… une personne sans droits utilise la carte d'une personne ayant des droits ou utilise celle d'une personne couverte à 100 % alors qu'elle-même ne dispose que d'une couverture de base.
Le Gouvernement entend les préoccupations légitimes qui ont pu motiver cette proposition de loi : la fraude à la carte vitale est un problème important contre lequel nous devons continuer à conduire des actions structurantes.
Avant de m'exprimer sur le fond de cette expérimentation, je souhaite revenir devant vous sur les nombreuses mesures prises depuis plusieurs années afin de réduire les risques liés à la délivrance de la carte et de sécuriser le système d'émission des cartes et les facturations : tout d'abord la création d'une liste d'opposition, permettant de bloquer l'utilisation des cartes Vitale mises en opposition ; ensuite l'introduction de la photographie en couleur de l'assuré, tant sur le support de la carte que dans son composant électronique ; l'existence d'un portail inter-régimes qui permet d'éviter l'émission d'une nouvelle carte si l'ancienne n'a pas été restituée ou est invalidée ; enfin la mise en fin de vie des cartes Vitale dont les titulaires n'ont plus de droits ou sont décédés ou radiés.
Les travaux engagés par les caisses de sécurité sociale ont notamment permis de réduire le nombre de cartes Vitales surnuméraires, le faisant passer de 609 000 à 152 000, un chiffre encore en diminution.
La création d'une carte Vitale biométrique, fût-ce par le biais de l'expérimentation qui nous est proposée, pose des problèmes extrêmement délicats en matière de protection de la vie privée et des données personnelles. Elle est également lourde à mener en raison des changements profonds qu'elle introduit quant à sa fabrication et à son usage.
Les empreintes sont des données sensibles, au sens du fameux règlement général sur la protection des données – RGPD. Leur traitement pour le cas particulier de l'authentification des personnes nécessite un avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés – CNIL – au titre des formalités d'autorisation prévues à cette fin. La question posée est celle de la nécessité et de la proportionnalité du recueil et de la conservation de ces données au regard de l'objectif poursuivi, qui ne présente aucun caractère d'évidence.
J'aimerais également évoquer le coût financier et les délais d'application d'une telle mesure. Là encore, même dans le cas d'une expérimentation, ils ne sont pas négligeables. L'utilisation des empreintes induit des coûts et des délais de mise en oeuvre importants pour le recueil des données biométriques, pour le contrôle par les professionnels de santé et pour l'adaptation du système de gestion des cartes Vitale.
Pour permettre le recueil des empreintes digitales, chaque demandeur devrait se déplacer. Or les accueils des caisses d'assurance maladie ne sont ni équipés ni dimensionnés en effectifs pour traiter cette demande. Une telle évolution nécessiterait aussi de former les agents aux équipements qui devraient être utilisés.
Pour effectuer le contrôle biométrique, il faudrait également que les professionnels de santé soient tous équipés de lecteurs permettant de relever les empreintes du patient. Ce processus aurait un impact certain dans la relation du praticien avec son patient puisque s'ajouterait un contrôle qui ne relève pas strictement de son exercice professionnel.
Il est certain qu'au-delà de la polémique que cette mesure pourrait créer avec les professionnels utilisant la carte Vitale au quotidien, un financement de ces matériels par l'assurance maladie serait demandé. Pour la France entière, le coût minimal s'élèverait à 400 millions d'euros selon une première estimation, bien supérieure à celles du quantum de la fraude liée à l'usurpation de carte Vitale.
Les contraintes de sécurité afférentes à l'utilisation des données biométriques par les traitements automatiques induisent enfin une complexité technique. La création de cette nouvelle carte est ainsi de nature à augmenter de façon substantielle le prix unitaire de la carte Vitale et plus généralement le coût global de gestion des cartes. On peut estimer à environ 3 euros le coût complet actuel de fabrication et de délivrance d'une carte Vitale de deuxième génération – celle avec photo. Il serait au minimum doublé si la carte Vitale était biométrique.
Mesdames et messieurs les députés, je l'ai dit, nous partageons votre préoccupation. L'idée qui sous-tend cette proposition de loi nous semble juste mais la mesure paraît en l'état quelque peu disproportionnée et difficilement applicable. Ainsi la biométrie peut-elle constituer une piste intéressante, mais à aborder sans doute de manière plus progressive.
Depuis 2009, l'ensemble des passeports délivrés par les autorités françaises sont biométriques, comme c'est le cas dans d'autres pays tels que l'Algérie ou le Maroc. Un amendement adopté dans le cadre du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale – PLFSS – et qui avait été déposé par le rapporteur Cyrille Isaac-Sibille prévoit qu'un retraité peut, grâce à un certificat d'existence biométrique, justifier de son existence sans se déplacer auprès de l'autorité compétente.
Le recours aux technologies de biométrie individuelle permet de sécuriser le dispositif de contrôle existant et de renforcer la lutte contre la fraude, un sujet majeur au vu du montant des pensions versées à l'étranger, qui avoisine 6 milliards d'euros. Des marges de progression sont identifiées pour éviter les risques de détournement, comme le notent plusieurs rapports récents, notamment ceux de la Cour des comptes et de la commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales qui s'est tenue à l'Assemblée nationale en septembre 2020.
La biométrie peut, je le répète, se révéler utile mais il faut l'utiliser à bon escient. Plutôt que d'adopter cette proposition de loi, nous vous proposons de soutenir une expérimentation plus pragmatique, et qui existe déjà, de carte électronique d'assurance maladie.
Ce projet de « e-carte » vise à instaurer un dispositif sécurisé et dématérialisé, sur smartphone, permettant l'identification, l'authentification et la signature des assurés pour la facturation et l'accès aux services de l'assurance maladie et de la santé : le dossier médical partagé, le dossier pharmaceutique et les téléservices de l'assurance maladie obligatoire voire des assurances maladie complémentaires. Les patients et leurs ayants droit peuvent ainsi accéder à leurs droits à jour, en toute circonstance et de manière sécurisée.
Cette expérimentation a débuté le 15 octobre 2019 dans les caisses primaires d'assurance maladie du Rhône et des Alpes-Maritimes et dans les caisses de la Mutualité sociale agricole Ain-Rhône et Provence-Azur, sur la base du volontariat.
Dans un contexte rendu évidemment difficile par la crise du covid-19, 1 000 assurés se sont portés volontaires pour y participer. L'extension à dix départements en 2021 permettra une montée en puissance de cette expérimentation dont les objectifs sont multiples : vérifier la capacité d'usage d'une application mobile dans le cadre de la facturation, s'assurer de la bonne intégration de l'e-carte Vitale dans le système actuel, recueillir la perception qu'ont les utilisateurs de cette carte et de ses usages, enfin rassembler les indications nécessaires pour éclairer une éventuelle décision de généralisation.
Cette expérimentation se déroule en plusieurs paliers, qui seront ajustés si nécessaire en fonction des retours d'expérience du terrain – c'est le propre d'une expérimentation. Le premier d'entre eux devait initialement se dérouler en un an mais une prolongation de douze mois est apparue indispensable afin de pouvoir disposer de suffisamment d'informations pour en tirer un bilan significatif.
Au vu de ces différents éléments, le Gouvernement ne sera donc pas favorable…