent faire l'objet d'une inscription au casier judiciaire.
Nous le répétons depuis plusieurs mois, les contradictions qui existent au sein des différentes consignes et contre-consignes du Gouvernement ont suscité du doute et de la méfiance. Toutefois, la quasi-totalité de la population a suivi les consignes sanitaires un peu cohérentes qui ont émergé, comme le respect du confinement. C'est ce qui a permis le net ralentissement de la propagation du virus et la fin de la première vague.
Malgré ce que l'on a pu entendre ici ou là, ce n'est donc pas en raison d'une prétendue désobéissance ou inconscience de la population que nous sommes aujourd'hui confrontés à une deuxième vague. De notre point de vue, le Gouvernement se trompe lorsqu'il met davantage de moyens au service de la répression des comportements plutôt qu'à celui de la protection de la population. Cet aspect est mis en avant dans certains discours, parfois même de façon discriminatoire puisque, à plusieurs reprises, le Gouvernement s'est félicité que les contrôles aient été plus nombreux dans certains départements alors même qu'aucune raison objective ne justifiait une telle différence de traitement.
Voilà pourquoi nous proposons cette mesure qui nous semble…
De quelles condamnations parle-t-on ? Des violations des prescriptions de l'état d'urgence sanitaire ou du régime transitoire verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours qui peuvent être punies de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende ainsi que d'une peine complémentaire de travail d'intérêt général.
Nous sommes dans le cas de récidives et de violations répétées, donc délibérées, bien loin de la situation que vous décrivez. Rappelons par ailleurs qu'en dépit des protestations habituelles de certains, toutes les juridictions ont validé le principe de cette infraction et de son fonctionnement, qui respecte pleinement les droits de la défense et le principe du contradictoire. Avis défavorable.
Même avis.
L'amendement no 4 n'est pas adopté.
Le débat sur l'article 1er est désormais derrière nous. Si la loi est votée in fine, l'état d'urgence sanitaire, rétabli depuis une semaine, peut être prolongé jusqu'au 16 février 2021. Dont acte. Rien en revanche, ni du point de vue de la situation sanitaire ni du point de vue juridique, ne justifie que dans le même texte, vous nous demandiez à la fois de vous autoriser à prolonger l'état d'urgence sanitaire et de prévoir les mesures dérogatoires au droit commun qui, demain, organiseront la sortie de cet état d'urgence sanitaire.
Lors de la première vague de la covid-19, les députés de mon groupe avaient accepté – comme beaucoup d'autres ici – d'adopter l'état d'urgence sanitaire après en avoir débattu dans des délais très brefs. Les mesures transitoires ont en revanche fait l'objet de textes ultérieurs, parce qu'il a fallu analyser les conséquences, les bienfaits et l'efficacité de telle ou telle disposition restrictive de liberté pour ensuite en débattre une nouvelle fois avant de choisir de les maintenir ou d'y mettre fin.
Telle est la logique d'un texte qui devrait être discuté à partir du mois de janvier, en tout cas avant la sortie de l'état d'urgence sanitaire. Non seulement il est possible de procéder ainsi – c'est d'ailleurs déjà arrivé – , mais c'est même une nécessité démocratique. L'article 2 ne doit donc pas être voté en l'état.
Je m'inscris pleinement dans le sens des propos de M. Brindeau. Nous ne pouvons nous permettre aujourd'hui, alors que nous sommes réunis pour débattre, de valider l'article 2 qui consiste simplement à faire d'une pierre deux coups en nous annonçant déjà très clairement que l'état d'urgence sanitaire sera prolongé de trois mois supplémentaires.
Mais peut-être le Gouvernement a-t-il d'autres intentions. Il est prévu – M. le ministre des solidarités et de la santé l'a d'ailleurs reprécisé lors de son audition en commission – que nous débattions d'un texte en janvier. Je suis bien curieuse – comme vous, j'imagine – d'en connaître le contenu. Mais soyons clairvoyants : ne voudrait-on pas nous faire prendre conscience, dès aujourd'hui, que l'état d'urgence sanitaire sera inscrit définitivement dans le droit commun ? Encore une fois, je m'interroge sur la nécessité du recours à une telle mesure et sur sa proportionnalité au regard de la réalité actuelle de l'épidémie virale en France.
Revenons sur la genèse de l'état d'urgence sanitaire : sa durée initiale était de deux mois, puis elle a été prolongée de deux mois. On a ensuite crée le régime transitoire organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire, qui est en réalité un régime d'état d'urgence dégradé.
Vous nous proposez aujourd'hui de partir d'emblée sur six mois – une mesure que vous justifiez en affirmant que vous parviendrez, à l'issue de cette période, et en y travaillant à partir de janvier, à créer un cadre juridique pérenne pour l'état d'urgence sanitaire.
Or je commence à penser que le mois de janvier ne sera pas le bon moment pour entamer ce type de réflexion. Nous avons en effet discuté de la nécessité de lancer un tel chantier en mars dernier, au moment de la création de l'état d'urgence sanitaire. Nous estimions alors qu'un an plus tard, nous serions sortis de la crise et que nous pourrions avoir un retour d'expérience et légiférer tranquillement afin de créer dans le droit un dispositif pérenne d'état d'urgence sanitaire.
Force est de constater qu'en nous soumettant aujourd'hui ce projet de loi, le Gouvernement considère qu'en janvier, nous ne serons pas sortis de la crise. Or on ne peut légiférer pour créer un dispositif pérenne si l'on est en pleine crise.
Restons donc plutôt dans une logique de gestion de la crise, qui nécessite une mobilisation au jour le jour de chacun, y compris les parlementaires – non pas pour des raisons d'ego ou parce que nous aimons nous retrouver dans l'hémicycle, mais parce que nous sommes le seul vecteur de l'acceptation des restrictions de liberté imposées à nos concitoyens. Le débat porte moins, en effet, sur les mesures elles-mêmes que sur l'adhésion des Français. Comprenez bien que si pendant cinq mois, nous ne débattons pas des mesures prises, leur acceptation par l'opinion publique se réduira progressivement à néant.
Nous demandons la suppression de cet article qui, comme le prouvent les interventions de nos collègues, traduit un mélange de tâtonnement et de précipitation de la part du Gouvernement. Certes, celui-ci nous sollicite – on nous a d'ailleurs souvent répété que le Parlement s'était réuni cinq fois – , mais il ne suffit pas de convoquer le Parlement pour agir de façon démocratique. Demander au Parlement, comme vous le faites, de se lier les mains pendant plusieurs mois ne contribue pas vraiment à la vie démocratique du pays !
Votre projet de loi présente d'ailleurs une contradiction qui déjà été soulignée. Vous indiquez que nous discuterons en janvier de la pérennisation des dispositifs de réponse à l'urgence sanitaire, mais vous prolongez déjà au-delà de cette date certaines dispositions qui permettront à l'exécutif d'avoir toujours la main.
Si vous faites confiance à la représentation nationale pour donner au Gouvernement les moyens d'agir, mais aussi pour prendre des décisions, pour proposer un encadrement et des actions qui permettront de faire face à la crise sanitaire, économique et sociale – car les répercussions ne touchent pas uniquement le secteur de la santé, mais sont bien plus larges – , il faut solliciter le Parlement plus régulièrement et ne pas prévoir une prolongation du régime transitoire. Celle-ci aboutira en effet à l'instauration d'un dispositif législatif visant à pérenniser certaines dispositions donnant à l'exécutif des pouvoirs exorbitants – car c'est bien ce qui est en filigrane de l'article 2. Voilà pourquoi nous demandons sa suppression.
Alors que le projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l'état d'urgence sanitaire a été adopté par l'Assemblée nationale il y a moins d'un mois et qu'il a été retiré précipitamment de l'ordre du jour du Sénat à la veille de son vote, la proclamation d'un nouvel état d'urgence montre l'impréparation du Gouvernement face à cette crise sanitaire.
