Comme vient de l'indiquer notre collègue, cet article, qui ne fait pas moins de dix pages, est arrivé en commission spéciale par voie d'amendement, sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État. Tout comme l'article 18 remplaçait l'article 24, l'article 19 bis remplace une grande partie de la proposition de loi de la rapporteure visant à lutter contre les contenus haineux, invalidée, sur ces mêmes dispositions, par le Conseil constitutionnel. Vous revenez donc à la charge avec cet article.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez parlé de sécurité juridique. Or le Gouvernement revient avec un texte assez bancal puisque les bases juridiques en sont très fragiles. Le projet Digital Services Act est quand même avancé. Il contiendra des progrès importants, sur la définition des hébergeurs notamment, puisque, aux termes de la directive commerce électronique de 2004, les hébergeurs sont relativement irresponsables. Le DSA permettra de différencier quatre catégories d'intermédiaires, parmi lesquelles les hébergeurs et les plateformes, et de proportionner les mesures en fonction de ces catégories, ce qui est aujourd'hui impossible puisque vous ne pouvez pas modifier une directive européenne.
Deuxième remarque, vous proposez, avec l'article 19 bis, que la France déroge au principe du pays d'origine, pourtant inscrit dans le traité instituant la Communauté européenne, en confiant le pouvoir de régulation au CSA et en faisant de la loi française la loi applicable. Vous l'avez dit, vous vous appuyez pour cela sur l'arrêt Omega du 14 octobre 2003 de la Cour de justice de l'Union européenne, qui a effectivement ouvert la possibilité de déroger à ce principe, mais pour une raison précise : si l'objectif est la protection de la dignité humaine. En l'occurrence, c'est bien le cas puisque vous faites référence à l'article 6 de la LCEN. Vous méconnaissez cependant les deux autres conditions, cumulatives, fixées par l'arrêt : les mesures doivent être ciblées et proportionnées. Or cela ne sera pas le cas puisque, une fois encore, vous ne pouvez pas modifier la directive européenne.
Par ailleurs, comment imaginez-vous gérer la compétition entre les différentes sanctions qui seront prononcées selon les pays à l'encontre d'une seule et même entité si chaque pays décide de faire comme nous, c'est-à-dire d'appliquer une législation nationale avant même que la législation européenne voie le jour ? Les compétitions entre les législations, les sanctions et les autorités compétentes seront inévitables puisqu'une même entité sera ciblée, mais encourra des sanctions différentes selon les pays.
Je vois que M. le secrétaire d'État ne m'écoute absolument pas ! C'est vraiment regrettable…