La séance est ouverte.
La séance est ouverte à seize heures.
Il y a trois ans, l'Assemblée nationale adoptait la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT ». Il s'agissait alors de sortir de l'état d'urgence, car il n'avait pas vocation à constituer un état permanent. Il s'agissait aussi de maintenir un niveau très exigeant en matière de sécurité des Français, car la menace restait – elle le reste toujours – prégnante, et la lutte contre le terrorisme, une priorité de l'action du Gouvernement. À cet effet, la loi SILT a créé des outils nouveaux, adaptés, qui ont permis de garantir à la fois l'efficacité de l'action antiterroriste et la préservation des libertés.
Nous avons tous conscience, je le sais, du niveau extrêmement élevé de la menace qui continue de peser sur notre pays. L'attaque terroriste devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, celle de Conflans-Sainte-Honorine et celle de Nice montrent, si c'était encore nécessaire, que nos efforts ne doivent pas se relâcher et que nous devons continuer d'agir avec la plus grande détermination contre le terrorisme. Depuis octobre 2013, vingt attaques ont abouti sur le territoire national. Mais il convient d'ajouter que, depuis 2017, trente-deux attentats ont été déjoués par les services, dont un tout récemment, au début de l'année 2020.
Je saisis donc cette occasion pour saluer le travail efficace de nos services de renseignement, de nos policiers et de nos gendarmes, qui, chaque jour, mènent un travail de terrain exceptionnel pour identifier les menaces, suivre les individus dangereux et mettre en péril leurs projets meurtriers. Grâce à la loi SILT, ces services ont continué de disposer, après la fin de l'état d'urgence de 2017, d'un cadre législatif efficace et adapté à leur action. L'autorité administrative – préfet ou ministère de l'intérieur, selon les cas – s'est vue reconnaître des compétences nouvelles, strictement proportionnées à l'état de la menace, toujours sous le contrôle du juge et dans le seul but de prévenir les actes terroristes.
Il s'est agi notamment de la possibilité de mettre en place des périmètres de protection pour assurer la sécurité d'un lieu ou d'un événement, de procéder à la fermeture d'un lieu de culte dans lequel se tenaient ou circulaient des idées incitant à des actes terroristes ou faisant leur apologie, d'édicter à l'encontre d'individus présentant une menace caractérisée pour la sécurité et l'ordre public des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance – les MICAS – , enfin de pouvoir solliciter auprès du juge judiciaire l'autorisation de procéder à la visite d'un lieu fréquenté par de tels individus.
L'étude d'impact du présent projet de loi présente dans le détail un premier bilan de l'application de ces mesures. Sans y revenir de manière approfondie, je veux tout de même insister sur l'usage qui a été fait de ces outils nouveaux.
À la date du 13 novembre 2020, 592 périmètres de protection avaient été mis en place et 8 lieux de culte avaient été fermés ; 353 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance avaient été notifiées, dont 63 restent actives à ce jour, et 286 visites domiciliaires avaient été réalisées. Ces dispositions ont toujours été utilisées de manière ciblée et sous le contrôle du juge. Conformément à l'article L. 22-10-1 du code de la sécurité intérieure, instauré par l'article 5 de la loi SILT, le Parlement a été informé sans délai de la mise en oeuvre de chacune de ces dispositions. Il a également été rendu destinataire chaque année d'un rapport d'évaluation sur la mise en oeuvre de la loi.
De la même manière, le Gouvernement a fait un usage raisonné de la technique dite « de l'algorithme ». Ainsi, depuis 2015, trois traitements automatisés ont été autorisés par le Premier ministre, après avis favorable, bien sûr, de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. La délégation parlementaire au renseignement a été rendue destinataire d'un rapport classifié confidentiel défense qui décrit la nature de l'apport opérationnel de ces différents traitements automatisés : chacun d'entre eux a permis de détecter les contacts entre les individus porteurs d'une menace terroriste, d'obtenir des informations sur la localisation d'individus en lien avec cette menace, de mettre à jour des comportements d'individus connus des services de renseignement et nécessitant des investigations plus approfondies, d'améliorer la connaissance des services sur la manière de procéder des individus de la mouvance terroriste.
Les mesures dont il vous est aujourd'hui proposé de prolonger l'application constituent donc des outils opérationnels indispensables pour les services spécialisés de la lutte contre le terrorisme. Ces outils ont été utilisés sous le contrôle attentif du juge judiciaire et du juge administratif, et, pour certains d'entre eux, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement – avis dont le Gouvernement a toujours suivi le sens. Ils font l'objet, vous le savez, d'un échange permanent avec le Parlement, sous forme d'une information en temps réel et d'une évaluation régulière que le Gouvernement a toujours strictement respectée.
Ces dispositifs ont montré toute leur pertinence dans la prévention de la menace terroriste, mais il est important, sur des sujets aussi fondamentaux, qui touchent à l'équilibre entre la liberté des Français et la lutte antiterroriste pour assurer leur sécurité, de pouvoir discuter et améliorer encore les textes. Pérenniser dès à présent ces dispositifs, ce serait manquer l'occasion de les adapter pour qu'ils répondent au mieux aux besoins des services tout en respectant l'équilibre qui a présidé à leur adoption ici même.
Le Gouvernement, dans deux rapports annuels, a rendu compte au Parlement de la mise en oeuvre des mesures de police administrative. Il lui a également adressé, le 30 juin dernier, un rapport sur l'application de la technique de l'algorithme. Préalablement à l'émergence de la crise sanitaire, il envisageait par ailleurs de soumettre au Parlement, avant l'été, un projet de loi permettant d'engager avec vous une discussion sur la mise en oeuvre de ces mesures. Cette discussion aurait aussi été l'occasion de débattre ensemble d'éventuelles adaptations de notre cadre juridique face à l'évolution de la menace ; les services de renseignement y étaient prêts, de même que le ministère de l'intérieur, le ministère des armées et tout le Gouvernement. Mais la mobilisation nationale rendue nécessaire par la gestion de la crise sanitaire y a fait obstacle, le contexte ne permettant pas de tenir un débat de manière sereine dans chacune des chambres du Parlement.
À ce contexte épidémique est venue s'ajouter la décision rendue par la Cour de justice de l'Union européenne le 6 octobre dernier sur le régime de conservation des données par les opérateurs de télécommunications. Les juridictions nationales vont devoir tirer toutes les conséquences de cette jurisprudence européenne. Il nous faudra pouvoir éclairer le Parlement et examiner avec lui les conséquences potentielles qu'il conviendrait d'en tirer dans la législation.
Les sujets dont nous parlons là sont des sujets majeurs pour la sécurité des Français mais qui touchent aussi aux libertés fondamentales ; ils méritent donc d'être discutés avec tous les éclairages nécessaires.
Ainsi, compte tenu de la sensibilité et de la complexité des dispositions, il a semblé opportun au Gouvernement de prévoir une discussion sur la loi SILT au plus tard le 31 juillet 2021 et sur la loi relative au renseignement au plus tard le 31 décembre 2021. En tout état de cause, la prolongation de l'expérimentation ne nous empêche pas, et n'empêche pas les services, de travailler. Les préfets, les forces de sécurité intérieure et les services de renseignement continuent et continueront de se servir des outils qu'ils considèrent, de manière unanime, comme nécessaires à leur action.
La mobilisation du Gouvernement pour lutter contre le terrorisme est très forte. Conscient de la prégnance de cette menace depuis 2017 et à la demande du Président de la République, le Gouvernement a oeuvré avec une très grande détermination au renforcement des différents dispositifs de lutte contre le terrorisme. Nous l'avons fait, avec le soutien du Parlement, en continuant d'augmenter les moyens mis à la disposition des services spécialisés dans la lutte antiterroriste, notamment les services de renseignement. Au total, 1 000 postes supplémentaires ont été créés depuis l'élection du Président de la République. Les budgets d'investissement et de fonctionnement des services ont également fait l'objet d'un effort sans précédent. Ceux de la DGSI – la direction générale de la sécurité intérieure – , par exemple, ont pratiquement doublé depuis 2015.
La lutte contre le terrorisme exige de nous une mobilisation totale. Sous l'autorité du Président de la République et du Premier ministre, forts de l'engagement de l'ensemble des forces de sécurité et des services de renseignement, avec l'appui de la justice, nous mènerons ce combat sans relâche. Nous ne renoncerons jamais à traquer les ennemis de la République qui attaquent par la terreur notre mode de vie et nos valeurs : la laïcité, la liberté d'expression, la liberté de conscience.
C'est en raison de notre exigence d'efficacité, mais également pour que le débat parlementaire soit le plus éclairé possible, que je vous présente, au nom du Gouvernement, ce projet de loi de prorogation. C'est également pour moi l'occasion de remercier, au nom du ministre de l'intérieur Gérald Darmanin et en mon nom propre, les membres de la commission des lois, mais aussi ceux de la délégation parlementaire au renseignement et ceux de la mission d'information commune sur l'évaluation de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, pour la qualité du travail mené en commun depuis plusieurs mois. C'est enfin, pour moi, l'occasion d'exprimer devant vous le souhait que ce travail en commun se poursuive, tant il est important, en matière de lutte antiterroriste, que nous agissions ensemble, dans un esprit de responsabilité.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.
La parole est à M. Didier Paris, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Nous voilà réunis de nouveau pour examiner ce texte qui vise à proroger les effets, d'une part, des mesures de police administrative prévues aux articles 1 à 4 de la loi dite « SILT » du 30 octobre 2017, et, d'autre part, l'usage de la technique de renseignement dite « algorithmique » prévue par la loi du 24 juillet 2015.
Évidemment, le contexte de cette nouvelle lecture est très particulier, juste après les attentats odieux dont ont été victimes Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine puis Vincent Loquès, Simone Barreto Silva et Nadine Devillers à Nice. Comment ne pas avoir une pensée émue pour eux, leurs familles et leurs proches. Et n'oublions pas l'attaque de Vienne, qui prouve, s'il en était besoin, que la lutte antiterroriste n'est pas uniquement française mais bien internationale, au moins européenne.
Le présent projet de loi soulève la question de la valeur de notre arsenal juridique et de notre capacité à lutter contre le terrorisme, quelles qu'en soient les formes – celles-ci étant manifestement en train d'évoluer. À ce stade, le Gouvernement écarte un retour à l'état d'urgence. Le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, nous l'a dit à plusieurs reprises, expliquant très clairement que la menace est forte – vous l'avez aussi souligné, madame la ministre déléguée – mais qu'elle reste diffuse et que rien ne justifierait par conséquent un état d'urgence. Nous devons donc continuer d'agir dans le cadre du droit commun, celui-ci étant complété, à titre provisoire, par les deux textes dont nous envisageons la prorogation.
La vraie question est la suivante : ces dispositifs sont-ils suffisamment solides pour répondre aux enjeux actuels et nous permettre d'attendre le débat parlementaire de fond nécessaire pour les améliorer ?
S'agissant de la loi SILT, la réponse est sans aucun doute positive. Au plan opérationnel, les mesures fonctionnent, manifestement. Il serait de superfétatoire de reprendre les chiffres que vous avez donnés, madame la ministre déléguée, sur les fermetures de lieux de culte, les visites domiciliaires et les périmètres de sécurité. Les mesures fonctionnent également du point de vue des textes : le ministre de l'intérieur a indiqué, lors de son audition devant la commission des lois, que le cadre juridique de la police administrative suffisait pour attendre une loi plus approfondie l'année prochaine.
Il faut aussi rappeler, comme vous l'avez fait, madame la ministre déléguée, que ces mesures font l'objet d'un contrôle parlementaire rigoureux, renforcé sur la base de l'article 5 de la loi SILT. Sur ce point, je me réfère au rapport annuel d'application de nos collègues Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois, Raphaël Gauvain et Éric Ciotti. Ils soulignent régulièrement, lors des réunions de la commission, la qualité et l'efficacité du travail mené par les services de police, ainsi que leur usage parcimonieux et raisonné – les deux adjectifs sont importants – des outils à leur disposition.
Il est clair, en revanche, que nous devons lutter, au-delà des opérations de police, contre l'islam politique, qui combat la République, et organise et arme idéologiquement les auteurs d'attentats. C'est l'objet du projet de loi qui, je crois, sera présenté au conseil des ministres le 9 décembre prochain.
En conséquence, à ce stade, contrairement à la position du Sénat qui visait à pérenniser immédiatement la loi sous réserve de quelques adaptations mineures, nous vous proposons de revenir au texte que nous avions voté en première lecture en prolongeant l'application des mesures de la loi SILT jusqu'au 31 juillet 2021. C'est sans aucun doute une date ambitieuse sur le plan des délais, d'autant plus dans le contexte actuel de pandémie de covid-19, qui bouscule tous nos agendas, mais elle est impérative. Elle doit nous permettre de mener entre nous un vrai débat de fond et sans doute d'améliorer le texte avant d'intégrer définitivement dans notre droit commun des dispositions de cette importance.
Concernant les techniques de renseignement, plus particulièrement les trois techniques dites « algorithmiques » auxquelles Mme la ministre déléguée a fait référence – il s'agit d'une recherche automatisée en temps réel sur des données de téléphones ou de fournisseurs d'accès – , la réponse est identique, même si la temporalité sera différente. L'amélioration du contrôle des échanges de données est, surtout depuis les vagues d'attentats de 2015, un enjeu majeur, d'abord pour remonter les pistes judiciaires – l'exemple du Bataclan est significatif, puisque la saisie d'un téléphone a permis de remonter un certain nombre de pistes – , mais aussi pour détecter des signaux plus ou moins puissants ou plus ou moins faibles de radicalisation, et surtout pour intervenir avant les passages à l'acte, ce qui est absolument fondamental.
Cette lutte passe, bien sûr, par une mobilisation constante des enquêteurs, qui doivent être en nombre suffisant, Mme la ministre déléguée l'a rappelé. Le Premier ministre a tout récemment annoncé le renforcement de PHAROS – la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements.
Elle passe également par une augmentation des capacités d'accès aux données de contact et de contenu ; en ce domaine, nous pouvons nous appuyer sur le rapport d'information « Sécurité nationale et libertés : le cadre juridique du renseignement, aujourd'hui et demain », récemment présenté par Guillaume Larrivé, président de la mission d'information, et nos deux collègues Loïc Kervran et Jean-Michel Mis, rapporteurs.
Il nous faut aussi veiller à l'adaptation de nos systèmes de renseignement ; la contribution de Laurent Nunez, patron de la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, sera déterminante en la matière.
Mais la lutte contre le terrorisme, y compris par l'application de ces méthodes, est rendue particulièrement difficile par plusieurs éléments : l'augmentation de la volumétrie des échanges et des canaux ; le problème du cryptage des messageries, qui sont toujours aussi complexes à « casser », comme on dit ; la dépendance aux réponses des réquisitions adressées aux multiples opérateurs ; enfin, la difficulté de tracer des individus inconnus et non fichés – l'exemple de Nice en est malheureusement l'expression.
Dans ce contexte, comme vous l'avez également dit, madame la ministre déléguée, les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne du 6 octobre, dans l'affaire Privacy International d'une part, et dans les affaires jointes La Quadrature du Net et French Data Network d'autre part, ne sont pas, il faut le reconnaître, sans nous poser une certaine difficulté, en tout cas une difficulté d'analyse. La Cour a en effet jugé que « le droit de l'Union s'oppose à une réglementation nationale imposant à un fournisseur de services de communications électroniques, à des fins de lutte contre les infractions en général ou de sauvegarde de la sécurité nationale, la transmission ou la conservation généralisée et indifférenciée de données relatives au trafic et à la localisation ». Ce point majeur peut nous poser des difficultés, y compris s'agissant de la manière dont le renseignement français sera susceptible d'évoluer dans le futur.
La Cour admet toutefois, et c'est heureux, que « dans des situations dans lesquelles un État membre fait face à une menace grave pour la sécurité nationale qui s'avère réelle et actuelle ou prévisible, celui-ci peut déroger à l'obligation d'assurer la confidentialité des données afférentes aux communications électroniques en imposant, par des mesures législatives, une conservation généralisée et indifférenciée de ces données pour une durée temporellement limitée au strict nécessaire ». C'est bien le cadre dans lequel nous nous trouvons. Elle ajoute : « Une telle ingérence dans les droits fondamentaux doit être assortie de garanties effectives et contrôlées par un juge ou une autorité administrative indépendante. » Nous sommes parfaitement en capacité de répondre à cette exigence légitime de la Cour de justice de l'Union européenne.
Chacun comprendra que ces arrêts devront faire l'objet d'une analyse approfondie avant nos débats, y compris concernant la manière dont le Conseil d'État les interprétera dans les mois à venir, puisqu'ils font suite à des questions prioritaires de constitutionnalité et doivent donc être repris dans notre ordre juridique interne.
S'y ajoute le fait que nous avons encore à nous pencher sur l'amélioration de notre dispositif afin que la technique ne porte pas que sur des individus déjà identifiés – je n'y reviens pas – et qu'elle permette non seulement de savoir qui a communiqué avec qui, ce qui s'avère singulièrement insuffisant dans les conditions actuelles, mais aussi d'accéder au contenu des conversations.
Ces points posent évidemment de nombreuses questions, y compris sur le plan du respect des libertés individuelles, et ne peuvent être tranchés rapidement ou dans des délais trop restreints. C'est la raison pour laquelle le Sénat a prolongé les mesures de la loi de 2015 relative au renseignement jusqu'à la fin de l'année 2021 et que je vous propose de suivre cette position de sagesse.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
J'ai reçu de M. Jean-Luc Mélenchon et des membres du groupe La France insoumise une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Alexis Corbière.
Cela a été dit clairement par Mme la ministre déléguée, nous voilà réunis afin de répondre à la demande de prorogation des mesures de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT ».
Je commencerai par évacuer un argument que nul, je l'espère, n'aura à coeur d'utiliser : la motion de rejet préalable que je défends ne signifie pas que le groupe La France insoumise souhaite désarmer le pays face au terrorisme. Mais nous pensons, précisément parce que la menace terroriste existe, que nous devons prendre le temps d'un débat raisonné, ici au Parlement, quant aux techniques que nous utilisons pour faire face aux actes de terrorisme. Les arguments d'autorité comme ceux qui ont pu nous être opposés depuis 2017 ne sont pas pertinents : il n'y a pas, d'un côté, ceux qui seraient lucides, les vrais défenseurs de la population, et, de l'autre, ceux qui auraient une attitude laxiste.
Je le dis, comme tout à l'heure M. le rapporteur, en ayant au coeur le souvenir de M. Samuel Paty, de Mme Simone Barreto Silva, de Mme Nadine Devillers et de M. Vincent Loquès, tombés récemment. Nous leur devons d'avoir ici une discussion sur la manière dont la République doit se défendre contre ceux qui l'attaquent.
Osons le dire : ces attentats qui ont eu lieu récemment ont été perpétrés alors que la loi dite « SILT » est en vigueur. On pourrait ainsi adopter un raisonnement inverse au vôtre en considérant que, malgré cette loi, présentée comme particulièrement efficace, nous ne sommes pas encore en mesure de nous défendre face à un certain type d'attentats. C'est lié notamment au manque de moyens humains, problème qui sert de fil conducteur aux critiques souvent formulées par La France insoumise.
Dans le cas de « l'affaire » Samuel Paty – si vous me permettez de l'appeler ainsi – , la plateforme PHAROS a manqué cruellement d'effectifs. La personne qui a commis l'attentat y avait été signalée, donc repérée, depuis plusieurs mois. Mais concrètement, dans les faits, seuls trente et un fonctionnaires avaient le devoir de surveiller ce qui se passait sur les réseaux sociaux. Fort heureusement, depuis lors, le ministre de l'intérieur a décidé de recruter cent personnes supplémentaires. On voit bien qu'il y a d'abord un besoin en moyens humains, et ne pas adopter cette loi ne signifierait pas que nous nous désarmerions face au terrorisme. Il existe d'ores et déjà des dispositifs législatifs pour l'affronter ; souvent, ceux qui sont sur le terrain nous disent que ce sont des moyens concrets et un matériel adéquat qui leur font défaut, que l'inflation législative ne répond pas au problème.
L'inflation législative est une réponse politique consistant à dire : « Nos prédécesseurs n'ont rien fait, agissons. » Mais la réalité est plus complexe, bien plus complexe !
Elle mérite davantage qu'une réponse politique et politicienne, qui ne permet pas toujours de traiter le problème de manière adéquate.
Enfin, cette loi comporte des mesures d'exception. Or nous devons avoir à coeur, précisément quand la République est attaquée, de ne pas l'affaiblir. Nous devons éviter de nous-mêmes la caricaturer en la présentant comme une République laxiste, que nous devrions priver de certains de ses principes fondamentaux pour faire face à ceux qui voudraient justement les remettre en cause. Ce n'est pas le moment de douter d'elle.
Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM.
Le texte dont nous discutons s'inscrit dans cette inflation législative, donc dans une continuité : ces trente dernières années, seize lois ont déjà été adoptées contre le terrorisme, auxquelles s'ajoutent trente-deux lois de lutte contre la délinquance. Nous voyons bien que, malgré toutes ces lois, invariablement présentées comme la réponse définitive à nos difficultés, le problème n'est toujours pas réglé.
Quel est alors le problème, lorsque les moyens humains ne suffisent pas ?
Mme la ministre déléguée a par exemple évoqué les périmètres de protection mis en place par les préfets. Or la mission de contrôle et de suivi de la loi SILT, constituée par le Sénat et qui a présenté ses conclusions le 26 février 2020, nous apprend que, faute de moyens, le contrôle des périmètres de protection est souvent confié à des sociétés privées et non à la police ou à la gendarmerie : seuls 12 % d'entre eux sont sous la responsabilité de forces de police. Nous considérons pourtant tous, je crois, que l'intervention de policiers, dont c'est le métier et qui sont qualifiés pour le faire, est préférable à celle de simples agents privés qui, pour des raisons que chacun peut comprendre, n'ont pas les compétences requises pour assurer une sécurité vraiment de qualité.
Autre exemple, une étude nous indique qu'entre 2017 et 2019, sur 149 visites domiciliaires, une seule a permis de déjouer un attentat terroriste – et chacun considère que, dans cet unique cas, le renseignement humain aurait très bien pu parvenir au même résultat, puisque le terroriste potentiel avait consulté un tutoriel sur internet pour apprendre à fabriquer le matériel nécessaire à son acte. Ce dispositif exceptionnel de visites domiciliaires ne nous a en aucune manière apporté de résultats significatifs.
Les techniques de renseignement dites « de l'algorithme », que M. le rapporteur a évoquées, n'ont pas non plus donné de résultats significatifs à ce jour, bien au contraire. Nous nous étonnons donc de la logique du texte que vous nous présentez, consistant à dire : « Ces techniques n'ont pas bien fonctionné, mais il faut aller plus loin pour qu'elles fonctionnent, même si nous ne disposons pas pour le moment d'éléments significatifs permettant de garantir leur efficacité. » En vérité, aucune étude ne nous permet d'établir un bilan à ce stade, mais un article du Monde d'octobre 2019 expliquait, citant une source du ministère de l'intérieur, que, sur cinquante-neuf attentats déjoués, cinquante-huit l'avaient été grâce à l'intervention de sources humaines, et nullement par l'utilisation de ces algorithmes.
Quel triste bilan ! Vous connaissez nos propositions, que je réaffirme à cette tribune : nous sommes favorables à une répression ciblée et surtout à un renforcement du renseignement humain, au développement de l'infiltration, au renforcement des effectifs et à l'amélioration des conditions de travail des forces de l'ordre. Notre doctrine repose sur un triptyque assez simple : prévention, répression, réparation. Nous n'avons cessé de le proposer, notamment en demandant une loi permettant le recrutement de 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires ; je disais aussi à l'instant que nous demandions davantage d'effectifs pour le dispositif PHAROS, et je salue le fait que le ministre de l'intérieur ait fini par prendre la décision qui s'imposait.
Mme la ministre déléguée, vous m'avez interpellé à la suite d'un commentaire que j'ai formulé ce matin à la radio en relation avec ce qui est arrivé à la jeune Mila. Puisque vous êtes en face de moi, j'insiste : l'affaire est certes choquante – je me suis déjà prononcé sur le fond, avec une force telle que je trouve curieux que vous ne l'ayez pas entendu – , mais il faut surtout renforcer le dispositif permettant de sanctionner certaines interventions sur les réseaux sociaux. Je considère que votre rôle de membre du Gouvernement ne consiste pas seulement à nous dire qu'il y a là quelque chose de choquant, ce que l'ensemble des Français approuve ; vous devez montrer que les auteurs de ces menaces sont sanctionnés dans les plus brefs délais, afin de produire un effet dissuasif.
Ce qui est dissuasif, ce ne sont pas les commentaires systématiques d'une ministre déléguée dans les médias ; c'est le fait que les coupables soient châtiés. Plutôt que de médiatiser les affaires, montrons de quelle manière quiconque menace un de nos concitoyens sera réprimé. Soyez convaincue que je me suis prononcé sur le fond, et je n'aime pas – permettez que je vous le dise clairement – que vous sous-entendiez que je ne le fais pas lorsqu'un de nos concitoyens est menacé. Cette sorte de suspicion généralisée, qui vise à faire porter le soupçon sur vos opposants et à en faire les complices d'assassins, n'est pas agréable.
Protestations sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Quel est le rapport avec le texte ?
Restons-en là, si vous le permettez, mais c'est le même sujet ! Ayons, dans ce débat, des attitudes rationnelles.
Quoi qu'il en soit, je considère que, jusqu'à présent, la loi dite SILT n'a pas fait la preuve de son efficacité. Du fait du manque de moyens qui l'accompagnent, le dispositif ne donne pas de résultats réels. Les récents attentats démontrent que nous faisons face à un phénomène très complexe méritant bien plus qu'une surenchère législative, qui a trait y compris aux relations commerciales et diplomatiques que nous entretenons avec certains pays parfois liés à ceux qui nous frappent. Je ne m'étendrai pas davantage à cette tribune, mais nous pourrions imaginer adopter d'autres relations internationales, selon une logique géopolitique différente de celle consistant à vendre des armes à des pays qui, par l'entremise de certaines familles composant leur appareil dirigeant, n'hésitent pas à armer ceux qui viennent nous attaquer.
Je suis donc critique vis-à-vis du présent texte, et la motion de rejet préalable m'a donné l'occasion de le dire. Nous le répéterons d'ailleurs demain : gare à la surenchère législative sur les questions de sécurité, car elle a prouvé son inefficacité ! Les libertés publiques sont des choses importantes ; ne faisons pas croire à nos concitoyens qu'elles sont trop étendues, trop utilisées et pas assez contraintes par la loi, et que c'est en inventant de nouveaux dispositifs législatifs que nous apporterons des réponses. Notre critique de ce texte est dans la ligne de celle que nous manifesterons demain vis-à-vis de la proposition de loi relative à la sécurité globale.
On va restreindre les libertés des Français et empêcher un contrôle citoyen sur le travail de la police, alors que, pour être efficaces, les policiers réclament des moyens humains dans le renseignement et l'infiltration : des hommes et des femmes sachant parler les langues étrangères, comprenant les conversations et étant capables de décoder le sens de tel ou tel propos, voilà ce qui est efficace contre le terrorisme. Voilà pourquoi j'ai défendu cette motion de rejet.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
La parole est à Mme la présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Mon cher collègue, je crois – car nous avons déjà eu ce débat à plusieurs reprises – que vous méconnaissez totalement la loi SILT, les mesures qu'elle comprend et le travail parlementaire effectué en application de cette loi.
Si vous regardiez le travail parlementaire de contrôle, si vous lisiez les comptes rendus réguliers de la commission des lois et le rapport annuel du ministre de l'intérieur sur l'application de la loi SILT, vous verriez que les périmètres de protection nous permettent de protéger les Français au quotidien et d'assurer, lorsque le pays n'est pas en crise sanitaire, la tenue d'événements sportifs, festifs et la sécurisation d'événements internationaux !
Si vous regardiez le travail que nous effectuons, vous verriez qu'un certain nombre de personnes dangereuses font l'objet de MICAS, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, lesquelles n'existent que par l'effet de la loi SILT. Or vous proposez de supprimer ces mesures.
Si vous regardiez le travail que nous effectuons, vous vous rendriez compte que l'action du ministre de l'intérieur, à la suite des horribles attentats des dernières semaines, est utile parce que, précisément, elle s'appuie sur les visites domiciliaires prévues dans la loi SILT !
Si la loi SILT n'existait pas, si ces quatre mesures n'existaient pas, la question aurait pu se poser de repasser à l'état d'urgence prévu dans la loi de 1955. La question ne s'est pas posée parce que nous pouvons appliquer la loi SILT.
Alors que vous prétendez que nous sortons de l'État de droit, toutes ces mesures, sans exception, ont été validées par le Conseil constitutionnel, saisi ab initio en 2017 puis à l'occasion d'une multitude de QPC – questions prioritaires de constitutionnalité.
La loi SILT est utile car elle protège les Français. Vous voulez la supprimer, ce qui serait une erreur gravissime.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Dans les explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à Mme Constance Le Grip.
Le groupe Les Républicains votera résolument contre la motion de rejet préalable que vous avez défendue, monsieur Alexis Corbière, au nom du groupe La France insoumise. Ne vous en déplaise, pour nous, votre motion de rejet préalable est une motion de désarmement de la République.
Certes, vous avez insisté sur l'importance du renseignement humain. Vous avez même, à deux reprises, je crois, insisté sur l'importance de l'infiltration comme méthode de renseignement. C'est à noter car il me semble que c'est une première pour un représentant de votre famille politique – nous aurons peut-être l'occasion d'en reparler dans les jours et les semaines à venir.
Je tiens à rappeler que, pour notre part, nous avons toujours voté pour les lois renforçant l'arsenal de lutte contre le terrorisme. Certes, la loi SILT a montré certaines limites, et nous avions pointé du doigt celles qui nous semblaient importantes s'agissant des assignations à résidence et des perquisitions administratives.
Cela étant, compte tenu de l'intensité et de l'ampleur de la menace terroriste actuelle, cette loi a le mérite d'exister car elle contient, à notre avis, une panoplie d'instruments devant être prorogés. Face à la gravité de la menace qui pèse actuellement sur notre pays, nous voterons résolument contre la motion de rejet préalable.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
Le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés votera contre la motion de rejet préalable car, si nous ne pouvions pas proroger la loi SILT, nous nous retrouverions devant une grande difficulté technique et nous ne pourrions même pas avoir le débat sur le bilan global de ce texte, que vous souhaitez, monsieur Corbière.
Les évaluations en cours permettront de compléter les données partielles dont nous disposons. La prolongation de la loi SILT nous donnera l'occasion d'avoir un débat clair et posé dans cet hémicycle, ce qui nous permettra d'envisager des pistes d'amélioration ou de revoir les mesures qui n'ont pas produit les effets escomptés.
Nous devrons aussi – j'y reviendrai dans la discussion générale – prendre en compte l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, comme l'a indiqué le rapporteur. Nous devons veiller à ne pas commettre d'impair pour ne pas, une nouvelle fois, nous heurter à une difficulté d'ordre constitutionnel à l'occasion d'une QPC.
Pour toutes ces raisons, nous avons besoin de temps. Nous sommes donc par conséquent dans l'obligation de proroger la loi SILT pendant une période courte, afin de pouvoir ensuite poser tous les termes du débat dans l'hémicycle.
Mon cher collègue Corbière, vous avez appelé à un débat raisonné sur les mesures antiterroristes. Il s'impose, en effet : il a eu lieu les années passées, nous l'avons de nouveau maintenant, et c'est très bien qu'il se poursuive.
Le groupe Socialistes et apparentés est d'accord avec vous sur la nécessité d'engager des moyens supplémentaires. Nous regrettons la baisse des effectifs et la suppression du renseignement de terrain, avant 2012. Nous pensons aussi que la justice doit être beaucoup plus réactive et en mesure de répondre dans des délais attendus par les citoyens.
Toutefois, sans céder à la démagogie, nous devons dire qu'aucun dispositif, hélas, ne nous préservera des attentats. Ces tragédies doivent nous conduire à nous interroger sur notre législation et notre réglementation, mais nous ne pouvons conclure à la nécessité de ne pas proroger les dispositions de la loi SILT.
Notre groupe va approuver cette prorogation, qui nous permettra d'avoir un bilan exhaustif, produit par le contrôle parlementaire. Nous pourrons ainsi distinguer les mesures qui peuvent être inscrites dans le droit commun de celles qui sont trop attentatoires aux libertés, par rapport aux objectifs recherchés, pour y figurer.
La motion de rejet nous semblant franchement inutile à ce stade de l'élaboration du texte, elle ne recueillera pas nos voix.
Le groupe Agir ensemble ne votera pas pour la motion de rejet préalable car nous pensons qu'il faut proroger la loi SILT pour assurer la sécurité des Français.
Comme notre collègue Corbière, nous sommes favorables à l'idée d'accroître toujours les moyens humains dans le domaine du renseignement. C'est absolument essentiel, il a raison de le souligner – c'est d'ailleurs ce que fait le Gouvernement, et il va amplifier le mouvement.
Même s'ils doivent encore être améliorés, nous estimons que les trois algorithmes donnent des résultats et participent utilement à l'efficacité de la politique du renseignement. En détectant des contacts entre des individus porteurs de menaces, ils ont permis d'identifier certains d'entre eux.
Nous pensons qu'il faut poursuivre et amplifier le travail. Nous allons donc voter contre cette motion de rejet préalable, en souhaitant entrer dans le vif du débat.
Les questions posées par notre collègue Alexis Corbière ne sont pas illégitimes, même si une motion de rejet n'est sans doute pas adaptée à l'objectif qu'il poursuit.
En cette période de recrudescence de la menace terroriste et même d'attentats meurtriers, nous nous posons sans cesse la question de l'efficacité de notre arsenal de lutte, juridique et matériel. Si l'objectif de notre collègue Corbière était celui-là, je serais même allé jusqu'à être plutôt favorable à sa démarche.
Cependant, je trouve qu'il va un peu vite en disqualifiant certaines mesures de la loi SILT, qui relèvent du dérogatoire et de l'exception. En fait, la vraie question, nous devrons l'avoir à l'issue du délai de prolongation : ces mesures d'exception doivent-elles entrer dans le droit commun ou rester de l'ordre de l'exception ? Il s'agit de trouver un équilibre entre libertés publiques et efficacité de nos dispositifs de lutte contre le terrorisme.
À défaut de prolonger la loi SILT, il faudrait repasser à un état d'urgence sécuritaire. Or la concomitance de deux états d'urgence – sanitaire et sécuritaire – risquerait de poser des problèmes d'ordre constitutionnel.
Estimant qu'il faut donc prolonger les dispositions de la loi SILT, le groupe UDI et indépendants ne votera pas pour la motion de rejet préalable.
Face à la menace terroriste, après les terribles attentats que notre pays a connus – j'ai une pensée pour tous les proches des victimes – , il faut agir fermement. Agir avec fermeté contre le terrorisme demande de le faire dans le respect de la séparation des pouvoirs et en préservant les droits fondamentaux qui constituent le socle de la République. Face au danger terroriste, nous avons besoin d'agir avec efficacité. Or il est demandé à la représentation nationale de proroger cette loi sans évaluation détaillée et complète de nos outils législatifs de lutte contre le terrorisme. C'est pourquoi le groupe GDR votera pour la motion de rejet préalable.
Mon cher collègue Corbière, c'est grâce à la loi SILT que nous ne sommes pas dans un état d'urgence sécuritaire. C'est grâce à cette prorogation que nous avons ce débat dans l'hémicycle, comme nous l'avions déjà eu, comme il a eu lieu au Sénat : le Parlement est donc bien saisi.
Chaque mesure a subi un contrôle du Conseil constitutionnel, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, notamment à la suite de questions prioritaires de constitutionnalité.
Votre motion de rejet préalable est une motion de déni. Vous êtes dans le déni avec vos critiques dogmatiques et votre refus de voir tout le travail accompli. Vous êtes dans le déni parce que les chiffres sont sans équivoque. Vous êtes dans le déni car les effectifs de nos forces de renseignement sont en hausse depuis 2017. La gravité de la situation mériterait de prendre du recul et d'éviter des postures politiciennes.
Le groupe La République en marche votera, bien entendu, contre la motion de rejet.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.
Voilà près de dix ans qu'une guerre de conquête nous a été déclarée, sur notre sol national, par l'ennemi islamiste. En prenant une nouvelle fois la parole dans notre hémicycle, je veux redire combien le nécessaire réarmement juridique et opérationnel de la France doit être conduit avec constance, compétence et sérieux, en refusant de céder à l'outrance et au simplisme.
Je n'ai donc aucune difficulté à approuver ce projet de loi technique, qui n'est qu'un texte de transition. Mais je voudrais surtout, comme président de la mission d'évaluation du cadre juridique des services de renseignement, aux côtés de mes collègues Loïc Kervran et Jean-Michel Mis, indiquer dans quelle direction me semble devoir être préparé sans tarder le futur projet de loi.
Nous devons, en premier lieu, préserver l'architecture française du renseignement, qui a été refondée en deux étapes majeures : d'abord, dès 2007, sous l'impulsion du président Nicolas Sarkozy, avec la création d'une véritable communauté des services de renseignement pilotée à l'Élysée par le coordonnateur national, sous le regard de la délégation parlementaire au renseignement ; ensuite, en 2015, sur l'initiative du chef du gouvernement Manuel Valls, avec la refonte des techniques de renseignement, lesquelles ne peuvent être mobilisées, à la demande d'un service, que par une décision individuelle du Premier ministre, après avis d'une autorité administrative indépendante, la CNCTR – Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Ainsi réorganisés et dûment contrôlés, nos services de renseignement ont démontré leur capacité d'anticipation et d'entrave : depuis cinq ans, la France a certes été frappée, hélas, par vingt attentats, mais ce sont au total soixante et un projets d'attaque qui ont été déjoués depuis 2013, grâce à l'action coordonnée des services. À cet égard, la politique conduite depuis 2017 s'est inscrite dans la continuité des deux quinquennats précédents. J'ai la conviction que cette continuité républicaine et opérationnelle, qui fait l'honneur des partis de gouvernement, doit être poursuivie sans faiblesse.
C'est dans cet esprit, en second lieu, que nous devrons doter nos services des nouveaux moyens juridiques, technologiques et humains indispensables à leur action. Il me paraît urgent que la technique de l'algorithme, que nous nous apprêtons à prolonger, soit rapidement enrichie afin d'être enfin appliquée à internet, en analysant les adresses des sites, c'est-à-dire les URL, et non pas seulement les données téléphoniques. Cette extension aux URL devra également s'appliquer au recueil de données de connexion en temps réel ciblé sur les individus en lien direct avec une menace terroriste, comme les djihadistes sortant de prison. De même, je crois que nous devrons rapidement autoriser nos services à entraîner des systèmes d'intelligence artificielle à partir de données réelles.
Parallèlement, il est vital de continuer à investir dans les ressources humaines du renseignement. La DGSE – direction générale de la sécurité extérieure – a gagné 1 300 agents en dix ans. À la fin du présent quinquennat, 2 000 agents supplémentaires auront rejoint la DGSI – direction générale de la sécurité intérieure. Je me réjouis que les dernières lois de finances aient permis cette première évolution, mais elles devront être complétées : en plus des recrutements d'analystes et de techniciens à la DGSI, nous devrons accroître significativement notre capacité d'infiltration sur le sol national, dans les territoires et les groupes représentant une menace pour la sécurité, à l'instar de ce que certains pays alliés, comme Israël, ont su développer pendant les dernières décennies.
J'en viens à ma troisième et dernière remarque. Nos efforts nationaux pour continuer à accroître l'efficacité de nos services de renseignement seraient vains s'ils étaient affaiblis par les effets néfastes d'une jurisprudence européenne hasardeuse. Dans sa décision du 6 octobre dernier, la Cour de justice de l'Union européenne rend aléatoire et parcellaire la conservation des données de connexion par les opérateurs de télécommunications. Ce faisant, la Cour de Luxembourg fragilise la capacité de nos services à recueillir et à analyser ces données, au risque de les rendre sourds et aveugles. Ce n'est pas acceptable : il paraît indispensable qu'une initiative soit prise au plus haut niveau de l'Union, c'est-à-dire à celui du Conseil européen, afin de rappeler que la sécurité nationale relève de la seule compétence des États, comme le dispose l'article 4 du traité sur l'Union européenne. Nous n'avons pas à transposer en droit français l'arrêt de la CJUE ; nous devrons nous y opposer, dans l'intérêt national.
Dans les circonstances présentes, rien ne doit entraver la capacité de la France à combattre l'ennemi islamiste. Nos services de renseignement sont notre premier rempart pour anticiper et conjurer la menace. Le devoir du Parlement comme du Gouvernement est donc de les conforter sans tarder. Réarmer l'État de droit pour vaincre l'islamisme, c'est le combat de notre génération. Soyons constants et surtout ne perdons pas de temps.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Alors que nous venons de commémorer les attentats du 13 novembre 2015 et que notre pays a été récemment frappé par de nouvelles attaques terroristes, nous mesurons à quel point cette menace est prégnante : elle peut frapper à tout moment et en tout lieu. Nos forces de l'ordre doivent lutter contre un ennemi invisible, mouvant et capable de s'adapter aux mesures prises pour le combattre.
Afin d'y faire face, et consécutivement à la fin de l'état d'urgence, le législateur a adopté, le 30 octobre 2017, plusieurs dispositifs visant à renforcer la sécurité intérieure. De nouvelles dispositions ont enrichi la liste des instruments de lutte contre le terrorisme prévus par le titre II du livre II du code de la sécurité intérieure. Y ont ainsi été insérés quatre nouveaux chapitres, relatifs respectivement aux périmètres de protection, à la fermeture des lieux de culte, aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, et aux visites domiciliaires ainsi qu'aux saisies. Le caractère exceptionnel de ces mesures justifiait qu'elles soient, par nature, temporaires. De ce fait, le Parlement avait limité leur application au 31 décembre 2020.
À travers ce projet de loi, le Gouvernement demande au législateur leur prorogation, car les conditions sanitaires actuelles ne permettent pas au Parlement d'examiner un projet de loi spécifique avant la fin de l'année. Cette prorogation permettrait également d'examiner et d'ajuster les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les MICAS, prévues aux articles L. 228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure.
L'article 1er du texte visait ainsi à proroger ces mesures pour une durée d'un an, que l'Assemblée nationale a ramenée à sept mois. Ce raccourcissement est justifié par le fait que la crise sanitaire ne doit pas repousser plus que de raison le débat essentiel sur la surveillance et la prévention du terrorisme.
De même, l'article 2 du projet de loi a pour objet de proroger les mesures de renseignement insérées à l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure par la loi du 24 juillet 2015. Ces dispositions ouvrent la possibilité d'imposer la mise en place de traitements automatisés destinés à détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste sur les réseaux des opérateurs de communications électroniques et des fournisseurs de services internet, sans toutefois qu'il soit procédé, dans un premier temps, à l'identification des personnes concernées. Cette identification n'est autorisée par le Premier ministre qu'une fois la menace avérée et après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR.
Au-delà de la prorogation de ce texte, les mesures de renseignement qu'il contient nécessiteront un débat devant le Parlement, dans le cadre d'une réforme plus large. Le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés y prendra toute sa part.
Pour l'heure, comme cela a déjà été dit, il nous appartient de tenir compte de la jurisprudence la plus récente de la Cour de justice de l'Union européenne. En effet, dans plusieurs arrêts importants du 6 octobre 2020, celle-ci a confirmé son arrêt dit « Tele2 » de décembre 2016, que j'avais déjà évoqué dans cet hémicycle.
Si le paragraphe 2 de l'article 4 du traité sur l'Union européenne prévoit que l'Union « respecte les fonctions essentielles de l'État » et que « la sécurité nationale relève de la responsabilité de chaque État membre », le droit de l'Union européenne s'oppose à toute réglementation nationale autorisant, à des fins de lutte contre la criminalité, une conservation généralisée et indifférenciée de l'ensemble des données relatives au trafic et des données de localisation de tous les abonnés et utilisateurs de moyens de communication électronique.
Dès lors, la directive du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, interprétée à la lumière de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, demeure applicable, notamment le 1 de son article 15. Celui-ci interdit les réglementations nationales permettant aux autorités d'accéder aux données conservées, si cet accès n'est pas limité aux seules fins de lutte contre la criminalité. Concernant ce dernier point, les arrêts du 6 octobre dernier ont apporté trois précisions qu'il nous appartiendra de respecter.
En premier lieu, la Cour estime que, quand un État membre fait face à une menace grave et réelle – actuelle ou prévisible – pour la sécurité nationale, la directive ne l'empêche pas d'enjoindre aux fournisseurs de service de conserver de manière généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et à la localisation. La Cour précise que la décision prévoyant cette injonction, pour une durée strictement nécessaire, doit alors faire l'objet d'un contrôle effectif par une juridiction ou par une entité administrative indépendante, dont la décision aura un effet contraignant. Cette procédure a pour but de vérifier l'existence de la menace ainsi que le respect des garanties prévues ; dans de telles conditions uniquement, la directive autorise un traitement automatisé des données des utilisateurs de moyens de communication électronique.
En second lieu, la Cour ajoute que la directive de 2002 ne s'oppose pas à des mesures législatives permettant le recours à une conservation ciblée et strictement limitée dans le temps des données relatives au trafic et à la localisation ainsi que des adresses IP attribuées à la source d'une communication, dès lors que se présentent des situations nécessitant une telle conservation au-delà des délais légaux : nécessité d'élucider des infractions pénales graves ou des atteintes à la sécurité nationale constatées ou dont l'existence est raisonnablement soupçonnée.
En troisième et dernier lieu, la Cour estime que la directive de 2002 autorise les législateurs nationaux à imposer aux fournisseurs de services de communication électronique de recueillir certaines données en temps réel, notamment des données relatives au trafic et à la localisation, lorsque ce recueil est limité aux personnes soupçonnées d'être impliquées dans des activités terroristes. Ce recueil doit aussi être soumis au contrôle préalable d'une juridiction ou d'une autorité administrative indépendante.
Telles sont les conditions auxquelles nous serons particulièrement attachés dans le processus de décision à venir.
M. le rapporteur applaudit.
Les dispositions que nous sommes appelés à proroger sont issues respectivement de la loi du 24 juillet 2015, qui a procédé à la refonte des services de renseignement, et de la loi SILT du 30 octobre 2017. Lorsque nous avons introduit ces dispositions, en 2015, dans le cadre de l'état d'urgence, nous les avons voulues temporaires. La loi SILT les a reprises.
Ces mesures permettent l'établissement de périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, ainsi que des visites et des saisies, l'objectif étant de procéder à la surveillance rendue nécessaire par les inquiétudes légitimes au plan sécuritaire. À en croire le rapport de la délégation parlementaire au renseignement, elles ont démontré leur utilité. Elles font l'objet d'un contrôle parlementaire. Nous attendons évidemment qu'un bilan exhaustif en soit dressé pour décider de la suite, après 2021.
Leur prorogation ne soulève pas de difficultés particulières au plan juridique. Elle traduit bien le contexte de menace diffuse qui pèse sur la nation et la nécessité de conserver ces outils à ce stade. Rappelons que le Conseil d'État, dans son avis rendu le 4 mai 2020 sur ce projet de loi, avait conclu que la prorogation n'appelait pas d'observations et relevé que les mesures concernées avaient, depuis leur adoption, été examinées par le Conseil constitutionnel – lequel a rendu deux décisions, en février et mars 2018 – ainsi que par le Conseil d'État lui-même, statuant au contentieux. Les chapitres en débat ont en outre été complétés par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice. Comme le rapporteur l'a souligné, des questions prioritaires de constitutionnalité restent à examiner par le Conseil constitutionnel, dont les conclusions devront, le cas échéant, être intégrées dans le droit positif.
Le désaccord entre le Sénat et l'Assemblée, qui a empêché la commission mixte paritaire d'aboutir à un accord, porte exclusivement sur l'article 1er du projet de loi, c'est-à-dire sur les quatre dispositions dont j'ai déjà parlé – périmètres de protection, etc. L'Assemblée nationale a considéré qu'il s'agissait d'un texte « d'enjambement » – pour reprendre votre mot, monsieur le rapporteur – , soumis au Parlement dans l'attente du projet de fond qui lui sera présenté en 2021. Le Sénat a, au contraire, souhaité pérenniser ces mesures et apporter quelques aménagements ne modifiant pas sensiblement la nature du texte. Dont acte.
Le groupe Socialiste et apparentés, dont j'ai exprimé la position dans mon explication de vote sur la motion de rejet préalable, a fait le choix, depuis la première lecture, de ne pas s'opposer à la prorogation de ces mesures exceptionnelles de lutte contre le terrorisme. Nous serons néanmoins particulièrement vigilants pour la suite, c'est-à-dire lors de l'élaboration de la future loi, qui s'inscrira dans la durée. Nous veillerons évidemment au respect des droits fondamentaux, à ce que l'exception demeure exceptionnelle et à ce que le Parlement reste régulièrement informé de l'application de ce type de mesures et de leur pertinence.
Je conclurai en rappelant que les mesures attentatoires aux libertés ne peuvent demeurer en vigueur trop longtemps et qu'elles ne peuvent s'appliquer que dès lors qu'elles sont strictement proportionnées à l'objectif de lutte contre le terrorisme. Le Parlement se voit consulté aux fins de décider de leur prorogation. S'il aurait certainement été utile d'en produire un bilan, dès lors que leur prolongation est limitée dans le temps, nous ferons preuve de responsabilité et voterons en faveur du texte.
La France est confrontée à la menace du terrorisme islamiste qui pèse sur notre sécurité. Son objectif est bien de frapper jusqu'au coeur de la République : l'école, les enseignants, les policiers, les artistes ou les journalistes, les lieux de culte aussi bien que les lieux de fête – tous ceux qui vivent anonymement et librement leur vie dans notre pays. Au-delà de la violence barbare qu'il exerce, c'est à notre mode de vie et à nos valeurs humanistes et universelles que s'attaque son idéologie mortifère.
Le combat n'est pas nouveau, mais il connaît une intensité qui appelle à redoubler de vigilance et à déployer de manière résolue et durable de nouveaux moyens d'action de l'État. Car le combat sera long ; il sera même difficile. Il exige sang-froid dans l'épreuve et capacité à rester unis en tant que nation. Nous l'emporterons en conservant la force de cette unité et de notre État de droit.
Nous savons, madame la ministre déléguée, combien vous êtes engagée, aux côtés du ministre de l'intérieur, dans le combat pour la République et contre le terrorisme, tous deux, dotés de solides caractères, avec courage et détermination, et avec un cap.
Mme la ministre déléguée s'incline.
C'est en ce sens que vous avez annoncé un projet de loi renforçant la laïcité et les principes républicains, qui sera présenté prochainement en conseil des ministres. Et c'est l'objectif que vous et le ministre de l'intérieur recherchez en donnant à notre administration, particulièrement à nos services de police et de renseignement, les outils nécessaires à la prévention des attaques.
Le Gouvernement est mobilisé depuis le premier jour. Ainsi, sous son impulsion, le législateur a adopté en 2017, à titre temporaire, plusieurs dispositifs de lutte contre le terrorisme. L'article 1er du projet de loi visait initialement à les proroger pour une durée d'un an, ramenée à sept mois par l'Assemblée nationale. Quatre types de mesures sont concernés : les périmètres de protection pour assurer la sécurité des grands événements ; la fermeture de lieux de culte ; les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ; les visites domiciliaires. L'article 2 est, quant à lui, relatif à la technique de renseignement dite « de l'algorithme ».
Nos deux assemblées convergent sur la nécessité de prolonger cette phase d'expérimentation, dans la perspective d'un débat parlementaire plus large sur la réforme de la loi renseignement que nous attendons pour l'année prochaine.
Dans un entretien publié hier, le ministre de l'intérieur évoquait les quatre-vingt-trois détenus condamnés pour terrorisme qui ont déjà été libérés en 2020 et les douze autres qui le seront d'ici à la fin de l'année. Grâce à la loi du 30 octobre 2017 et à sa prorogation, ces individus pourront faire l'objet de mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, ainsi que d'une surveillance par les services, le renseignement pénitentiaire communiquant à la DGSI des notes de signalement en fin d'incarcération concernant les détenus TIS – terroristes islamistes – ou radicalisés. Tous les mois se tient une réunion à fin d'échanges et de coordination afin de dresser un tableau exhaustif des personnes appelées à être libérées.
Par ailleurs, les trois algorithmes, dont l'expérimentation a été décidée par la loi du 24 juillet 2015, dite « loi renseignement », s'avèrent des alliés de taille pour les services. Leurs apports sont en effet majeur dans la lutte contre le terrorisme. Il est de notre responsabilité de sécuriser juridiquement leur usage.
Nos collègues sénateurs souhaitent pérenniser les dispositifs prévus par la loi SILT et repousser au 31 décembre 2021 la durée de validité de la technique de recueil de renseignements dite « de l'algorithme ». Mais si nous voulons tous ici lutter plus efficacement contre le terrorisme, nous devons aussi nous garder de toute décision hâtive. Or la proposition sénatoriale de pérennisation ne répond pas à cette exigence : faire passer dans le droit commun des mesures issues du régime de l'état d'urgence, sans un débat de fond, affaiblirait notre démocratie. Oui, il est fondamental de prolonger l'application des mesures concernées jusqu'au 31 juillet 2021, mais dans la perspective du débat promis par le Gouvernement pour le premier semestre de l'an prochain.
Concernant l'article 2, le Sénat est revenu au texte initial en adoptant la date limite du 31 décembre 2021 ; nos deux chambres se rejoignent sur ce point.
En conclusion, madame la ministre déléguée, je tiens à vous dire, au nom du groupe Agir ensemble, que nous allons voter, en toute responsabilité, en faveur de la prorogation des mesures de la loi SILT et de la loi renseignement, dans la perspective d'un débat de fond, au printemps 2021, sur l'usage de ces dispositifs. Nous serons avec vous pour combattre le terrorisme et l'islamisme politique, pour assurer la sécurité de tous les Français sans distinction d'origine, de conditions sociales, de quartier ou de convictions religieuses.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
La réunion de la commission mixte paritaire sur le présent projet de loi s'est conclue par un échec. Le Sénat souhaitait en effet donner une tout autre envergure au texte. Vu le contexte récent, celui de la recrudescence de la menace terroriste et malheureusement des attentats perpétrés sur notre sol, nous pouvons comprendre sa volonté de pérenniser sans attendre certaines dispositions susceptibles de rendre plus efficace la lutte contre le terrorisme. Cependant, au regard de la crise sanitaire et d'un ordre du jour parlementaire déjà totalement encombré, il ne paraît pas opportun au groupe UDI et indépendants de légiférer dans la précipitation, c'est-à-dire sans un débat approfondi sur de telles dispositions. Il convient de rappeler que les mesures de police administrative ainsi que les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance sont issues de l'état d'urgence sécuritaire décidé sur la base de la loi de 1955. Il n'y aurait donc rien d'anodin à les pérenniser dans le droit commun, ce qui oblige à un examen très consciencieux de la part du législateur.
Le projet de loi en discussion permet de conserver les différentes prérogatives que les lois de 2015 et de 2017 ont mises en oeuvre. Notre arsenal juridique demeure donc pleinement opérationnel.
Cette remarque factuelle ne signifie pourtant pas que nous adhérons à la méthode employée. En effet, depuis 2015, des mesures extrêmement dérogatoires au droit commun sont prorogées sans qu'une discussion réellement approfondie n'ait lieu sur leur bien-fondé ni sur leur opérationnalité, ni même sur leur efficacité. Depuis plus de trois ans, le débat est donc occulté. La crise sanitaire offre un prétexte supplémentaire pour le retarder encore ; il apparaît en effet plus facile pour le Gouvernement, dans un tel contexte, de présenter un projet de loi ne visant qu'à modifier l'échéance d'une expérimentation, que de soumettre au débat parlementaire le respect, si complexe, de l'équilibre entre respect des libertés fondamentales et nécessité de dispositions exceptionnelles et attentatoires aux libertés pour des raisons de sécurité nationale.
Il n'est pas seulement question, contrairement à ce que l'exposé des motifs vise à le faire croire, d'un changement de date motivé par les circonstances exceptionnelles dues à l'épidémie : il nous faut en réalité nous interroger, une fois de plus, sur les prérogatives dont le Parlement se dessaisit au profit de l'exécutif, et la question du contrôle parlementaire se pose également.
Nous avons certes connaissance des différentes missions et travaux effectués. Néanmoins, comme pour l'état d'urgence sanitaire, le Parlement apparaît plus souvent comme un informé passif que comme un intervenant actif dans la construction du droit. En outre, nous nous accoutumons de plus en plus au provisoire qui dure : des mesures censées être temporaires s'intègrent finalement, subrepticement mais sûrement, au droit commun. Les intentions sont toujours bonnes puisqu'il s'agit de la sécurité de nos concitoyens, mais ces bonnes intentions ne doivent pas nous faire perdre de vue qu'à force d'intégrer des dispositions dérogatoires dans le droit ordinaire, nous floutons les frontières entre régime de droit commun et régime d'exception.
La date du 31 juillet prochain, fixée à l'article 1er, nous paraît raisonnable au regard de ce qui la justifie, à savoir l'évolution de la crise sanitaire. Mais nous soulignons qu'il s'agit d'une date butoir et que, par conséquent, le débat parlementaire devra avoir lieu le plus tôt possible.
Concernant l'article 2, nous regrettons que le Gouvernement ait finalement repoussé l'échéance jusqu'au 31 décembre 2021. L'argument tiré de l'arrêt récent de la Cour de justice de l'Union européenne ne nous convainc pas.
Notre groupe ne se prononce pas sur le fond concernant les mesures de la loi relative à la sécurité intérieure et à la lutte contre le terrorisme, mais uniquement sur la nécessité de repousser l'échéance, pour que le débat puisse se dérouler dans les meilleures conditions possibles, qu'il s'agisse du travail parlementaire ou du débat démocratique lui-même, car celui-ci est indispensable lorsqu'il s'agit de mesures susceptibles de restreindre les libertés fondamentales.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
Avec ce texte, le Gouvernement nous propose de proroger les quatre premiers articles de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ainsi que l'article 25 de la loi relative au renseignement. La mise en oeuvre de ces dispositions législatives visant à prévenir les actes de terrorisme avait en effet été autorisés jusqu'au 31 décembre 2020, échéance qui se rapproche à grands pas.
Comme l'ont indiqué à plusieurs reprises les membres du groupe Libertés et territoires, cette prorogation strictement encadrée dans le temps paraît justifiée au regard du retard accumulé dans le calendrier parlementaire. Si l'Assemblée nationale, en première lecture, avait ramené la durée de la prorogation à six mois, nous comprenons qu'il soit proposé de revenir à la prolongation initiale d'un an prévue dans le texte du Gouvernement. Par ailleurs, nous sommes soulagés de constater que le Gouvernement et la majorité n'aient pas suivi le Sénat dans sa volonté de pérenniser dans notre droit l'ensemble des mesures de la loi SILT en lieu et place d'une simple prorogation. Nous ne sommes pas favorables à des lois d'exception permanente. Il faut tout de même rappeler que ces mesures permettent au ministère de l'intérieur d'imposer aux personnes sous contrôle direct de l'administration des restrictions comme l'interdiction de quitter leur commune ou des obligations de pointage quotidien au commissariat ou à la gendarmerie, alors que l'application de ces mesures repose sur des critères imprécis et généralement sur des informations provenant de notes blanches. Dès lors, mettons à profit l'année à venir pour effectuer une véritable et nécessaire évaluation des dispositifs de ces deux lois qui ont cherché à donner un fondement légal à des mesures déjà appliquées mais éloignées du juge judiciaire.
Car nous avons des réserves de fond, qui concernent tant cette loi que celle relative au renseignement. Les dispositions contestées ont pu être analysées comme créatrices de zones de non-droit, et l'introduction de l'état d'urgence dans le droit commun s'est accompagnée de tous les vices que cela suppose en matière d'atteinte aux droits humains. Il convient, par exemple, de s'interroger sur le rôle du juge judiciaire dans la mise en oeuvre des mesures de contrôle administratif et de surveillance. Certes, le juge de la détention et des libertés entre en jeu, mais il n'intervient pas avec toutes les prérogatives du juge judiciaire stricto sensu. Notre groupe estime donc qu'il est essentiel de redonner au juge judiciaire toute sa place dans le dispositif.
Nous serons très vigilants en ce qui concerne les dispositions des articles 1 à 4 de la loi du 30 octobre 2017, qui ont permis de sortir de l'état d'urgence en dotant l'autorité de police administrative de pouvoirs spécifiques en matière de prévention d'actes de terrorisme, car elles sont particulièrement sensibles au regard des droits et des libertés individuelles. Au demeurant, rien n'indique qu'elles sont plus utiles et plus efficaces que celles du droit commun.
C'est pourquoi notre groupe estime indispensable que, dans un an, à la fin de la période de prolongation, une évaluation indépendante soit menée, incluant l'impact sur les droits humains de ces mesures dérogatoires au droit commun. Cette évaluation pourrait nourrir le travail de réflexion des députés, qui auront, en définitive, la charge de les reconduire ou non, selon les modalités qu'ils auront définies. Le contrôle du Parlement sur leur application doit pouvoir s'effectuer en toute indépendance, au-delà des seules données fournies par le ministère de l'intérieur – parfois parcellaires, chacun le sait – pour que nous soyons éclairés et que nous puissions prévenir d'éventuelles dérives.
Une demande en ce sens avait d'ailleurs été formulée par la rapporteure spéciale du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, lors de sa visite dans notre pays en 2018 : elle estimait nécessaire de renforcer le contrôle exercé par le Parlement sur les autorités chargées de lutter contre le terrorisme et d'assurer la sécurité nationale. Qu'en est-il ? Une évolution du cadre légal est absolument nécessaire, et notre groupe, le moment venu, y prendra toute sa part.
Concernant la technique de recueil de renseignements dite « algorithmique », dont la prolongation est prévue à l'article 2 du projet de loi, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement demande, elle aussi, un bilan d'application dans le cadre légal mis en place en 2015.
Par ailleurs, la Cour de justice de l'Union européenne a été saisie de plusieurs questions préjudicielles relatives à la conservation de ces données. À l'issue de ces instances, le Gouvernement devra tirer toutes les conséquences des décisions rendues.
En définitive, si le Gouvernement et la majorité ont fait preuve de mesure avec ce projet de loi, espérons qu'ils se souviendront des paroles du président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, dans le Journal du dimanche d'hier : « En tout cas, gardons-nous de sacrifier dans cette lutte les valeurs qui nous différencient fondamentalement de ceux qui nous attaquent, à commencer par le principe de dignité de la personne humaine. » Le groupe Libertés et territoires votera pour ce texte, qui se limite à une prorogation, mais cela ne l'empêchera pas d'être extrêmement vigilant lorsque notre assemblée sera amenée à analyser, dans quelques mois, le fond de ces mesures.
Je m'opposerai à la prorogation de la loi SILT. En seulement trois ans, nous avons voté huit lois restreignant les libertés, s'attaquant de fait à l'équilibre des pouvoirs, certaines d'entre elles pouvant même être jugées liberticides. Comme tous les autres textes, celui-ci est de trop.
Notre pays vit sous le joug de ces lois d'exception. L'exception, c'est la porte ouverte à l'arbitraire. S'habituer à ces régimes d'exception, c'est s'habituer à un régime autoritaire. La loi SILT, comme les autres, nous dresse à vivre sous un régime juridique alimenté par ce qu'il y a le pire dans notre société : la terreur, la sidération, l'absence de réflexion. Je vous le dis, l'horreur et l'angoisse des attentats ne nous protégeront pas du terrorisme. Je ne dis évidemment pas, à l'inverse, qu'il ne faut pas le combattre de la manière la plus ferme. Je ne dis pas qu'il ne faut pas avoir peur ; je dis simplement qu'il faut arriver à surmonter cette dernière pour trouver des réponses efficaces et raisonnables – raisonnables en ce qu'elles ne contreviennent pas aux principes démocratiques que ceux qui sèment la terreur veulent nous voir abandonner.
Mais qu'y a-t-il d'efficace dans votre texte, à imposer des contraintes écrasantes à des citoyens sans passer par la justice ? Qu'y a-t-il d'efficace à ne pas leur garantir le droit à être défendu ? Qu'y a-t-il de raisonnable dans vos assignations à résidence ou vos pointages quotidiens au commissariat ? Aucune évaluation indépendante n'a été effectuée et aucun rapport gouvernemental n'a su nous le dire clairement. Ces différentes lois ont-elles rendu plus efficaces nos services de renseignement, leur ont-elles donné les moyens humains et matériels nécessaires ? Les récents attentats terroristes nous obligent malheureusement à répondre par la négative.
En 2015, nous étions tous meurtris par les attentats. La France, tétanisée, n'a pas su dire non, alors, à l'état d'urgence ni à ses prolongations successives. Et, en 2017, sans dresser de bilan raisonné de cet état d'urgence, on a repris les mêmes dispositions pour faire entrer des mesures sécuritaires dans le droit commun. Ce repli démocratique était censé prendre fin en décembre 2020. Mais voilà que vous proposez de le proroger encore jusqu'à, nous dit-on, les faire entrer, cette fois, dans le droit commun.
Le recul de nos libertés n'est donc plus un fait exceptionnel ; c'est malheureusement devenu une habitude. Je ne peux examiner le présent projet de loi sans l'isoler du contexte actuel : avec l'état d'urgence sanitaire, les libertés publiques et individuelles sont restreintes ; de plus, le droit démocratique, celui du Parlement, est lui aussi restreint. Je ne peux évidemment le séparer de la proposition de loi relative à la sécurité globale qui sera examinée demain à l'Assemblée.
À un système où nous décidons tous ensemble, où nous sommes responsables devant tous, vous préférez un régime où ce n'est même plus le Gouvernement qui gouverne, mais un comité de défense secret intouchable et incontrôlable.
J'ai peut-être le défaut de mon âge, mais je vous vois défaire avec méthode tous les combats de ma génération, les combats pour la liberté, cette même liberté que le terrorisme islamiste déteste viscéralement. Je m'inquiète de ne plus vous voir ni défendre ni même aimer cette liberté car, dans votre discours, la liberté doit se ranger derrière la sécurité et s'effacer. Oh, vous le faites de manière soft, avec le sourire, vous offusquant qu'on vous accuse de le faire, mais vous le faites bel et bien.
Et vous commettez une erreur fondamentale : la liberté est le premier mot de la devise républicaine. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 la place au même niveau que la sûreté. Auriez-vous oublié que la sûreté, c'est aussi la garantie d'être protégé les violences du pouvoir et de l'État ? Et pourtant, vous nous habituez à un régime où l'État devient intouchable et même pas critiquable, incontrôlable. C'est cela, la dérive vers un régime autoritaire.
Dans votre régime, où règne l'arbitraire, les Français ordinaires sont toujours susceptibles de devenir des Français suspects, soumis à des lois écrasantes Dans votre régime, où domine la suspicion, je vous vois généraliser le fichage de nos citoyens dans tous les domaines, comme la santé, la sécurité, l'administration, sans jamais nous rendre de comptes. Demain, avec la loi relative à la sécurité globale, vous voulez généraliser cette surveillance. Demain, vous voulez empêcher de diffuser des images de policiers, ce qui est contraire à la liberté d'expression et d'information ainsi qu'aux droits de l'homme et du citoyen, qui posent la question du contrôle de ceux qui servent l'État comme un droit inaliénable. Vous voulez donc faire de la police un service public mais sans le public.
Voilà pourquoi je refuse cette prolongation et que, demain, je refuserai également votre nouveau texte liberticide ultra-sécuritaire. Sous votre quinquennat, nos libertés ont reculé comme elles n'ont jamais reculé depuis soixante-dix ans. Tout cela est d'autant plus déplacé que vous le proposez en plein état d'urgence sanitaire, caractérisé par une limitation inédite des libertés individuelles et publiques depuis la Libération. Décidément, cette course folle doit s'arrêter.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Nous traversons une période difficile. Dans un contexte tragique, marqué par de nouvelles attaques terroristes, nous devons réitérer notre engagement sans faille pour agir avec fermeté contre le terrorisme, dans le respect de la séparation des pouvoirs, tout en préservant les droits fondamentaux qui constituent le socle de notre République. Nous ne pouvons ignorer l'ampleur de la menace qui pèse sur le territoire et la nécessité de prévenir les attentats, pour protéger nos concitoyens. Il apparaît fondamental cependant, dans cette période si complexe, de maintenir les équilibres de notre État de droit, afin de renforcer et non affaiblir l'édifice démocratique auquel nous sommes tous attachés.
Or ce n'est pas le chemin que nous prendrions en prorogeant les mesures de la loi SILT. Alors que celles-ci devaient prendre fin au 31 décembre 2020, le Gouvernement entend pérenniser des dispositifs de renforcement du pouvoir exécutif, avec l'extension des pouvoirs de police administrative.
Prenant prétexte des circonstances sanitaires exceptionnelles résultant de l'épidémie de covid-19, le Gouvernement considère qu'il est « difficile [d'examiner] en temps utile [… ] un projet de loi spécifique portant sur les conditions de la pérennisation ou de la suppression de ces mesures ». Il est ainsi demandé à la représentation nationale de proroger, en procédure accélérée – sans bilans détaillés et exhaustifs de l'efficacité de nos outils législatifs de lutte contre le terrorisme – , des mesures préventives, ordonnées sur la base de simples soupçons, restrictives de libertés, décidées par l'autorité administrative et dérobées, pour la plupart, au contrôle du juge judiciaire.
Cette méthode n'est pas acceptable. Elle l'est d'autant moins que l'exigence d'une évaluation a été maintes fois rappelée, que ce soit par la Commission nationale consultative des droits de l'homme ou encore récemment par la rapporteure spéciale des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l'homme dans la lutte antiterroriste.
Déjà en 2018, lors de l'examen périodique universel de la France à l'Assemblée générale des Nations unies, plusieurs États s'étaient également inquiétés du manque de respect des droits humains dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et avaient insisté sur la nécessité de mettre en place un mécanisme indépendant de suivi. Ces recommandations n'ont pas fait l'objet d'un tournant dans la politique menée.
Les dispositifs qu'il s'agit maintenant de proroger sont des instruments de police administrative : les périmètres de protection, la fermeture temporaire des lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les visites domiciliaires et saisies. Comme l'a souligné le Conseil national des barreaux dans sa motion du 3 juillet 2020, ces dispositifs sont très intrusifs et ont des conséquences très lourdes pour les personnes visées.
Les mesures s'apparentant à des assignations à résidence et à des perquisitions contrôlées par l'administration contournent la procédure judiciaire et les droits de la défense. Ces dispositifs, institués par la loi SILT, ont ancré dans le droit commun les pouvoirs spéciaux de l'état d'urgence. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine s'était alors fermement opposé à cette loi de normalisation de l'état d'urgence, avec l'ensemble des associations de défense des droits de l'homme, de nombreux experts, des organisations internationales et des autorités administratives indépendantes. Nous avions alors alerté sur les risques et les dérives de la banalisation de mesures d'exception de nature à fragiliser l'État de droit et l'exercice des libertés fondamentales.
Nous nous opposons maintenant, en toute cohérence, à la prorogation de ces dispositifs d'exception ainsi qu'à la prorogation de l'expérimentation de la technique de recueil de renseignement dite « de l'algorithme ». Nous nous interrogeons toujours sur l'utilité de ce durcissement de l'arsenal répressif et administratif, sans évaluation de son efficacité.
Aujourd'hui comme hier nous considérons que notre État de droit ne peut s'accoutumer aux atteintes aux libertés et droits fondamentaux, ni accepter les dérives causées par ces dispositifs dérogatoires. Pour toutes ces raisons, le groupe GDR, en conscience, votera contre ce texte.
La loi de 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « SILT », a permis une sortie maîtrisée du régime de l'état d'urgence mis en place après les attentats du 13 novembre 2015, à Paris. Cette sortie progressive s'est faite grâce à des outils qui, depuis lors, ont fait leurs preuves : l'établissement de périmètres de protection, mesure très utilisée et bien reçue par la population ; la fermeture très encadrée de certains lieux de culte incitant à la violence, à la haine et à la discrimination ; la mise en place de mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ; enfin, les visites domiciliaires et saisies, qui ont déjà permis de déjouer un attentat et d'engager des poursuites judiciaires pour faits de terrorisme.
Ces outils ont ainsi permis d'empêcher plusieurs actions terroristes et garantissent la connaissance et la surveillance d'individus potentiellement radicalisés. Ces mesures assurent une meilleure prévention des risques terroristes et une meilleure protection des Français face à cette réalité. Cette loi a également permis la prorogation d'une technique de renseignement par traitements automatisés, mise en place par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Ainsi, le Premier ministre, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, peut autoriser qu'il soit imposé aux opérateurs de communications électroniques et aux fournisseurs de services sur internet, la mise en oeuvre sur leurs réseaux de traitements automatisés destinés à détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste.
En 2017, lorsque la loi a été votée, compte tenu de leur caractère novateur, de l'accroissement des pouvoirs de police et des contraintes aux libertés que ses mesures peuvent représenter, afin de pouvoir garantir la sécurité de chacun, nous avons souhaité limiter dans le temps l'application possible de différents dispositifs. La date alors prévue avait été fixée au 31 décembre 2020, et nous avions prévu de réévaluer les dispositifs entre-temps.
Malheureusement, les crises sanitaire et sociale actuelles obligent le Parlement à réagir plus rapidement. Désormais, la date du 31 juillet semble la plus opportune, en espérant qu'une autre crise sanitaire majeure n'intervienne pas d'ici là. En outre, le Gouvernement s'est engagé à nous soumettre un texte d'ici à l'été afin d'inscrire dans le droit commun les dispositifs concernés qui viendront parfaire l'arsenal juridique, punitif, de renseignement et de surveillance déjà mis en place.
Par ailleurs, les décisions très récentes de la Cour de justice de l'Union européenne à propos du régime de conservation des données par les opérateurs ont conduit le Gouvernement à revoir le calendrier envisagé à l'Assemblée nationale pour examiner les conséquences qu'il conviendrait d'en tirer dans la loi.
Il est regrettable que nous n'ayons pas pu trouver un accord avec le Sénat, alors que nous partageons la même exigence pour la sécurité de nos concitoyens. Toutefois, je ne doute pas que les compromis récents, notamment sur la date, permettront d'arriver à un accord entre les deux chambres. Une telle réévaluation est plus que jamais d'actualité car ces mesures restent éminemment nécessaires. Les récents attentats de Conflans-Sainte-Honorine et de Nice nous rappellent que la menace terroriste en France est très élevée. La crise sanitaire qui a mobilisé les esprits et le travail des parlementaires depuis le début de l'année ne doit pas nous faire oublier ou négliger le risque majeur que représente le terrorisme pour la nation.
Les différents rapports d'application de la loi présentés au Parlement ont témoigné du grand intérêt de ces quatre mesures grâce à leur utilisation raisonnée, leur apport opérationnel et la qualité juridique des décisions prises en conséquence.
En ce qui concerne la technique de renseignement par traitements automatisés, dans un rapport rendu en juin 2020, les corapporteurs Loïc Kervran et Jean-Michel Mis ont souligné « des résultats intéressants » et « très prometteurs ». La mission d'information a ainsi jugé « nécessaire de proroger la technique de l'algorithme ».
Pendant que certains tentent de revêtir la redingote présidentielle, je tiens à faire observer que la majorité parlementaire a proposé des textes complémentaires pour lutter contre la radicalisation et le terrorisme.
C'est tout l'enjeu de la proposition de loi de notre collègue Laetitia Avia contre la haine en ligne. Il n'est à plus à démontrer que les discours haineux sur les réseaux sociaux amplifient notamment l'influence des islamistes et peuvent déclencher un passage à l'acte terroriste chez des personnes radicalisées. La crise sanitaire et l'usage intensifié des réseaux sociaux ont entraîné une explosion de ces contenus haineux.
De même, la proposition de loi de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois, et de M. Raphaël Gauvain, visait à instaurer des mesures de sûreté applicables, à leur sortie de prison, aux personnes condamnées pour des infractions terroristes. Certes, le Conseil constitutionnel a limité ces dispositifs mais ne les a pas censurés sur le fond puisqu'il n'a pas remis en cause le rôle du législateur pour « prévenir la commission d'actes troublant l'ordre public ». La majorité ne renoncera jamais à apporter des solutions efficaces. Ces décisions du Conseil constitutionnel doivent pouvoir constituer une feuille de route pour améliorer des dispositifs que nous savions inédits et donc perfectibles.
Enfin, en février dernier, le Président de la République a signé une ordonnance visant à lutter contre le financement des activités terroristes, avec l'obligation, pour de nombreuses professions, de déclarer à TRACFIN – traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins – les opérations qui leur semblent litigieuses.
C'est donc pour continuer dans ce sens et conserver notre vigilance face à la menace terroriste qu'il est nécessaire de voter pour cette prorogation. Il est primordial de disposer de toutes les capacités nécessaires pour continuer à protéger les Français contre ces dangers encore beaucoup trop présents dans le pays.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Sécurité, sécurité intérieure, sécurité globale : oui, la sécurité est bien une exigence sociale légitime, et notre pays vit une épreuve très difficile. Le présent projet de loi vise à proroger les mesures en vigueur depuis octobre 2017 relatives au renforcement de la sécurité intérieure et de la lutte contre le terrorisme. Il s'agit de maintenir dans le droit commun des dispositions qui étaient jusqu'alors d'application exceptionnelle puisque issues de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, ce qui n'est pas rien.
On peut y voir une adaptation nécessaire aux réalités des menaces contemporaines, pourvu que la mise en oeuvre de ce cadre juridique continue d'être strictement observée et respecte l'équilibre entre efficacité de la lutte antiterroriste et protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. Mais c'est bien là que ce projet de loi pose problème, car il participe d'une dynamique sécuritaire globale préoccupante qui imprègne l'ensemble des lois portées par le Gouvernement. Museler le journalisme d'investigation et faire régner le nouvel ordre sécuritaire de la surveillance par drones, interdire l'accès aux librairies mais aussi interdire de filmer l'action des forces de l'ordre : comment s'appelle ce nouveau monde ?
Si certaines privations de liberté peuvent s'entendre par ces temps de pandémie, comment ne pas s'inquiéter de cette dynamique sécuritaire, qui se retrouve même dans la loi de programmation de la recherche, qui va jusqu'à pénaliser les manifestations dans les établissements scolaires ? Trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende pour de l'agitation estudiantine : il faut détester notre histoire ou la méconnaître pour lui faire pareille insulte…
Partout, au nom de la sacro-sainte sécurité, les autorités civiles restreignent ainsi les libertés de circuler, de se réunir, de manifester, de faire du commerce, d'expression artistique, de la presse, de l'exercice des cultes, et même d'aller ramasser les champignons. Dans le même temps pourtant, les principaux facteurs d'insécurité ne font l'objet d'aucun traitement particulier : pauvreté, précarité économique croissante, creusement des inégalités, désastre écologique, appauvrissement de services essentiels pour nombre d'entre nous, services de santé, d'éducation et de recherche notamment.
« La sécurité est la première des libertés », entends-je dire, avec cet argument trompeur qu'elle serait un droit de l'homme. C'est un détournement de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ! Ce n'est pas pour rien que les penseurs des Lumières et les constituants ont inscrit parmi nos droits fondamentaux la sûreté et non la sécurité. La sûreté, que l'on trouvait déjà chez Montesquieu, c'est la garantie pour un citoyen d'être protégé de l'État et de ses possibles abus ou dérives. Nous sommes en plein dedans. Que pensez-vous de la décision récente du Conseil d'État du 4 novembre validant ALICEM – authentification en ligne certifiée sur mobile – , l'application de reconnaissance faciale du Gouvernement ? Il est vrai que la tentation est grande : quoi de plus simple, pour un haut fonctionnaire parisien ou un ministre, qu'imposer des interdits de toute sorte – « Fermons les bars, les restaurants, les petits commerces, les librairies, les universités, les lieux d'expression et de prière » – plutôt que d'assumer ses responsabilités par ces temps difficiles et de ne restreindre les libertés que là où c'est absolument indispensable ?
Nous mettons actuellement entre parenthèses des droits fondamentaux, sans débat, sans rechercher le consentement libre et éclairé des citoyens. Notre Parlement est devenu fantoche, le Gouvernement s'essuie les pieds dessus. Dernier exemple : la proposition de loi relative à la sécurité globale de deux députés aux ordres plutôt qu'un projet de loi assumé par le Gouvernement : cela évite à ce dernier d'être contraint par l'étude d'impact et l'avis du Conseil d'État.
M. Alexis Corbière applaudit.
Catastrophique également le recours aux ordonnances pour des sujets aussi sensibles que les activités privées de sécurité ! Nous glissons doucement mais sûrement vers une autre forme de régime politique.
Sans jamais répondre à l'insécurité des biens des plus démunis, l'État se met à son propre service et à celui du prince dans sa nouvelle phase rampante vers l'État sécuritaire. Ma liberté est bien triste cette semaine, et pour combien de temps encore ?
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Je ne répondrai pas à chacun en particulier mais je souhaite partager avec vous quelques observations.
Il ressort des différentes interventions que la discussion parlementaire qui a déjà eu lieu sur ce sujet a permis de trouver un équilibre : à la fois conserver l'ensemble des libertés fondamentales auxquelles nous sommes tous très attachés et lutter ardemment contre le terrorisme avec de nouveaux outils très utiles – je ne reviens pas sur mes explications de la discussion générale. Le Gouvernement a proposé de trouver un compromis, avec une clause de rendez-vous proche : c'est l'échéance de juillet 2021 pour la loi SILT ; nous aurons alors l'occasion de débattre pleinement du fond.
J'ai entendu dire par certains qu'il y aurait des dérives. Je rappelle que l'ensemble des mesures sont prises sous le contrôle du juge ; il me semble important de le rappeler car cette réalité n'a pas été relayée par tous.
Je salue l'intervention de M. Bournazel, qui a rappelé le continuum entre les sujets : la lutte contre le séparatisme, sur laquelle nous aurons l'occasion de débattre bientôt, et la lutte contre le terrorisme.
Le Parlement est toujours pleinement associé ; le ministre de l'intérieur et moi-même avons d'ailleurs fondé un certain nombre de nos dispositions sur des travaux parlementaires.
Il a été fait mention des Nations unies et du travail de sa rapporteure sur les questions de dignité humaine. Je rappelle qu'elle commence son rapport en écrivant qu'elle a été très bien accueillie en France et en saluant l'organisation et la transparence de l'ensemble des pouvoirs publics.
Par ailleurs, je ne peux laisser dire sans réagir qu'un attentat terroriste a eu lieu parce que les personnes travaillant sur la plateforme PHAROS n'auraient pas réagi. Je ne peux pas les laisser se faire mettre en cause ainsi, par M. Corbière notamment. Avec Gérald Darmanin, nous avons décidé, je le rappelle, d'affecter 20 ETP – équivalents temps plein – supplémentaires à PHAROS et d'ouvrir ses services 24 heures sur 24. La plateforme est pleinement mobilisée et je ne crois pas qu'il soit digne de mettre ainsi son travail en cause. Dès le lundi suivant l'attentat, je me suis rendue sur place pour un RETEX – retour d'expérience – sur le travail qui y avait été mené : il s'avère que le signalement qui avait été transmis à PHAROS concernant un compte Twitter s'appuyait sur un lien cassé qui était un propos n'ayant rien à voir avec de l'apologie du terrorisme. On ne peut pas déplorer des mesures trop fermes, trop coercitives, d'un côté, et, de l'autre, une forme de laxisme, alors qu'il n'y avait là aucun motif de mise en cause.
En ce qui concerne les périmètres de sécurité, des choses fausses ont été dites et je ne peux non plus les laisser passer sans réagir. Il a notamment été sous-entendu que la police nationale et la gendarmerie délégueraient des missions de surveillance corrélées à la lutte antiterroriste à des organisations privées. Or ce n'est pas le cas.
Nous aurons l'occasion d'en débattre dans le cadre de la PPL de M. Fauvergue et Mme Thourot. Les missions confiées à des organisations privées de sécurité se limitent à de la surveillance de bâtiments ; il ne s'agit en aucun cas de missions de lutte contre le terrorisme.
Vous déclarez, monsieur Corbière : « Je ne comprends pas pourquoi on croit que nous ne répondons pas sur le fond ; je ne comprends pas pourquoi on croit que nous ne sommes pas engagés contre le terrorisme et pour la République. » Je voudrais citer une seule phrase de l'une de vos collègues du groupe La France insoumise, qui répond, quand on lui parle des valeurs de la République : « Ça suffit, votre catéchisme républicain tout pété. » Voilà ce que pense La France insoumise des valeurs de la République.
Vous sortez une phrase de son contexte et vous vous attaquez à quelqu'un qui n'est pas dans l'hémicycle ! C'est incroyable !
Tiens, d'ailleurs, peut-on savoir de qui vous parlez, madame la ministre déléguée ?
Je crois qu'après cela il est peu crédible de prétendre prendre la parole en défense de la République.
C'est un peu hors sujet mais, comme j'ai été interpellée je me permets de répondre. Vous avez fait mention des débats autour de la jeune Mila, monsieur Corbière. Je crois effectivement fondamental de condamner sans réserve les menaces de mort, les photomontages morbides et les insultes que la jeune Mila reçoit. Mais non, je ne me suis pas contentée de parler, contrairement à ce que vous l'avez dit à la radio et tout à l'heure : j'ai fait un signalement au procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, et nous l'avons préparé pendant 24 heures en le documentant avec des dossiers, pour que la justice puisse s'en saisir. Ça ne s'appelle pas parler, ça s'appelle agir !
Mme Florence Granjus applaudit.
C'est ce que j'ai fait, c'est que nous avons fait, et c'est ce que nous faisons encore ici en débattant de ce projet de loi, il était important de le rappeler.
Enfin, monsieur Coquerel, nous parlons de la lutte contre le terrorisme, de la violence du terrorisme, et vous nous répondez « violence du pouvoir » : vous êtes complètement à côté du sujet.
Cela illustre bien ce que nous disions tout à l'heure : oui, nous aussi, nous voulons protéger les libertés, à commencer par la liberté d'échapper aux attentats, la liberté de ne pas recevoir un coup de couteau en sortant de chez soi ! La première des libertés, c'est bien la sécurité !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
J'appelle maintenant dans le texte de la commission les articles du projet de loi sur lesquels les deux assemblées n'ont pu parvenir à un texte identique.
Le groupe Les Républicains votera pour la prorogation de la loi SILT, naturellement, parce qu'elle contient des outils qui contribuent à la sécurité des Français et que, pour nous, la sécurité des Français est l'une des priorités. C'est même une priorité à valeur constitutionnelle, au point qu'elle devrait se situer au sommet de la hiérarchie des normes constitutionnelles, ce qui n'est pas le cas, loin de là.
Nous voterons pour la prorogation de cette loi, même si nous n'avions pas voté pour son adoption en novembre 2017. Nous affirmons que la loi SILT a du reste contribué à la dégradation de notre niveau de protection. Elle a participé à la sortie de l'état d'urgence, lequel, compte tenu de la gravité de la menace terroriste à laquelle nous sommes confrontés, serait un régime largement préférable à celui de la loi SILT, car la loi de 1955 offre des outils beaucoup plus performants, notamment concernant les mesures de perquisition administrative et d'assignation à résidence.
En soutien à cette argumentation, je citerai les chiffres, malheureusement très clairs, issus des travaux que nous conduisons avec Mme la présidente de la commission des lois et Raphaël Gauvain en contrôle de la loi SILT. S'agissant des MICAS, pendant l'état d'urgence, du 13 novembre 2015 au 1er novembre 2017, l'État avait procédé à 754 assignations à résidence, tandis que, depuis le 1er novembre 2017, il n'y en a eu que 345 MICAS, c'est-à-dire moins de la moitié. Quant aux visites et saisies, il y avait eu 469 perquisitions administratives durant l'état d'urgence, et on n'en a dénombré que 190 depuis lors. Nous regrettons cette dégradation du niveau de protection des Français.
La parole est à M. Alexis Corbière, pour soutenir l'amendement no 1 , tendant à supprimer l'article 1er.
Beaucoup d'arguments ont été échangés. Il s'agit d'un amendement qui veut marquer notre désaccord avec ce texte.
Parmi les arguments, il a été dit que des rapports montrent l'efficacité de la loi depuis 2017. Or ces rapports émanent du ministère de l'intérieur. Un rapport du ministère de l'intérieur qui évalue une loi dont il est lui-même le promoteur ne nous paraît pas devoir être mise en avant.
J'apprécie l'intérêt de cet argument… On aurait pu imaginer qu'une autorité publique s'en charge. Et pourquoi pas un rapport parlementaire ?
Absolument !
De grâce, n'utilisez pas l'argument « les fonctionnaires apprécieront » ! Quand j'évoquais le fait que le système PHAROS est sous-équipé, ce n'était certainement pas une critique vis-à-vis de ceux qui conduisent ce travail de vigilance, …
… mais une simple remarque pour regretter qu'ils manquent de personnel. D'ailleurs, la première mesure qu'a prise le ministre de l'intérieur après l'assassinat de Samuel Paty est d'augmenter le nombre des personnels de cette plateforme, ce qui montre que le problème des moyens humains est central.
Enfin, madame la ministre déléguée, je ne veux pas envenimer la polémique, d'autant que je n'ai aucun problème personnel avec vous.
Effectivement, n'envenimons pas le débat !
Toutefois, je vous demande, s'il vous plaît, d'arrêter de citer les commentaires de je ne sais quelle personne, manifestement absente – comme M. le président de séance aurait pu le lui faire observer.
Il s'agit de votre collègue Obono !
Ce n'est pas une manière d'échanger et un tel procédé montre la faiblesse de votre argumentation. Mais restons-en là, madame la ministre déléguée, parce que je vous respecte à titre personnel et que cette polémique ne présente aucun intérêt.
Merci, monsieur Corbière, de ne pas nous éloigner de l'objet de cet amendement de suppression.
La parole est à M. le rapporteur, pour donner l'avis de la commission.
La commission des lois a bien évidemment donné un avis défavorable sur cet amendement.
Nous avons déjà eu ce débat à de multiples reprises. Il oppose deux visions, presque deux mondes : d'un côté, un monde idéal, où aucun risque ne planerait, où il serait possible de tout autoriser, où tout serait facile, où l'on ne rencontrerait jamais de difficultés ; de l'autre, le monde réel, dans lequel malheureusement nous vivons, qui est marqué par les violences et nous confronte clairement à nos responsabilités.
La représentation nationale est responsable devant le peuple d'assurer deux choses absolument fondamentales et indissolublement liées : la sécurité – je ne sais pas si c'est la première des libertés, mais c'est en tout cas une liberté fondamentale – et les autres libertés.
Comme madame la ministre déléguée l'a rappelé tout à l'heure, aucune mesure de police administrative n'échappe aux recours juridictionnels. C'est très clairement le cas pour les visites domiciliaires, systématiquement soumises à l'autorisation d'un juge des libertés et de la détention. Certaines demandes ont ainsi été refusées, et il est normal qu'il existe un tel espace de débat, c'est la valeur de nos institutions républicaines. D'autres visites, au contraire, ont débouché sur une judiciarisation. Nous en sommes en réalité tous d'accord : les mesures de police administrative n'ont de sens que comme transition vers les saisies judiciaires ; elles permettent, comme nous l'avons rappelé à de multiples reprises, de lever les doutes, de savoir très exactement à qui nous avons affaire et dans quelles conditions nous pouvons avancer.
Monsieur Corbière, vous n'avez pas repris l'exposé sommaire de votre amendement, qui parle de « loi scélérate ». Moi, ce qui me paraîtrait scélérat, ce serait de ne rien faire, de laisser les Français seuls face à une telle violence, face à une menace quotidienne, lourde, grave. Nous devons réagir.
Ces mesures s'appliqueront dans une période déterminée. Nous espérons pouvoir reprendre ce débat de manière plus longue, plus structurée, plus complète plus tard, en enrichissant encore le texte voire en supprimant certaines dispositions, comme il est de notre responsabilité de le faire. Laissons-nous encore cette capacité ; c'est très exactement le sens du texte qui vous est soumis.
La parole est à Mme la ministre déléguée, pour donner l'avis du Gouvernement.
Même avis.
Je m'oppose à cet amendement car il convient naturellement de proroger les dispositions concernées.
Monsieur le rapporteur, nous touchons ici au coeur du sujet : la différence entre, d'un côté, la perquisition administrative, permise par l'état d'urgence, conformément à la loi du 3 avril 1955, et, de l'autre, la visite domiciliaire, prévue par la loi SILT. L'état d'urgence permettait à l'autorité administrative de procéder à des levées de doute en cas d'inquiétudes, ce qui a conduit à réaliser près de 4 600 perquisitions administratives entre 2015 et 2017, par exemple sur le casier de membres du personnel à Roissy.
Ces mesures s'inscrivaient dans le seul cadre administratif.
Or avec les visites domiciliaires, vous avez instauré une espèce d'ovni juridique…
… nécessitant l'accord d'une juge et impliquant donc l'ordre judiciaire. D'ailleurs, les éléments nécessaires pour procéder à ces visites s'apparentent à ceux qui permettent d'ouvrir une enquête judiciaire. À cause de ce caractère judiciaire, parce qu'elles ne sont pas des levées de doute simplement administratives, les visites domiciliaires sont pratiquement inopérantes. C'est la réalité : il n'y en a presque plus, parce qu'il est trop compliqué à l'autorité administrative d'en obtenir l'autorisation !
Madame la présidente de la commission des lois, vous vous souvenez de l'audition du JLD – juge des libertés et de la détention – travaillant avec le parquet antiterroriste : il nous avait lui-même très clairement expliqué ces difficultés.
L'amendement no 1 n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté.
Il faut une ambition beaucoup plus forte en matière de lutte contre le terrorisme. Je fais partie de ceux qui considèrent que nous menons ce combat avec des boulets juridiques aux pieds, que le droit en vigueur nous prive d'outils extrêmement puissants et performants. Je le dis solennellement dans cet hémicycle : nous ne ferons pas l'économie, à court ou à moyen terme, d'une réforme du texte fondamental, si l'on veut lutter de manière moins naïve contre le terrorisme.
Deux dispositions majeures devraient être possibles, alors qu'elles ne le sont pas, selon une jurisprudence constante : la rétention administrative, pour empêcher de passer à l'acte les individus dont nous connaissons la dangerosité ; la rétention de sûreté, pour protéger notre société des détenus dangereux qui sortent de prison.
Le ministre de l'intérieur a rappelé les chiffres concernant les TIS, les condamnés pour faits de terrorisme islamiste : une centaine seront sortis de prison en 2020 – c'est déjà le cas pour la plupart d'entre eux – et plusieurs dizaines d'autres en 2021 et 2022. Il faut encore y ajouter les détenus DCSR – de droit commun susceptibles de radicalisation. En tout, TIS plus DCSR, 2 540 détenus représentant une menace pour la société sont sortis ou seront sortis de prison entre 2018 et 2022 !
Or le Conseil constitutionnel a partiellement censuré votre proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine, madame la présidente de la commission des lois. Soit nous en tirons les conséquences en réformant la Constitution, afin d'y indiquer clairement, pour les juges constitutionnels, que la volonté populaire de se protéger a une valeur supérieure ; soit nous laissons faire, et nous exposons notre société à une menace majeure !
Madame la ministre déléguée, vous avez terminé votre propos de tout à l'heure en affirmant que la sécurité serait la première des libertés. Puisque, en outre, M. Ciotti vient d'appeler à réviser la Constitution pour y inscrire cette idée, il faut mettre cette question au débat. Vit-on encore sous le régime de la Constitution de 1958, par-delà ses transformations ? Dans celui-ci, la sécurité ne compte pas parmi les libertés constitutionnelles. C'est important ; dès lors qu'on relève ce point, tout un raisonnement s'effondre. Madame la ministre déléguée, je le répète, avec cette idée selon laquelle toutes les décisions prises dans cet hémicycle devraient être examinées au prisme de la sécurité, vous introduisez la confusion, ce qui est extrêmement inquiétant. Considérez-vous vraiment que la sécurité est la première des libertés, en contradiction avec la Constitution ?
La parole est à M. Éric Coquerel, pour soutenir l'amendement no 2 , tendant à supprimer l'article 2.
Cela me donne l'occasion de ramener le débat sur le fond – comme j'ai déjà essayé de le faire dans mon intervention précédente. Convenons tous au moins qu'avec ces lois instaurant l'état d'urgence ou intégrant ses dispositions au droit commun sous prétexte de le remplacer, nous touchons à l'équilibre, toujours difficile, entre la sécurité et le respect des libertés. Au nom de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme, notamment, nous relativisons, nous faisons passer au second plan, nous affaiblissons la défense de certaines libertés individuelles par rapport au pouvoir. On peut s'accorder sur de tels compromis dans les situations d'état d'urgence. Mais ne nions pas qu'ils ont un impact sur l'état de droit et sur la séparation des pouvoirs.
M. Ciotti pousse la logique jusqu'au bout : selon lui, au nom de la lutte antiterroriste, il faudrait instaurer un Guantanamo français – si ce ne sont pas ses termes, c'est bien ce que nous en avons compris.
C'est un débat : jusqu'où peut-on aller dans la lutte contre une menace extérieure sans remettre en question l'État de droit, auxquels nos adversaires, justement, s'opposent ?
Madame la ministre déléguée, vous ne pouvez pas vous contenter de caricaturer le débat, comme vous l'avez fait tout à l'heure, en nous répondant que nous aurions tort de faire du pouvoir de l'État un problème, alors que le vrai problème serait le terrorisme. Mais non ! Dès lors que l'on restreint les libertés individuelles et publiques dans une démocratie, c'est un problème ! Nous pourrions tous en convenir, au moins !
Je suppose que tout le monde, dans cet hémicycle, reconnaît que les mesures de restriction de libertés individuelles et publiques adoptées dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire – même si on les estime nécessaires pour un certain temps – ne sont pas neutres, dans une démocratie. Le risque, c'est que le pouvoir en place en vienne à utiliser ces dispositifs pour d'autres raisons que celles ayant motivé leur instauration.
C'est exactement ce qui se passe avec la loi SILT. Regardez bien : tout montre qu'elle n'est pas aussi efficace que vous le prétendez contre le terrorisme, …
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Il est défavorable. La France a fait de gros efforts en matière de déploiement des services de police. Comme nous l'avons indiqué tout à l'heure, les effectifs de la DGSI ont doublé, et la réorganisation des services de renseignement aussi a beaucoup progressé. Nous ne pouvons en aucun cas baisser les bras concernant le troisième élément fondamental : les capacités de contrôle de tous les échanges qui ont lieu sur la toile ou par téléphone. Nous devons donc absolument, en intégrant la décision de la Cour de justice de l'Union européenne et en anticipant l'avis à venir du Conseil d'État, adopter les dispositions de cet article, dont nous avons absolument besoin, quitte à les adapter au terme des discussions à venir.
Monsieur Ciotti, juste avant de vous rejoindre dans cet hémicycle, je participais à une séance de travail sur ces questions avec le coordonnateur national du renseignement, l'ancien secrétaire d'État Laurent Nunez, que vous connaissez bien. Regardons les chiffres : depuis 2017, 592 périmètres de protection ont été créés, 8 lieux de culte ont été fermés et 353 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ont été notifiées, dont 63 restent en vigueur.
Je ne comptais pas revenir sur les visites domiciliaires, puisque j'en ai déjà traité dans mon propos liminaire, mais puisque vous y avez fait référence deux fois, sachez que, depuis 2017, 286 ont été réalisées ! Elles l'ont toujours été de manière ciblée, concrète et efficace. Vous ne pouvez donc pas dire que la loi SILT n'a pas permis de renforcer la lutte contre le terrorisme.
Je ne me lancerai pas dans un grand débat de sémantique ou de philosophie politique sur les rapports entre liberté et sécurité. Si certains ne comprennent pas à quel point la sécurité préserve les libertés, qu'ils parlent avec n'importe quelle femme qui a déjà été contrainte de prendre le métro toute seule à vingt-trois heures trente dans un quartier dit « difficile », et ils se rendront compte que c'est fondamentalement le cas !
Enfin, je me tourne vers la gauche de l'hémicycle pour rappeler que toutes les visites domiciliaires ont été effectuées de manière ciblée et sous le contrôle du juge. Je ne peux donc pas laisser dire que la lutte contre le terrorisme ne serait qu'un prétexte pour faire adopter la loi SILT ou le présent texte, ceux-ci ne visant en fait qu'à satisfaire on ne sait quel objectif caché du pouvoir. En vérité, monsieur Coquerel, regardez les dossiers : pas un seul d'entre eux n'est pas directement en lien avec le terrorisme !
Ce que vous dites est donc faux et dangereux !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Madame la ministre déléguée, le nombre de 190 visites domiciliaires que j'ai cité est issu des travaux menés avec la présidente de la commission des lois – c'est vrai, il date d'avant l'attentat qui a frappé Samuel Paty, contrairement à celui de 286 visites que vous donnez. Toutefois cette différence ne remet pas foncièrement en cause ma démonstration et ma conviction car, en comparaison, je rappelle que 4 469 perquisitions administratives, soit quinze ou vingt fois plus, avaient été réalisées entre 2015 et 2017. Par ailleurs, nos données respectives montrent bien que de nombreuses visites domiciliaires – qui ont pour fonction de lever le doute – n'ont eu lieu qu'après qu'un nouvel attentat a frappé notre territoire.
Guillaume Larrivé a fait la démonstration implacable des dangers qui nous guettent et de la nécessité de conforter cette remarquable loi sur le renseignement, que nous avions non seulement soutenue mais également enrichie avec le ministre de l'époque, Bernard Cazeneuve.
Je voudrais enfin dire combien je suis choqué des attaques subies par Mila. Même si vous avez enfin annoncé l'ouverture d'une enquête judiciaire, il me semble que ce serait l'honneur de la République de mettre en place une procédure globale à l'égard des barbares qui la menacent. Nous sommes face à une association de malfaiteurs à caractère terroriste, et ces menaces ont été trop longtemps banalisées. Quand on reçoit plus de mille menaces de mort, il faut que la société réagisse : ne pas protéger Mila, c'est déjà se soumettre à la loi de la barbarie islamiste.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Mme la ministre déléguée acquiesce.
Je trouve dommage que, d'un côté, certains remettent en question l'État de droit et souhaitent faire bouger les lignes et que, de l'autre, on parte du principe que l'État de droit a été bafoué, alors que le Conseil constitutionnel a validé l'ensemble des dispositions du texte.
Parler de compromis, comme vous l'avez fait, monsieur Coquerel, est dangereux : peut-on vraiment trouver un compromis dans la lutte contre le terrorisme, alors que nous savons parfaitement qu'il nous faut des mesures complémentaires, que ce soit celles qui nous seront proposées dans le cadre de la loi sur la sécurité intérieure ou celles qui doivent participer, demain, de la reconquête républicaine de nos villes ? Soyons plus intelligents dans nos prises de parole et ne soyons pas dans la caricature permanente entre une droite qui en veut toujours plus et une gauche qui en veut toujours moins.
Ça va, c'est bon ! Je n'ai pas dit qu'il fallait trouver un compromis avec le terrorisme. Que racontez-vous ? Vous devriez écouter ce que l'on dit et ne pas caricaturer le débat en balançant des phrases comme ça. C'est insupportable !
Je parle de compromis entre la sécurité et la liberté face à un danger extérieur. Cela doit nous préoccuper, notamment en ce qui concerne l'état d'urgence sanitaire dont chacun conviendra ici qu'il restreint – qu'on le juge nécessaire ou non – les libertés publiques et individuelles.
À quoi sert-il de résumer les choses comme vous le faites ? Est-ce pour laisser penser, comme l'ont dit certains de vos ministres, que nous sommes complices du terrorisme ? Sinon, arrêtez de caricaturer nos propos de cette manière. Je m'adresse aussi à vous, madame la ministre déléguée : je n'ai à aucun moment dit que le droit à la sûreté n'était pas un droit fondamental ; je m'interroge simplement.
Vous nous dites de ne pas nous inquiéter face à une loi qui permet l'aspiration de toutes les données personnelles, comme le font les Américains mais avec moins de moyens, et avec un moindre contrôle judiciaire, puisque seuls les terroristes seront ciblés. J'ai envie de vous répondre que j'ignore si seuls les terroristes sont ciblés aujourd'hui, mais qu'en tout état de cause, un État en possession des données personnelles de ses citoyens peut s'en servir de très nombreuses façons différentes, dès lors que les procédures de contrôle ne sont pas suffisantes.
À la question de savoir si je fais, dans l'absolu, confiance à l'État qui dispose de moyens dangereux pour les libertés, ma réponse est non, et j'ai des exemples, y compris récents, qui me prouvent que j'ai raison.
Vous ne voyez pas en quoi cet article 2 est problématique. Laissez-moi pourtant vous dire que cette surveillance généralisée, par des moyens qui n'ont même pas prouvé leur efficacité par rapport au terrorisme – puisque l'on sait que ce sont les moyens humains qui permettent des résultats – , peut un jour être problématique, si on s'exonère des procédures de contrôle normales.
L'amendement no 2 n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté.
L'article 3 est adopté.
Le projet de loi est adopté.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures quinze.
Nous voici à nouveau réunis pour aborder en nouvelle lecture le projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental – CESE.
Ce débat intervient quelques semaines seulement après un examen en première lecture qui aura permis à chacun d'exposer ses convictions, parfois ses craintes, souvent ses propositions.
Je voulais tout d'abord rendre hommage au travail de la commission des lois, notamment au rapporteur, M. Erwan Balanant, et à Mme Nicole Dubré-Chirat, pour avoir considérablement enrichi le projet du Gouvernement et rétabli la philosophie de ce texte.
Cette version est, je le crois, la mieux à même à la fois de rendre au CESE la place qu'il mérite et de renforcer notre démocratie participative, notamment en réintroduisant le recours au tirage au sort.
Après nos riches débats en première lecture, il ne me semble plus nécessaire d'exposer le détail de ce projet de loi. Je voudrais revenir sur les points, qui, au vu des amendements que nous allons examiner, me semblent mériter de plus amples explications.
En premier lieu, nous voulons faire du CESE un carrefour des consultations publiques : pour cela, il nous faut renforcer les liens entre le CESE et les instances consultatives locales, et donner une force prépondérante aux consultations du CESE avec un effet substitutif.
Force est de constater que les liens avec les conseils consultatifs locaux n'existent pas véritablement, y compris avec les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux – CESER – , dont le champ de compétence matérielle est pourtant assez comparable. Il faut mettre fin à ce cloisonnement et organiser des échanges entre l'échelon national et les organes locaux, afin que le CESE puisse se nourrir de l'expertise territoriale.
Je voudrais ici être clair sur les intentions du Gouvernement : il n'est nullement question de porter atteinte à la libre administration des collectivités locales ou au rôle des CESER. Bien au contraire, nous voulons valoriser la connaissance et l'expertise de nos territoires, mais, pour cela, il faut lever des barrières.
Comme le proposait le rapporteur, il convient de permettre au CESE de consulter des instances locales, même celles dont l'existence n'est pas prévue par la loi. Il faut aussi subordonner cette consultation à une information des collectivités auxquelles elles sont attachées, mais non à une autorisation.
Ensuite, nous voulons affirmer la primauté de la consultation du CESE sur les autres consultations. En effet, face à la multitude d'organismes consultatifs, la consultation du CESE est souvent délaissée. Pour lui redonner de l'attractivité, le Gouvernement entend lui accorder une place prépondérante, en accord avec celle qu'il tient dans nos institutions républicaines. Tel est l'objet de l'article 6.
J'entends bien sûr les réserves qui demeurent, selon lesquelles ce mécanisme nuirait à la richesse des consultations. Cette crainte est totalement infondée. Tout d'abord, nous avons la chance de disposer, avec le CESE, d'un regroupement, au sein d'une même institution, de profils et de compétences extrêmement variés qui seront pleinement à même de donner des avis d'une grande richesse, comme c'est déjà le cas. Par ailleurs, la discussion que nous avions eue ici en première lecture avait affirmé le périmètre de l'effet substitutif de la consultation du CESE. Un bon équilibre avait été, me semble-t-il, atteint, puisque la moitié environ des organes consultatifs ne seront plus consultés en cas de saisine du CESE, tout en préservant la consultation d'instances éminentes, comme le Comité des finances locales.
Enfin, votre rapporteur a pourvu le texte d'une nouvelle garantie qui me paraît essentielle : pour élaborer ses avis, le CESE pourra toujours interroger les instances consultatives compétentes. L'expertise de ces divers organismes pourra nourrir les avis du CESE et enrichir nos réflexions sur les projets de loi. Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à adopter cet article dans la rédaction retenue par la commission.
L'autre grand sujet qui reste en discussion dans votre assemblée a trait à la composition du CESE. C'est compréhensible : définir la composition de cet organe consultatif, qui représente les forces vives de la nation, revient à rechercher un subtil équilibre entre les composantes économiques et sociales de notre pays.
Je tiens à vous rappeler les modifications essentielles apportées par ce projet de loi.
Tout d'abord, le texte réduit le nombre de membres du CESE d'un quart, pour l'établir à 175, répondant en cela à l'engagement du Président de la République. Ensuite, il refond la composition du Conseil en quatre grandes catégories, dont le détail sera fixé par la voie réglementaire, après l'avis d'un comité de préfiguration.
Ces modifications sont le résultat d'un compromis entre tous les intérêts représentés, même si je sais qu'il ne satisfait pas tout le monde et que de nombreux amendements ont été déposés pour augmenter le nombre des membres, inscrire la représentation de telle ou telle catégorie d'intérêts ou sanctuariser l'existant. Le Gouvernement soutiendra la préservation de ce compromis équilibré.
Je sais que la représentation des territoires d'outre-mer au sein du CESE suscite votre attention toute particulière et bien sûr légitime. Je voudrais essayer de répondre aux inquiétudes qui ont été exprimées. Je vous livre mon intime conviction : les outre-mer, dans leur grande diversité, font toute la richesse de la France, mais le CESE n'a pas pour mission d'assurer une représentation des collectivités territoriales, pas plus qu'il ne représente les collectivités ou départements d'outre-mer. C'est le Sénat, vous le savez, qui assure ces missions. Le CESE, en revanche, assure la représentativité équilibrée de l'ensemble des composantes économiques et sociales de notre pays ; c'est à ce titre que les outre-mer doivent y être représentés.
C'est dans cet esprit que le Gouvernement a déposé un amendement pour conforter la place propre donnée aux outre-mer, en les mentionnant expressément dans la troisième catégorie des membres du CESE, comme c'est déjà le cas dans le droit actuel.
Toutefois, pour atteindre notre double objectif d'apporter de la souplesse à la composition du CESE tout en conservant un équilibre des différents intérêts représentés et de diminuer le nombre des membres de 25 %, l'amendement propose une présence des outre-mer à hauteur de huit membres dans cette catégorie. C'est là un compromis entre, d'une part, les garanties que nous souhaitons apporter aux outre-mer et, d'autre part, la réforme du CESE que nous appelons de nos voeux. En effet, la réduction du nombre global des membres s'est accompagnée de la recherche de nouveaux équilibres entre les différentes catégories composant le CESE. Ces équilibres, trouvés à la suite d'un long travail de concertation, ne sauraient être remis en cause sans obérer le fonctionnement futur de l'institution.
Nos échanges en première lecture ont considérablement enrichi ce projet de loi organique : je souhaite que les débats de cette nouvelle lecture poursuivent ce travail et aboutissent à une solution apaisant les dernières inquiétudes qui se sont fait jour.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
La parole est à M. Erwan Balanant, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Le projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental a été adopté successivement par l'Assemblée nationale et le Sénat en première lecture sur la base d'un constat que nous partageons tous : il est nécessaire de réformer cette institution, qui, depuis longtemps, ne remplit plus véritablement la mission que lui a confiée le constituant, à savoir représenter un trait d'union entre la société civile organisée et les pouvoirs publics.
La commission mixte paritaire – CMP – , qui s'est réunie le 30 octobre dernier, a toutefois échoué à proposer un texte sur les dispositions restant en discussion. Nous sommes en effet en désaccord avec le Sénat sur certains points importants du texte, mais cela ne doit pas nous empêcher de nous inspirer de ses travaux et de traduire par nos votes les points d'accord qui ont été trouvés. La commission des lois a ainsi repris en nouvelle lecture de nombreux apports de nos collègues sénateurs dans le cadre d'un dialogue constructif, qui témoigne de l'utilité de la navette.
Parmi les points sur lesquels nos deux assemblées convergent et qui se retrouvent dans le texte que nous examinons aujourd'hui, je citerai notamment le maintien de la suppression des personnalités qualifiées de la composition du CESE, proposé à l'article 7. Cette réforme redonne toute leur place aux représentants des différentes activités de notre pays : ce sont eux qui fondent la légitimité de cette institution, et nous leur redonnons la main pour formuler les préconisations utiles au débat public.
Nous sommes également d'accord sur l'amélioration de certaines procédures, dont celle d'adoption simplifiée des avis : notre commission a repris intégralement les précisions apportées par le Sénat à l'article 5.
Le Sénat a aussi poursuivi nos travaux sur les règles de déontologie qui devront s'appliquer aux membres du CESE comme aux personnalités extérieures participant à ses travaux. Nous sommes là encore parfaitement en accord sur la finalité, et notre commission a repris les dispositions adoptées par le Sénat, sous réserve de la réintroduction du rapport d'activité annuel des membres du CESE. Je salue, à ce titre, le travail de Mme Laurianne Rossi, qui s'est beaucoup investie sur ce sujet et a permis d'arriver à ce résultat.
Enfin, réelle avancée, nos deux assemblées s'accordent sur la nécessité de redonner du sens à la saisine par voie de pétition du CESE, qui constitue la saisine citoyenne introduite dans la Constitution lors de la révision de 2008. En l'état, nous savons tous que cette dernière ne fonctionne pas. Le seuil de 500 000 signatures est trop élevé et les conditions de dépôt des pétitions sont dépassées. Par conséquent, au-delà de leur dématérialisation que nous entérinons, nous avons abaissé ce seuil à 150 000 signataires en première lecture.
En commission, nous avions également adjoint un critère géographique de domiciliation dans au moins trente départements pour exclure les sujets locaux, qui ne relèvent pas de la compétence du CESE. Un débat s'est tenu en première lecture dans cet hémicycle pour savoir si cet équilibre était le bon : ce critère a finalement été supprimé pour laisser une plus grande opportunité aux citoyens de saisir le CESE. C'est donc le Conseil qui devra apprécier s'il s'agit d'un intérêt national ou d'un sujet local sur lequel il ne serait pas compétent. Dans ce cas, le dialogue renforcé que nous instituons avec les CESER permettra sans doute d'orienter les pétitionnaires vers les instances de consultation locales appropriées.
Par ailleurs, ce droit serait ouvert dès l'âge de seize ans et non plus à compter de celui de la majorité. Cela traduit l'ambition de la majorité et du Gouvernement de mieux associer les jeunes à notre démocratie. J'espère qu'ils seront nombreux à s'en saisir et je salue le fait que le Sénat ait accepté cette évolution dans son ensemble.
Nous nous accordons donc sur plusieurs points importants, ainsi que sur plusieurs améliorations rédactionnelles sur lesquelles je ne reviens pas.
En revanche, nous divergeons sur des sujets essentiels qui justifient cette réforme : la participation de citoyens aux travaux du CESE et la subrogation, que vous avez évoquée, monsieur le garde des sceaux, de celui-ci à certains organes consultatifs.
Comme je l'ai indiqué à nos collègues sénateurs, pour que le CESE se réforme, trouve sa place au sein de nos institutions, soit mieux connu et mieux utilisé, il nous faut faire bouger certaines lignes, sous peine de priver cette réforme de toute portée. Dans cette optique, la commission des lois est revenue sur plusieurs dispositions.
L'article 4, qui pose les conditions de participation du public aux travaux du CESE en prévoyant des garanties importantes, a été rétabli. Les principes de sincérité, d'égalité, de transparence et d'impartialité seraient ainsi inscrits dans la loi organique, ainsi que les garanties de bonne information des participants, de représentativité des panels sélectionnés et de reddition des comptes.
Je rappelle que le CESE recourt déjà la participation citoyenne, ainsi qu'au tirage au sort. Que nous l'inscrivions ou non dans la loi n'y changera rien. En revanche, nous en fixons les règles et nous en sécurisons les conditions d'organisation.
Deux précisions ont également été apportées. La première vise à ce que les conditions de représentation équilibrée du territoire, et de parité, ne s'appliquent qu'aux consultations par tirage au sort. Une telle obligation ne pourrait s'appliquer à une consultation en ligne par exemple. La seconde prévoit que lorsque le CESE décide de recourir au tirage au sort, il nomme des garants pour s'assurer du respect des garanties que nous avons introduites à l'article 4 ; ceux-ci seront tenus à une obligation de neutralité et d'impartialité.
Nous avons fait sur l'article 4 un travail de fond qui était attendu par de nombreux acteurs et nous apportons les moyens de réellement garantir le bon déroulement des consultations à l'avenir.
Nous avons également rétabli l'article 6, qui permet au CESE de se substituer aux autres instances de consultation, sous réserve des exceptions importantes que nous avons introduites en première lecture, comme vous l'avez rappelé, monsieur le garde des sceaux. Toutefois, pour ne pas perdre une expertise utile, la commission a complété cet article, de manière à permettre au CESE de consulter les instances compétentes sur les thématiques abordées par les projets de loi dont il serait saisi.
Enfin, concernant l'article 7, nous avons débattu de la meilleure façon d'assurer la représentation des outre-mer au sein du CESE. J'avais proposé de rétablir les onze représentants des outre-mer, en plus des 175 membres prévus par la réforme. Il m'avait semblé, après de longues réflexions et de nombreux échanges avec les parties concernées, que c'était la solution la plus simple. Toutefois, j'en ai aussi mesuré certains inconvénients : elle revenait sur l'un des grands équilibres de la réforme et sur les concertations qui se sont déroulées au sein du CESE pour la préparer. Le groupe La République en marche et vous-même avez proposé une solution de compromis qui me semble plus sécurisante pour les outre-mer que la situation issue de notre première lecture ; je tenais à vous en remercier.
Voilà, mes chers collègues, le point d'équilibre que notre commission a adopté. Il ne s'agit donc pas de rétablir le texte de l'Assemblée nationale sans considération pour les travaux du Sénat, bien au contraire. Je félicite à nouveau sa rapporteure, Mme Muriel Jourda, pour le travail réalisé, dont nous nous sommes largement inspirés pour renforcer encore les dispositions restant en discussion.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et LaREM.
Nous sommes donc amenés à examiner en nouvelle lecture le projet de loi organique réformant le Conseil économique, social et environnemental, à la suite de l'échec de la commission mixte paritaire. Je reviendrai sur les objectifs du texte, que vous avez décrits précédemment, monsieur le garde des sceaux.
En premier lieu, il ne s'agit pas de la réforme du siècle – vous en aviez également convenu ; ce n'était d'ailleurs pas votre but. Mais, si l'on ajoute à cela le contexte sécuritaire et sanitaire, nous nous interrogeons sur l'urgence de l'adoption finale de ce texte.
Nous approuvons la plupart des objectifs présentés dans le cadre de la réforme. Le premier d'entre eux consiste à essayer de donner une meilleure visibilité au Conseil économique et social, devenu le Conseil économique, social et environnemental, en maintenant l'équilibre des institutions, sans qu'elles soient jamais confondues ; ça n'est pas et ça n'a jamais été l'objectif, comme vous l'avez et nous l'avons réaffirmé. La démocratie représentative, c'est le Parlement : l'Assemblée nationale et le Sénat. Ce que l'on peut appeler de manière large la démocratie participative vise à faire en sorte que les corps intermédiaires, les forces vives du pays, mais aussi nos concitoyens en ce qu'ils sont individuellement une partie de la République, puissent être associés, pas forcément à la décision, mais au moins au processus de son élaboration.
Le second objectif était de faire du Conseil économique, social et environnemental, le carrefour des consultations publiques, comme cela a été rappelé. Nous souscrivons à cet objectif, dès lors – c'était déjà la précaution que j'avais exprimée en première lecture, avec des amendements qui n'ont pas été retenus – que ces consultations publiques n'en restent pas à des avis sans suite, qui ne seraient pas transmis de manière automatique et obligatoire aux commissions permanentes de nos assemblées – je le redis, parce que c'est important pour moi et pour nous. Il y aurait ainsi au moins un débat sur chaque sujet, afin que nos concitoyens n'aient pas l'impression que ces avis servent à caler des armoires normandes ou à allumer des cheminées ; ce serait quand même dommage pour des avis du Conseil économique, social et environnemental.
Vous avez pris beaucoup de temps, monsieur le garde des sceaux, dans la deuxième partie de votre intervention, pour légitimer, avec un souci de souplesse que l'on peut comprendre, que la composition du Conseil économique, social et environnemental ne soit plus figée dans le marbre de la loi, mais renvoyée à des dispositions réglementaires qui permettront ensuite d'adapter les différents collèges à la réalité du temps, si j'ai bien compris.
Il y a cependant pour nous une limite. Il faut que malgré tout, dans les différents collèges, soit conservé l'esprit du Conseil économique et social original : c'est le lieu où les forces vives, économiques et sociales du pays, c'est-à-dire les représentants des syndicats patronaux et des syndicats de salariés poursuivent leur dialogue indispensable sur les grands enjeux économiques du pays. Il faut également veiller à ce que les associations familiales puissent conserver la place qu'elles avaient. Par ailleurs, il faut s'assurer que les fédérations de chasseurs et de pêcheurs, qui sont des acteurs majeurs de la protection de l'environnement, soient également toujours présentes dans les représentations. Il convient que la composition des collèges ne soit pas susceptible d'être soumise à des orientations politiques très affirmées, que pourraient avoir un exécutif ou un autre. Au-delà de ces préoccupations que je tenais à réaffirmer, le groupe UDI et indépendants votera en faveur de votre texte, monsieur le garde des sceaux.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
Sourires.
… ceux que l'on ouvre et qui ne servent à rien ; nos concitoyens en ont vraiment soupé. Ce n'est pas nouveau, mais ils ont eu tendance à se généraliser ces dernières années.
Le nombre d'assises, de hauts conseils et d'états généraux, notamment en début de mandat, en témoigne. Qu'est-ce qu'on en a eu ! Et avec quels résultats ? Le pire des débats « bla-bla », c'était le grand débat qui a suivi la crise des gilets jaunes. Quand on demande à nos concitoyens à quoi il a servi, ils répondent : « À rien ».
Je pensais vraiment que la réforme du Conseil économique, social et environnemental que vous proposez allait permettre de donner beaucoup plus de pouvoirs à nos concitoyens, de structurer ces nouvelles procédures et de faire en sorte que les consultations lancées puissent réellement servir à quelque chose. Mais mes chers collègues, nous allons repartir dans nos circonscriptions, nous allons leur dire « Chouette, on vous a donné du pouvoir et vous êtes en mesure de saisir le Conseil économique, social et environnemental ! ». Ils nous demanderont à quoi ça sert ; on va leur dire que cela va créer des débats, mais à quoi est-ce que cela sert réellement ?
Nous aurions vraiment dû aller beaucoup plus loin. C'était l'occasion de véritablement renforcer la démocratie, qui est malade et à bout de souffle. Il suffisait de faire en sorte que les pétitions ouvertes – c'est intéressant, monsieur le rapporteur, d'ouvrir des pétitions – n'aboutissent pas seulement à d'autres débats en commission. Franchement, si on pense que cela permettra de changer les décisions ! Il fallait que les pétitions puissent vraiment fabriquer la loi, c'est-à-dire à écrire des propositions de loi qui puissent être soumises au Parlement. Là, on se serait dit : « Tiens, c'est vraiment pas mal, le travail qu'on réalise aboutit réellement à un processus de décision ». Ce n'est pas le cas.
Il fallait aussi faire en sorte que le CESE, comme ça se passe dans certains pays d'Europe du Nord et au Parlement européen, soit l'instance des analyses d'impact et de la concertation menée par l'État. Cela aurait été pas mal, parce qu'on arrivait avec des propositions de loi vraiment préparées, avec des garanties de concertation et d'analyse d'impact. Qui peut dire que c'est le cas des propositions de lois soumises au Parlement ? Personne.
Vous proposez là une petite réforme du CESE.
Sourires.
Évidemment, nous voterons en sa faveur. Les membres du CESE font du bon travail ; on va d'ailleurs souvent les chercher quand il y a un incendie. La société civile, on va la chercher quand ça va mal. Au moins travaillent-ils ; ils nous feront des propositions. On renforcera la participation citoyenne, on réformera les collèges et on élargira le droit de pétition. Tout ça est mieux que rien du tout, mais comme on dit à la campagne, ça ne va pas nous faire grimper aux rideaux. Ce n'est pas ce qui révolutionnera la démocratie.
Nous serons attentifs évidemment à un certain nombre de points qui ont été soulignés par les précédents orateurs : le lien entre le CESE et les CESER, la structuration de ces instances, le renforcement de la place de l'outre-mer et la nécessaire création de passerelles avec les territoires. Nous pensions également judicieux – mais c'est peut-être discutable – de créer une cinquième catégorie de membres représentant la société civile des territoires, comme nous l'avions proposé en première lecture.
Le groupe Libertés et Territoires votera, je le redis, en faveur de ce projet de loi organique. Mais vraiment, lâchons-nous sur la défense de la démocratie, renforçons-la par de vraies participations citoyennes et engageons-nous dans une véritable révolution jacobine renforçant considérablement le Parlement. Là, nos concitoyens seront vraiment satisfaits d'être consultés.
Le Gouvernement prétendait, en présentant ce texte, faire du Conseil économique, social et environnemental, le CESE, un « carrefour des consultations publiques » pour mieux éclairer les institutions sur les enjeux économiques, sociaux, environnementaux, et accueillir la parole citoyenne. Tel ne sera pas le cas.
Nous nous en doutions, c'est aujourd'hui très clair. Derrière la réclame gouvernementale, la réalité se révèle bien décevante au milieu des ambitions affichées. En vérité, plus fondamentalement, c'est tout le logiciel de la macronie, cette monarchie jupitérienne engoncée dans les oripeaux d'une Ve République à bout de souffle, qui est hostile à toute respiration démocratique, comme l'illustre de manière assez frappante la crise actuelle, au milieu de laquelle nous débattons de ce texte qui apparaît totalement hors-sol.
Une nouvelle fois, ce projet de loi témoigne de l'hypocrisie présidentielle ; même en apparence, il n'est plus question d'écouter le peuple ou de respecter la démocratie. Alors que les citoyens et les citoyennes, alors que les salariés, mobilisés pour la justice fiscale, la défense des services publics, du climat, de la santé ou des retraites, l'alertent depuis trois ans sur l'urgence sociale, démocratique et écologique, et sur les mesures d'urgence à prendre, ce pouvoir n'a eu de cesse de répondre par un mépris dilatoire et par une escalade répressive et sécuritaire. Il a ainsi ignoré les demandes de la convention citoyenne sur le climat, comme celles concernant la renégociation du CETA – Comprehensive Economic and Trade Agreement, accord économique et commercial global – , la taxe de 4 % sur les dividendes pour financer la transition écologique, le moratoire sur la 5G, l'écotaxe sur l'aérien, la baisse de la TVA sur le train, l'interdiction de la publicité sur les produits polluants, ou l'obligation de rénover les logements privés d'ici à 2024 – tant et tant de sujets qui occupent pourtant beaucoup de place dans les débats, notamment ceux dudit CESE.
Sur le CESE également, aucune des demandes de la convention citoyenne n'a été véritablement satisfaite : ni consultation systématique au moment de la rédaction de projets et de propositions de loi, ni renforcement du caractère contraignant de ses avis, ni tirage au sort des membres permanents – même le nom n'a pu être révisé. Le mépris est en fait plus général, il atteint toutes les formes de démocratie, sanitaire, sociale et parlementaire ; c'est particulièrement frappant et choquant, lors même qu'il est urgent, en pleine crise – on l'a constaté – , de s'appuyer sur la mobilisation et l'intelligence collectives.
En matière de démocratie sanitaire, Emmanuel Rusch, président de la Conférence nationale de la santé, un parlement sanitaire consultatif qui réunit les différents acteurs du système de soins, souligne que depuis le début de la crise, « aucune des instances n'a été mobilisée par les pouvoirs publics, et quand elles se sont manifestées, leur parole n'a guère été prise en compte ». Gérard Raymond, président de France Assos Santé, qui regroupe quatre-vint-cinq associations d'usagers et usagères du système de soins, et représente à ce titre l'interlocuteur officiel des pouvoirs publics depuis 2016, indique que « la démocratie en santé a explosé dès le premier jour. Nous n'avons été associés ni au comité d'experts, ni à la décision de confiner. Nous n'avons pas été entendus sur le déconfinement et avons dû monter au créneau en urgence, fin août, alors que le projet de décret relatif au retour au travail des personnes vulnérables était déjà bouclé. »
Les exemples de ce type sont nombreux, qui illustrent en vérité toute la vacuité d'un texte avec lequel on prétend améliorer et réformer une instance de consultation, alors qu'au moment même où il faudrait justement se saisir de ces instances, en pleine crise, elles sont sans cesse méprisées, au profit du conseil de défense, dont ce n'est pas le rôle de délibérer sur les questions sanitaires ou écologiques, et qui pourtant donne un avis couvert par la loi du secret, et qui n'est responsable devant personne d'autre que le pouvoir lui-même. Au débat démocratique, ce pouvoir a préféré l'escalade répressive et sécuritaire, instrumentalisant même la crise pour refuser au Parlement de débattre. Ainsi en va-t-il des lois que nous discutons cette semaine même : le projet de loi relatif au code de la sécurité intérieure, il y a quelques instants ; demain, la proposition de loi sur la sécurité globale. Nous assistons à un verrouillage du continuum sécuritaire de la macronie, qui est l'antithèse absolue de ce que le Gouvernement et sa majorité prétendent faire aujourd'hui avec ce texte. En vérité, Gouvernement et majorité considèrent précisément le peuple et toutes les instances de décision démocratiques comme des instruments dangereux, qu'il s'agit de confiner.
Le groupe La France insoumise s'oppose à cette vision. Face aux enjeux de la bifurcation écologique et de la refonte démocratique, nous ne saurions cautionner un projet de loi organique qui s'apparente à un dérisoire ripolinage. Voilà pourquoi nous ne soutiendrons pas ce texte.
Réformer notre système démocratique est une nécessité, tant nous constatons chaque jour l'essoufflement de nos institutions. Les citoyennes et les citoyens ont de moins en moins confiance en la parole politique ; les lieux de concertation sont sous-utilisés, les corps intermédiaires, trop souvent, et à tort, vilipendés et affaiblis. Ce n'est pas une crise de l'engagement citoyen : celui-ci existe au quotidien, la période de crise que nous traversons en témoigne. Ce n'est pas non plus le fait d'un désintérêt pour les affaires de la cité, ou d'un repli sur soi, au détriment de l'intérêt général ; mais l'absence de lieu propice à une démocratie active et délibérative freine le dialogue entre les citoyens et avec leurs représentants, et par conséquent affaiblit la légitimité du projet politique et de la prise de décision. Le CESE est en ce sens une institution que je crois utile ; elle peut effectivement être réformée, mais son importance ne tient pas seulement à sa structure même.
Oui, nous pouvons réformer le CESE, mais si nous restons partout dans cette verticalité du pouvoir inhérente à la Ve République, nous n'atteindrons pas l'objectif fixé. Regardez la place du Parlement : elle est loin d'être satisfaisante ; les représentants de la nation, élus par le suffrage universel, n'ont que très peu l'initiative des lois, et par toute une série de mécanismes, nos votes peuvent être contournés – seconde délibération, vote bloqué, vote réservé. Plus les législatures passent et moins le discours politique, pourtant vecteur d'éducation populaire et d'action, a sa place dans la vie publique. Finalement, seul l'exécutif ne perd jamais son pouvoir. Aussi, vouloir redonner toute sa place à l'initiative citoyenne, sans réformer nos institutions, s'avère une vaine tentative. Avec ce projet de loi organique, le Gouvernement propose d'effectuer quelques ajustements au fonctionnement du CESE. Certains sont positifs, comme l'abaissement du seuil de pétitions à 150 000 signatures, ainsi que celui de l'âge requis à 16 ans – ce qui ne relève pas du jeunisme, comme j'ai pu l'entendre lors des débats au Sénat. D'autres le sont potentiellement, à condition d'être correctement encadrés, comme le tirage au sort.
Cependant, je suis opposée à la diminution du nombre des membres, qui n'apporte rien, si ce n'est de réduire la représentativité. Je m'inquiète de la réforme de l'article 7 de l'ordonnance de 1958, qui allège considérablement les obligations en matière de représentativité des différents champs de la société. Nous vous avions alertés en première lecture, à raison, sur la représentation des outre-mer. Votre amendement, monsieur le ministre, va dans le bon sens.
J'appelle également votre attention sur le collège représentant les jeunes dans leur diversité. Les travaux que je mène avec notre collègue Sandrine Mörch, dans le cadre de la commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse, ont montré de graves carences dans l'écoute et la prise en considération de leur parole. Si nous ne garantissons pas leur présence dans le CESE, nous ne ferons qu'amplifier le phénomène. Nous avons d'ailleurs reçu un représentant du collège des jeunes du CESE, qui nous a fait part du nombre important de travaux menés, témoignant de l'efficacité de leur représentation. Enfin, je vous mets en garde quant aux conséquences de l'article 6, qui vise à se passer de la consultation, pourtant prévue par la loi, d'un certain nombre de structures, dès que le CESE est saisi ; cela m'apparaît dangereux, car très flou. Je partage donc la volonté du Conseil d'État de voir cet article disparaître.
Les travaux du CESE manquent de valorisation, c'est vrai. Mais les raisons ne tiennent pas qu'à son fonctionnement. Il nous appartient à nous, qui sommes finalement celles et ceux qui votons les lois, de prendre en considération leurs travaux. Dans ma réflexion sur le sport, j'ai pris appui sur des rapports du CESE – je pense particulièrement à celui de Muriel Hurtis et Françoise Sauvageot. A contrario, je n'ai pas pu m'emparer pleinement de l'avis du CESE sur le projet de loi de programmation de la recherche car il est arrivé, hélas, pendant l'examen de celle-ci. Ce rapport était d'ailleurs unanime contre le texte – l'exécutif ne lui a pas accordé une seconde d'attention. Avec 25 % de membres en moins ou la pétition numérique, je ne pense pas que l'avenir de ce rapport aurait été différent.
Toute réforme du CESE n'aura donc qu'une incidence marginale si nous continuons avec le même système institutionnel. Rendre du pouvoir au Parlement, renforcer les communes, lieux par excellence de l'exercice de la citoyenneté, et multiplier les lieux d'écoute et d'échange, voilà qui serait favorable à la démocratie. Le soutien au monde associatif est également indispensable, car il représente bien souvent la porte d'entrée dans l'engagement. Cette chambre de l'avenir ne pourra exister qu'au sein d'une nouvelle république. Aussi, conformément à son ambition de la voir advenir, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine s'abstiendra sur ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Lors de sa création en 1946, le CESE fut d'abord le Conseil économique. La Constitution de la Ve République lui ajouta une compétence sociale, et la révision constitutionnelle de juillet 2008, une compétence environnementale, pour le faire devenir Conseil économique, social et environnemental. Ses 233 membres peuvent être saisis par le Gouvernement, par le président d'une des deux chambres, ou par eux-mêmes. La saisine est obligatoire pour les sujets d'ordre économique, social, environnemental. Le CESE peut aussi être saisi d'un sujet particulier, dès lors qu'une pétition rassemble au moins 500 000 signatures. Ces moyens d'expression démocratique ont fait sa force. Faute de saisine externe du Gouvernement et de la population, ainsi qu'en raison d'un manque de visibilité et de lisibilité, le CESE procède majoritairement par autosaisine. Il étudie toutefois des pétitions, même lorsqu'elles n'atteignent pas les 500 000 signatures.
Cependant, ses travaux sont restés malheureusement peu connus et assez peu exploités. C'est pourquoi il est nécessaire de faire évoluer le Conseil et de le moderniser, conformément à l'engagement du Président de la République et à la demande des citoyens, exprimée lors du grand débat national et de la convention citoyenne pour le climat. Par ce projet de loi organique, nous assignons donc au CESE une triple fonction : éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux, accueillir et traiter les pétitions dans un cadre rénové, et renouer avec sa vocation de miroir de la société civile, en devenant le carrefour des consultations publiques. C'est pourquoi nous avons proposé en première lecture de réviser les critères de pétition, avec l'abaissement du nombre de signataires à 150 000 et de l'âge requis à 16 ans, afin d'encourager les jeunes à participer au débat public, et avec l'accès modernisé par l'utilisation de la voie numérique, la diminution des délais de traitement et la suppression du critère géographique.
Nous avons également précisé le dispositif de consultation et de participation du public, par l'instauration d'un processus de tirage au sort adapté et accompagné de garanties : la nomination de garants, une représentation appropriée à l'objet de la consultation et une représentation territoriale équilibrée, incluant les territoires d'outre-mer et le respect de la parité. La création d'un comité de suivi, chargé de proposer des évolutions sur la composition du CESE à la fin de chaque mandature, a aussi été décidée, comme l'adoption d'un code de déontologie.
Lors de la première lecture, le Sénat est revenu sur ces dispositions. S'agissant de la possibilité pour le CESE d'organiser des consultations publiques et d'utiliser la méthode de tirage au sort des citoyens, il a estimé que la participation et les conventions citoyennes ne pouvaient pas remplacer la délibération démocratique. Les sénateurs refusent aussi que le Gouvernement ait la possibilité, lorsqu'il consulte le CESE sur un projet de loi, de ne pas procéder à d'autres consultations préalables. Enfin, ils ont choisi de rétablir l'obligation de diversité géographique pour le droit de pétition et revu à la hausse la composition du CESE, qui comprendrait 193 membres. Les échanges intéressants et constructifs de la CMP n'ont pas abouti à un accord concernant les consultations publiques, le tirage au sort, la représentation géographique et la dispense de consultation préalable dans certains domaines.
Lors de la nouvelle lecture en commission, nous avons rétabli la suppression du critère géographique et les consultations publiques par tirage au sort ; nous avons apporté une nouvelle garantie pour assurer une représentation appropriée du public concerné ; nous avons également rétabli l'article 6 qui dispose que, quand le CESE est consulté sur un projet de loi, le Gouvernement est dispensé de consultations préalables ; nous avons amendé l'article 7, qui modifie sa composition, en diminuant de 25 % le nombre de ses membres, conformément à la demande du Président de la République, pour arriver à 175 membres, représentants de la société civile. Nous organisons une répartition harmonisée au sein des quatre catégories, avec une représentation des outre-mer au sein de la troisième. L'article 11 vise à instaurer la remise d'un rapport annuel d'activité.
J'insiste sur le rôle que le CESE doit tenir dans notre société, en tant qu'acteur essentiel de la démocratie sociale. Il est une instance de participation citoyenne, qui a pour objet de mettre en valeur la démocratie participative, en complémentarité de la démocratie représentative. C'est un organe consultatif, dont le rôle est de faire des recommandations sur les thèmes choisis, dans le cadre de sa mission sociale, économique et environnementale, et de faire des propositions. Il importe d'entendre la demande des citoyens de s'impliquer plus activement dans le débat public, afin d'enrichir nos échanges parlementaires – les deux chambres conservant leurs prérogatives de législateur. Je veux remercier le rapporteur, les administrateurs de l'Assemblée et du groupe, ainsi que les commissaires aux lois pour avoir fait évoluer ce texte.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Nous arrivons aujourd'hui au terme de l'examen du projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental. Ce fut un débat à la hauteur des enjeux visés par ce texte d'importance. Il était absolument nécessaire d'aboutir sur ce sujet, car c'était un engagement que nous avions pris et les attentes de nos concitoyens en la matière étaient – et demeurent – très fortes. Je crois qu'avec ce projet de loi, dans la version issue de nos travaux en commission des lois, nous redonnons au CESE toute sa place et, ce faisant, nous jetons les bases d'un juste équilibre entre démocratie participative et démocratie représentative.
D'abord, avec nos collègues sénateurs, nous avons réaffirmé l'importance de la saisine citoyenne du CESE en abaissant le nombre de signatures nécessaires et en dématérialisant les procédures. Cette évolution n'est pas anodine car elle permettra à nos concitoyens de saisir plus facilement le Conseil. C'est un outil qui est désormais à portée de toutes et tous, et qui, je l'espère, ne sera plus sous-employé.
De la même manière, avec la proposition de notre rapporteur d'abaisser à 16 ans l'âge requis pour la saisine, nous envoyons un signal fort aux jeunes : ils sont désireux de s'engager, nous leur donnons tous les moyens de le faire. Nous nous en félicitons sincèrement.
Outre ces mesures qui apportent plus de souplesse à la saisine du Conseil, nous avons également pu avancer sur sa représentativité. Là encore, en accord avec le Sénat, nous avons pu procéder à la suppression de la présence des personnalités qualifiées, ce qui, j'en suis convaincue, conférera au collège des membres une plus grande légitimité. Dans le même esprit, je salue les apports du Sénat concernant les règles déontologiques auxquelles devront répondre les membres du Conseil. Ce n'est pas négligeable, car c'est aussi une manière de garantir la légitimité de leurs travaux.
Enfin, nos discussions ont permis d'avancer sur la place que nous souhaitions donner au CESE de manière plus globale. Sur ce sujet, nous ne sommes malheureusement pas parvenus à nous mettre d'accord avec nos collègues sénateurs qui ont fait le choix de supprimer l'article 6, lequel ouvrait la possibilité au Gouvernement de consulter le CESE dans le cadre de l'examen de certains projets de loi. Nous avons choisi de rétablir cet article dans la rédaction à laquelle nous étions parvenus après nos échanges, lors de l'examen en première lecture.
Deux bémols subsistent cependant. Le premier concerne la représentation des territoires ultramarins. Je regrette que nous n'ayons pu trouver une solution satisfaisante ; nous n'avons pu aller plus loin que celle de notre collègue rapporteur et c'est dommage. Le second bémol, plus large, est relatif aux moyens alloués au Conseil. C'est en quelque sorte l'angle mort du texte et c'est un point sur lequel nous devrons à tout prix avancer car de lui dépend aussi le bon fonctionnement de l'institution.
Vous l'aurez compris, le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés votera ce projet de loi organique qui, c'est à noter, fait largement consensus. Je termine en saluant l'engagement du rapporteur, notre collègue Erwan Balanant. Je sais le travail qu'il a mené sur le sujet dans le cadre de ce texte mais aussi bien au-delà. Je connais les convictions qui l'animent et je lui redis tout notre soutien.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et sur quelques bancs du groupe LaREM.
Je tiens tout d'abord à saluer le travail qu'a effectué notre rapporteur dans un cadre très contraint. Je tiens également à le remercier, ainsi que Mme Dubré-Chirat, de l'engagement qui nous a permis, avec le Gouvernement, de fixer des règles déontologiques qui s'imposent à toute institution.
En préambule, je souligne que la réduction du nombre des membres du CESE, si elle présente à coup sûr l'avantage d'être plébiscitée, n'apporte en réalité aucune garantie quant à la performance de la réflexion ou à la qualité de la démocratie.
Ainsi, alors que nous aurions pu inviter de nouveaux membres à la table de la discussion du CESE, nombre d'acteurs majeurs s'en trouvent exclus, à l'instar des universitaires ou des représentants du monde des arts et de la culture. Quel dommage de ne pas profiter de la révision d'une institution pour élargir sa base !
Je formulerai par ailleurs quatre observations.
Premièrement, l'article 2, prévoyant la possibilité pour le Gouvernement et le Parlement de saisir le CESE pour avis, a été supprimé au Sénat. L'article 70 de la Constitution dispose en effet que le Conseil peut être « consulté par le Gouvernement et le Parlement sur tout problème de caractère économique, social et environnemental ». Le Sénat a jugé que cela suffisait. Il sait donc que le Parlement signifie ou l'Assemblée, ou le Sénat, ou les deux à la fois. L'Assemblée nationale, dans sa sagesse, avait précisé cette dualité dans l'initiative. Le débat parlementaire devra l'éclairer. Il est néanmoins dommage que la loi organique ne le précise pas, y compris en ouvrant la saisine à une minorité parlementaire introduite par notre assemblée dynamique.
Deuxièmement, le rétablissement de l'article 4 par la commission des lois de l'Assemblée nationale est une bonne décision. Il s'agit là d'une disposition phare du projet de loi ; la supprimer retirerait tout intérêt au texte. L'ouverture à la participation citoyenne satisfait ceux qui, comme moi, militent depuis des années pour que l'expression citoyenne soit sollicitée par tous moyens. Nous proposons d'ailleurs l'élargissement de ce dispositif en introduisant la possibilité, pour une minorité parlementaire – et pas seulement pour le Gouvernement et les présidents des assemblées – de solliciter le Conseil afin qu'il ait recours à une consultation publique. J'attends le même dynamisme que celui que j'ai constaté sur ce sujet en première lecture lors de l'examen de l'article 2.
Rappelons à ce propos que la parole citoyenne doit être prise en considération par tous les organes portant des décisions ou avis publics, et ne peut s'entendre comme réservée à une seule institution. Dans ce registre, la pétition citoyenne reste toujours du domaine du possible à l'Assemblée nationale. Je m'adresse ici à M. Pancher : il nous paraissait utile que le CESE puisse être l'organisateur d'une consultation voulue par des parlementaires et du Sénat, et de l'Assemblée nationale.
Troisièmement, nous approuvons la volonté du Sénat, qui a supprimé l'article 6, de ne pas faire du CESE l'assemblée consultative prioritaire. Mais, si le Gouvernement entend s'autocensurer en limitant ses consultations à celle du CESE, le Parlement pourra toujours auditionner les organes consultatifs écartés. Au surplus, à un moment où l'on fait appel à la consultation citoyenne, il nous paraît peu cohérent d'écarter d'autres formes de concertation.
Enfin, se doter de règles déontologiques doit être un prérequis pour toute institution et le CESE ne peut échapper à cette exigence. Je salue le travail mené sur ce sujet en bonne intelligence avec le Gouvernement, ce qui a permis l'introduction d'un code, d'un organe de déontologie, d'une obligation de déclaration d'intérêts et d'une transparence sur l'indemnité représentative pour frais de mandat. Il est encore bon de rappeler qu'il s'agit non d'entretenir une culture de la suspicion mais bien au contraire de définir des règles de fonctionnement attendues par nos concitoyens et de favoriser une culture de la réflexion sur la qualité de l'action publique.
Finalement, nous sommes loin de l'assemblée du futur que nous avions envisagée lorsqu'avec notre ami Claude Bartolone nous avions réfléchi à une réforme de nos institutions, comme nous sommes loin d'une réforme de nos institutions attendue par nos citoyens.
Il est regrettable que les universitaires n'aient pas toute leur place au sein du CESE, ce qui en ferait une assemblée ouverte sur la recherche et la rigueur scientifique. Si la réforme a le mérite d'ouvrir le Conseil à la parole citoyenne, il est dommage qu'on ne saisisse pas cette occasion pour en faire un meilleur outil de prospective travaillant sur le long terme aux côtés du Parlement.
Malgré les vifs regrets que je viens d'exprimer, le groupe Socialistes et apparentés accompagnera ce texte d'un vote favorable.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC, ainsi que sur le banc de la commission.
Nous sommes réunis pour examiner en nouvelle lecture ce texte qui tend à réformer et à rénover cette troisième institution, après le Sénat et l'Assemblée nationale, qu'est le CESE. Bien entendu, le groupe Agir ensemble soutient ce texte, même s'il souhaite discuter de sujets qui nous semblent essentiels.
Je salue tout d'abord trois évolutions positives. Nous voulons faire du CESE le carrefour des consultations publiques. De fait, nous notons l'amélioration de la procédure de pétition citoyenne, grâce à la réduction du délai de réponse, à l'abaissement du seuil de recevabilité à 150 000 signatures et de l'âge minimum des signataires à 16 ans, et bien sûr à l'intégration de la pratique de la consultation publique par tirage au sort. Je remercie à nouveau le rapporteur, la commission et le Gouvernement qui ont entendu les remarques que j'ai formulées en commission lors de la première lecture et accepté de préciser que le tirage au sort devrait assurer une représentation équilibrée des territoires, notamment des outre-mer.
J'aurais toutefois préféré que le texte précise que les représentants des outre-mer seraient « issus des trois bassins océaniques Atlantique, Indien et Pacifique ». Je vous assure que ce qui peut nous paraître évident, à nous, dans cette assemblée, ne se décline pas de manière aussi claire dans la pratique quotidienne. Nous l'avons déjà constaté. Sur ce point, nous avons tiré collectivement les leçons du raté de la convention citoyenne pour le climat, dans laquelle, même si notre présence était pour tous une évidence, on nous a oubliés. Je ne formule aucune accusation de malveillance, mais, très souvent, quand on est à 10 000 ou 20 000 kilomètres, on nous oublie tout naturellement. C'est pourquoi, chaque fois que c'est possible, notre présence doit être précisée dans les textes.
Quant au reste du débat, le plus important est pour nous la représentation. Nous ne souhaitons pas que, dans ce projet de loi organique, les outre-mer soient une nouvelle fois la variable d'ajustement, même si ce n'est peut-être pas le cas dans l'esprit de ceux qui le soutiennent. Depuis quelques années, ce fut souvent le cas : dans la loi sur l'élection des représentants au Parlement européen ou dans la loi ASAP – accélération et simplification de l'action publique – qui a supprimé la CNEPEOM – Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer. Nous ne figurons pas dans nombre de textes d'ampleur nationale. C'est encore le cas avec ce projet de loi organique.
Ainsi, le porte-voix de nos collectivités au sein de l'institution sera supprimé, alors même qu'il est nécessaire. Ce sont en effet deux choses bien différentes que la présence d'un collège de membres de l'outre-mer et celle de membres issus de l'outre-mer disséminés dans différents collèges. Vous le savez : au CESE, chaque membre d'un groupe porte l'ADN de celui-ci en lui et dans son analyse. Cela fait toute la différence.
J'ai bien noté, monsieur le ministre, que, depuis l'origine, vous souhaitez réduire notre représentation à huit membres. Je vous remercie de votre amendement : figer dans la loi la présence de l'outre-mer dans le collège des territoires est déjà une avancée. Reste la question du nombre de nos représentants. À ce sujet, j'ai une ultime proposition à vous faire, sous la forme d'un sous-amendement que je viens de déposer. J'ignore encore s'il sera déclaré recevable, mais je vous demande vraiment d'y réfléchir.
Je comprends que vous souhaitiez globalement abaisser de 25 % la représentation et que, naturellement, tout le monde se dise que, si chaque territoire doit faire un effort, c'est aussi le cas de l'outre-mer. Nous insistons cependant pour que chaque territoire soit représenté. Ne peut-on garantir à l'outre-mer que, sur 175 sièges, il en occupera onze, soit 6 % du nombre total ?
Vous vous apprêtez à baisser de onze à huit le nombre de nos représentants. Pour l'hexagone, une différence d'un quart ne changera rien. Pour nous, elle changera tout. Car naturellement et légitimement, tout nous sépare : la géographie, l'histoire, le climat, les statuts. Chaque territoire dispose de particularités juridiques, taillées presque sur mesure. L'outre-mer a besoin d'être entendu, comme il l'est dans cette assemblée. Pensez-vous franchement que je puis ici parler au nom de la Nouvelle-Calédonie ? Pensez-vous que nos collègues de Saint-Martin ou de Wallis-et-Futuna peuvent s'exprimer au nom de Saint-Pierre-et-Miquelon ?
J'ai noté votre argument, selon lequel c'est le rôle du Sénat que de représenter les collectivités. J'en conviens, mais la fonction des membres du CESE est de représenter non des collectivités mais des citoyens. C'est ce qui me gêne. Alors que l'objectif de cette réforme est de moderniser le CESE et d'en faire le carrefour de l'expression citoyenne, ne pourrait-on accorder à l'outre-mer au moins 11 membres sur 175 ?
Encore un mot : j'ai déposé un amendement tendant à augmenter de trois le nombre des représentants ultramarins au sein du collège de la cohésion sociale et territoriale et de la vie associative, qui passerait ainsi de quarante-cinq membres à quarante-huit. Son adoption nous permettrait, de manière historique, de préserver au CESE la représentation de l'ensemble des territoires.
J'ai bien compris !
La parole est à M. Philippe Gosselin – pour une durée maximale de cinq minutes, mon cher collègue.
Sourires.
Nous nous retrouvons pour examiner ce texte important relatif au CESE à la suite de l'échec de la commission mixte paritaire, en dépit duquel nous avons, selon moi, progressé.
Le CESE, dont l'intitulé a varié, est une vieille institution de nos régimes républicains ; ce n'est pas une création totalement nouvelle de la Ve République. Depuis 2008, il est non seulement « économique et social », mais aussi « environnemental », ce qui est la marque de l'attention que nous lui portons collectivement. Son intérêt est d'associer les corps intermédiaires, les associations, les fédérations professionnelles et syndicales, mais aussi les territoires – je me tourne vers Maina Sage, qui vient de plaider, à juste titre, en faveur d'une meilleure représentation des outre-mer.
Que n'a-t-on dit à propos du CESE ! Est-ce une chambre ? Une assemblée ? Un conseil, assurément ! Une chose est certaine : il joue un rôle nécessaire, voire indispensable, que nous lui reconnaissons volontiers, à condition toutefois que chacun reste « à sa place ». Si cette expression peut paraître un peu triviale ou maladroite, il est bon de rappeler qu'il ne s'agit en aucun cas d'une troisième chambre de la République, qui viendrait concurrencer le Parlement, composé de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Cela ne signifie pas que nous nous désintéressions de ce que fait le CESE. Je pense, bien au contraire, que nous nous préoccupons insuffisamment de ses avis, toujours de grande qualité, et du travail qu'il réalise. De manière un peu facile, dans le tourbillon des commentaires, l'opinion publique fait son miel d'une prétendue inactivité du CESE ainsi que de la rémunération et de certains avantages de ses membres, ce qui est, à mon sens, très injuste. Il importe, à périmètre constitutionnel constant – j'y insiste – , non seulement d'améliorer les conditions d'intervention du CESE, mais aussi d'étendre le champ de cette intervention. Pour ces raisons, nous avons porté un regard tout à fait bienveillant sur les préconisations de M. Bernasconi, président du CESE, et sur les propositions du Gouvernement et de nos collègues parlementaires.
Néanmoins, quelques désaccords subsistent, sur des points plus ou moins saillants. S'agissant du droit de pétition, nous ne sommes pas parvenus à un accord sur le nombre de pétitionnaires requis : si le seuil de 500 000 initialement prévu était évidemment trop élevé, on a peut-être été un peu trop généreux en le ramenant à 150 000. Nous craignons qu'un recours trop fréquent aux pétitions n'entraîne une forme d'embolie, et n'en vienne à banaliser cette procédure, ce qui n'est évidemment pas le but recherché.
Par ailleurs, veillons à ne pas susciter de vains espoirs qui ne pourraient être satisfaits, notamment dans le cas où les propositions ne recevraient pas l'écoute attendue – ce risque n'est pas totalement théorique. Quant au droit de pétition dès 16 ans, pourquoi pas, à condition que cela n'implique pas d'avancer de 18 à 16 ans l'entrée dans la citoyenneté. Il faut que les choses soient claires sur ce point également.
Restent deux interrogations majeures. Premier point : la reconnaissance des citoyens tirés au sort. Associer de tels « jurés » au cas par cas, pourquoi pas, mais de façon encadrée et sans obligation de résultat. Il ne faudrait pas que lesdits citoyens se substituent au Parlement ou qu'ils se sentent investis d'une mission quasi messianique et imposent leurs conclusions à la société, avant que celles-ci n'aient été valorisées, débattues et adoptées par le Parlement.
Deuxième et dernier point, qui n'a pas été tranché : la question des outre-mer, qui couvrent 11 millions de kilomètres carrés et présentent des singularités qui les distinguent nettement des autres territoires ou régions. Plusieurs millions de nos concitoyens y vivent ; ils ont besoin d'être représentés. Il nous revient d'avancer ce soir sur cette question, afin que les ultramarins ne se sentent pas exclus – ce n'est l'intention de personne, ni la nôtre ni la vôtre, monsieur le ministre, je n'en doute pas.
Applaudissements sur les bancs des groupes LR et Agir ens.
J'appelle maintenant dans le texte de la commission les articles du projet de loi organique sur lesquels les deux assemblées n'ont pu parvenir à un texte identique.
L'amendement no 44 de M. Paul Molac est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
Il est défavorable. Nous avons débattu de ce point en commission, et M. le garde des sceaux a bien expliqué tout à l'heure notre démarche en la matière.
L'amendement no 44 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté.
L'article 3 est adopté.
L'amendement no 5 de Mme Cécile Untermaier est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
Nous avons déjà débattu de ce point. Je souhaite néanmoins en dire quelques mots, Mme Untermaier ayant beaucoup travaillé sur le sujet.
Les membres du CESE représentent précisément des intérêts ; c'est ce qui fonde la légitimité de l'institution. Dès lors, la notion d'indépendance est compliquée à manier. D'où la rédaction que nous avons retenue pour l'article 4, qui va déjà assez loin et répond aux interrogations des acteurs de la société civile. Je demande le retrait de l'amendement, car il n'est pas entièrement adapté au dispositif que nous avons construit.
Ma position est identique à celle de M. le rapporteur.
L'amendement no 5 est retiré.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l'amendement no 6 .
Celui-ci, je ne le retirerai pas. Il vise à introduire, à l'article 4, la possibilité d'une saisine du CESE par une minorité de parlementaires, telle que nous l'avions prévue à l'article 2.
Selon nous, il serait intéressant de permettre à une minorité de parlementaires de solliciter le CESE afin que celui-ci ait recours à une consultation du public. En l'état du texte, seul le Gouvernement et les présidents des assemblées parlementaires peuvent enclencher une telle procédure. Or les conventions citoyennes doivent pouvoir être créées également à l'initiative d'une minorité de parlementaires.
La saisine du Conseil constitutionnel est ouverte à soixante députés ou soixante sénateurs depuis 1974 ; il est temps de permettre la saisine du CESE par une minorité de parlementaires. De la sorte, le CESE pourra jouer pleinement son rôle et, de surcroît, le Parlement pourrait être revalorisé.
J'entends l'argument relatif à l'inconstitutionnalité d'une telle proposition. Toutefois, celui-ci ne tient pas, à l'évidence. En effet, l'article 70 de la Constitution est particulièrement flou, puisqu'il prévoit que le CESE « peut être consulté par le Gouvernement et le Parlement ». Une interprétation littérale conduirait à ne permettre la consultation du CESE qu'à la condition que les deux assemblées parlementaires le saisissent conjointement – puisque c'est « le Parlement » qui est visé. Néanmoins, de toute évidence, le constituant a entendu laisser au législateur une grande latitude pour déterminer les conditions de la consultation parlementaire.
Dès lors, rien n'interdit et tout recommande de permettre à une minorité de parlementaires de solliciter l'avis du CESE ou de demander une consultation du public. L'amendement porte sur cette seconde possibilité.
Je tiens à vous remercier d'avoir retiré l'amendement précédent. Quant à la présente proposition, nous en avons longuement discuté en première lecture. Si nous ne légiférions pas à iso-Constitution, j'y serais très favorable, je l'ai dit. Toutefois, contrairement à ce que vous indiquez, la Constitution est claire à ce sujet et nous impose des contraintes. À ce stade de nos débats, je ne veux pas prendre le risque que le dispositif solide, robuste, que nous avons construit à l'article 4 soit déclaré inconstitutionnel. Ce risque est important. J'émets donc un avis défavorable.
Nous avons déjà eu cette discussion. Mon analyse et ma position sont identiques à celles de M. le rapporteur. Le Gouvernement est défavorable à votre amendement, madame Untermaier.
Je ne prétends pas que le risque d'inconstitutionnalité soit totalement écarté, mais le législateur peut parfois prendre quelques risques. En l'espèce, cela en vaut la peine, car il s'agit de défendre les minorités.
Mme Untermaier a fait référence à la réforme de 1974 qui a étendu à soixante députés ou soixante sénateurs la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel. À l'origine, sa portée a été un peu sous-estimée. Or, on le sait désormais avec le recul, cela a été une réforme majeure, une des grandes réformes du président Giscard d'Estaing – à qui j'adresse tous mes voeux de rétablissement.
Donner la possibilité non seulement au président de l'Assemblée – que je respecte, et le président de séance se fera mon porte-parole sur ce point – et au président du Sénat mais aussi à l'opposition de saisir le CESE permettrait d'impliquer davantage les différentes composantes de la vie politique nationale. Notre volonté étant de mieux associer le CESE, il importe que la représentation nationale puisse le solliciter elle aussi, dans sa diversité. Il s'agit d'une bonne proposition. Le groupe Les Républicains soutiendra l'amendement.
Sourires.
Lors de la première lecture, j'avais soutenu les amendements à l'article 2 qui visaient à donner aux groupes minoritaires la possibilité de saisir le CESE. Malheureusement, ledit article 2 a été supprimé du fait de la navette parlementaire.
En l'espèce, madame Untermaier, la rédaction que vous proposez soulève une difficulté : qu'est-ce qu'une « minorité de parlementaires » ? Est-ce dix parlementaires, vingt parlementaires ou bien encore un groupe minoritaire ? Il est dommage que vous ayez retenu cette expression.
Dès lors, mieux vaut en rester à l'équilibre que nous avons trouvé en commission.
L'enjeu est la possibilité pour le Parlement de développer une action dynamique avec le CESE. En outre, il est important pour le CESE de savoir s'il peut être sollicité régulièrement et jouer un rôle utile au service de la représentation nationale.
C'est par prudence, madame Avia, que nous avons retenu l'expression « une minorité de parlementaires ». Nous laisserions ainsi le soin à la présidence de chacune des assemblées de définir le nombre de députés ou de sénateurs susceptibles d'enclencher la procédure. Par ailleurs, vous avez l'intention de réduire le nombre de parlementaires. En ne scellant pas, dans la loi organique, le nombre de parlementaires requis, nous allons au-devant de vos préoccupations.
La majorité avait adopté les amendements à l'article 2 qui visaient à étendre la saisine du CESE à soixante députés ou soixante sénateurs. Elle devrait, de même, adopter cet amendement, qui correspond à une exigence que nous faisons nôtre : faire vivre le Parlement.
Dans la mesure où nous votons les lois, il est essentiel que nous ayons la faculté d'enclencher une consultation du public. Ce serait non pas une instrumentalisation politique par une opposition, comme certains collègues sénateurs l'ont dit, mais simplement la possibilité pour nous d'engager une action dynamique, conforme à la réforme du CESE que vous avez voulue.
L'amendement no 6 n'est pas adopté.
L'amendement no 21 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 4, amendé, est adopté.
Mes chers collègues, il est dix-neuf heures trente, heure théorique de levée de la séance de l'après-midi. Je propose néanmoins que nous examinions les trente-neuf amendements encore en discussion, à condition que nous le fassions rapidement.
Fixons-nous comme horizon une levée de séance à vingt heures. Si nous ne parvenions pas à achever l'examen du texte d'ici là, je lèverais la séance et nous nous reverrions un peu plus tard dans la soirée.
L'amendement no 52 de M. Bertrand Pancher est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
L'amendement no 52 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Notre collègue Lorho étant absente, et sans avoir regardé le fond de ses amendements, je me permets de les défendre.
La règle, monsieur Gosselin, c'est qu'un amendement ne peut être défendu que par un membre du même groupe que le signataire. Je ne crois pas que vous fassiez partie du même groupe que Mme Lorho.
Sourires.
L'article 5 est adopté.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l'amendement de suppression no 7.
Je trouve regrettable que le Gouvernement s'autocensure et limite ses consultations en renonçant, parce qu'il a saisi le CESE, à consulter tel ou tel. Vous ne savez pas de quoi demain sera fait.
C'est un peu dommage, et je me console en me disant que le Parlement consultera, lui, peut-être, les organes et les associations que vous considérez désormais comme étant de peu d'intérêt.
En l'état du dispositif, le Gouvernement peut, s'il le souhaite, ne pas s'autocensurer et continuer comme aujourd'hui. Je comprends vos réserves ; nous en avions tous au début de l'examen du texte, et l'article a été réécrit par un amendement du Gouvernement pour apporter des garanties en excluant certains comités consultatifs de cette disposition. De plus, la commission a ajouté, en nouvelle lecture, un élément important : s'il le souhaite, le CESE pourra demander l'avis des instances consultatives compétentes pour éclairer ses travaux. En réalité, le CESE bénéficiera d'une subrogation tout en ayant la possibilité de ne pas se priver de l'expertise des comités existants. Avis défavorable.
Avis défavorable pour les mêmes raisons que celles qui viennent d'être développées clairement par M. le rapporteur.
Je ne retirerai pas l'amendement car cet article me semble regrettable à un moment où il faudrait, au contraire, ouvrir la discussion et faire en sorte que l'action publique soit menée par le plus grand nombre d'acteurs possibles. Je ne vois pas l'utilité de réserver l'exclusive au CESE.
Je comprends que l'on ne veuille pas multiplier les saisines et les expertises. Cet argument serait valable si nous n'avions pas fait, ces dernières années, du nettoyage dans les comités Théodule – si vous me passez l'expression. Nous avons aujourd'hui un ensemble d'autorités et de conseils qui tiennent la route et qui peuvent apporter un regard différent et complémentaire, sans court-circuiter le CESE ; il serait dommage de nous priver de leur expertise au moment où certaines questions sont de plus en plus techniques et délicates. Il est parfois intéressant de recueillir un avis éclairé. Nous n'en ferons pas une affaire de principe, mais il serait regrettable que cet amendement ne soit pas adopté – ce qui n'est pas encore fait, ma chère collègue Untermaier.
Sourires.
L'amendement no 7 n'est pas adopté.
L'article 6 est adopté.
L'ordonnance créant le Conseil économique et social avait prévu la représentation de l'ensemble des territoires ultramarins humainement habités. La réforme présentée revient sur cette disposition. Supprimer la représentativité, c'est omettre une partie de la France et c'est affaiblir la démocratie citoyenne à l'heure où beaucoup demandent une prise en compte de nos particularités. C'est pourquoi l'amendement propose, comme dans la version adoptée par le Sénat et comme c'est le cas depuis sa création, le maintien des onze membres ultramarins du CESE.
Cet amendement a été déposé à l'initiative d'Olivier Serva et cosigné par plusieurs de nos collègues notamment ultramarins. J'ai déjà abordé le sujet dans la discussion générale : c'est pour nous une question presque philosophique, celle de la façon dont on envisage les territoires d'outre-mer, la relation entre l'État et eux, leur présence et leur visibilité au niveau national.
Monsieur le garde des sceaux, je comprends la logique nationale de réduction du nombre de membres ; si nous insistons, ce n'est pas par caprice, ce n'est pas parce que nous nous accrochons absolument une représentation pour chaque territoire, c'est parce que celle-ci est nécessaire. Quand on regarde ces territoires, tout y est différent de l'hexagone, mais tout y est différent, aussi, d'un territoire à l'autre, car chacun d'eux a une histoire et des spécificités différentes. Ce n'est pas non plus une question de considération, car je sais que vous en avez pour nous – nous en avons parlé dernièrement sur les sujets de justice.
C'est une question de compréhension des enjeux. Comprenez que nous sommes vraiment affaiblis, aujourd'hui, en termes de représentation nationale. J'en donnerai un seul exemple : la réforme des élections européennes. Tous, ici, nous avons cru bien faire en passant à un scrutin de liste qui nous a fait perdre la représentation par bassin océanique ; résultat des courses, nous avons deux députés européens qui sont tous deux issus de La Réunion. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir alerté le Gouvernement et la majorité. Dans quelque temps, nous nous retrouverons dans la même situation, et ce sera une perte de ne pas avoir de représentation exhaustive.
L'amendement proposé par notre collègue Serva, identique à ceux de Mme Benin et de M. Naillet, propose donc de rajouter les onze représentants des outre-mer en faisant passer le nombre total de membres de 175 à 186.
J'apporterai une réponse globale aux amendements portant sur le nombre de membres ou la réorganisation des collèges. J'avais proposé la même solution que vous en commission, mais je vais me ranger à celle proposée par le Gouvernement, et je vais vous dire pourquoi. Les travaux du Sénat ont montré que la solution que nous avions adoptée en première lecture sur la représentation équilibrée du territoire, et notamment des outre-mer, n'était pas pleinement satisfaisante car elle ne garantissait pas que cette représentation soit assurée parmi les membres du CESE. J'ai donc proposé d'ajouter, aux quatre catégories que nous avions définies, une cinquième catégorie spécifique aux outre-mer en indiquant le chiffre de onze membres, donc un maintien du statu quo – c'est une proposition qui va assez loin, au regard de la volonté de réduire le nombre total de membres, mais j'avais pris en compte vos préoccupations.
Cependant, cette solution a deux défauts importants. Tout d'abord, elle ne permet pas de tenir l'objectif de réduire à 175 le nombre de membres du CESE, objectif de la majorité que nous avons été nombreux à défendre sur ces bancs. Le deuxième point, et le plus embêtant, c'est qu'elle remet en cause les concertations et les accords qui ont été trouvés au sein même du CESE concernant la répartition des membres au sein de chaque catégorie.
Le plus sage serait d'entendre la proposition de clarification du Gouvernement dont l'amendement vise à inscrire clairement la présence de membres représentants des outre-mer dans la loi organique. C'est une belle avancée, car cette garantie n'existait pas auparavant, et votre trouble était justifié. Je vous demande donc de faire confiance au CESE, lequel s'est engagé à ce que les membres représentants des outre-mer conservent le même rôle et la même visibilité au sein de la nouvelle composition.
Pour cette raison, je serai défavorable à tous les amendements portant sur la composition du CESE, à l'exception de l'amendement no 45 du Gouvernement et de l'amendement identique, no 43 , de ma collègue Dubré-Chirat.
Le Gouvernement émet un avis défavorable au profit de l'amendement qu'il a lui-même déposé.
Sourires.
J'entends les arguments de M. le rapporteur – que je remercie, car je sais l'écoute dont vous avez fait preuve envers les territoires d'outre-mer. Ici, nous proposons de maintenir le nombre de membres à 175 en retouchant, s'il le faut, les autres collèges. Initialement, la perspective retenue était celle d'une répartition de la représentation ultramarine au sein des différents collèges ; l'amendement vise donc à retirer deux places dans le collège des salariés, deux dans celui des entreprises, cinq dans celui de la cohésion sociale et territoriale et deux dans celui de l'environnement, pour recréer un cinquième collège de onze représentants.
L'amendement no 18 est complètement différent de l'amendement no 27 et je ne sais pas pourquoi ils sont en discussion commune. Avis défavorable sur le no 18, dont nous avons déjà longuement débattu.
Quant à l'amendement no 27 , même si j'en comprends la logique, il pose un problème, car il revient sur les équilibres issus d'un accord entre les actuels représentants du CESE, fruit d'un travail long et délicat – évidemment, quand on décide de réduire le nombre de membres de 25 %, tout le monde a des craintes. Le travail de M. Bernasconi, de son équipe et des membres du CESE a abouti à un équilibre que cet amendement déferait.
Avis défavorable au profit de l'amendement déposé par le Gouvernement.
Le groupe Socialistes et apparentés a du mal à concevoir un Conseil économique, social et environnemental dont ne feraient pas partie des personnalités qualifiées du monde de la culture et des arts, mais aussi des universitaires. L'objectif est de réunir le monde économique, social et culturel et il prime, à nos yeux, sur la réduction de 25 % des membres du CESE que vous souhaitez.
Nous avons déjà abordé ce sujet en première lecture. Le choix que nous avons fait d'une organisation en quatre grands pôles – salariés ; entreprises ; cohésion sociale et territoriale et vie associative ; protection de la nature et de l'environnement – a conduit à ne pas inscrire dans le projet de loi organique le détail des activités représentées. Nous laissons au comité et au Gouvernement le soin de les choisir à chaque renouvellement du CESE afin de tenir compte des évolutions de la société civile organisée. Le conseil consultatif veillera à l'équilibre des activités.
Votre amendement est donc satisfait, madame Untermaier : la jeunesse, la culture, l'éducation et la communication auront demain des représentants au CESE, comme ils en ont aujourd'hui au sein de l'une des neuf sections. Le préciser dans le projet de loi organique nous obligerait à recenser l'ensemble des activités et porterait atteinte à l'équilibre auquel nous avons abouti avec ces grands quatre pôles. Avis défavorable.
Nous avons déjà eu cette discussion, en effet. Avis défavorable.
La parole est à M. Stéphane Claireaux, pour soutenir l'amendement no 17 .
J'ai bien entendu les explications du rapporteur tout à l'heure, mais je suis déçu. Le nombre de membres ultramarins va passer de onze à huit, mais comment choisira-t-on les huit territoires représentés ? Vu de l'hexagone, tous les territoires d'outre-mer se ressemblent, mais les problèmes de la Martinique ne sont pas ceux de la Guadeloupe ni ceux de Saint-Martin. J'ai bien peur que lors du choix des territoires représentés, Saint-Martin, Saint-Barthélémy et Saint-Pierre-et-Miquelon – les trois « Saint- » – soient sacrifiés…
Ne soyez pas trop déçu, monsieur Claireaux : nous avons tout de même beaucoup avancé puisque nous avons désormais la garantie de huit membres ultramarins. Rappelons qu'elle n'existait pas dans le texte initial et que nous sommes revenus sur cette erreur.
Sans refaire le débat, je redis que les membres du CESE ne sont pas des représentants territoriaux. Nous avons fait le choix de prendre en compte la particularité des outre-mer, …
… mais il ne s'agit aucunement d'une représentation territoriale. Cette nuance est importante et ne doit pas être oubliée. Avis défavorable.
Avis défavorable.
Nous sommes au milieu du gué : pour assurer une représentation équilibrée, nous avons besoin de onze membres ultramarins, mais le texte n'en prévoit que huit. Encore un petit effort !
On ne peut pas comparer les territoires des Antilles et ceux de l'océan Indien, le petit archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon et les îles de Polynésie. La zone économique exclusive de certains territoires d'outre-mer s'étend sur quelques dizaines de milliers de kilomètres carrés, contre plusieurs millions de kilomètres carrés pour d'autres. Si la Guyane est aussi grande que le Portugal ou l'Autriche, la Polynésie peut être comparée à l'Europe ! Les territoires d'outre-mer ne possèdent pas la continuité territoriale de la France continentale. Même la Corse, qui est une île, reste, par sa proximité, dans la continuité territoriale de la métropole.
S'il est exact que la composition du CESE ne doit pas refléter les territoires – ce que personne ne nie – , il est indispensable de prendre en considération la spécificité des outre-mer, qui abritent 80 % de la biodiversité française, mais aussi des cultures et des peuples aux histoires diverses, dont la singularité – et non la différence – mérite de trouver sa place dans l'unité française.
Nous sommes en train de passer à côté de l'unité dans la diversité ! J'ai bien noté les évolutions positives du texte depuis la première lecture, mais un petit effort est encore nécessaire : il faut rehausser le nombre de membres ultramarins du CESE de huit à onze.
Mme Maina Sage et M. Stéphane Claireaux applaudissent.
L'amendement no 17 n'est pas adopté.
Je précise, dans un souci de transparence, que cet amendement a été suggéré par le Centre français des fonds et fondations. Il propose de mentionner de manière explicite les fondations dans la composition du CESE. Il serait bon, en effet, de réparer cet oubli.
Ces amendements sont satisfaits car les fondations sont déjà prises en considération. Si on les mentionnait explicitement, alors il faudrait mentionner l'intégralité des secteurs représentés. Avis défavorable.
Avis défavorable.
S'il est satisfait, je retire l'amendement. Le Centre français des fonds et fondations sera sensible à cette confirmation.
Il précise qu'au moins un représentant issu de chacune des collectivités ultramarines participe au pôle du CESE dédié à la cohésion sociale et territoriale et à la vie associative.
Je comprends votre position, monsieur le garde des sceaux, mais réfléchissez, je vous en prie, d'ici à la prochaine lecture du Sénat et à la suite de la procédure parlementaire. Vous avez accepté de passer à huit le nombre de membres ultramarins. Pourquoi ne pas nous accorder simplement trois places supplémentaires ? Une telle augmentation ne nous empêcherait nullement de respecter la réduction d'un quart du nombre de membres du CESE : en relevant le nombre total de membres du CESE à 178 au lieu de 175, nous serions encore à 24 % de baisse…
J'essaierai de vous convaincre jusqu'au bout, monsieur le garde des sceaux : jusqu'à la lecture définitive !
Sourires.
On pourrait penser que trois membres supplémentaires, ce n'est pas grand chose, mais c'est essentiel pour nous et ça l'est encore plus à l'heure de la crise sanitaire et économique que nous connaissons, une crise sans précédent, une crise bientôt sociale. Il y a beaucoup plus à perdre qu'à gagner en supprimant trois sièges pour les outre-mer. Les conserver, à l'inverse, permettrait de témoigner de l'écoute dont jouissent nos territoires et de la volonté du Gouvernement de répondre à leurs besoins spécifiques face à la crise. Le sentiment d'éloignement s'accuse dans l'ensemble des territoires d'outre-mer du fait de décisions prises par le passé. Il est urgent d'envoyer un signal fort d'écoute et de soutien aux outre-mer.
J'entends vos arguments, mesdames et messieurs les députés, mais nous avons beaucoup évolué, vraiment, par rapport à la première lecture.
Nous le savons tous et j'entends d'ailleurs M. Gosselin le murmurer.
Il nous est apparu essentiel d'apporter aux territoires d'outre-mer des garanties quant à leur présence future au sein du CESE. C'est pourquoi le Gouvernement propose, à titre dérogatoire, une mention spécifique s'agissant des outre-mer, au sein de la troisième catégorie, pour s'assurer que huit membres du CESE seront bien issus de ces territoires. Tous les groupes du CESE ont subi une baisse du nombre de leurs membres de 25 %. Faites le calcul : appliquée aux onze membres du groupe de l'outre-mer, cela donne 8,25 membres. L'équilibre auquel nous avons abouti résulte de discussions approfondies et d'assurances données sur l'effectivité de la représentation des ultramarins.
La loi organique fixe donc les grands principes de la nouvelle composition du CESE selon quatre catégories générales. Le décret sera pris après avis du comité de préfiguration, chargé d'entrer dans le détail de cette composition. Toutefois, nous proposons une exception à ce paradigme en spécifiant, dans le texte, que le groupe de l'outre-mer ne sera pas plus lésé que les autres par la réduction du nombre de membres du CESE. J'ajoute que cet amendement n'exclut pas la possibilité que des représentants issus des outre-mer soient désignés dans d'autres catégories.
Je vous invite à vous en souvenir.
J'émets un avis défavorable aux amendements nos 28 , 39 et 40 et un avis favorable à l'amendement no 43 .
Soyez certaine, madame Sage, que nous souhaitons une véritable représentation des outre-mer. Néanmoins, les équilibres garantis par le texte ont été compliqués à trouver. Nous pensons donc que la rédaction proposée par l'amendement est juste et conforme aux engagements du Président de la République.
Pardonnez-moi d'intervenir une nouvelle fois sur ce sujet, mais je veux vous dire, monsieur le garde des sceaux, que nous sommes conscients de l'effort majeur consenti en faveur des outre-mer et que nous vous en remercions, ainsi que le rapporteur et la commission des lois. Nous nous réjouissons que le nombre de huit membres ultramarins soit désormais inscrit dans la loi. D'après les échanges que nous avions eus avec le Gouvernement, nous savions ce nombre probable, mais nous sommes très satisfaits qu'il soit désormais garanti par la loi comme un minimum.
En réalité, l'effort supplémentaire que nous demandons aujourd'hui n'est pas un effort : c'est un investissement dans les territoires d'outre-mer et dans leur visibilité.
Je comprends votre position, mais si tous les députés d'outre-mer, quel que soit leur banc, soutiennent unanimement la même demande, ce n'est pas pour rien ! Trois membres supplémentaires au CESE, cela ne changerait évidemment rien pour la représentation ultramarine à l'Assemblée nationale, mais c'est essentiel. La société civile de ces territoires a besoin d'être entendue. À l'Assemblée nationale et au Sénat, les élus des outre-mer sont peu nombreux. Une représentation de l'ensemble des territoires ultramarins au CESE nous donnerait une force supplémentaire. Tel est le sens de ce sous-amendement d'appel, qu'accompagnait à l'origine un autre sous-amendement jugé irrecevable parce que nous l'avons déposé un peu rapidement.
Je vous demande de bien vouloir réfléchir à ce sous-amendement d'ici à la prochaine lecture du projet de loi organique. Toutes les propositions que nous avons examinées en faveur des outre-mer portaient sur le nombre de onze membres. Ce sous-amendement, quant à lui, propose trois membres supplémentaires, puisque huit membres sont déjà garantis. Il s'agit seulement de faire passer le nombre total de membres du CESE de 175 à 178.
L'amendement no 40 de M. Max Mathiasin est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
Monsieur Gosselin, nous prenons en compte la singularité des outre-mer, puisque ce sont les seuls territoires qui seront inscrits dans le marbre de ce texte. Il faut quand même le noter !
Je suis favorable aux amendements identiques de Mme Dubré-Chirat et du Gouvernement, et défavorable aux autres amendements, ainsi qu'au sous-amendement de Mme Sage.
Monsieur le ministre, vous êtes défavorable au sous-amendement à l'amendement du Gouvernement ?
En effet !
Sourires.
Un tout petit mot pour être certain que M. le ministre m'entende bien, car je ne voudrais pas être celui qui ne fait que murmurer à l'oreille du garde des sceaux ; il faut que ce que je veux dire puisse s'entendre haut et fort. Je salue en effet – il n'y a aucune ironie, monsieur le ministre, dans mon propos – l'avancée réelle que représente l'amendement du Gouvernement, au regard de nos échanges antérieurs.
Je maintiens cependant que nous sommes au milieu du gué. Votre démonstration est intéressante : vous dites que le nombre total des membres du CESE sera réduit de 25 %, et que les représentants de l'outre-mer sont traités comme les autres. Mais je vous connais assez, monsieur le ministre, pour savoir que vous êtes moins un défenseur de l'égalité que de l'équité. Faire preuve d'équité, c'est faire passer ce nombre de huit à onze.
Le sous-amendement no 53 n'est pas adopté.
L'article 7, amendé, est adopté.
Cet amendement dont Mme Benin est la première signataire vise à préciser le texte en créant au sein du CESE une délégation spécifique aux territoires d'outre-mer et une autre spécifique aux droits des femmes.
Beaucoup de choses ont été dites lors des différents débats, mais je voudrais profiter de ce moment pour rendre hommage aux personnalités qualifiées qui ont oeuvré au sein du CESE, en particulier Mme Ernestine Ronai, avec qui j'ai eu l'occasion de travailler sur les questions de violences conjugales, et Mme Marie-Claude Tjibaou, Calédonienne, qui a siégé au CESE comme personnalité qualifiée. Alors que nous allons réformer le CESE, je vous demande, monsieur le ministre, d'avoir une pensée et une parole forte pour toutes ces personnes à qui il faut rendre hommage parce qu'elles ont su servir la cause ultramarine, celle des minorités et celle des femmes, et parce qu'elles ont fait progresser notre droit en ces matières.
Mme Nicole Dubré-Chirat et Mme Bénédicte Pételle applaudissent.
L'amendement est satisfait : la délégation aux outre-mer existe déjà, tout comme celle consacrée aux droits des femmes et à l'égalité. Demande de retrait, ou avis défavorable.
Même position.
L'amendement no 50 est retiré.
L'article 8 est adopté.
Les articles 9, 9 bis, 10 bis et 10 ter sont successivement adoptés.
L'amendement no 22 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L'article 11, amendé, est adopté.
L'article 12 est adopté.
Le projet de loi organique est adopté.
Prochaine séance, demain, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Vote solennel sur le projet de loi de finances pour 2021 ;
Lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 ;
Discussion de la proposition de loi relative à la sécurité globale.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures cinq.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l'Assemblée nationale
Serge Ezdra