Comme cela a été dit par différents collègues, le Parlement n'est pas une chambre d'enregistrement…
… et doit pouvoir débattre de ces mesures exceptionnelles et les voter. Une prolongation de la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 1er avril 2021, alors même que le Sénat l'avait limitée au 31 janvier 2021, n'est donc pas acceptable. Voilà pourquoi nous demandons la suppression de cet article.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement no 26 .
Cet article pose plusieurs questions. En faisant cohabiter au sein du même texte deux régimes juridiques, l'état d'urgence sanitaire d'une part et la sortie de l'état d'urgence d'autre part, vous brouillez les cartes. Pourquoi ne pas montrer votre bonne foi en annonçant cette fameuse clause de revoyure dont nous ne cessons de parler depuis ce matin ? Ce serait le bon sens même.
Comment pouvez-vous prévoir, aujourd'hui 24 octobre, la situation qui sera la nôtre en février prochain et a fortiori en avril ? La clause de revoyure me semble nécessaire pour distinguer les deux régimes : l'état d'urgence sanitaire et la sortie de l'état d'urgence sanitaire.
De surcroît, vous ne pouvez continuer à museler le Parlement pendant une période aussi longue. Comprenez bien que les députés – comme les sénateurs, je suppose – ne peuvent accepter de donner un blanc-seing au Gouvernement pour six mois. C'est totalement inenvisageable. Pourquoi ne pas tout bonnement arrêter de siéger ? La situation est incompréhensible pour les Français : alors que nous allons examiner prochainement un projet de loi relatif au séparatisme, des propositions de loi sur la sécurité globale ou sur le renforcement des pouvoirs de la police municipale, pourquoi ne pourrions-nous pas débattre des questions relatives à l'état d'urgence sanitaire ? Cela n'a aucun sens. C'est pourquoi je demande la suppression de l'article 2.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l'amendement no 47 .
Il faut en effet bien voir qu'avec cet article, le projet de loi est une fusée qui, à l'instar des fusées lunaires, comporte deux étages. Elle en a même trois si l'on compte les ordonnances – nous en reparlerons à l'article 4, monsieur le rapporteur.
Le premier étage, ce sont les mesures fortes justifiées par une situation exceptionnelle censée conduire obligatoirement à l'état d'urgence sanitaire. Si nous, Les Républicains, ne contestons pas la réalité de la situation, nous contestons les moyens de droit utilisés en ces circonstances. Admettons ce premier étage et passons le cap qui nous mène jusqu'au 16 février – mais pas du tout : l'article 2 prévoyant la sortie de l'état d'urgence au 1er avril, nous entrons en réalité dans le tunnel de l'état d'urgence pour six mois ! Le Conseil constitutionnel, dans sa fameuse décision du 9 juillet 2020, n'a pas dit autre chose. Il concède que le régime juridique de sortie de l'état d'urgence – celui dont nous débattons à cet article – , c'est de l'état d'urgence dégradé… mais c'en est toujours un, donc toujours un régime d'exception qui doit protéger un objectif à valeur constitutionnelle, celui de la protection de la santé de nos concitoyens, mais qui foule aussi aux pieds des droits fondamentaux tels que la liberté d'aller et de venir, la liberté de culte, la liberté de réunion et d'association, la liberté du commerce, etc. Une telle prorogation mérite donc toute l'attention de notre assemblée. Peut-être faudra-t-il s'y résoudre pour des raisons précises, mais que l'on puisse au moins en débattre ici, en janvier par exemple, selon cette fameuse clause de revoyure. On ne peut pas envisager la sortie en même temps que l'on vote l'état d'urgence sanitaire !
Beaucoup d'arguments en faveur de la suppression de cet article ont été donnés. Je pense, à l'instar de beaucoup de collègues, qu'il y a deux sujets distincts : les mesures relevant de l'état d'urgence à prendre devant la reprise épidémique et la sortie de l'état d'urgence. Mais les mêler dans une même loi, qui plus est alors que le Gouvernement vient d'interrompre la discussion au Sénat de la prorogation du régime transitoire de sortie, apparaît surtout comme une opération politique visant à contourner les difficultés advenues au Sénat en mettant tout dans un nouveau texte. Mais comment peut-on, d'un côté, déclarer qu'il faut s'adapter en permanence à une épidémie sur laquelle nous n'avons pas de visibilité – ce que nous comprenons fort bien – et, de l'autre, nous demander aujourd'hui un chèque en blanc pour les six mois qui viennent ? Nous préférons distinguer la prorogation de l'état d'urgence et celle du régime transitoire de sortie, et que le Gouvernement revienne beaucoup plus souvent devant la représentation nationale pour que nous puissions évaluer la juste proportionnalité de chaque mesure d'exception à chaque étape de la crise.
Non content de nous demander une prorogation de trois mois de l'état d'urgence sanitaire, le Gouvernement en profite pour faire d'une pierre deux coups en nous demandant cette extension jusqu'au 1er avril 2021. Nous contestions à l'époque la nécessité de passer par le biais d'un régime transitoire analogue à un état d'urgence sanitaire qui ne portait pas son nom, indiquant déjà que le régime prévu à l'article L. 3131-1 du code de la santé publique permettait de prendre les mesures proportionnées et suffisantes à la situation. On ne peut donc que s'inquiéter et s'émouvoir des raisons réelles ayant motivé le Gouvernement à proroger ce régime transitoire après le 16 février 2021.
Mettons-nous en alerte, mes chers collègues : allons-nous accepter de signer un chèque en blanc au Gouvernement jusqu'au 1er avril 2021, alors que celui-ci indique clairement dans l'exposé des motifs le but de la manoeuvre : nous faire patienter jusqu'à l'enterrement définitif de notre État de droit dans un nouveau texte qui inclura ces mesures d'exception dans le droit commun ? Souvenez-vous de l'expérience menée par le biologiste Jean Rostand : une grenouille jetée dans une casserole d'eau bouillante fait un bond et s'enfuit, mais quand l'eau froide est chauffée progressivement, la grenouille y reste et finit par mourir ébouillantée.
Le syndrome de la grenouille, c'est bien connu ! L'endormissement, la banalisation !
J'ai une réelle interrogation sur la constitutionnalité même de cet article puisque, comme l'a expliqué notamment Philippe Gosselin, il prévoit des mesures de sortie de l'état d'urgence dérogatoires au droit commun mais qui, par là même, demeurent une forme d'état d'urgence, ce qui fait cohabiter dans le même texte deux régimes d'état d'urgence. Certes, ce n'est pas de manière simultanée puisqu'un régime doit succéder à un autre, mais le principe d'intelligibilité de la loi me semble mis à mal.
Après le raisonnement d'ordre juridique, il y a le raisonnement d'ordre plus politique : pour que le Gouvernement recueille un minimum d'adhésion de la part de nos concitoyens aux mesures de restriction de leurs libertés, encore faut-il que ceux-ci puissent à un moment donné comprendre pourquoi il place deux articles d'application successive dans un même texte quand, lors de la première vague, on avait pu tout à fait démocratiquement débattre d'un nouveau texte après le vote de celui instaurant le premier état d'urgence sanitaire.
Il y a actuellement, je le rappelle, deux commissions d'enquête et une mission d'information en cours à l'Assemblée, et elles exercent leur mission de contrôle ; le Gouvernement informe le Parlement chaque semaine des mesures qu'il prend dans le cadre du régime transitoire et de l'état d'urgence sanitaire ; nous étudions le cinquième projet de loi en huit mois sur cette question ; les ministres sont constamment présents en commission et en séance publique pour rendre compte de leur action – je vous renvoie à l'intervention de tout à l'heure de la présidente de la commission des lois – ; enfin, le Parlement sera également appelé à étudier un sixième texte relatif à la pérennisation des dispositifs de réponse à l'urgence sanitaire en janvier prochain. Le régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire arrivant à échéance le 1er avril prochain, ainsi que nous l'avions prévu dans la loi du 23 mars 2020, il me paraît utile de nous inscrire dans une perspective de moyen terme afin de pouvoir aborder utilement et sereinement cette discussion particulièrement importante et de nous y consacrer pleinement. Le régime transitoire a fait ses preuves pour organiser, cet été, la sortie progressive de l'état d'urgence sanitaire ; il aura vocation, à nouveau, à accompagner la période allant du 17 février au 1er avril.
