Je m'opposerai à la prorogation de la loi SILT. En seulement trois ans, nous avons voté huit lois restreignant les libertés, s'attaquant de fait à l'équilibre des pouvoirs, certaines d'entre elles pouvant même être jugées liberticides. Comme tous les autres textes, celui-ci est de trop.
Notre pays vit sous le joug de ces lois d'exception. L'exception, c'est la porte ouverte à l'arbitraire. S'habituer à ces régimes d'exception, c'est s'habituer à un régime autoritaire. La loi SILT, comme les autres, nous dresse à vivre sous un régime juridique alimenté par ce qu'il y a le pire dans notre société : la terreur, la sidération, l'absence de réflexion. Je vous le dis, l'horreur et l'angoisse des attentats ne nous protégeront pas du terrorisme. Je ne dis évidemment pas, à l'inverse, qu'il ne faut pas le combattre de la manière la plus ferme. Je ne dis pas qu'il ne faut pas avoir peur ; je dis simplement qu'il faut arriver à surmonter cette dernière pour trouver des réponses efficaces et raisonnables – raisonnables en ce qu'elles ne contreviennent pas aux principes démocratiques que ceux qui sèment la terreur veulent nous voir abandonner.
Mais qu'y a-t-il d'efficace dans votre texte, à imposer des contraintes écrasantes à des citoyens sans passer par la justice ? Qu'y a-t-il d'efficace à ne pas leur garantir le droit à être défendu ? Qu'y a-t-il de raisonnable dans vos assignations à résidence ou vos pointages quotidiens au commissariat ? Aucune évaluation indépendante n'a été effectuée et aucun rapport gouvernemental n'a su nous le dire clairement. Ces différentes lois ont-elles rendu plus efficaces nos services de renseignement, leur ont-elles donné les moyens humains et matériels nécessaires ? Les récents attentats terroristes nous obligent malheureusement à répondre par la négative.
En 2015, nous étions tous meurtris par les attentats. La France, tétanisée, n'a pas su dire non, alors, à l'état d'urgence ni à ses prolongations successives. Et, en 2017, sans dresser de bilan raisonné de cet état d'urgence, on a repris les mêmes dispositions pour faire entrer des mesures sécuritaires dans le droit commun. Ce repli démocratique était censé prendre fin en décembre 2020. Mais voilà que vous proposez de le proroger encore jusqu'à, nous dit-on, les faire entrer, cette fois, dans le droit commun.
Le recul de nos libertés n'est donc plus un fait exceptionnel ; c'est malheureusement devenu une habitude. Je ne peux examiner le présent projet de loi sans l'isoler du contexte actuel : avec l'état d'urgence sanitaire, les libertés publiques et individuelles sont restreintes ; de plus, le droit démocratique, celui du Parlement, est lui aussi restreint. Je ne peux évidemment le séparer de la proposition de loi relative à la sécurité globale qui sera examinée demain à l'Assemblée.
À un système où nous décidons tous ensemble, où nous sommes responsables devant tous, vous préférez un régime où ce n'est même plus le Gouvernement qui gouverne, mais un comité de défense secret intouchable et incontrôlable.
J'ai peut-être le défaut de mon âge, mais je vous vois défaire avec méthode tous les combats de ma génération, les combats pour la liberté, cette même liberté que le terrorisme islamiste déteste viscéralement. Je m'inquiète de ne plus vous voir ni défendre ni même aimer cette liberté car, dans votre discours, la liberté doit se ranger derrière la sécurité et s'effacer. Oh, vous le faites de manière soft, avec le sourire, vous offusquant qu'on vous accuse de le faire, mais vous le faites bel et bien.
Et vous commettez une erreur fondamentale : la liberté est le premier mot de la devise républicaine. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 la place au même niveau que la sûreté. Auriez-vous oublié que la sûreté, c'est aussi la garantie d'être protégé les violences du pouvoir et de l'État ? Et pourtant, vous nous habituez à un régime où l'État devient intouchable et même pas critiquable, incontrôlable. C'est cela, la dérive vers un régime autoritaire.
Dans votre régime, où règne l'arbitraire, les Français ordinaires sont toujours susceptibles de devenir des Français suspects, soumis à des lois écrasantes Dans votre régime, où domine la suspicion, je vous vois généraliser le fichage de nos citoyens dans tous les domaines, comme la santé, la sécurité, l'administration, sans jamais nous rendre de comptes. Demain, avec la loi relative à la sécurité globale, vous voulez généraliser cette surveillance. Demain, vous voulez empêcher de diffuser des images de policiers, ce qui est contraire à la liberté d'expression et d'information ainsi qu'aux droits de l'homme et du citoyen, qui posent la question du contrôle de ceux qui servent l'État comme un droit inaliénable. Vous voulez donc faire de la police un service public mais sans le public.
Voilà pourquoi je refuse cette prolongation et que, demain, je refuserai également votre nouveau texte liberticide ultra-sécuritaire. Sous votre quinquennat, nos libertés ont reculé comme elles n'ont jamais reculé depuis soixante-dix ans. Tout cela est d'autant plus déplacé que vous le proposez en plein état d'urgence sanitaire, caractérisé par une limitation inédite des libertés individuelles et publiques depuis la Libération. Décidément, cette course folle doit s'arrêter.