C'est un moment grave et important que nous vivons et je veux en marquer la solennité en m'exprimant depuis la tribune de notre assemblée.
Je dis aux braves gens qui nous entendent à cette heure qu'un événement est en train de se produire sous leurs yeux, dans la douceur de l'été, sans peut-être qu'on s'en rende vraiment compte. L'ordre social républicain va être renversé. Alors qu'hier régnait la loi, et qu'il était toujours possible de s'entendre au sein de la branche ou de l'entreprise pour introduire des améliorations, dorénavant, la source de la norme se trouvera dans l'entreprise. Or nous pensons que les rapports n'y sont pas libres et égaux, comme ils le sont lorsque les citoyens vont voter pour choisir leurs représentants, et que ceux-ci fixent la loi, qui s'applique à tous, partout et de la même manière.
Demain, 18 millions de personnes vont voir leur situation juridique et leur rapport de subordination dans le travail radicalement modifiés. Les institutions du personnel seront moins fortes et, dans le contrat de l'avenir, seule une des deux parties sera liée. À juste titre, on a dit ici que le travail – sa nature, son contenu, son objet – allait connaître dans les décennies à venir une profonde mutation. C'est à nous d'empêcher qu'elle se règle à la sauvage. Et quand je dis « sauvage », je ne parle pas des rapports personnels, mais de la brutalité qui résulte de ce mythe de la main invisible du marché, qui serait le grand organisateur d'un bon ordre et d'une belle harmonie. Nous n'y croyons pas un seul instant. Nous croyons tout le contraire, et nous l'avons dit : dans ce type de circonstance, la force va à la force. Et seule la loi protège le faible.
Mais, lorsque nous combattons les dispositions que vous nous proposez, nous ne défendons pas seulement les protections des salariés acquises au prix de tant de luttes. C'est une vision du monde que nous défendons, car nous ne voulons pas de votre monde. Nous ne voulons pas d'un monde dominé par la marchandise, où produire n'importe quoi, n'importe comment, du moment que ça se vend, est la norme de vie de la société. Nous voulons une société dans laquelle le collectif délibère, parce qu'il est temps d'introduire, dans toute entreprise humaine, une raison supérieure, celle de l'intérêt général de l'humanité, directement mis en cause par notre façon de produire et d'agir.
Au terme d'un si long débat, le moment est donc venu de vous dire que, jusqu'à l'instant où vous promulguerez ces ordonnances, et au-delà, nous ne serons pas seulement une opposition, mais une alternative. Et nous disons d'ores et déjà à tous ceux qui nous entendent que le moment viendra où, en nous choisissant et en nous confiant les responsabilités de l'État, vous nous donnerez les moyens d'abroger la totalité de ces ordonnances. D'ici là, braves gens, écoutez et souvenez-vous du message du jeune Étienne de La Boétie, qui dénonçait les conditions de notre servitude volontaire : souvenez-vous qu'ils ne sont forts que si nous les laissons faire.
Et c'est pourquoi, m'exprimant au nom de tous ceux qui nous ont conduits jusque sur ces bancs, je vous appelle à la lutte. Braves gens, pensez à ceux qui vous ont fait la vie que nous avons ! Soyez à la hauteur de ceux qui ont conquis, au fil de cent ans de luttes et même davantage, les protections qui vous étaient acquises jusqu'à cette heure, et soyez leur honneur ! Braves gens, ne le supportez pas ! Organisez-vous ! Révoltez-vous ! Faites en sorte que ce gouvernement, saisi par la force de votre mobilisation, hésite et, pour finir, recule !