Enfin, je réfute catégoriquement l'idée selon laquelle la France serait plongée dans un état d'exception sans fin. Des mesures nécessaires et proportionnées sont prises afin de protéger la santé des Français ; elles sont autorisées par le Parlement et ont été validées par le Conseil constitutionnel, par le Conseil d'État et par le Conseil scientifique ; elles sont contrôlées par l'Assemblée nationale ainsi que par le Sénat, qui exercent ainsi leurs prérogatives constitutionnelles, puis par le juge, qui veille à ce que l'ensemble des contraintes fixées par le législateur soient respectées.
Je pense, monsieur Gosselin, que vous avez votre cohérence comme j'ai la mienne.
Mais je vous rappelle que le 1er octobre, notre assemblée a voté ici même un régime transitoire valable jusqu'au 1er avril, ce que vous appelez « l'état d'urgence sanitaire dégradé ». Si la procédure législative avait suivi son cours, nous devrions déjà être en CMP ou en deuxième lecture.
Du fait de la situation malheureusement dramatique, il a fallu prévoir un dispositif plus important, c'est-à-dire la déclaration d'état d'urgence par décret pour un mois, prorogé par voie législative pour trois mois, ce qui fait quatre mois, le reste du temps relevant dudit régime transitoire. Il y aura donc un état d'urgence plus un petit bout d'état d'urgence dégradé, pour reprendre votre formule, mais pas la prorogation d'un état d'urgence dégradé du début à la fin… Je pense que cela revient au même.
Sourires.
Je rappelle tout d'abord que l'article L. 3131 du code de la santé publique ne permet pas à lui seul de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la continuité de la gestion de la crise à la sortie de l'état d'urgence. Ensuite, de même qu'il convient d'appliquer le régime transitoire lorsque la période actuelle sera achevée, rappelons que cette transition pourra avoir lieu avant le 16 février 2021, ce que nous espérons tous, si la situation sanitaire le permet. Il est donc de bonne administration que cette prolongation soit déjà inscrite dans la loi plutôt que de déposer un texte dédié quelques jours avant la fin de l'état d'urgence sanitaire. Vous ne pouvez donc pas, monsieur Cordier, sauf à faire preuve d'incohérence, nous reprocher à la fois d'être dans l'impréparation sur le court terme et dans l'imprévisibilité sur le long terme.
En outre, cette prorogation jusqu'au 1er avril 2021 a reçu un avis favorable du Conseil scientifique le 19 octobre 2020.
Enfin, je rappelle que le régime transitoire n'est pas un blanc-seing donné au Gouvernement : il est régi par les principes de nécessité, de proportionnalité et d'adaptation aux circonstances de lieu et de temps, soumis au contrôle du juge administratif, et il fait l'objet d'une information régulière du Parlement. C'est bien pourquoi, monsieur Brindeau, le Conseil d'État a clairement établi qu'il n'y a pas de problème d'inconstitutionnalité.
Avis défavorable.
Mme la ministre et M. le rapporteur l'ont bien expliqué : notre pays était déjà dans un régime transitoire et, si celui-ci permet, comme son nom l'indique, de passer d'un état à l'autre, il n'en demeure pas moins qu'un virus, une épidémie ne disparaissent hélas pas du jour au lendemain – ce que nous vivons actuellement nous le prouve. C'est bien pourquoi notre pays repasse en état d'urgence sanitaire. On a beaucoup évoqué depuis le début de ce débat notre fonction de représentation des Françaises et des Français. Parmi eux, il y a aussi ceux qui sont aujourd'hui dans les hôpitaux. C'est une situation de crise grave, face à laquelle nous devons être vigilants. J'entends cette petite musique qui résume tout à la question du nombre de places en réanimation, mais cet indicateur ne doit pas être notre boussole : si quelqu'un se retrouve en réanimation, c'est un échec. Il nous faut donc prendre des mesures importantes, malheureusement graves, pour éviter que les gens ne soient malades. La métaphore de la grenouille évoquée par Mme Wonner me rappelle une autre métaphore, celle de la mithridatisation, elle aussi contestable. De toute façon, ce n'est pas parce que la trithérapie a prouvé son efficacité qu'il ne faut plus mettre de préservatif, et la situation actuelle est exactement semblable : il faut éviter que les gens aillent à l'hôpital et, pour ce faire, prendre des décisions graves.
Je terminerai en donnant mon point de vue de médecin – désolé, mais j'en reviens à mon métier de base. J'ai un profond respect pour notre institution et également pour le métier de médecin traitant. Mais si on a un infarctus, appelle-t-on le sien pour savoir si on doit prendre l'ambulance ou l'hélicoptère, s'il faut un stent ou deux et, quinze jours après, s'il faut de nouveau faire une coronarographie ? Bien sûr que non. Il y a un moment donné où on doit réaliser qu'il y a urgence et qu'il faut prendre des décisions rapides et claires. L'état d'urgence ne met pas en cause la liberté du Parlement ! Nous devons tous être conscients que des Français sont en danger ; l'échec total seraient qu'ils se retrouvent tous en réanimation. Protégeons-les !
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe Dem.
Si j'écoute les propos de notre respecté rapporteur, il faut que je me fasse une raison… Le texte adopté ici le 1er octobre et qui aurait dû être débattu devant le Sénat avant son retrait par le Gouvernement prévoyant déjà la date du 1er avril, il en sera ainsi – circulez, il n'y a rien à voir ! Vous le dites de façon plus élégante, monsieur le rapporteur, mais selon la logique qui est la vôtre. Or la vraie logique pour nous ne consiste pas à refuser toute procédure de sortie de l'état d'urgence ni à refuser au Gouvernement les moyens qu'il demande, mais à réaffirmer les droits inaliénables et imprescriptibles du Parlement à débattre d'une situation de crise. En vous accordant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire par le vote de l'article 1er, madame la ministre, la majorité de notre assemblée vous a déjà donné les moyens nécessaires pour faire face à la crise.
Mais en allant jusqu'au 1er avril, nous prolongerions une situation exorbitante du droit commun – un état d'exception – de façon peut-être indue, alors même que nous pourrions le faire, si les circonstances le justifiaient, de façon proportionnée et en responsabilité, en débattant à nouveau en février.
Nous savons travailler rapidement. Ce texte a été présenté en Conseil des ministres mercredi, il a été examiné en commission des lois jeudi, et nous en débattons aujourd'hui en séance publique : on sait le faire ! Pourquoi ne voulez-vous pas réunir le Parlement sur une telle question au mois de janvier ? Ce serait possible et cela permettrait, je le répète, de mieux faire comprendre les enjeux à nos concitoyens et de faciliter l'acceptation de certaines décisions.
Vous indiquez, madame la ministre, que d'après le Conseil d'État, il n'y a pas d'inconstitutionnalité à faire coïncider l'article 1, qui prolonge l'état d'urgence sanitaire, et l'article 2, qui traite du régime faisant suite à ce même état d'urgence, dans le même texte. Le Conseil d'État n'étant pas, jusqu'à preuve du contraire, juge constitutionnel, il reviendra certainement au Conseil constitutionnel d'en décider.
Vous avez également affirmé que rien n'empêcherait, si la situation sanitaire s'améliorait, d'activer les dispositions transitoires prévues à l'article 2 avant le 16 février, c'est-à-dire avant la fin de l'état d'urgence sanitaire. Ce n'est pas vrai : s'il est possible, dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, de lever certaines mesures de restriction, il faudrait en revanche, pour basculer dans le régime transitoire, attendre l'expiration du délai désormais inscrit dans la loi.
Tout cela pour dire que, comme Philippe Gosselin l'a souligné, l'article 2 ne fait qu'instaurer un état d'exception de façon quasi permanente, et ce jusqu'au 1er avril. Dès lors, vous devriez, dans un souci de cohérence – c'était d'ailleurs l'objet d'un des amendements défendus par Jean-Christophe Lagarde – être plus clairs avec nos concitoyens et leur dire que la situation sanitaire ne s'améliorera pas avant le 16 février, que la circulation active du virus se prolongera sans doute jusqu'au mois d'avril et que c'est donc l'état d'urgence sanitaire qui doit être instauré jusqu'à cette échéance. C'est de cette nécessité que nous devrions à nouveau débattre en janvier, lorsque la connaissance de la situation épidémique sera meilleure.
Nombreux sont ceux qui, au cours de la discussion, ont fait part de leur avis de juriste ou de médecin. Je ne suis ni l'une ni l'autre – il est vrai que ce furent pendant longtemps les catégories socioprofessionnelles les plus représentées à l'Assemblée nationale, même si la situation évolue un peu – et surtout, il ne s'agit pas simplement de se positionner en tant qu'expert. De nombreuses controverses existent en effet parmi les juristes, par exemple concernant le statut juridique quelque peu bancal du régime dont nous débattons – certains juristes parlent de « zone grise » – et que vous souhaitez faire revenir par la fenêtre à travers l'article 2. De nombreux débats agitent également les scientifiques sur le virus et son évolution. L'enjeu n'est donc pas, ici, d'opposer les expertises, mais de prendre nos responsabilités en tant que parlementaires, pour juger de l'opportunité de telle ou telle mesure.
Plus nous pourrons le faire ensemble et de manière concertée, plus le pays sera capable de réagir à une situation dont chacun s'accorde à dire qu'elle est changeante. Or ce que vous proposez, c'est de nous priver de cette réactivité : en la donnant au Gouvernement, auquel il faudrait confier les pleins pouvoirs et accorder de vastes prérogatives, vous la retirez au Parlement. Vous ne pouvez pas prétendre le contraire, d'autant que nous ne serions pas démunis, en réalité, si nous n'adoptions pas en l'état le texte qui nous est proposé. Il existe en effet dans le droit commun – pas uniquement à l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, mais également dans d'autres textes – des moyens qui nous permettraient de réagir si cela s'avérait nécessaire.
Il est vrai que plusieurs collègues juristes nous assurent – je m'en félicite – que le Parlement saurait se montrer réactif s'il lui était demandé de se réunir dans les semaines à venir. J'en suis totalement persuadée – c'est la raison pour laquelle j'ai proposé, au nom du groupe Libertés et territoires, la suppression de l'article 2.
Je souhaite néanmoins revenir sur ce que vient de dire notre collègue médecin, pour l'en remercier. Je suis en effet très inquiète de la façon dont nous concevons la santé publique en France. Oui, les médecins traitants sont capables de soigner leurs patients…
… et ils doivent pouvoir tout faire pour éviter que ces derniers soient admis en réanimation.
Je veux donc rassurer les citoyens qui nous regardent – ils sont des milliers, n'en doutez pas une seconde – et leur transmettre un message positif : oui, oui et encore oui au respect des gestes barrières !
Je vous fournirai toutes les références scientifiques montrant que le masque que j'utilise protège beaucoup mieux que le masque chirurgical.
Mais là n'est pas le propos.
Oui, nous pouvons soigner précocement ; oui, nous pouvons éviter que les personnes âgées et les plus vulnérables – qui sont les premières concernées – se retrouvent à l'hôpital ; oui, nous pouvons protéger la population : la médecine, en France, peut faire tout cela.
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Suite de la discussion du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire.
La séance est levée.
La séance est levée à treize heures cinq.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra