« La ville est anxiogène. » ; « On ne peut pas être une zone de non-droit. » ; « En Seine-Saint-Denis, la justice est ailleurs. » : ces mots sont ceux d'habitants de ma circonscription, à Aubervilliers et à Pantin, en particuliers d'habitants du quartier des Quatre-Chemins, situé à la limite des deux villes. Je les entends tous les jours dans mes permanences parlementaires et dans mes rencontres avec les citoyens ; je les lis tous les jours sur les réseaux sociaux. Ces mots traduisent une réalité inacceptable dans une République et pourtant installée de longue date aux Quatre-Chemins et ailleurs en Seine-Saint-Denis.
L'insécurité pourrit la vie de très nombreuses – de trop nombreuses – personnes de mon département. Les habitants n'en peuvent plus d'appeler une police qui ne vient pas, de déposer des plaintes qui restent lettre morte. Les fonctionnaires de police sont trop souvent épuisés : l'un d'eux s'est suicidé à la fin de son service, au coeur même du tribunal de Bobigny, en octobre 2019. Les élus sonnent l'alerte, mais ne sont pas entendus. En quelques mois, j'ai posé deux questions écrites, écrit trois fois au préfet pour signaler l'aggravation de la situation aux Quatre-Chemins, écrit au ministre de l'intérieur, au Premier ministre et au Président de la République : rien ne bouge.
J'entends déjà vos réponses. Vous allez reprendre la litanie des « moyens policiers supplémentaires » prétendument affectés au département : cent officiers de police judiciaire, deux quartiers de reconquête républicaine à Saint-Ouen et à La Courneuve, deux rénovations de commissariat à Aulnay-sous-Bois et à Épinay-sur-Seine. Comme si cela suffisait ! Vous allez, une fois encore, vous poser en défenseurs inconditionnels de la police et accuser de diffamation ceux qui, comme moi, dénoncent la situation, comme si nous ne souhaitions pas une police efficace, rassurante, respectée et républicaine ! Vous allez parler « d'ensauvagement », stigmatisant au passage toute la population des quartiers populaires, comme si elle était responsable de l'insécurité qu'elle subit !
Les mots n'y changeront rien : la vérité nue est là. Les moyens que vous déployez ne sont pas à la hauteur des vrais besoins. Les Quatre-Chemins sont classés « quartiers de reconquête républicaine » et dotés de vingt-cinq policiers supplémentaires, mais allez demander aux habitants s'ils voient la différence !
Pour lutter contre les points de deal, vous proposez un numéro vert ! La doctrine que vous utilisez n'est pas la bonne : les contrôles d'identité et la répression de la consommation de cannabis épuisent les policiers et sont autant de coups d'épée dans l'eau. La politique injuste que mène le gouvernement auquel vous appartenez accroît les inégalités sociales et territoriales, le désoeuvrement et la pauvreté dont souffrent les villes populaires, et sème ainsi les germes de la petite délinquance. Vous déplorez les effets, mais vous créez les causes.
Le résultat de vos efforts ? L'échec. Les interventions de police manquent leur but : les descentes ponctuelles n'assèchent pas les trafics. Les bavures et les dérives sont nombreuses et trop souvent impunies. À Aubervilliers, en mars dernier, une jeune femme, Ramatoulaye, a été frappée et « tasée » par des policiers. Son crime ? Être sortie faire des courses pour nourrir son bébé avec une attestation manuscrite !
La fuite en avant s'engage : devant l'impuissance de l'État, un nombre croissant de villes comme Aubervilliers et Saint-Denis arment leur police municipale. Une telle mesure accroît les inégalités territoriales et augmente les tensions. Les habitants se sentent abandonnés et désespèrent de constater que rien ne change.
Pourquoi ne changez-vous pas de politique ? Pourquoi n'allouez-vous pas réellement à la Seine-Saint-Denis les moyens de police nationale dont elle a besoin ? Pourquoi ne changez-vous pas la doctrine d'emploi des forces de police en conjuguant une vraie police de proximité, formée pour des missions de prévention et de surveillance, avec une politique forte de démantèlement des filières responsables des trafics ? Pourquoi ne sanctionnez-vous pas résolument les policiers qui se rendent coupables de bavures ? Pourquoi n'engagez-vous pas le grand chantier de la reconstruction des services publics et de la lutte contre la précarité qui asséchera le terreau sur lequel prospère la délinquance ? En somme, pourquoi ne menez-vous pas un grand plan pour la sécurité et la tranquillité publique aux Quatre-Chemins, en Seine-Saint-Denis, pour garantir enfin aux habitants de notre département ce « droit à la sûreté » inscrit à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ?