La proposition de loi que Mme Limon et ses collègues de groupe La République en marche soumettent aujourd'hui à votre examen va susciter un débat sur des sujets rarement évoqués : chacun, en s'y penchant, prend conscience de la délicatesse avec laquelle il convient de légiférer sur des questions à ce point sensibles. Même sous sa forme codifiée légale, l'adoption existe depuis des siècles. De l'Antiquité à la période actuelle, ses motivations et son encadrement ont évolué, mais il n'en demeure pas moins que cette volonté, ce besoin de créer par un jugement un lien de filiation entre deux personnes qui n'ont pas de lien de sang traverse les époques. Certains y ont eu recours pour sauver des lignées dynastiques ou pour réaliser des alliances, d'autres pour préserver des patrimoines ou encore pour favoriser une plus grande égalité sociale.
Depuis le début du XXe siècle, la France – ce qui tout à son honneur – poursuit à travers sa législation sur l'adoption l'un des buts les plus nobles qu'il soit : donner une famille à chaque enfant qui n'en aurait pas. Cette évolution, marquée par des décisions exemplaires comme la création du statut de pupille de la nation en 1917, a trouvé une résonance forte dans la société française.
Chacun le mesure, ces questions dont nous allons discuter renvoient pour nombre d'entre nous à des histoires personnelles ou à celles de proches. Ce n'est jamais avec indifférence ou légèreté que le sujet de l'adoption nous saisit. C'est bien un débat sociétal qui va, au cours de ces prochaines heures, avoir lieu ici et je sais que nombre de nos concitoyens y seront tout particulièrement attentifs. Parce qu'ils relèvent de l'intime, parce qu'ils renvoient à des parcours de vie souvent heurtés, ces sujets doivent encourager le législateur à ne prendre la plume qu'avec précaution. 1966, 1976, 1996, 2006, 2016 : les lois de la Ve République consacrées à l'adoption se comptent sur les doigts d'une main. C'est cependant l'honneur et la responsabilité du Parlement que d'avoir à évaluer régulièrement la cohérence de notre cadre législatif lorsque celui paraît incomplet, d'en identifier les faiblesses ou les manques, d'en corriger les éventuelles défaillances. Et c'est le cas en matière d'adoption.
Nous le savons très précisément depuis qu'en octobre 2019 la députée Monique Limon, aujourd'hui rapporteure de cette proposition de loi, et la sénatrice Corinne Imbert ont rendu le rapport intitulé « Vers une éthique de l'adoption, donner une famille à un enfant », à l'issue d'une mission que j'avais eu le plaisir de leur confier. C'est pour moi l'occasion de les remercier pour ce travail.
Le constat posé alors, que partage le Gouvernement, tient en une phrase : nous n'en faisons pas assez pour trouver une famille dans laquelle grandir, s'épanouir, se sentir en sécurité aux enfants de notre pays dont la famille n'est plus là, dont la famille n'assume pas ses responsabilités ou n'est plus apte à le faire. Nous nous satisfaisons de procédures complexes qui privent encore d'adoption des enfants pour lesquels elle est pourtant la promesse d'un horizon adapté, d'une véritable stabilité affective, de nature à combler ce que le Dr. Marie-Paule Martin-Blachais qualifiait, dans le cadre de la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l'enfant, de « méta-besoin », celui sans lequel rien ne peut se construire ou se reconstruire, ce besoin de sécurité affective, physique et matérielle.
Quand la part des enfants adoptés, parmi ceux que nous protégeons à l'aide sociale à l'enfance, est cent fois moindre que dans certains pays voisins, quand un pupille de l'État sur deux ne trouve pas de famille d'adoption, quand les futurs parents attendent en moyenne plus de trois ans après l'obtention de l'agrément pour que leur projet d'adoption se réalise, alors il faut agir, agir pour mieux protéger ces enfants, pour mieux accompagner ces parents et pour corriger les lacunes identifiées par les professionnels. C'est ce que propose ce texte.
Il développe l'adoption en ajoutant de nouvelles garanties et de nouvelles sécurités nécessaires au bien-être de l'enfant, avec une ambition politique et sociale très forte : donner les mêmes chances et les mêmes droits à toutes les petites filles et à tous les petits garçons de notre pays, à commencer par ceux que la vie a souvent fait grandir trop vite mais qui restent fragiles, comme les enfants qu'ils demeurent, comme tous les enfants. Je sais que c'est là votre objectif, madame la rapporteure, et le Gouvernement vous soutient pleinement dans cette démarche à laquelle je suis d'autant plus sensible qu'elle met clairement la notion d'intérêt de l'enfant en son coeur.
