Avec ce texte, le Gouvernement nous propose de proroger les quatre premiers articles de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ainsi que l'article 25 de la loi relative au renseignement. La mise en oeuvre de ces dispositions législatives visant à prévenir les actes de terrorisme avait en effet été autorisés jusqu'au 31 décembre 2020, échéance qui se rapproche à grands pas.
Comme l'ont indiqué à plusieurs reprises les membres du groupe Libertés et territoires, cette prorogation strictement encadrée dans le temps paraît justifiée au regard du retard accumulé dans le calendrier parlementaire. Si l'Assemblée nationale, en première lecture, avait ramené la durée de la prorogation à six mois, nous comprenons qu'il soit proposé de revenir à la prolongation initiale d'un an prévue dans le texte du Gouvernement. Par ailleurs, nous sommes soulagés de constater que le Gouvernement et la majorité n'aient pas suivi le Sénat dans sa volonté de pérenniser dans notre droit l'ensemble des mesures de la loi SILT en lieu et place d'une simple prorogation. Nous ne sommes pas favorables à des lois d'exception permanente. Il faut tout de même rappeler que ces mesures permettent au ministère de l'intérieur d'imposer aux personnes sous contrôle direct de l'administration des restrictions comme l'interdiction de quitter leur commune ou des obligations de pointage quotidien au commissariat ou à la gendarmerie, alors que l'application de ces mesures repose sur des critères imprécis et généralement sur des informations provenant de notes blanches. Dès lors, mettons à profit l'année à venir pour effectuer une véritable et nécessaire évaluation des dispositifs de ces deux lois qui ont cherché à donner un fondement légal à des mesures déjà appliquées mais éloignées du juge judiciaire.
Car nous avons des réserves de fond, qui concernent tant cette loi que celle relative au renseignement. Les dispositions contestées ont pu être analysées comme créatrices de zones de non-droit, et l'introduction de l'état d'urgence dans le droit commun s'est accompagnée de tous les vices que cela suppose en matière d'atteinte aux droits humains. Il convient, par exemple, de s'interroger sur le rôle du juge judiciaire dans la mise en oeuvre des mesures de contrôle administratif et de surveillance. Certes, le juge de la détention et des libertés entre en jeu, mais il n'intervient pas avec toutes les prérogatives du juge judiciaire stricto sensu. Notre groupe estime donc qu'il est essentiel de redonner au juge judiciaire toute sa place dans le dispositif.
Nous serons très vigilants en ce qui concerne les dispositions des articles 1 à 4 de la loi du 30 octobre 2017, qui ont permis de sortir de l'état d'urgence en dotant l'autorité de police administrative de pouvoirs spécifiques en matière de prévention d'actes de terrorisme, car elles sont particulièrement sensibles au regard des droits et des libertés individuelles. Au demeurant, rien n'indique qu'elles sont plus utiles et plus efficaces que celles du droit commun.
C'est pourquoi notre groupe estime indispensable que, dans un an, à la fin de la période de prolongation, une évaluation indépendante soit menée, incluant l'impact sur les droits humains de ces mesures dérogatoires au droit commun. Cette évaluation pourrait nourrir le travail de réflexion des députés, qui auront, en définitive, la charge de les reconduire ou non, selon les modalités qu'ils auront définies. Le contrôle du Parlement sur leur application doit pouvoir s'effectuer en toute indépendance, au-delà des seules données fournies par le ministère de l'intérieur – parfois parcellaires, chacun le sait – pour que nous soyons éclairés et que nous puissions prévenir d'éventuelles dérives.
Une demande en ce sens avait d'ailleurs été formulée par la rapporteure spéciale du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, lors de sa visite dans notre pays en 2018 : elle estimait nécessaire de renforcer le contrôle exercé par le Parlement sur les autorités chargées de lutter contre le terrorisme et d'assurer la sécurité nationale. Qu'en est-il ? Une évolution du cadre légal est absolument nécessaire, et notre groupe, le moment venu, y prendra toute sa part.
Concernant la technique de recueil de renseignements dite « algorithmique », dont la prolongation est prévue à l'article 2 du projet de loi, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement demande, elle aussi, un bilan d'application dans le cadre légal mis en place en 2015.
Par ailleurs, la Cour de justice de l'Union européenne a été saisie de plusieurs questions préjudicielles relatives à la conservation de ces données. À l'issue de ces instances, le Gouvernement devra tirer toutes les conséquences des décisions rendues.
En définitive, si le Gouvernement et la majorité ont fait preuve de mesure avec ce projet de loi, espérons qu'ils se souviendront des paroles du président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, dans le Journal du dimanche d'hier : « En tout cas, gardons-nous de sacrifier dans cette lutte les valeurs qui nous différencient fondamentalement de ceux qui nous attaquent, à commencer par le principe de dignité de la personne humaine. » Le groupe Libertés et territoires votera pour ce texte, qui se limite à une prorogation, mais cela ne l'empêchera pas d'être extrêmement vigilant lorsque notre assemblée sera amenée à analyser, dans quelques mois, le fond de ces mesures.