Vous mentionnez à très juste titre dans l'exposé des motifs de votre proposition de loi la Convention internationale des droits de l'enfant de 1989 dont l'article 20 rappelle que « tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et à une aide spéciales », pouvant prendre notamment la forme de l'adoption. Ce n'est bien évidemment pas la seule voie et l'action que je m'évertue à mener depuis que j'ai l'honneur d'exercer les fonctions qui sont les miennes au sein du Gouvernement se fonde sur cet apport fondamental de la Convention internationale des droits de l'enfant, afin de déployer tout un éventail de mesures adaptées aux besoins et aux attentes des enfants. Mais cette mention explicite montre bien qu'en encourageant et en facilitant le recours à l'adoption, en ajoutant de nouvelles garanties, nous ancrons fermement, définitivement l'adoption dans la protection de l'enfance. Quand nous disons que l'adoption doit être développée, ce n'est ni plus ni moins dans l'intérêt de l'enfant. Il ne s'agit pas de changer pour changer ou même d'être dans l'air du temps. Vous avez raison, madame la rapporteure, de présenter ce texte comme offrant des opportunités nouvelles aux enfants.
À cet égard, je salue les mesures qu'il propose, notamment la création d'une base nationale des agréments en vue d'adoption qui permettra de faciliter la recherche d'une famille pour chaque enfant, y compris lorsque les besoins spécifiques de ce dernier impliquent d'élargir cette recherche en dehors du ressort du conseil départemental. Le nouveau rôle que nous confierons à l'Agence française de l'adoption y contribuera également.
Je salue aussi les nouvelles possibilités d'adoption non seulement des enfants de plus de 15 ans par les personnes qui les ont accueillis au titre de l'aide sociale à l'enfance – je parle ici des assistantes familiales, dont je veux saluer l'engagement – , mais aussi des enfants à besoins spécifiques hors d'état de consentir, lorsque c'est dans leur intérêt. Je salue encore l'instauration d'un écart d'âge maximum entre les enfants et les adoptants, la sécurisation de la période de placement en vue de l'adoption, ou l'interdiction explicite de l'adoption entre ascendant et descendant en ligne directe – autant de mesures qui contribueront à renforcer la protection d'enfants ayant besoin de stabilité et de repères, et non d'incertitude et de confusion. Ces mesures ne sont pas cosmétiques : elles faciliteront la recherche d'une famille pour chaque enfant, et mettront fin à l'augmentation, observée ces dernières années, du nombre d'enfants ne trouvant pas de famille adoptante.
L'intérêt de l'enfant réside également dans l'inscription des parents et des enfants dans de véritables parcours. Les mesures précitées n'offriraient pas de garanties suffisantes, si Mme Monique Limon et l'ensemble des acteurs concernés ne s'étaient pas attachés tant à l'encadrement des procédures qu'à l'accompagnement des parents. Cet accompagnement est d'autant plus important que le profil des enfants admis au statut de pupille de l'État change : ils sont de plus en plus nombreux à présenter des besoins spécifiques, liés à l'âge ou à une situation de handicap. Le Gouvernement approuve les garanties proposées par la rapporteure, qui concourent toutes à sécuriser les parcours et les droits des enfants. Je pense en particulier à l'effort accru de formation des membres des conseils de famille, dont la composition sera d'ailleurs diversifiée ; à la précision des droits des pupilles et au renforcement de leur information pour les décisions qui les concernent ; ou encore à l'encadrement de certaines activités exercées par les organismes autorisés pour l'adoption. Ce dernier point, je le sais, a suscité des inquiétudes, mais je suis convaincu que la discussion fera ressortir la nécessité de mettre fin à des démarches, certes rares, qui ne présentent pas de garanties suffisantes concernant l'intérêt de l'enfant et la non-discrimination des candidats à l'adoption ; dans le même temps, les démarches remplissant ces deux objectifs devront être pérennisées.
L'extension de l'adoption aux couples non mariés participe d'une même logique. Elle est emblématique des échanges qui suivront. Ne nous trompons pas dans les termes du débat : prendre en considération ces nouvelles configurations familiales, c'est, strictement, renforcer la protection de l'enfant. Alors que celui-ci ne pouvait, jusqu'à présent, être adopté que par un parent non marié, il aura demain la chance et le droit de compter sur la sécurité de deux parents : c'est un progrès fondamental pour les enfants concernés.
Je salue toutes ces propositions. Le Gouvernement les enrichira en présentant, notamment, un amendement visant à étendre encore l'accompagnement des familles adoptantes dans les premiers mois suivant l'arrivée de l'enfant.
Les changements seront donc nombreux et transformeront profondément le paysage de l'adoption en France. C'est pourquoi le Gouvernement sollicitera, de la part de la représentation nationale, une habilitation à légiférer par ordonnance, …